L’enseignement secondaire en Languedoc-Roussillon,
état de la recherche en 1986

Faire le point sur l’état des recherches portant sur l’enseignement secondaire en Languedoc-Roussillon, pour la période 1850-1939, implique que l’on dresse la liste des travaux menés sur ce thème et que l’on analyse quelques-uns des principaux aspects qui s’en dégagent.

La première partie de ce travail est relativement succincte, la littérature concernant cette question étant plutôt maigre. G. Cholvy le signalait dans sa communication au Congrès de la Fédération Historique du Languedoc Méditerranéen et du Roussillon à Béziers, en 1979, en écrivant : « Rien non plus sur les lycées et collèges, sinon d’anciennes monographies accordant une place fort limitée au XIXe siècle. » 1 Dans l’Histoire du Languedoc de 1900 à nos jours, publiée chez Privat, l’année suivante, cette question n’est même pas abordée, et le tout dernier ouvrage sur la région, Le Languedoc Roussillon, Civilisations Populaires Régionales, paru chez Horvath en 1982 ne consacre qu’une place très minime à notre sujet, quelques lignes sur l’enseignement féminin et le secondaire en général (p. 487 et 509). Cela montre la misère de ce genre d’études. Y a-t-il eu des progrès depuis ?

L’État des travaux en 1986

Les articles publiés sur ce thème, depuis 1960, ne dépassent guère les cinq doigts de la main, même si l’on y inclut les Mémoires d’études supérieures ou de maîtrise. Gilbert Larguier a donné une communication au Congrès de Narbonne, en 1972, sur la construction du collège de cette ville 2, tandis que Francis Falcou s’attachait, la même année et à plusieurs reprises, à tracer la physionomie et l’évolution des collèges de Castelnaudary 3 – sans faire toutefois place aux établissements privés de la ville. A ces monographies, vient s’ajouter un travail au thème plus ample, celui de Nicole Gibelin qui a étudié les origines et le développement de l’enseignement secondaire féminin public dans le Gard, à Alès et à Nîme 4. A part l’article de M. Carles sur l’école préparatoire Militaire de Montpellier de 1939 à 1942 5 et des travaux annoncés par J.-P. Briand sur la scolarisation secondaire dans l’Académie de Montpellier 6, nous ne connaissons rien d’autre. Les quatorze premiers numéros de la revue Histoire de l’éducation qui recense les travaux menés par tous les chercheurs de France sur cette matière ne nous ont rien revélé de plus sur le secondaire en Languedoc-Roussillon.

La bibliographie récente sur ce point est donc bien courte. Il faut y ajouter nos diverses recherches sur « L’Enseignement secondaire libre et les Petits Séminaires dans l’Académie de Montpellier, de 1854 à 1924 », thèse de 3e cycle, qui date de 1974 7 et une quinzaine d’articles parus ou à paraître en 1986 8. Ils ont à la fois un caractère monographique, évoquant l’histoire d’une maison, (le Sacré-Cœur à Langogne, l’Assomption à Nîmes, les collèges de Perpignan et de Castelnaudary, les lycées et établissements libres de Montpellier, le Pic à Béziers…), et un caractère plus général, autour d’un thème précis : les relations villes-collèges, les problèmes des petits collèges communaux, la naissance et le développement de l’enseignement secondaire féminin, l’éducation des filles en milieu catholique, la querelle du latin chez les Frères, les questions religieuses dans les lycées et collèges, les problèmes posés par l’état des locaux et les finances… Autant de sujets abordés qui pourraient être retenus dans cet essai de synthèse sur le secondaire. Il nous paraît plus indiqué de les limiter, pour pouvoir les approfondir un peu. Nous nous en tiendrons à cinq chapitres : le caractère élitiste de l’enseignement secondaire, entre 1850 et 1939, l’entrée des jeunes filles en secondaire, la victoire du public sur le privé, la carte et la hiérarchie des établissements et un chapitre neuf sur les innovations, les évolutions et les pesanteurs sociales.

I – Le petit nombre

Sans légende

Il suffit de jeter un coup d’œil sur le tableau I qui donne les effectifs des élèves accueillis dans les établissements secondaires publics et privés, masculins et féminins, pour s’apercevoir qu’au total ils reçoivent moins de 10 000 élèves avant 1914 et n’arrivent pas à 20 000 à la veille de la Deuxième Guerre mondiale. Si l’on compare aux 170 000 qui peuplent aujourd’hui les collèges et les lycées, publics et privés, l’on s’aperçoit que cette population s’est multipliée par 15 en 60 ans, pour un accroissement démographique de 25 % environ. Les élèves scolarisés dans ce genre de maisons représentaient 0,65 % de la population totale du Languedoc-Roussillon en 1901 et 1,3 % en 1938; ils sont aujourd’hui près de 9 %. Cela s’explique par l’obligation scolaire, portée à 16 ans, et par l’entrée quasi automatique de la plupart des enfants en 6e. Cette comparaison fait ressortir le caractère élitiste de l’enseignement secondaire entre les deux-guerres.

Avant 1930, la gratuité des études secondaires n’existe pas. La pension, qui est le lot d’une population encore nombreuse dans des lieux dépourvus de collège, coûte cher. Avant 1914, il faut débourser 500 francs au moins. Dans les lycées, on atteint facilement 800 francs, ce qui, tous frais compris, porte la dépense aux environs de 1 000 francs. Or, l’ouvrier agricole du domaine de Malrives gagne, en 1904, 2,75 F par jour, soit en gros 800 francs par an. Comment pourrait-il envoyer son fils suivre des études secondaires ? Or les gens de condition modeste forment l’énorme majorité de la population, avant 1930. Certes, un enfant peut obtenir une bourse complète ou une part de bourse. Mais il faut en mesurer la difficulté : une sorte de concours, qu’il est impossible de présenter, même si l’on en a la capacité, sans être « poussé » par un instituteur ou un parent bien placé. Il y faut au moins de la chance et de bons résultats pour conserver cet avantage.

L’établissement progressif de la gratuité scolaire contribue à ouvrir un peu plus grandement les portes, à peine entrebâillées, des lycées et des collèges. Mais les établissements se défendent alors contre un envahissement que proviseurs, principaux et directrices jugent néfaste. Ils pratiquent une politique encore plus élitiste par le moyen d’un difficile examen d’entrée en sixième, qui vise à éliminer tous les candidats qui ne répondent pas au critère de sélection. On se montre particulièrement sévère dans les établissements qui aspirent à un haut niveau. En novembre 1931, le proviseur du lycée de garçons de Montpellier expose cette position, sans nuance : « Il devient vital, devant l’afflux des 6es, de séparer le bon grain de l’ivraie ».

On peut avoir l’impression qu’à cette date, la sélection ne se fait plus par l’argent, mais uniquement par le niveau. Comme le dit A. Prost 9, il serait illusoire de le croire. Les enfants de la campagne, souvent moins fortunés, sont défavorisés par le fait qu’ils doivent devenir pensionnaires. Or le prix de l’internat reste élevé et les familles de ces enfants plongés dans un milieu bourgeois, exigeant, doivent faire un effort financier supplémentaire, pour la tenue, par exemple. Ces ruraux sont d’ailleurs froidement accueillis dans les lycées et grands collèges urbains par des chefs d’établissement et des professeurs qui regrettent leur caractère fruste et rustre, leur allure peu policée, leur manque de culture et leur retard scolaire. Ils leur préfèrent les jeunes de la ville, formés le plus souvent, dans les classes primaires et enfantines de la maison et censés avoir plus de distinction.

Toutes ces barrières, scolaires et psychologiques, limitent les effectifs. Mais d’autres causes agissent dans le même sens. La taille des locaux ne permet, généralement pas, d’en recevoir un plus grand nombre, dans de bonnes conditions. Il arrive qu’on doive entasser les élèves toujours plus, par manque de places. La gratuité scolaire n’a en effet entraîné la création d’aucun établissement nouveau dans l’enseignement secondaire public. Les effets des crises économiques constituent aussi, pour beaucoup, un frein à l’accession au secondaire. Les familles manquent d’argent. Cependant, au cours des années 30, certains parents, ne voyant d’autre issue pour leurs enfants que des carrières de fonctionnaires ou de cadres supérieurs, essayent, dans cette conjoncture difficile, de les maintenir au lycée, à tout prix.

Autre facteur qui limite la croissance du secondaire : la dénatalité qui préoccupe beaucoup les chefs d’établissement. Le fait qu’en 1917 et 1918 et, ensuite après 1922, il y ait eu moins de naissances, réduit les possibilités d’un recrutement que l’on veut, tout de même, de choix. Les variations en ce domaine déséquilibrent la structure des cycles et des classes des collèges et lycées.

L’enseignement secondaire de garçons ne progresse donc pas autant qu’il l’aurait pu, entre 1920 et 1939, d’autant plus que la présence de filles dans les effectifs globaux accroît l’illusion.

2 - L'entrée des filles en secondaire

Les cours créés par V. Duruy en 1867 furent, chez nous, un échec. Cependant, les cours secondaires pour jeunes filles venaient d’être relancés dans certaines localités, vers 1879, lorsque la loi sur l’enseignement féminin proposée par C. See fut votée, en décembre 1880. La conjugaison des deux phénomènes explique que se soient ouverts rapidement six établissements féminins, secondaires, publics, entre 1880 et 1888. Ensuite, les créations cessent jusqu’aux premières années du XXe siècle. Il faudra attendre 1925, pour voir naître le dernier ouvert avant 1938, celui de Narbonne. Le tableau suivant montre à la fois le moment de la naissance de chacun d’eux et leur éventuel changement de statut, c’est-à-dire, la transformation des cours secondaires en collège, puis, pour certains, en lycée.

Dates de création des établissements secondaires féminins de l'Académie de Montpellier
Fig. 2 Dates de création des établissements secondaires féminins de l'Académie de Montpellier

Ces établissements disparates, très différents par leur niveau, vont tous être affectés, à un rythme plus ou moins rapide, par des modifications importantes, dans la période 1910-1930. L’enseignement moderne, volontairement inutilitaire, qui avait été créé en 1881-82, est mal accepté, presque depuis ses origines, quoiqu’on en ait écrit. La fronde va croissante avec les ans, aussi bien de la part des parents et des professeurs que des élèves, qui, de plus en plus nombreuses, estiment que leurs études ne doivent pas rester vaines. Le palliatif adopté, durant une trentaine d’années, qui consiste en la préparation des brevets primaires, pour avoir quelque chance de trouver des débouchés, ne résiste pas devant le vif désir des jeunes bourgeoises de passer le baccalauréat, comme leurs collègues masculins.

Ce courant s’incarne, en 1909, au lycée de jeunes filles de Montpellier, par l’ouverture d’un cours Complémentaire de 6e année, dont le but unique est la préparation au baccalauréat. Ce processus nouveau est mal accepté par les responsables universitaires – le fait précède ici le droit. Malgré ce, la visée du bac devient rapidement la préoccupation majeure d’un nombre de plus en plus grand de jeunes filles, après la Première Guerre mondiale, tandis qu’elles délaissent les diplômes propres à leur enseignement. Ce mouvement national conduit Léon Bérard à assimiler, en 1924, l’enseignement féminin à l’enseignement masculin.

Mais déjà a commencé à se propager une initiative d’avenir : la mixité des grandes classes, dans les collèges de garçons, surtout. En effet, dans les grandes villes, les établissements féminins ont assez de candidates au bac pour avoir des cours fournis. Dans les centres moins importants, les filles ont le choix entre s’exiler de leur résidence ou aller suivre les cours de philosophie ou de mathématiques avec les garçons. Malgré l’opposition de directrices, d’enseignantes et de familles, cette manière de faire va se généraliser, sans inconvénient majeur. Tous les rapports sont positifs sur ce point. Certains vont même jusqu’à parler de « l’immense profit moral qu’il y a à pratiquer la en-éducation ». La mixité « aurait contribué à “civiliser” maints jeunes gens (novembre 1930). Pour les jeunes filles, le profit est certain elles retirent une grande considération du fait que leurs succès aux examens sont bien supérieurs à ceux des garçons, alors que les épreuves leur sont communes.

L’enseignement secondaire féminin public prend un véritable essor dans notre région, face à la stagnation, voire au recul des effectifs de garçons. Les filles sont 100 au lycée de Montpellier en juin 1882. Cinq ans après, on en compte 650 dans l’Académie. Le chiffre dépasse 1 000 en 1899, 2 000 juste avant 14, 3 000 dans les années 30. En 1938-39, il culmine à 4 272.

C’est pendant ces dernières années que s’est produit aussi une évolution qui traduit un changement majeur de mentalité, car il bouleverse bien des préjugés : l’accès d’établissements privés congréganistes au statut de secondaire. Les milieux catholiques avaient combattu la naissance et le développement d’un enseignement secondaire qui leur enlevait des jeunes filles mais, surtout, tendait à favoriser une promotion de la femme convenant mal à l’idée que l’on s’en faisait dans ces sphères. Durant des décennies, les grands pensionnats de la région étaient restés à l’écart du mouvement. Dans les années 20 s’amorce le processus, avec la création de l’Institution Sancta Maria de Villeneuve-lès-Avignon. Il se précise avec la création de classes officiellement secondaires dans l’Aude (Jeanne d’Arc à Carcassonne, en 1921, et Saint-Paul Serge à Narbonne, en 1922). Un établissement des Pyrénées-Orientales, suit le mouvement Bon Secours en 1928. De 1924 à 1938, on est passé de 5 établissements catholiques secondaires à 11 et de 569 filles scolarisées à 2 403. L’enseignement secondaire féminin privé a donc pris un retard de plusieurs décennies, même si, en fait, on n’a pas attendu la consécration officielle pour préparer, ici ou là, quelques élèves au baccalauréat. Il a donc suivi le chemin inverse de celui des garçons qui, à l’origine de notre période, ont été bien plus nombreux dans les pensions et les institutions que dans les lycées et collèges.

3 - Victoire du public sur le privé, victoire de la République ?

Coïncidence pure ou évolution parallèle ? C’est en l’année 1879-80, date où la République s’assure fermement sur des bases désormais solides en France, que les effectifs du public l’emportent, dans notre Académie, sur ceux du privé. En fait, ce mouvement était singulièrement amorcé dès la deuxième moitié du second Empire, comme le montre le tableau II. En 1864, on constate combien l’avance, considérable jusque-là du privé, s’amenuise. C’est après 1870 que la tendance se renverse; les établissements publics ne cesseront, dès lors, de progresser. Essayons d’expliquer les diverses phases de cette évolution.

Première phase : de 1849 à 1861. D’où peut provenir l’énorme avance de l’enseignement privé ? En regardant les chiffres de plus près, on peut faire trois constatations :

  • un développement rapide des petits séminaires qui gagnent 529 élèves au cours de cette période,
  • un accroissement des effectifs des établissements secondaires libres qui progressent de 601,
  • un important recul des collèges : en 1849, on trouvait dans l’Académie deux lycées qui comptaient 744 élèves et quatorze collèges communaux qui en accueillaient 1 907 soit en tout 2 651. En 1861, les trois lycées ont gagné 482 élèves, mais les collèges communaux qui ne sont plus maintenant que onze ne reçoivent plus que 1 413 élèves soit 494 de moins. La privatisation de plusieurs établissements explique en parti l’avance du privé 10. En effet, si les lycées sont hors d’atteinte, les collèges, plus vulnérables, sont gravement menacés dans notre Académie et certains ferment, remplacés par des écoles privées qui portent officiellement le titre de Collèges Libres. Dans la Lozère, celui de Mende passe entre les mains des Jésuites en 1850. Dans l’Hérault, le conseil municipal de Lunel décide sa suppression, à l’unanimité le 15 février 1851 – il est vrai qu’il n’avait plus que 35 élèves, tous externes dont seulement une douzaine de latinistes. L’année suivante, c’est le tour de ceux de Clermont-l’Hérault et de Pézenas. Celui d’Agde avait déjà disparu en 1834.
Comparaison des effectifs
Tableau II Comparaison des effectifs de l'enseignement secondaire libre et de l'enseignement secondaire public

Certains autres paraissent bien menacés. Le 9 décembre 1850, l’inspecteur d’Académie de l’Hérault, Roussel, écrit au recteur : « La majorité du conseil municipal de Bédarieux désire les jésuites… Monsieur le Maire est, avec M. le Curé, content du personnel du collège ». La privatisation ne se fait pas cependant ici. Mais le péril n’a pas disparu, puisqu’en 1856, le même fonctionnaire s’inquiète du sort des collèges communaux de Béziers, Bédarieux et Lodève, « menacés dans un avenir plus ou moins lointain et, à des degrés divers, de la déchéance qu’ont subie ceux de Clermont, Pézenas et Lunel. » Pourquoi ces disparitions et ces menaces ? Il y a à cela plusieurs raisons. La première réside dans le fait que les collèges occasionnent de fortes dépenses aux municipalités. Le recteur Jourdain le disait en 1854 : « Le collège de Béziers… coûte 13 000 à 14 000 francs à la ville. Bédarieux, Lodève et Cette.., sont proportionnellement plus coûteux encore. » L’inspecteur Roussel peut bien affirmer que « la majorité du conseil municipal (est) leurrée par l’appât d’une économie ». Il n’en reste pas moins vrai qu’en privatisant les collèges, les villes réduisent nettement leurs dépenses comme le signale J. Maurain pour Mende, par exemple 11. En effet la loi de 1850 limite l’aide que les villes peuvent apporter aux établissements secondaires libres à un dixième des dépenses totales. L’entretien de bâtiments, vastes et souvent vétustes, leur revenait cher 12. Les municipalités voient là une manière de faire des économies.

Une autre raison apparaît dans différents rapports : on espère que, devenus libres, ces collèges confiés à des prêtres séculiers ou, mieux, à des congrégations religieuses, jésuites ou lazaristes – il en est question pour Pézenas en 1850 – vont cesser de végéter ; à Lodève, Sète, Bédarieux, nous révèle le recteur Jourdain, le nombre d’internes allait de vingt à trente seulement en 1854. Cet espoir se fonde sur la situation brillante de certains établissements secondaires libres qui, comme l’Assomption ou Saint-Stanislas à Nîmes, sont remarquables, l’inspecteur d’Académie du Gard en fait l’aveu en 1862 : « La loi du 15 mars 1850 a créé aux collèges communaux une situation difficile. La plupart des maisons ecclésiastiques offrent aux familles les mêmes conditions de prix, des garanties égales de capacité pour le personnel enseignant ; de plus, un contact intime de ce personnel avec les enfants… Il est dès lors tout simple que la clientèle des collèges communaux soit entraînée vers des établissements rivaux quand bien même elle n’y serait pas poussée par le clergé dont les préférences se justifient d’elles-mêmes ».

Cette faiblesse des collèges communaux et la politique de certaines municipalités font donc le jeu de l’enseignement secondaire libre. On peut dire que, dans notre Académie, comme dans tout le pays en général 13 celui-ci a le vent en poupe et que l’opinion lui est largement acquise, dans cette première partie de l’Empire. La deuxième moitié va lui être moins favorable.

Deuxième phase : De 1861 à 1870, au temps de l’Empire libéral, l’enseignement secondaire public regagne du terrain et grignote à belles dents son concurrent, sans toutefois le dépasser encore. Ses gains sont en effet considérables. Bien que les petits séminaires marquent une nouvelle progression (+354), dans l’ensemble, les effectifs de l’enseignement privé reculent parce que les établissements secondaires libres perdent 1 064 élèves. L’avance du privé se limite ainsi en 1870 à 1,76 % au lieu de 29,75 % en 1861.

Ce recul reste donc imputable aux écoles secondaires libres dont le nombre a chuté de 65 à 44 entre ces deux dates. Beaucoup de pensions, d’institutions ou de collèges libres ont disparu, succombant pour des raisons financières ou du fait de la médiocrité de leur enseignement. Le doyen Germain résumera ainsi son sentiment : « Il n’y a pas lieu d’être fier de ce résultat concernant nos collèges communaux. Si les établissements libres pouvaient être à la hauteur de la situation, il est vraisemblable que plus d’un parmi eux sortiraient vainqueurs de la lutte dans les villes dépourvues de lycée. » C’est constater l’incapacité de trop d’institutions libres qui ne sont pas de taille à l’emporter, surtout dans l’Hérault, mis à part les petits séminaires dont la vocation est spéciale ainsi que Mandon et Alauzet à Montpellier et Olivier à Ganges.

De son côté, l’enseignement public s’affaire pour redresser la situation et gagner la confiance des familles et des municipalités. L’inspecteur d’Académie Boyer vante en 1858 la qualité des établissements publics : « La liberté d’enseignement… met en lumière par la comparaison que les familles peuvent en faire l’excellence de nos méthodes, la sagesse de nos règlements, l’ordre sévère de notre discipline, la profondeur et l’étendue des connaissances de nos maîtres non moins que la pureté de leurs mœurs et la régularité de leur conduite ». Les collèges communaux disparus se réorganisent celui de Pézenas renaît en 1861, moins de dix ans après sa disparition, suivi par ceux d’Agde et de Lunel en 1862 et de Clermont-l’Hérault en 1863. A Montpellier, le petit collège (1860) offre maintenant des bases nouvelles au lycée les deux maisons reçoivent en 1870, 736 élèves dont 603 secondaires. L’on s’achemine ainsi régulièrement vers un renversement de situation.

Tableau comparatif des effectifs
Tableau III Tableau comparatif des effectifs de l'enseignement public et privé en chiffre et en pourcentage par département

Troisième phase : 1870-1902

Cette période se caractérise par trois traits particuliers :

  • Le public prend, dans l’ensemble, un substantiel avantage dans notre Académie, car sur le plan national, « en 1898, les établissements privés de garçons ont 15 000 élèves de plus que les lycées et collèges ».
  • Il ne l’obtient pas par une baisse considérable du privé mais par ses propres gains, jusqu’en 1887.
  • Les établissements tenus par des ecclésiastiques résistent assez bien. L’avantage du public devient sensible – encore qu’il soit assez ténu en 1879. Bien qu’on n’ait pas, pour cette année-là, de statistiques absolument précises, grâce à une approximation optimale faite des effectifs des deux petits séminaires de l’Hérault, dont les chiffres nous manquent, on peut estimer que les établissements privés accueillent environ 4 450 élèves alors que le public en compte 4 567. La situation s’est donc renversée vers cette date, peu avant 1880. En 1887, d’après la statistique officielle du 31 décembre on constate que l’avance du public n’a cessé de croître : les lycées et collèges reçoivent 5 169 élèves et les institutions privées, 4 326 soit 54,43 % contre 45,56 %.

Qui a profité de cette augmentation depuis 1870 ? Essentiellement les trois lycées 14 qui ont 675 élèves en plus. (Montpellier : +208, Nîmes : +242, Carcassonne : +225). La croissance des collèges communaux durant cette période a été beaucoup moins importante : +475. Il faut dire que celui de Marvejols a fermé en 1873 au profit du petit séminaire. Au Vigan, il a été remplacé par la pension Albarède en 1872 et il n’a reparu qu’en 1881. Quant à celui de Bagnols-sur-Cèze il n’existe plus en décembre 1881. Certains de ces établissements demeurent encore bien fragiles pendant cette période 15 et jusqu’en 1939.

Les établissements secondaires libres n’ont pas décliné depuis 1870 ; ils ont même légèrement progressé (+156), tandis que les petits séminaires ne gagnent que sept élèves. L’avantage du public s’est donc opéré, non par les pertes du privé, mais par ses propres gains. Dix ans après, en 1897-98, l’ensemble du privé s même repris du terrain (+1,06 %) sur le public qui perd 666 élèves contre 392 au privé – encore est-ce dû aux petits séminaires qui voient leurs effectifs tomber de 295. Il en résulte que, durant ce laps de temps, les établissements secondaires libres se sont fort bien maintenus face aux lycées et collèges communaux, qui ont baissé respectivement de 151 à 515 élèves.

Cette situation est due à l’enseignement secondaire libre confessionnel et cela ne cesse d’inquiéter, vers la fin du siècle, les autorités académiques. Le recteur tire, à plusieurs reprises, la sonnette d’alarme. En 1895, il écrit au ministre : « On est obligé de reconnaître que l’effectif total des écoles ecclésiastiques va croissant ou tout au moins se maintient, alors que celui de nos lycées et collège semble décroître. » En 1900 il précise encore : Cette prospérité, si elle ne menace pas celle de nos lycées et collèges, ne laisse pas d’être inquiétante et doit nous préoccuper.

Le rapporteur au conseil académique s’emploie à rechercher les causes du recul global du secondaire. Il en voit trois : des installations matérielles qui laissent fort à désirer, de mauvaises récoltes et peut-être aussi le résultat d’une campagne contre les études secondaires « dont l’utilité est trop souvent contestée sans argument sérieux ». Il note que la progression des effectifs de l’enseignement libre, pour les garçons, provient dans certains départements de concurrents « qui possèdent de nombreux moyens d’action et de propagande » – il s’agit surtout de la Lozère.

Le recteur va beaucoup plus loin, en juin 1900, lorsqu’il essaie d’expliquer ce phénomène au ministre en mettant en avant quatre causes :

  1. Politiques et religieuses : « Un grand nombre de pères de famille obéissent à de telles considérations… » Il s’agit des catholiques conservateurs et nationalistes peu favorables au régime qu’incarne, à leurs yeux, l’université.
  2. Des raisons éducatives : « D’autres croient que, dans les établissements religieux et libres, l’éducation est mieux soignée. »
  3. Un orgueil de classe qui crée des barrières sociales : « Ils pensent préférables pour leurs enfants de ne pas se mêler à ceux de tout le monde. »
  4. Une raison d’économie : « Enfin certains sont attirés par le prix de la pension presque toujours inférieur au prix de la pension dans les établissements publics ».

Précisément pour toutes ces raisons, qui sont judicieusement analysées, les établissements religieux qui donnent l’enseignement secondaire gardent une bonne clientèle et se maintiennent 16. Ce sont eux qui vont être frappés par les lois de 1901 et de 1904.

Quatrième phase : Le déclin et la reprise de l’enseignement secondaire libre se concrétisent, comme en témoigne le rapport de 1913-1914. Cependant, cette année-là, nous constatons que l’écart a continué de se creuser. Tandis que les lycées et collèges reçoivent 4 842 élèves soit 62,38 % (+7,95 % par rapport à 1887) les écoles secondaires libres n’ont plus que 37,62 % de l’effectif total des secondaires. On peut ainsi constater que les pourcentages se sont presque exactement inversés entre 1861 et 1913 ; en 1861, le public devait se contenter du 35,13 % ; en 1913, le privé de 37,62 %.

Le dernier point de la situation en 1921-22 confirme le sens de l’évolution qui s’est fait jour depuis les années 1875-1880 mais l’enseignement secondaire libre privé a réussi à abaisser l’écart qui le séparait du public de 4,55 % ; ses effectifs ayant augmenté de 246 depuis 1913-14, alors que ceux de son concurrent ont diminué de 72. Ce n’est là qu’un accident qui ne remet pas en cause la victoire de l’enseignement secondaire public qui ira en s’amplifiant avec le temps comme le montrent les statistiques de 1973-74 (voir tableau II).

Cette évolution, de plus en plus favorable au public, sur le plan de toute l’Académie est-elle le fait de tous les départements qui la composent ? S’est-elle faite partout avec la même ampleur ? Le tableau III permet de s’en rendre compte.

Alors que dans le Gard le public a pris, depuis longtemps, une avance sensible, celle-ci se produit dans l’Hérault en 1861-2, dans l’Aude et les Pyrénées-Orientales, vers 1890. Dans la Lozère, l’enseignement secondaire privé demeure majoritaire durant toute la période étudiée. Ces modifications de rapport, sensibles dans quatre départements sur cinq, s’accompagnent-elles d’une évolution dans le nombre et la géographie des établissements ?

4 - Carte et hiérarchie des établissements

L’Enseignement public ne connaît pas de grosses modifications dans l’implantation de ses maisons. De 1864 à 1939, on ne relève que quatre changements majeurs : trois disparitions définitives en 1873 Marvejols, perd son collège en faveur d’un petit séminaire. Bagnols-sur-Cèze et Le Vigan voient le leur disparaître en 1881 et 1890. Durant cette période, une seule création : le collège de Narbonne en 1887. Jusqu’en 1939, il n’y aura plus que 17 établissements publics de garçons à se partager la clientèle sur l’Académie: quatre lycées, d’abord, à Montpellier, Nîmes, Carcassonne et Alès, puis cinq, avec Béziers à partir du 1er octobre 1927, et 13 puis 12 collèges communaux : Agde, Bédarieux, Béziers, Clermont-l’Hérault, Lodève, Lunel, Pézenas et Sète dans l’Hérault, Uzès dans le Gard, Castelnaudary et Narbonne dans l’Aude, Perpignan dans les Pyrénées-Orientales et Mende en Lozère (document n° IV).

L’analyse des rapports entre la population d’une ville et la présence d’un collège en son sein fait ressortir qu’il ne peut vraiment s’y maintenir, que si elle compte au moins 5 000 habitants. Il y a en 1872, un établissement secondaire public ou privé dans toutes cités comptant ces 5 000 personnes, sauf à Mèze et Anduze. Mais, souvent, ces établissements ont du mal à vivre, les locaux et le matériel constituant, avec le traitement du personnel, un chapitre d’autant plus lourd que nombre d’entre eux n’arrivent pas à 100 élèves. De 1894 à 1898, la moyenne de fréquentation des 6 collèges sur 9 est inférieure à ce chiffre. L’enquête de 1922 établit la hiérarchie de ces établissements. Les collèges de Perpignan, Béziers et Sète comptent ensemble 1 300 élèves. Les deux premiers sont de véritables lycées – sans le titre – avec respectivement 602 et 409 élèves. L’inspecteur d’Académie Malard place ensuite Mende et Narbonne parmi les collèges moyens. Est-ce bien fondé pour Mende ? Il met ensuite les 8 autres établissements, dans la catégorie des « petits », qui « végètent et tâtonnent », à savoir Agde, Bédarieux, Castelnaudary, Lunel, Pézenas, Uzès, Clermont-l’Hérault, Lodève.

A eux huit, ils ne rassemblent que 756 élèves (moyenne 95), dont seulement 111 se rattachent au second cycle (14,6 %), alors que 36 % d’entre eux fréquentent leurs classes primaires et enfantines. Le pourcentage des latinistes se limite à 25 %. Dans cette liste, il y a des exemples caractéristiques. Agde peut paraître avoir un collège moyen avec ses 121 élèves, mais 9 seulement fréquentent le second cycle (7,5 %), alors que les classes primaires reçoivent 70 enfants (57,85 %). Uzès et Castelnaudary ont des effectifs médiocres avec 66 et 87 élèves.

Il faut dire que ces collèges communaux ont à subir de multiples formes de concurrences. La première découle de leur proximité géographique qui réduit leurs aires de recrutement. De Narbonne à Alès, les collèges et les lycées abondent : Narbonne est à 25 km de Béziers, lui-même à 18 d’Agde et à 25 de Pézenas. Entre Agde et Sète et Agde et Pézenas, on ne compte que 18 km, tout comme de Lodève à Clermont, dont les « collèges se dévorent ». 22 km séparent Clermont de Pézenas. Lunel, placé à 23 km de Montpellier et à 26 de Nîmes, est voué à l’écrasement. Uzès est entre Alès et Nîmes. Cette concentration des établissements publics dans l’Hérault et la plaine du bas-Languedoc surtout contraste avec l’isolement de Perpignan et de Mende, aux deux extrémités de la région.

Dans ce cadre géographique, les lycées attirent les meilleurs élèves ou les plus ambitieux et les grands collèges nuisent aux plus petits par leur réputation. Ces derniers souffrent aussi considérablement de l’implantation d’écoles primaires supérieures, comme celle « jeune et dynamique » de Paulhan (1922), voire de cours complémentaires ou d’écoles spécialisées qui attirent une partie de la clientèle potentielle des collèges communaux, sans parler des grands établissements libres, comme la Trinité à Béziers, le Sacré-Cœur à Montpellier, l’Assomption à Nîmes, le Sacré-Cœur à Langogne ou les neuf petits séminaires de la région qui jouent, à certaines époques, le rôle de collège. Mais dans ce cas, la concurrence est moindre qu’il n’y paraît, car les familles se déterminent alors surtout pour des raisons idéologiques, religieuses ou politiques.

Dans ce contexte, comment donner un peu de consistance à des établissements aussi vacillants ? A diverses périodes de leur histoire, on a essayé de pallier la faiblesse des effectifs proprement secondaires en leur adjoignant des classes ou des cours préparatoires aux concours administratifs. En 1922, Agde, Bédarieux, Clermont et Mende ont quelques élèves candidats aux postes ; à Clermont, on a mis sur pieds une école agricole d’hiver où, pendant quatre mois, les fils de viticulteurs viennent apprendre leur métier. Depuis longtemps, on souhaite créer à Castelnaudary une section agricole, plus exactement viticole. A Agde, on se soucie des élèves se préparant aux contributions indirectes et à l’École de navigation maritime. Divers collèges et Cours secondaires de Jeunes filles se sont annexé des écoles primaires supérieures. A Mende, cette section représente 59 des 131 élèves inscrits en 1922, soit 45 %. En novembre 1934, Uzès compte 86 secondaires au collège mais aussi 51 élèves de l’E.P.S. Clermont a 70 collégiens et 40 élèves dans le cours complémentaire. A Pézenas, ils sont 34 face à 130. Le lycée d’Alès a des effectifs moindres dans le secondaire que dans son école pratique et son E.P.S. (325 contre 145 et 218).

Les principaux établissements secondaires de l'académie de Montpellier en 1897
Fig. 5 Les principaux établissements secondaires de l'académie de Montpellier en 1897

Devant une telle situation, on s’est souvent demandé s’il ne fallait pas réduire le nombre de collèges. L’enquête de 1922 a pour but d’étudier cette question. On dénonce le fait, mais l’on n’ose pas y porter remède ou bien on se refuse à y toucher, par principe, parce que l’on considère que le collège « entretient dans les petites villes le goût des choses de l’intelligence et l’esprit démocratique ». La question se posait surtout à propos de l’Hérault. L’inspecteur d’Académie Malard tranche ainsi : « Les collèges y ont poussé comme vignes au soleil, ils existent, ils ont leurs racines dans les villes, leur petite clientèle, leur tradition, je dirai même leur rayonnement. Regardons-y à deux fois avant de donner la mort à ces êtres vivants, si amoindrie et si précaire que soit cette vie ». De plus les établissements privés prendraient les places laissées ainsi vacantes. Par contraste, de telles études font ressortir la primauté et l’excellence des grands établissements, les lycées de Nîmes et de Montpellier, tout d’abord, avec leurs très nombreux élèves préparant les concours d’entrée aux grandes écoles et la forte proportion de ceux qui fréquentent le second cycle, face au très petit pourcentage que l’on trouve dans les collèges. Celui de Perpignan vient tout de suite après dans le classement, puis le lycée de Carcassonne, le collège de Béziers et le lycée d’Alès, en perte de vitesse.

Deux traits se dégagent de l’analyse que nous venons de faire : la très grande stabilité géographique et la forte hétérogénéité des établissements secondaires masculins, de 1850 à 1939, la solidité de certains d’entre eux étant loin d’être assurée.

Dans le privé, au contraire, c’est le règne de l’instabilité (Tableau I). Dans les années 1850-1880, il y a pléthore d’établissements, avec de nombreuses pensions minuscules et pseudo-secondaires. Ils se font et se défont rapidement, au point que la multitude des créations et des disparitions rend tout compte précis impossible, en l’absence de classement de la série T, tout au moins. De 1880 à 1920, le nombre des maisons se réduit. La période suivante marque une nouvelle inflation, avec de nombreuses implantations rurales de petites maisons catholiques. Dans ce mouvement perpétuel, quelques grands établissements demeurent. Ils sont presque tous confessionnels, qu’il s’agisse de petits séminaires ou d’écoles tenues par des religieux et des séculiers, comme l’Assomption à Nîmes, malgré bien des déboires, la Trinité et le Pic à Béziers, le Sacré-Cœur à Montpellier, Saint-Louis à Perpignan… Cependant les expulsions de religieux et les confiscations d’établissements provoquent des modifications d’implantations pouvant aller d’un simple changement de quartier à un changement de ville, voire à un exil, comme c’est le cas pour les frères du pensionnat de Béziers qui vont s’installer à Figueras en Espagne. Les pensionnats féminins ont, au contraire, une stabilité très grande, leur origine étant souvent ancienne. A Montpellier, La Merci, le Sacré-Cœur, Nevers, l’Assomption et la Providence remontent à la première moitié du XIXe siècle.

La stabilité engendre des avantages certains : la durée qui crée une tradition et assure une réputation. Elle entraîne parfois un grave inconvénient, celui des locaux qui se délabrent, au gré des ans et des intempéries, ou s’avèrent trop petits. La gamme des maisons est en fait très variée ; cela va de celles qui sont réputées luxueuses, comme l’école du Sacré-Cœur à Montpellier édifiée par les jésuites, à des établissements convenables, construits en fin XIXe siècle ou au début XXe, comme les lycées de Nîmes et d’Alès et les collèges de Narbonne et de Béziers, à d’anciennes bâtisses, pleines d’inconvénients et délabrées. C’est ainsi que les lycées de Montpellier et de Carcassonne et le collège de Perpignan, qui clament la misère de leur installation durant des décennies, sont taxés de « geôles sombres » ou de « prisons » à de nombreuses reprises par le doyen Castets lui-même et par bien d’autres après lui. Et cela dure des décennies.

Il faut dire que le financement des établissements revient très cher. Pour le privé confessionnel, l’argent provient des caisses des congrégations religieuses – jésuites, assomptionnistes -, ou des quêtes impérées par les évêques auprès des fidèles et de dons, parfois importants, souvent minimes mais nombreux, recueillis pour ce dessein, en particulier pour les petits séminaires. Lorsque c’est une municipalité qui veut se doter d’un établissement neuf ou le rénover, l’État accepte généralement de prendre à sa charge la moitié des dépenses afférentes à l’achat du terrain et à la construction. Cela ne permet pas toujours de résoudre le cas. Il y a parfois un délicat problème, trouver un emplacement convenable, à des prix raisonnables. Les études que nous avons publiées sur le lycée de Montpellier et le collège de Perpignan 17 montrent combien cela a été difficile pour ces deux villes. De toute façon, le financement de ces travaux, qui se monte parfois, avant 1914, à plusieurs millions de francs (plus de 3 à Nîmes vers 1887), paraît si lourd aux conseils municipaux qu’ils préfèrent renoncer à des projets, parfois bien avancés, pour se contenter de réparations sommaires ou de quelques agrandissements, rapidement trop petits.

C’est dans ces demeures, plus ou moins avenantes, que se préparent les futures élites locales, régionales, voire nationales. Pour arriver aux meilleurs résultats possibles, les responsables universitaires et les enseignants s’essayent parfois aux recherches et aux innovations. C’est là un domaine particulièrement important, parce qu’il touche à la finalité même de l’enseignement, à la vie des élèves, à leur équilibre personnel, à leurs relations avec les maîtres, au rôle des professeurs – seront-ils de purs enseignants ou aussi des éducateurs ? – et à l’institution scolaire elle-même. Inspecteurs d’Académie, membres du conseil académique, proviseurs.., critiquent parfois ce qui se vit et se pratique dans les lycées et collèges et avancent des idées, des propositions de réformes, qui prouvent qu’il y a toujours eu des universitaires pour porter le souci d’exigences pédagogiques mais aussi d’ouverture sur le monde et sur la vie. Le tout est de savoir ce qui a été rêvé et ce qui a été réalisé.

5 - Enseignement et éducation : la portée des propositions, la force des résistances

L’une des préoccupations majeures qui s’expriment à travers les dossiers, dès la première moitié du XIXe siècle d’ailleurs, c’est la volonté de faire « coller » l’enseignement aux besoins régionaux ou locaux. Les diverses réformes de portée nationale, comme la bifurcation imaginée par Fortoul en 1852, la création de l’enseignement spécial dû à V. Duruy en 1865, sa transformation en enseignement moderne tendent à répondre, avec plus ou moins de bonheur, à ce souci. Ils tentent de faire échapper l’enseignement secondaire à la dictature des Humanités, dont des membres influents du conseil académique, comme Germain et Castets, font le « nec plus ultra ». Mais on ignore totalement que nombre de textes précis, passés inaperçus au milieu des grandes réformes, insistent sur cette nécessité. Les recteurs, inspecteurs et proviseurs essayent parfois de mettre au point des projets conformes à ces circulaires et tenant compte des situations locales.

L’existence des mines de charbon dans les Cévennes conduit à la transformation du collège d’Alès en lycée d’enseignement spécial (1883). Sous l’influence des familles, il a la tentation permanente de reprendre une allure plus humaniste que technique. Les rapports dénoncent alors son inadaptation aux besoins de la région. Aussi prend-on quelques mesures opportunes, comme la création d’un atelier d’ajustage, pour que les élèves puissent préparer l’école des Arts et Métiers, dans de bonnes conditions. L’exigence d’un enseignement qui aurait un caractère pratique plus accusé, préparant directement les élèves au commerce, à l’industrie, à l’agriculture ou à l’artisanat, professions auxquelles se destinent la plupart des enfants du milieu rural ou semi-rural, surgit souvent. On la retrouve à Bédarieux où les ministères de l’Instruction publique et de l’Agriculture ont fourni, durant quelques années, une subvention de 6 000 F, pour créer des ateliers de tissage au collège – crédits employés ailleurs par la ville, A Castelnaudary, on voudrait en faire autant pour la céramique ; Sète et Agde réclament des études qui favoriseraient les professions ayant trait à leur vocation portuaire. Bien que l’on s’en soucie parfois, ces projets aboutissent rarement ou durent peu, les parents étant souvent responsables de ces échecs, en exigeant pour leurs enfants un enseignement plus noble, selon eux.

Recherches et propositions aussi à propos des programmes. Sans cesse, au XIXe et XXe siècles, on dénonce le surmenage comme une des plaies de l’enseignement, les filles étant jugées plus fragiles que les garçons par leur complexion naturelle et donc plus menacées. De toute façon, ces programmes trop chargés sont accusés « de surmener les bons élèves, en leur rendant trop difficile et trop pénible un effort vraiment productif, ce qui accroît encore l’indifférence et la passivité des élèves moins bien organisés ». Comment approfondir sans alléger et alléger sans léser telle ou telle matière ? Là aussi, on prêche souvent dans le vide.

Pour ce qui concerne la pédagogie proprement dite, un constant souci anime le conseil académique qui, dans les années 1900 et par la suite, entend un rapport annuel portant sur ce thème. On y traite successivement de chaque discipline – une année les langues, une autre l’histoire, la suivante les sciences… – de l’impérieuse nécessité de la coordination des enseignements, des examens de passage. Ces documents volumineux, souvent imprimés, impulsent-ils aux études un élan nouveau ? Ils semblent rester, la plupart du temps, lettre morte, si des mesures précises ne sont pas prises.

Parmi les recherches poursuivies, le domaine de la discipline a une place de choix. Des rapports comptabilisent les punitions données chaque année, par établissement, par chaque surveillant et enseignant – ceci jusqu’en 1939 au moins. Les résultats de ces pointages amènent certains inspecteurs d’Académie à juger la fréquence et la gravité des punitions insupportables. Ainsi dans les années 1888-90, on critique si vivement « l’efficacité vraie ou supposée des méthodes héritées des collèges des jésuites du siècle dernier ou des collèges – casernes du Premier Empire », selon l’expression du doyen Castets, en 1890, que l’on se décide à mettre en place une réforme sérieuse. L’on estime alors « qu’il faut faire davantage confiance aux dispositions généreuses de la jeunesse ». Les enseignants doivent faire appel à la persuasion plutôt qu’à la punition. D’ailleurs, l’autorité du professeur résulte « de sa valeur personnelle, de son zèle et de son influence morale ». Est-il normal, qu’avec un maximum de classes de quatre heures par jour, certains d’entre eux punissent, comme ils le font, se demande-t-on en 1888 ? Cette question, qui se reposera sans cesse par la suite, conduit à supprimer toute une série de punitions jugées archaïques.

De même, l’on se demande s’il est vraiment bon pour le collégien ou le lycéen que l’on ne se préoccupe que de sa vie scolaire. Le soigne-t-on assez bien, fait-on assez de place à son corps ? Le doyen Castets se révolte à l’idée qu’on donne si peu de confort à l’enfant : « A une époque où la bourgeoisie qui fournit les lycées et collèges aspire tant au bien-être comment peut-on encore confiner ses enfants « dans des lycées-casernes ou prisons ? » D’autres, comme l’inspecteur d’Académie de l’Hérault, en 1898, partent en guerre contre un matériel si mal adapté et en si mauvais état qu’il le qualifie « d’anti-orthopédique ». On s’insurge contre certains manquements à l’hygiène la plus élémentaire. En 1898, au collège de Narbonne, on donne à boire aux élèves l’eau de l’Aude « qui n’est qu’à peine filtrée à travers le sable, ce qui ne saurait arrêter les microbes et les toxines ». La rareté des bains de pieds est objet de critique. Quant aux douches, les internes doivent parfois s’en passer. Elles n’existent que fort tard et, encore, pas partout. Le grand lycée de Montpellier n’en possède pas en 1936. Malgré certains efforts, les conditions matérielles resteront presque partout peu enviables, alors que, dans le même temps, s’introduisent d’importantes innovations techniques dans l’éclairage, par exemple, où le bec ordinaire est remplacé par le bec Auer, puis par l’électricité.

Le matériel destiné à l’enseignement fait lui aussi des progrès, améliorant les techniques, sans pour autant convertir, à coup sûr, les élèves au travail. Vers 1930, l’on voit apparaître au lycée de Montpellier des appareils de projection pour diapositives, des phonographes avec des disques pour l’enseignement des langues, de l’histoire, de la géographie, de l’art et de sciences naturelles.

Autre sujet de préoccupation, la place du corps et de la culture physique. En 1895, le rapporteur au conseil académique déclare « qu’après les progrès intellectuels, ce qui préoccupe le plus l’administration universitaire, dans cette Académie surtout, c’est de donner une grande place à l’éducation physique ». Ici, la nouveauté s’impose. Aux jeux traditionnels dans les lycées et collèges, barres, balle, ballon, boules, cerceau, corde, et aux grandes promenades, relancées dans les années 1880-90, s’ajoutent à la même période des exercices et des sports d’équipe nouveaux. Le football prend vite une place importante et, vers 1890, des compétitions s’organisent entre lycéens et collégiens de Montpellier, Carcassonne, Narbonne, Toulouse, Castelnaudary et Perpignan, où l’on semble être plus passionné encore qu’ailleurs par ce sport. Les responsables des établissements jugent qu’il développe d’excellentes qualités morales et physiques, bien qu’il soit, selon certains, un sport violent. Dans l’est de l’Académie, à la même époque, ce sont plutôt les équipes de cyclistes et de nageurs, les Sociétés d’escrime et de gymnastique et les groupes de courses plates qui semblent avoir la faveur des élèves. Le lawn-tennis y prend place à côté d’exercices plus originaux : jeux de bâtons et de cannes, mouvements d’ensemble, boxe. Partout, les militaires ouvrent leur champ de mars aux élèves. Il faut dire que les exercices militaires sont intensivement pratiqués : marches sans fusil, entraînement au tir dans le cadre de sociétés animées par des officiers ou des sous-officiers, voire préparation à l’armée.

Une enquête menée au lycée de Montpellier, en 1914, montre la variété des exercices physiques pratiqués. La gymnastique suédoise et aux agrès, le tir, à la carabine pour les moins de 15 ans, au fusil pour les autres, qui comporte un championnat académique annuel tout comme l’athlétisme, avec le lancement du poids et du disque athénien, le saut en hauteur et en longueur, les courses de vitesse et de fonds, 100, 400, 800, 1 500 et 3 000 mètres. Le rugby, le basket et le volley s’imposent ensuite. Ainsi le sport de compétition a fait son apparition, avec ses concours académiques et nationaux. Dans les années 1920-39, lycées et collèges de la région s’illustreront – Sète pour l’athlétisme et la gymnastique, par exemple – et auront parfois leurs vedettes comme Delhom pour le rugby ou Bougniol pour l’escrime (1926). Un nouveau type d’élève est né après 1880, le sportif.

Cependant en 1890 comme en 1914 ou en 1938, le sport et l’éducation physique demeurent, dans l’esprit de nombreux universitaires, subordonnés à l’éducation morale et intellectuelle, c’est-à-dire, à son service. Le doyen Castets espère que « les élèves à l’exemple des jeunes Athéniens resteront fidèles au culte des Muses, tout en pratiquant celui de l’Hermès de la palestre ». Mais il pense que l’entraînement physique fournira à la patrie « des citoyens également propres à l’action et à la pensée, comme l’étaient les Hellènes, qui demeurent toujours nos exemples en toute chose ». En 1914, à la veille de la guerre, le proviseur du lycée de Montpellier montre bien cette subordination : « Il est bon d’avoir un corps souple, dans des muscles solides, mais cela ne suffit pas. On remarque que le courage n’est pas toujours en proportion exacte du développement musculaire. On peut voir des Hercules de foire qui sont des pleutres. On rencontre parfois des gringalets qui sont des héros. Parlant des abeilles, Virgile dit : « Ingentes animos augusto in pectore versant ». Je souhaite que nos élèves aient tous des biceps et des pectoraux sérieux mais s’il devait manquer quelque chose à nos jeunes Français du côté de la force physique ou de la force morale, j’aimerais mieux que le manque fût du côté de la force physique ».

Le sportif, encouragé par certains éducateurs, est regardé avec méfiance par d’autres. L’éducation physique reste, malgré tout, au second plan. Elle est souvent déshéritée et par le caractère insuffisant des cours, des stades et des terrains, – pensons à « la fosse aux ours » du grand lycée de Montpellier – et par le nombre de professeurs – deux ou trois pour plus de 1 000 élèves, dans les années 30, dans ce même établissement. La louange sied, les mesures ne suivent pas pour autant. Reste que la préoccupation du corps semble avoir repris ses droits, même si on ne peut satisfaire ses exigences autant qu’il serait souhaitable. Les garçons s’y adonnent volontiers, les filles y sont très réticentes et les certificats de complaisance foisonnent, pour les en faire dispenser.

Moins punir, exercer davantage le corps « pour rétablir l’équilibre entre l’excitation cérébrale, l’irritabilité nerveuse et l’apathie musculaire », donner des conditions matérielles favorables, cela saurait-il suffire ? Certains responsables académiques dénoncent l’insuffisance de ces mesures. A leurs yeux, il faut aller plus loin et viser à l’éducation morale des individus.

L’inspecteur d’Académie des Pyrénées-Orientales présente, en 1888, « un modèle idéal » de formation des collégiens. Il faut commencer d’abord par transformer les rapports existant entre élèves et professeurs. Ces derniers doivent s’associer à l’œuvre éducative, en y consacrant la dernière demi-heure de chaque cours – ils durent alors deux heures. Il les invite à prendre part aux jeux de leurs classes en récréation et à s’entretenir familièrement avec les élèves. Les professeurs, en ne limitant pas leur action aux heures de cours, n’y perdront-ils pas leur dignité ? Bien au contraire, leur influence personnelle gagnera à ces contacts, car « la seule autorité bienfaisante et durable est celle qui s’impose, non par la contrainte, mais par la persuasion et par l’influence morale ». « Les périodes de détente journalière rapprocheront maîtres et élèves et substitueront aux rapports hiérarchiques, toujours un peu rigides, l’affabilité d’un homme du monde causant avec des enfants bien élevés ». On évitera ainsi le reproche « de subordonner tout à l’instruction et de négliger l’éducation de nos jeunes gens ».

« L’équilibre physique rétabli et la « belle humeur » revenue, il faudrait passer alors à une nouvelle étape, l’enseignement méthodique et gradué, de ces grandes vérités morales que tout honnête écolier doit pratiquer d’instinct ». Mais cette éducation doit reposer sur un fondement indestructible qui procède « de convictions réfléchies, librement acceptées ». Où l’élève va-t-il les puiser ? Dans la religion ? Certes pas, « car elle commande de croire mais interdit de penser ». Dans le commerce des grands hommes de tous les temps ? Il ne peut être que d’un faible secours à cet âge, où il faut surmonter les difficultés de la puberté. La philosophie vient trop tard. Le guide sûr et pratique qui permettra aux élèves de franchir, sans trop de défaillances, l’intervalle qui sépare la 6e de la Philo, se trouve dans l’éducation morale. Le proviseur et le professeur de philosophie traiteraient, « sous forme d’entretiens familiers et vivifiés par des récits et de nombreux exemples tous les cas de conscience de la vie de l’écolier ».

Le lycée et le collège ne doivent donc pas limiter leur mission à l’enseignement ; le professeur doit être un éducateur qui fait passer une morale. A Nîmes, par exemple, en 1900, le proviseur estime que, dans son établissement, l’on doit former des esprits libres, des caractères droits, développer la personnalité naissante de l’enfant, dans le sens de sa nature, quand elle est bonne, en la réformant, quand elle est mauvaise, en respectant son individualité de manière à faire qu’il soit ou devienne bien lui-même. « La droiture, la sincérité, l’amour de la vérité, l’habitude de la réflexion et de l’observation, le respect de soi-même ». Le rapporteur au conseil académique, en 1928, qualifie les fonctionnaires de l’Université, de « directeurs spirituels de la jeunesse ». Ils doivent en être « les guides et les maîtres ». Et il ajoute : « Inspiratrice et conseillère de l’élite, il faut que l’Université s’en fasse la conscience et le miroir, autant que le foyer ; qu’elle devienne, selon le beau mot de Thucydide parlant d’Athènes, l’institutrice et l’éducatrice de la nation. »

Cette volonté d’éducation est d’autant plus vive chez certains responsables qu’ils croient percevoir une forte désagrégation morale de la société. Depuis longtemps, les enseignants dénoncent la faiblesse des parents, la paresse des enfants, leur apathie.

Après la guerre de 1914, les critiques s’accentuent. Cette période a pu favoriser, dans certaines conditions, l’épanouissement de vertus morales, comme la générosité et le dévouement. Les jeunes ont eu l’occasion de prendre des responsabilités familiales et sociales. Mais elle a engendré aussi un laisser-aller : Les enfants livrés à eux-mêmes manifestent une indépendance d’allures, une horreur de l’effort, un goût du plaisir et même une précocité qui peuvent, à bon droit, inquiéter les éducateurs. La tenue y a perdu. Les élèves ne sont pas mauvais, mais « manquent totalement d’éducation ». Il y a « une crise d’âme ». Tel est le diagnostic porté par un inspecteur d’Académie en 1921.

Ces changements sont-ils réels ? On les perçoit à travers des notations passagères dans les rapports officiels. Jeunes gens et jeunes filles deviennent de plus en plus libres. En 1925, à Montpellier, le proviseur dénonce ces élèves des grandes classes, français et étrangers, qui internes, ont tendance à se loger en ville. Le résultat : « ils cessent d’habitude de travailler et de réussir et souvent tournent mal. » L’on voit aussi, pendant la guerre de 1914 et après, des élèves des classes préparatoires à la seconde s’attribuer une semaine de congé, refusée par les autorités compétentes, à l’occasion des jours gras. C’est ce qui se passe en mars 1938, avec piquet de grève devant la porte. Les candidats aux grandes écoles qui fréquentent les grands lycées se mettent aussi en grève pour protester contre la diminution du nombre de postes à l’École coloniale (mai 1933). Ces manifestations émeuvent profondément les proviseurs et les inspecteurs d’Académie.

Cette mentalité nouvelle n’affecte pas moins les filles. Alors que la première étudiante de la faculté de Montpellier ne se rendait jamais au cours sans « chaperon », en 1869, les jeunes filles d’après 1914 ne sont plus accompagnées par leurs parents qui « ne paraissent pas leur demander des comptes bien exacts du temps qu’elles passent en ville ». La directrice de Carcassonne, qui signale ces faits en 1933 et en 1937, croit devoir faire surveiller ses élèves dans la rue et leur faire des observations sur ce point. Elle se plaint aussi « des écarts de langage, des gestes peu mesurés et de la mise extravagante » de certaines d’entre elles. Le principal d’Agde dénonce, à son tour, « la peinture des lèvres et l’usage abusif de la poudre dans les établissements mixtes ».

Les éducateurs de l’époque ont le sentiment d’avoir à faire à une nouvelle génération d’enfants mais aussi de parents. On a toujours critiqué, dans l’Université, même au XIXe siècle, leur peu de souci éducatif. Mais après la guerre, l’attaque s’accentue, alors même que naissent les Associations de parents d’élèves. La plupart des familles sont accusées « de se désintéresser des études, comme de l’éducation de leurs enfants, n’étant guère émues que par les échecs aux examens et par l’absence de récompense le jour des prix » (décembre 1931). Certaines directrices pensent qu’on grondera une fille pour une mauvaise note de travail, mais pas de conduite. « Une impertinence, une impolitesse est un fait beaucoup moins grave, moins important pour les parents qu’un zéro pour une leçon non apprise » (fin 1937, Carcassonne). Les familles n’hésitent pas à demander des certificats de complaisance, pour faire dispenser leur fille des exercices physiques. Elles retirent souvent leurs enfants du lycée, pour pouvoir partir en vacances, dès la fin juin, « sous les prétextes les plus fallacieux », pluie de certificats médicaux pour les enfants, raisons familiales : « Tous les grands-pères sont malades, écrit, non sans férocité, le proviseur de Montpellier, et réclament leurs petits-fils ». Il faut dire que le 4 juillet 1938 il manque au lycée 487 élèves sur 1 186, soit plus de 4 sur 10.

En constatant ces faits, les tempéraments pessimistes ne peuvent s’empêcher de mettre en question la société française. On dénonce « la défaillance générale de l’autorité, étendue à la famille, la faiblesse avec laquelle la France cède, de plus en plus, aux désirs d’un fils, trop souvent unique » (octobre 1937), « l’atmosphère de paresse que respire la France actuellement et l’affaiblissement correspondant de la conscience professionnelle ». Le développement de l’externat simple est jugé comme la solution de facilité qui permet de s’affranchir de toute contrainte et de goûter sans mélange les joies d’un « individualisme de plus en plus répandu ». Ce climat de désagrégation sociale s’étendrait même à « certains maîtres qui en arrivent à ne pas avoir plus que leurs élèves, le goût du travail ». Et le proviseur du lycée de Montpellier, qui fustige ainsi la Société de son temps, conclut ses critiques, en juillet 1939, par cette condamnation sans appel : « Les Français qui fréquentent l’étranger savent seuls le tort immense que nous fait l’actuel laisser-aller qui se développe tous les jours ».

Ces propos ne sont pas repris par tout le monde, mais partagés par certains inspecteurs ou chefs d’établissements, ils traduisent les tensions qui s’exercent au sein des lycées et collèges entre une société qui se transforme notablement et un cadre éducatif qui garde une certaine rigidité. Des projets en tout genre, une évolution des mœurs, les conséquences de la guerre de 1914 ne sont pas sans influence sur le cours des choses, d’où des innovations, mais aussi des freins puissants, sociaux ou corporatistes, qui modèrent ou annihilent certains changements souhaités et possibles. Ces contrastes entre un dynamisme créateur et des pesanteurs de fait sont la marque de cette époque, 1850-1939. Elle a pu réussir certaines transformations, dans un contexte globalement favorable aux classes privilégiées. La démocratisation de l’enseignement secondaire, en germe dans la gratuité, est cependant à peine amorcée en 1939. Il faudra attendre l’après-guerre, de nouvelles lois et de nouvelles mœurs pour la voir s’inscrire progressivement dans les faits.

Notes

   1. La recherche historique et archéologique en Languedoc-Roussillon (1927-1977). Communication de G. Cholvy, Montpellier 1979, p. 68.

   2. G. Larguier, Construction et architecture d’un collège narbonnais, essai de signification : Le collège Victor Hugo, Actes du XLVe Congrès de la Fédération historique du L.M. et du Roussillon, Narbonne, 1972.

   3. F. Falcou, Recherches sur l’histoire des collèges de Castelnaudary. Mémoire de Maîtrise, Toulouse-Le Mirail, 1980.

   4. Nicole Gibelin, L’enseignement secondaire public dans le Gard des origines à 1913. Mémoire de Maîtrise, univ. P. Valéry, Montpellier, 1974, Direction G. Cholvy, 90 pages.

   5. P. Carles, La « Corniche de Montpellier » de 1939 à 1942. Revue d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale, T. 28, n° 112, 1978, pp. 7-28.

   6. Histoire de l’Éducation, n° 2 et 3, avril 1979, p. 28 et n° 15-16, p. 167. Il faudrait y ajouter pour le Toulousain, le livre de G. Bourgade, Contribution à l’étude d’une histoire de l’éducation féminine de 1830 à 1914, 1980 et divers travaux comme ceux de Marcel Guy sur le lycée d’Albi et de Bergamelli sur l’enseignement de l’histoire dans les lycées et collèges de la région toulousaine. Nous renvoyons aux comptes rendus parus dans Annales du Midi.

   7. Les établissements secondaires libres et les petits séminaires de l’Académie de Montpellier, thèse 3e cycle, université Paul Valéry, 476 pages, dactylographiée, réédition 1986.

   8. L’établissement secondaire libre de Langogne au XIXe siècle d’après les inspecteurs d’Académie de la Lozère, Actes du 47e congrès de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Mende, 1974, p. 383-396.
– L’enseignement secondaire à Montpellier, dans la 2e moitié du XIXe siècle, Éducation de la femme chrétienne en France au début du XXe siècle, p. 105-121, l’Hermès, Lyon, 1980.
– Place et rôle des petits séminaires dans l’enseignement secondaire en France au XIXe siècle. In : Revue d’histoire de l’Église de France, T. LXVI, 1980, p. 243 et 259.
– Le pensionnat de l’Immaculée Conception de Béziers. In : Les Frères des écoles chrétiennes et leur rôle dans l’éducation populaire, Editas, Montpellier, p. 111 à 131.
– Aux origines de la maison de l’Assomption à Nîmes (1844-53). In : Emmanuel d’Alzon dans la société et l’Église du XIXe siècle, Centurion, 1982, p. 233-257.
– Le lycée national de jeunes filles de Montpellier de 1881 à 1931. De la naissance au cinquantenaire. In : Cent ans de vie dans le premier lycée de jeunes filles de France, CRDP, Montpellier, 1982, p. 23 à 64.
– Les petites villes de l’Académie de Montpellier au XIXe siècle, leurs collèges communaux. L’exemple de Castelnaudary – Actes du LIVe Congrès de la Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Castelnaudary, 1981, Montpellier, 1983.
– Enseignement secondaire et vie urbaine en Pays Catalan et en Languedoc (1854-1925). L’exemple de Perpignan – Bulletin de la Société languedocienne de géographie, n° 3 et 4, 1982, p. 297 à 309.
– Une ville en mal de lycée : Montpellier (1850-1950) – Bulletin historique de la ville de Montpellier, n° 1, nov. 1983, p. 4 à 15.
– Le lycée de Nîmes et la question religieuse entre 1850 et 1900. In : Annales du Midi, 1983.
– L’éducation des filles en milieu catholique au XIXe siècle. Cahiers d’histoire, T. XXVI, Lyon, 1984, p. 337 à 352.
– L’enseignement secondaire féminin dans l’Académie de Montpellier (1867-1939). Études sur l’Hérault, Nouvelle série, n° 2, 1985, p. 43-50.
– Catéchèse et apostolat dans les établissements secondaires catholiques (1880-1914) : un enjeu de société. Actes du 109e Congrès des Sociétés savantes, Dijon, 1984, Hist. Mod., T. I, fasc. 1, p. 277-290.
– Un grand lycée de province au XIXe siècle : Montpellier, 1850-1950. Actes du 110e Congrès national des Sociétés savantes, Montpellier, 1985, Hist. Mod., T. II, p. 307-320.
– L’enseignement secondaire en Languedoc-Roussillon. L’état de la recherche. A paraître dans Études sur l’Hérault, fin 1986.
– En préparation : Le collège de Pézenas aux XIXe et XXe siècles et le lycée de Montpellier, de 1803 à nos jours (en collaboration).

   9. L’Enseignement en France (1800-1967), Colin, coll. U, p. 417.

   10.   C’est un fait assez répandu en France puisque de 1850 à 1854, il en disparaît 52. A Prost : l’Enseignement en France, op. cit., p. 29-37 et 180.

   11.   J. Maurain : La politique ecclésiastique du Second Empire, p. 684 ; « la ville était hostile au collège laïque par économie et par cléricalisme ».

   12.   Chaque année les conseils municipaux votaient les crédits nécessaires à l’entretien des locaux, au renouvellement du mobilier et à la rétribution du personnel ; mais « la loi Falloux… impose aux villes la signature d’un engagement quinquennal, garantissant l’entretien des locaux et les émoluments du personnel… » (voit P. Gerbod « La vie quotidienne », op. cit., p. 12 et 13).

   13.   La statistique officielle de 1854 fait ressortir un gain de 10 657 élèves entre 1850 et 1854 pour les seuls E.S.L., c’est-à-dire petits séminaires exclus. Sur la situation précaire de certains collèges communaux, voir P. Gerbod : « La vie quotidienne », op. cit., p. 13.

   14.   Bien qu’érigé en lycée d’enseignement spécial par le décret du 4 août 1883, l’établissement secondaire public d’Alès figure dans la statistique du 31 décembre 1887 parmi les collèges communaux, p. 109 de la statistique.

   15.   Le 31 décembre 1887 le collège communal d’Uzès ne compte que 74 élèves et le Vigan 53, statistique officielle, p. 189.

   16.   On voit même les fils de certains fonctionnaires confier leurs enfants aux établissements privés. P. Gerbod le signale pour le Doubs, en 1898, et pour Aix, Bordeaux et le Jura. En 1897, Castets, rapporteur au Cs académique de Montpellier, s’offusque de ce que « L’armée fuit le lycée systématiquement… » Chose plus grave : on ne peut pas toujours compter sur les fils d’anciens élèves. En 1903, le commissaire spécial de Béziers signale au minsitre de l’Intérieur que « quelques officiers font élever leurs enfants (à la Trinité), entre autre le commandant de Montély… », A.N., F 19-4077.

   17.   Et ceci déjà en fin XIXe siècle, bien avant le travail de la commission Bérard et l’arrêté du 30 avril 1931 qui réduit l’horaire hebdomadaire. A. Prost, op. cit., p. 259.