Les Cours martiales et la Cour de Justice à Montpellier (1944-1948)

* Docteur en Histoire

[ Texte intégral ]

Les Cours martiales du régime de Vichy (janvier-août 1944)

Deux sortes de cours martiales furent instituées à Montpellier en 1944, celles créées par le régime de Vichy par la loi du 21 janvier 1944 et celles établies par les FFI à partir du 28 août jusqu’au 14 septembre. Elles furent remplacées par une Cour de Justice en fonction de l’ordonnance du Gouvernement provisoire de la République du 26 juin 1944. Elle eut pour mission de juger les actes de collaboration avec l’ennemi commis entre le 16 juin 1940 et la Libération. Elle fonctionna jusqu’en 1948.

Pour comprendre l’installation de ces juridictions d’exception, rappelons la situation politique qui prévalait en France depuis novembre 1942, date à laquelle l’armée allemande occupa l’ensemble du territoire à la suite du débarquement des forces anglo-américaines en Afrique du Nord auxquelles se joignirent les forces françaises lors du débarquement en Italie en 1943.

À partir de 1943, les actions de Résistance contre les troupes allemandes et leurs collaborateurs se multiplièrent. Pour y faire face, le régime de Vichy créa la Milice à partir du 30 janvier 1943. Cette police politique, force de maintien de l’ordre, supplétive de la Gestapo, était une création de Pierre Laval, chef du gouvernement. Mais le véritable responsable des opérations fut Joseph Darnand, ancien combattant des guerres de 1914-18 et de 1939-40 fondateur du Service d’Ordre Légionnaire (le S.O.L.) qui avait succédé en janvier 1942 à la Légion Française des Combattants (L.F.C.) soutien de la politique du maréchal Pétain depuis le 10 juillet 1940.

Le S.O.L prônait le culte du chef, le rejet de la démocratie, l’anticommunisme et l’antisémitisme. Il exigeait de ses membres le serment de lutter contre la démocratie, « la lèpre juive » et la dissidence gaulliste. Il favorisait une campagne de délation et les légionnaires se livraient à des actions brutales contre les adversaires du régime.

Pierre Laval, en accord avec le maréchal Pétain, décida de créer, par la loi du 30 janvier 1943, la Milice française, qui absorba l’ancien Service d’Ordre Légionnaire.

La Milice ne cachait pas son intention de favoriser l’émergence en France d’un État autoritaire de type fasciste. Elle inquiétait la population par sa pratique systématique de la violence, de la torture, des rafles, et d’exécutions sommaires. Elle n’eut jamais cependant plus de 35 000 membres. Le sixième couplet de son hymne, le Chant des Cohortes est explicite 1.

Les Cours martiales de Vichy (Fig. 1) dépendaient du Secrétariat général au Maintien de l’Ordre et pas de la Milice, bien que Joseph Darnand en fût le chef depuis le 1er janvier 1944. Il signait les renvois après transmission des dossiers par les autorités locales. Une équipe de trois chargés de mission, les examinait au préalable. Il s’agissait du commissaire Paul Ferlus, ancien commis des services civils de l’AOF, de Félix Bétaz ancien greffier à la Cour de Justice de Cayenne, et de Joseph Boiron, ancien juge suppléant à Lyon. Ils pouvaient jouer le rôle de procureur. Paul Ferlus siégea dans la cour martiale de Montpellier.

Loi du 21 janvier 1944 (Journal Officiel)
Fig. 1 - Loi du 21 janvier 1944 (Journal Officiel)

Les cours martiales se réunissaient dans des lieux différents des Cours de Justice, sans aucune publicité, avec trois juges anonymes. À Montpellier, la cour martiale se réunissait au siège de l’Intendance régionale de police, et l’intendant Pierre Marty rédigea lui- même les procès-verbaux des condamnations à mort jusqu’à sa mutation à Toulouse le 15 avril 1944.

La nouvelle des condamnations à mort était diffusée dans la presse après les exécutions. Celles-ci étaient confiées à des pelotons de 12 GMR commandés par un officier et un sous-officier.

Selon la loi du 20 janvier 1944, « tout individu arrêté en flagrant délit d’assassinat, ou de meurtre, de tentative d’assassinat, ou de meurtre commis au moyen d’armes et d’explosifs pour favoriser une activité terroriste » était présenté sans délais à l’intendant de police de la préfecture régionale du lieu de l’arrestation, qui le plaçait sous mandat de dépôt et prenait toutes dispositions utiles pour le traduire sur le champ devant la Cour martiale.

Aucune information n’était ouverte, l’application des lois sur l’instruction criminelle étant suspendue à l’égard des individus déférés en cour martiale. Les accusés n’étaient assistés d’aucun avocat. Si les conditions prévues par la présente loi étaient remplies et que la culpabilité était nettement définie, le condamné était passé par les armes immédiatement après la lecture de la sentence, sans aucun recours, ni appel, ni pourvoi en cassation, ni demande de grâce en principe.

Une fois l’arrêt notifié au directeur de la prison, l’officier commandant le peloton prenait en charge le condamné pour le mener sur le lieu de son exécution. Lorsque le décès était constaté par le médecin légiste, le commissaire de police s’assurait de l’enlèvement du corps par les pompes funèbres et de l’inhumation.

La note confidentielle transmise par Darnand aux préfets régionaux le 15 février 1944, aborde la plupart des questions pratiques qui pouvaient se poser aux autorités administratives locales. Le texte précise que les corps des résistants fusillés devaient être transportés au cimetière par fourgon sous la protection d’un commissaire de police sans aucun cortège, puis inhumés dans une fosse commune, ce qui explique les difficultés auxquelles firent face les familles des condamnés pour récupérer les corps de leurs proches après la Libération.

Le 14 mai, une nouvelle loi fut promulguée. Elle exigeait la collaboration des procureurs, qui devaient eux-mêmes identifier, parmi les dossiers en cours d’instruction, ceux pouvant éventuellement relever des Cours criminelles extraordinaires et les transmettre au Service Général du Maintien de l’Ordre. Si après examen du dossier, le cabinet du Maintien de l’ordre estimait que la culpabilité était nettement établie, les inculpés étaient déférés à la Cour criminelle extraordinaire par un arrêté qui précisait l’inculpation définitive retenue. Elle entraînait le dessaisissement du juge d’instruction. Cependant, à la différence des Cours martiales, les Cours criminelles extraordinaires se prononçaient à la fois sur la culpabilité et sur la peine, c’est-à-dire qu’un individu reconnu coupable n’était pas nécessairement condamné à mort.

Selon Michèle Cointet auteur d’une Histoire de la Milice, la plupart des dossiers des Cours martiales du régime de Vichy furent détruits par les Miliciens lors de leur débâcle en 1944 2.

Deux dossiers seulement furent retrouvés à Montpellier, celui d’Antoine Mirallès (21 ans), FTP, exécuté le 14 mars 1944 pour avoir abattu un policier, et celui de Louis Plantadis (18 ans) condamné à mort et exécuté le 31 mars pour avoir blessé le 29 mars le maire de Sébazac-Concourès (Aveyron) : il avait refusé aux maquisards des cartes d’alimentation. Arrêté par les gendarmes, le jeune homme fut fusillé au champ de tir de la Madeleine le jour de sa condamnation. Les procès-verbaux des condamnations à mort furent rédigés par l’Intendant régional de Police Pierre Marty agissant par délégation du Préfet régional. Les trois miliciens désignés d’office comme juges par le Dr Hoareau chef départemental de la Milice étaient Pierre Pialot, président, 39 ans, Hippolyte Bonniol, 46 ans, tous les deux de Fabrègues, et Léon Fontaine de Pignan, 47 ans. La Cour martiale continua de fonctionner après le départ de Pierre Marty le 15 avril pour Toulouse jusqu’à la libération de Montpellier mais les dossiers ont disparu.

Henri Garcia, (23 ans) et Louis Bonfils, (23 ans) furent fusillés le 22 mai. Le 31 mai ce fut le tour de Louis Rachinel (38 ans), de François Gaussen (19 ans) et d’Aimé Sauvebois (23 ans), Raymond Migliaro (17 ans) et Jean-Marie Pitangue (23 ans). Enfin au cours d’une mission manquée à la suite d’une dénonciation, six membres du groupe ville FTP de Perpignan, furent arrêtés, condamnés à mort par une cour martiale et fusillés : Roger Menuisier, gardien de la paix, René Senegas, Pierre Auriol, chauffeur, Gabriel Hispa, gardien de la paix, Joseph Saury, cultivateur, et Pierre Stroll employé SNCF furent fusillés les 30 juin et 11 juillet 1944.

Au cours de son interrogatoire le 22 janvier 1946, Pierre Pialot, président de la Cour Martiale nia en avoir fait partie 3. Il fut dénoncé par son camarade Léon Fontaine qui déclara à l’inspecteur de police Adrien Boulsier « Le chef Hoareau est venu à Pignan. Il m’a emmené à Montpellier ainsi que Pierre Pialot et Hippolyte Bonniol de Fabrègues. Nous sommes venus tous les quatre à l’intendance régionale de police. L’intendant Marty a dit que nous allions nous réunir en Cour martiale le 31 mars pour juger le jeune Plantadis. Un délégué du gouvernement de Vichy nous a rejoints 4 » (le commissaire Paul Ferlus).

Interrogé le 21 janvier 1946, par le juge d’instruction Douysset, le Dr Hoareau, chef départemental de la Milice déclara : « J’ai reçu la visite d’un fonctionnaire du Maintien de l’Ordre de Vichy qui m’a montré un papier signé de Darnand me donnant l’ordre de désigner trois personnes pour constituer une cour martiale. J’ai protesté et déclaré ne pas vouloir exécuter cette mission, mais mon interlocuteur a été très comminatoire et m’a fait remarquer qu’un ordre s’exécutait et que la réclamation ne pouvait être formulée qu’après exécution 5 ».

Les Cours martiales FFI (30 août-15 septembre 1944)

Dès la libération de Montpellier le 17 août, un climat insurrectionnel et des exécutions sommaires eurent lieu. Jacques Bounin, Commissaire de la République nommé par Alger et arrivé à Montpellier le 20 août 1944, institua en accord avec Gilbert de Chambrun, chef militaire régional de la Résistance, deux Cours martiales, l’une à Montpellier, l’autre à Béziers.

« Le lendemain de mon arrivée à Montpellier, j’appris que dans la nuit une foule avait envahi la prison et molesté les collaborateurs qui s’y trouvaient. Je donnai l’ordre au commandant Quarante, chef de la milice patriotique de la ville d’assurer la garde de la prison pour que ces faits ne se renouvellent pas….Il me sembla que je n’avais dès lors que deux choix : ou bien fermer les yeux et laisser faire des représailles incontrôlées. Ou bien m’efforcer de contrôler la répression et par conséquent la circonscrire. Je choisis cette seconde attitude » 6.

Afin de faire baisser la tension, le général de Lattre de Tassigny commandant l’armée française qui venait de débarquer quelques jours auparavant sur les côtes provençales fit une entrée triomphale à Montpellier le 2 septembre et poursuivit sa route par la vallée du Rhône après avoir donné son accord pour incorporer plusieurs bataillons FFI 7.

La Cour Martiale de Montpellier fut l’une des plus implacables de France. Sur 103 accusés, 70 furent condamnés à mort. Elle siégea à six reprises : le 30 août, les 4, 6, 8, 11 et 13 septembre 1944. Celle de Béziers à trois reprises : les 5, 11 et 14 septembre 1944. L’instruction menée par les cours martiales fut sommaire, l’exécution des peines, immédiate.

Aux audiences du 4 septembre, il y eut 7 condamnés à mort ; du 6 septembre, 17 condamnés à mort ; du 8 septembre, 19 condamnés à mort ; du 11 septembre, 19 condamnés à mort ; du 13 septembre, 8 condamnés à mort, en application de l’article 75 du Code Pénal qui visait le crime de trahison. Un seul fut gracié par de Chambrun.

La majorité des condamnés étaient de jeunes gens entre 20 et 30 ans. C’étaient pour la plupart des viticulteurs des villages environnants de Montpellier .Ceux qui s’étaient engagés dans la Milice par conviction et reconnus coupables de crimes, de tortures, de malversations n’échappèrent pas à la peine capitale. Les autres qui avaient vu dans la Milice l’occasion d’échapper au STO ou de trouver une rente alimentaire subirent des peines entre 1 an et 20 ans.

La Cour martiale siégea jusqu’au 15 septembre 1944, date d’entrée en fonction de la Cour de Justice.

Le Pasteur Jean Cadier s’insurgea contre ces jugements expéditifs, les exécutions ayant lieu 24 et 36 heures après les sentences, en présence de 700 à 800 personnes rassemblées à la Citadelle comme au spectacle 8.

La séance du 30 août 1944 fut présidée par le lieutenant-colonel Weil de Willers alias Leroy pour juger l’ex-préfet de l’Hérault Jean Paul Reboulleau, l’ex-intendant de police Charles Hornus et le milicien Henri Cordier.

Jean. Paul Reboulleau né le 17 octobre 1910, ancien directeur de cabinet de Fernand de Brinon, milicien, avait été nommé, préfet de l’Hérault le 11 juillet 1944. Arrêté le 21 août, il fut suspendu de ses fonctions le 28, par arrêté du Commissaire de la République du Languedoc-Roussillon. Il comparut devant la Cour martiale pour atteinte à la Sureté intérieure et extérieure de l’État. Il reconnut avoir adhéré à la Milice par conviction. « Je n’ai pas trahi la France mais j’ai agi avec les Allemands pour sauver mon pays 9 ». Il fut accusé de ne pas être intervenu pour mettre fin aux actes criminels à la caserne de Lauwe, d’avoir incité des militaires à passer au service d’une puissance étrangère quand il était secrétaire administratif de la LVF pour la région parisienne 10. (Fig. 2)

Henri Cordier, né le 1er février 1899, milicien notoire, fut accusé de meurtre sur la personne du prisonnier Raoul Batany dans sa cellule de la caserne de Lauwe et de tortures sur plusieurs prisonniers. Arrêté à Montpellier, il assura lors de son interrogatoire qu’il ne savait pas de quoi il était accusé.

Charles Hornus né le 4 octobre 1906, capitaine, militaire de carrière, Intendant régional de police à Toulouse avait permuté son poste le 15 avril 1944, avec celui de son collègue Pierre Marty. Il fut accusé d’avoir couvert de son autorité les actes criminels des membres de la délégation régionale des Renseignements généraux dirigée par le commissaire Tisseyre, d’avoir sans ordre des autorités constituées ordonné de saisir des prévenus, arrêté, détenu ou séquestré des personnes quelconques, soit comme auteur, soit comme complice, en couvrant de son autorité les actes de ses subordonnés alors qu’il en avait eu connaissance. (Fig. 3)

J.-P Reboulleau, Henri Cordier, Charles Hornus (Cliché J.-C. Richard, 1992)
Fig. 2 - J.-P Reboulleau, Henri Cordier, Charles Hornus (Cliché J.-C. Richard, 1992)
Les juges (Cliché J.-C. Richard, 1992)
Fig. 3 - Les juges (Cliché J.-C. Richard, 1992)

Henri Cordier et Jean Paul Reboulleau furent condamnés à mort et fusillés le lendemain dans l’enceinte de la caserne Joffre le 1er septembre 1944. Charles Hornus à 20 ans de travaux forcés, mais il fut ensuite condamné à mort par le Tribunal militaire de Toulouse et fusillé le 20 décembre 1944.

Instituées pour la plupart par les autorités militaires FFI au lendemain de la Libération, les cours martiales de Montpellier, Rodez et Perpignan furent déclarées irrégulières après la guerre. Par la suite, leurs décisions firent souvent l’objet de recours en annulation.

Les Cours de Justice (21 septembre 1944 - 1er juillet 1948)

L’arrêté du Commissaire régional de la République à Montpellier en date du 11 septembre 1944, institua une Cour de justice pour le ressort de la Cour d’appel de Montpellier. Quatre sections de cette Cour de justice siégèrent au chef-lieu des départements de l’Hérault, de l’Aude, des Pyrénées-Orientales et de l’Aveyron. Dès sa mise en place, les Cour martiales cessèrent de siéger.

Elle était composée d’un président et de quatre jurés choisis dans une liste de « citoyens qui n’avaient cessé de faire preuve de sentiments nationaux ». La liste était établie par une commission composée du premier président de la Cour d’appel et de deux représentants désignés par le Comité départemental de Libération. Un autre arrêté du Commissaire régional de la République de Montpellier, daté du même jour désigna les membres de la Cour de justice :

  1. Section de Montpellier, président : M. Jean Chante, conseiller de la Cour d’appel.
  2. Commissaire du gouvernement, remplissant les fonctions de ministère public : M. Germain Taurines, substitut général près la Cour d’appel.

L’information de toute affaire mise à l’instruction devait être clôturée dans un délai de huit jours, sauf dérogation accordée par le président de la Cour de justice. Les pourvois en cassation étaient provisoirement suspendus, les recours en grâce étaient adressés au Commissaire régional de la République.

Dans le ressort de la Cour d’appel de Montpellier, les Cours de justice siégèrent du 21 septembre 1944 au 1er juillet 1948. Les Cours de justice furent supprimées par la loi du 31 décembre 1950. À la demande du Comité Départemental de Libération présidé par Me Jean Bene, avocat, le bâtonnier Granat fut nommé Premier Président délégué par arrêté du 24 août 1944 de Jacques Bounin, Commissaire de la République pour la Région Languedoc Roussillon. En même temps et par le même arrêté, Fernand Hugues, Substitut Général au Parquet Général, fut nommé Procureur Général délégué à la place d’Henri Iches arrêté lui aussi le 21 août 1944, mais non libéré par la suite en raison de ses opinions pétainistes affichées et de ses déclarations publiques.

Le premier souci du nouveau Premier Président et du nouveau Procureur Général fut de calmer les esprits et de faire fonctionner normalement les institutions judiciaires. En novembre 1945, les Cours martiales furent déclarées irrégulières grâce aux efforts des uns et des autres mais surtout du Bâtonnier Granat, Premier Président et du Procureur Général, Fernand Hugues.

La Cour de Justice de Montpellier eut à juger des miliciens et des collaborateurs qui avaient réussi à quitter Montpellier dans la nuit du 17 août 1944. Arrêtés quelques mois plus tard, ou en 1945, ils furent transférés à la Maison d’arrêt de Montpellier et firent l’objet de procès en bonne et due forme. Parmi eux, les chefs miliciens tortionnaires, René Hoareau, René Mihau ; certains de leurs subordonnés, Pierre Pialot, Elie Vinas, Paul Falgas, Joseph Farran ; des fonctionnaires de police, Jean Tisseyre, Joseph Parguel, Philippe Fanfuli, Antonin Lauraire. Lors de leurs interrogatoires et auditions par le juge Douysset, tous tentèrent de minimiser leur rôle, certains n’hésitant pas à charger leurs camarades.

Abordons les cas des principaux responsables.

Le Dr Hoareau, ancien chef départemental de la Milice de l’Hérault fut arrêté en Italie par les autorités alliées le 28 avril 1945. Il venait d’être condamné à mort par contumace par la Cour de Justice de Montpellier le 14 avril. Il fut écroué à la Maison d’arrêt de Montpellier le 29 septembre.

Né le 26 juillet 1915, dans l’île de la Réunion, il était venu faire ses études de médecine à Montpellier et fut admis au grade de médecin auxiliaire le 25 novembre 1939. Mobilisé, il obtint la Croix de guerre avec l’Étoile de bronze pour un comportement héroïque dans la citadelle de Calais lors des journées des 24, 25, 26 mai 1940. Fait prisonnier, il s’évada le 12 juillet du camp de Tournai en Belgique. Ancien membre de l’Action française, il adhéra à la Légion des Combattants en 1941, puis au S.O.L (Service d’Ordre légionnaire) en 1942. « J’ai été séduit par ce groupement parce qu’il me paraissait devoir être plus agissant que la Légion proprement dit et plus ardent à appliquer les principes mis en avant par le maréchal Pétain, c’est-à-dire, servir l’unité française groupée autour d’un chef prestigieux » 11.

Il entra dans la Milice en février-mars 1943 avec le grade de chef départemental. « Je n’ai jamais eu aucun penchant à la germanophilie. À la suite d’un discours de Darnand en mars ou avril 1943, j’ai reçu une circulaire me prescrivant de prendre contact avec les services allemands… Je me suis soumis au lieu de me démettre, d’abord par qu’il m’a paru évident, à la réflexion que la situation de fait rendait inévitable ce contact, puisque les Allemands étaient matériellement présents » 12.

Il eut des rapports avec la Commission d’armistice et plus particulièrement avec un nommé Schlick et plus tard avec le capitaine Heinrich de la Gestapo. Ses contacts avaient pour objet la solution de questions comme les ports d’armes, les réquisitions, mais affirma-t-il, ni la politique générale, ni des opérations de police. Il refusa une aide pécuniaire que les Allemands offraient parfois à la Milice. À la question de savoir pourquoi, il était resté dans la Milice, il répondit que ce fut par peur des représailles de ses supérieurs, en particulier d’un chef régional qui l’avait menacé de le faire abattre par ses hommes.

À une autre question posée par le juge qui lui rappelait qu’il avait encouragé et félicité les Miliciens en gare de Montpellier pour aller combattre les maquis du Vercors et de la Haute-Savoie, Hoareau assura qu’il n’avait pu se soustraire à cette obligation inhérente à ses fonctions et qu’il s’était constamment attaché à réduire le plus possible les effets de la politique générale suivie par la Milice, politique qu’il n’avait pas le pouvoir de modifier.

Concernant l’encasernement des miliciens à la caserne de Lauwe décidé aux environs du 20 mai 1944 par le chef régional Pissard : « Il m’appartenait seulement d’organiser la vie matérielle des miliciens encasernés avec leurs familles. » (Fig. 4)

La caserne de Lauwe (Coll. privée)
Fig. 4 - La caserne de Lauwe (Coll. privée)

Il démentit avoir été en contact avec des prisonniers, affirmation contredite par son supérieur Jacques Pissard qui déclara qu’il avait bien accepté cette responsabilité sur la demande directement adressée par l’intendant de police Charles Hornus.

Jacques Pissard né le 25 novembre 1903 à Paris, était un industriel spécialisé dans la fabrique de conserves à Villeneuve-sur-Lot. Il fut arrêté le 3 septembre 1944 dans un bar de Lyon à la suite d’une soirée arrosée entre amis qui avait provoqué une dispute avec un consommateur du bar. Celui-ci alla porter plainte et Pissard fut appréhendé par quatre FFI.

Chef régional de la Milice, il affirma avoir ignoré les événements inqualifiables (sic) qui s’étaient déroulés à la caserne de Lauwe. Cela expliqua-t-il, pouvait paraître invraisemblable, mais les organismes départementaux de la Milice jouissaient à l’égard des autorités régionales d’une autonomie totale et d’une indépendance presque complète. Les chefs départementaux étaient nommés directement par Vichy et rendaient compte directement… « Je regrette de tout cœur de n’avoir rien su des événements qui se sont passés à la caserne de Lauwe car si j’avais su un semblant de vérité, j’aurais impitoyablement sévi… Je ne pouvais savoir ce qui se passait : deux personnes pouvaient me mettre au courant, le chef départemental et l’Intendant de police. Or ni l’un, ni l’autre ne m’ont averti de quelque chose » 13.

Comme il avait contribué à l’arrestation de plusieurs Résistants dont le capitaine Guizonnier, le Dr Monoff, et les époux Pignol, Pissard ne pouvait pas ignorer ce qui se passait dans les caves de la caserne.

Lors de son interrogatoire par le juge Douysset, il lui remit une note écrite le 14 février 1945 pour justifier son engagement politique. Il est intéressant d’en donner quelques extraits :

« Le désastre de juin 1940 provoqué par le relâchement moral des années qui ont précédé la guerre m’a semblé que dans ces conditions la France avait besoin d’un chef qui la reprenne en mains et qu’il replace le Français à la place qu’il n’aurait jamais dû quitter et lui faire comprendre que vis-à-vis de la Nation à laquelle il appartenait, il n’avait pas que des droits, mais surtout des devoirs. Dans ses premiers messages, le Maréchal a concrétisé les principes mêmes de la politique qu’il voulait instaurer en France. À l’idée d’individualisme et d’égoïsme exacerbé qui dirigeait le Français depuis quelques années, se substituait l’idée communautaire. Cette politique replaça le Français au centre de communautés diverses dont la base était la famille pour continuer par le métier, le village, la province et se termine par la communauté suprême qui les coiffe toutes : la patrie. Le Maréchal invitait tous les Français sans aucune distinction de parti à participer au relèvement de la France et il ajoutait que la France ne pourrait se réaliser que par l’union et le travail de tous ses fils » 14.

Accusé de trahison, d’intelligence avec l’ennemi, le chef régional de la Milice fut condamné à la peine de mort et à la confiscation de ses biens 15.

Le milicien Pierre Pialot né en 1915 à Fabrègues qui avait présidé la Cour martiale de Vichy, participa à des sévices exercés sur des prisonniers de la caserne de Lauwe. Son engagement le 15 novembre 1944 dans la SS après avoir prêté serment de fidélité au Führer l’envoya sur le front russe où il fut capturé par des Polonais. Libéré à Berlin il fut arrêté dans un centre de rapatriement. Il reconnut avoir approuvé complètement la politique de collaboration. Condamné à mort par la Cour de Justice, il fut fusillé le 11 mai 1946 dans la citadelle de Montpellier.

Des membres de la police nationale furent aussi accusés de trahison et de crimes.

René Milhau, inspecteur de police était le chef départemental du 2e service de la Milice. Né en 1905 à La Salvetat-sur-Agout, il avait été affecté le 1er février 1944 à Montpellier. Il constituait avec l’aide de sa mère un fichier de tous les suspects hostiles au régime de Vichy. Il était en relation avec l’adjudant Mahren et le capitaine Schlick des services de sécurité allemands. Installé avec sa famille à la caserne de Lauwe, il assista aux tortures de prisonniers et à la mort du capitaine Guizonnier. Il quitta Montpellier le 16 août 1944 pour Lyon et fut incorporé en Allemagne dans une formation militaire milicienne. Capturé en Italie du Nord par des partisans en avril 1945, il fut écroué le 5 octobre à Montpellier. Il fut condamné à mort et fusillé le 11 mai 1946.

Né au Viet-Nam, à Tourane, le 15 mars 1920, le commissaire de police Jean Tisseyre fit ses études secondaires à Perpignan et réussit son baccalauréat en 1939. Instituteur intérimaire, mobilisé le 1er juin 1940 à Narbonne, démobilisé en septembre, il fréquenta les Chantiers de jeunesse à Axat dans le département de l’Aude. Devenu gardien de la paix à Perpignan, brigadier dans le G.M.R du Minervois, puis inspecteur de police stagiaire à Poitiers, il fut muté à Bordeaux où il fut affecté à une section politique plus spécialement dirigée dans la surveillance des Espagnols. Nommé à 24 ans, en juin 1944 en qualité de chef de la Délégation régionale des renseignements généraux de Montpellier par faveur du commissaire Poinsot appelé à Vichy, il se signala par sa brutalité et ses sévices sur les prisonniers au cours des interrogatoires. Il fut arrêté à Belfort par les services de la 1ère armée après avoir suivi le commissaire Poinsot en Allemagne. Il fut fusillé en même temps que Pierre Pialot. 16

Le gendarme à la retraite Elie Vinas subit le même sort à la même date à la suite d’un réquisitoire particulièrement chargé. Né à Montpellier en 1901, il était déjà à la retraite quand il adhéra à la Milice en juin1944 et fut affecté par Milhau à la garde des prisonniers de la caserne de Lauwe. Geôlier inquiétant, il fut le témoin plus ou moins actif des séances de tortures organisées par les hommes du 2e service qu’il dénonça lors de son interrogatoire le 17 juillet 1945 au commissaire Adrien Boulsier de la 14e brigade de Montpellier. Il mit en cause Milhau dans le supplice du capitaine Guizonnier. [Né en 1899, en Nouvelle-Calédonie où son père était administrateur colonial, Jean Guizonnier était diplômé de l’École Polytechnique. Chef du service des travaux publics de la mairie de Montpellier, officier de sapeur-pompier, il s’était engagé activement dans la Résistance. Responsable départemental du Noyautage des administrations publiques, il détournait des tickets d’alimentation, établissait des faux papiers pour des juifs et des déserteurs du STO, distribuait des tracts et journaux clandestins. Arrêté par la Milice le 8 août 1944, Guizonnier fut incarcéré à la caserne de Lauwe. Il fut interrogé et battu à coups de canne par Tisseyre et ses acolytes, interrogé ensuite par le Préfet Reboulleau et par l’intendant Hornus puis affreusement torturé. Il mourut le 11 août à 18h30. Hoareau chercha à se débarrasser du corps. Devant la difficulté, il le fit enterrer par Vinas dans une tranchée du parc de la caserne. Il fut retrouvé le 6 septembre avec celui de Batany.]

Témoin de l’assassinat de Raoul Batany par Cordier, Vinas, au cours de son procès, affirma avoir donné le coup de grâce au jeune Batany dans un « élan d’humanité », ce qui fut démenti par le rapport d’autopsie. Il transporta son corps avec l’aide du prisonnier Monoff dans la tranchée du parc de la caserne et participa à plusieurs inhumations de prisonniers morts sous les coups dans la carrière de Saint Geniès des Mourgues 17.

Il partit avec le convoi des Miliciens en direction de Lyon pour se retrouver avec Hoareau à Ulm, puis dans une formation militaire de miliciens. Réformé, il rentra en France le 1er mai 1945 par la Suisse et s’installa à Nîmes grâce à des papiers de rapatriement où il s’était fait passer comme prisonnier. Il fut arrêté le 5 juillet 1945, dénoncé par sa fille pour des coups reçus en raison de son alcoolisme. Le commissaire enquêteur conclut son rapport en ces termes : « Vinas n’est pas un alcoolique dégénéré…il est sain d’esprit, calme quand il ne boit pas. Il est intelligent et ne se laisse prendre à aucun piège. Il est devenu l’un des tortionnaires les plus sauvages. » 18

La France vécut entre juin 1940 et mai 1945 une des périodes les plus sombres de son histoire. Bousculée par une armée allemande traumatisée par le diktat de Versailles, organisée, revancharde et fanatisée, l’armée française mal préparée fut contrainte à une défaite rapide. Le président de la République Albert Lebrun confia le destin du pays à un militaire de 84 ans qui n’était pas républicain. Tétanisés, la grande majorité des parlementaires à l’exception de quatre-vingts sabordèrent la IIIe République.

Les Français se partagèrent alors entre une majorité d’attentistes, les partisans d’un régime autoritaire et d’une poignée de résistants qui vit croître leurs membres à partir de novembre 1942.

L’exacerbation de la violence, l’amplification de la haine multiplièrent les affrontements entre les deux camps ennemis. La France sombra dans la guerre civile.

À la Libération, les règlements de compte furent nombreux. La justice réussit malgré tout à passer et à condamner les principaux coupables. Cependant, elle ne fut pas la même pour tous. Au moment où l’ex intendant de police Pierre Marty fut condamné à mort par la Cour de Justice en juin 1949 et fusillé à Toulouse, son supérieur hiérarchique, le secrétaire général de la Police, René Bousquet, responsable de la rafle des Juifs du Vélodrome d’Hiver de juillet 1942 eut plus de chance. Il fut acquitté 19.

Dans un souci d’apaisement, les appareils du nouvel establishment politique tentèrent alors de faire croire que la majorité des Français avait été animée par le même idéal de Résistance. Ce qui fit écrire à Gerald Suberville dans sa relation des procès de Toulouse en 1948 : « Les uns et les autres, ceints d’une cuirasse de mythes rassurants ne tenaient pas à remettre en cause leur confort douillet d’héritiers d’une Résistance maquillée aux couleurs de l’Union nationale » 20.

NOTES

1. « Miliciens, faisons la France pure. Bolcheviks, Francs-Maçons ennemis, Israël, ignoble pourriture, la France écœurée vous vomit ! ».

2. Cointet Michèle, Histoire de la Milice, Arthème Fayard, 2013.

3. A.D Hérault, Dossier 59W50.

4. A.D Hérault, Idem.

5. A.D Hérault, Idem.

6. De Chambrun Gilbert, Journal d’un militaire d’occasion, Aubanel, 1982, pp. 186 et 187.

7. Idem, p. 194.

8. Cf. la conférence du Bâtonnier Bedel Girou de Buzareingues sur le Bâtonnier Jules Granat (1891-1957), le 24 février 2003 à l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier.

9. A.D Hérault, Dossier 59 W31. Fernand de Brinon né le 15 avril 1885, ambassadeur du régime de Vichy auprès du gouvernement allemand, collaborateur notoire, fut exécuté le 15 avril 1947 pour trahison.

10. LVF : Le 22 juin 1941, jour de l’attaque allemande de l’Allemagne contre l’URSS, Jacques Doriot (1898-1945), chef du Parti Populaire français, le plus actif des partis collaborationnistes avait lancé l’idée d’une Légion de volontaires français contre le bolchevisme pour aider à combattre l’armée Rouge.

11. A.D Hérault, Dossier 59W 50, Procès-verbal d’interrogatoire de René Hoareau par le juge Douysset, le 4 février 1946. A noter que plusieurs Miliciens se sont fait remarquer dans la campagne de France de mai-juin 1940 par un comportement exemplaire.

12. A.D Hérault, Dossier 59 w 51, interrogatoire de Jacques Pissard par le juge Douysset, 14 février 1945.

13. Idem.

14. A.D Hérault, Dossier 59 w 51, interrogatoire de Jacques Pissard par le juge Douysset, mai 1946.

15. Je n’ai trouvé aucune trace de son lieu d’exécution. Aurait-t-il été gracié ?

16. A.D Hérault, Dossier 59 w 51 interrogatoire par le juge Douysset, 8 février et 8 mai 1946.

17. La lecture des témoignages des suppliciés confirmés par les récits de Vinas sur les tortures infligées par les Miliciens du 2e service dirigés par René Milhau sont difficilement supportables.

18. A.D Hérault, Dossier 59W51, 7 février 1946.

19. Arrêt de La Haute Cour concernant René Bousquet du 23 juin 1949 : « […] Considérant que pour si regrettable que soit le comportement de Bousquet en divers moments de son activité comme secrétaire général à la Police et notamment lorsqu’il a accepté d’aider à l’action de la mission Desloges, il n’apparaît qu’il ait sciemment accompli des actes de nature à nuire à la défense nationale dans le sens de l’article 83 du Code pénal et qu’il échet en conséquence de prononcer son acquittement.

20. Suberville Gérald, le procès de Pierre Marty, intendant de police, devant la Cour de justice de Toulouse en 1948. 2 fascicules, 1995 Cote : F delta 1770 Archives de la Bibliothèque de la Documentation internationale contemporaine.