Le sport à l’arrière en 14-18 :
petites rivalités et grandes manœuvres

* Docteur en Sociologie

Un « entre-deux » à explorer

Les grandes synthèses historiques des sports modernes en France ont assez généralement articulé la chronologie selon un diptyque. Un premier volet consacré à l’apparition des sports et à la mise en place d’institutions chargées d’organiser les compétitions, couvre la période du Second Empire à 1914. C’est la phase des pionniers, et des naissances multiples. Le second volet est celui de la multiplication des fédérations sportives et de l’entrée en jeu de l’État comme acteur tutélaire, à partir de 1919. Entre les deux, la césure de 14-18 fait figure de quasi page blanche. C’est assez sensiblement ce qui ressort à la lecture de l’historiographie française, tels que L’histoire en mouvements sous la direction de Ronald Hubscher 1, ou, parmi les ouvrages pionniers, Naissance du sport moderne sous la direction de Bruno Dumons 2 plus thématique que strictement chronologique, ou encore La Naissance du Mouvement Sportif Associatif en France, coordonné par Pierre Arnaud et Jean Camy 3 dont la plupart des communications se bornent à 1914. Quant à la plus récente Histoire du Sport en France dirigée par Philippe Tétart 4, un chapitre y est bien consacré à la période de la Première Guerre mondiale, mais son auteur, Paul Dietscy y fait le constat d’un « champ de recherche en grande partie vierge » 5. Ce même constat est confirmé souvent dans des monographies plus délimitées. A titre d’illustration, ces quelques lignes ouvrant significativement la seconde partie d’une thèse consacrée au sport varois : « La mobilisation a vidé les associations et les espaces sportifs mais aussi la presse, du moins celle qui survit, de ses rubriques sportives. Il est difficile de saisir ce que devint exactement la pratique sportive d’août 1914 au début de l’année 1919. La plupart des clubs disparurent ou entrèrent en hibernation. La presse sportive arrêta sa parution. » 6 Même si J.-C. Gaugain ajoute, dans la foulée, que « la guerre n’a pas arrêté complètement la pratique sportive dans le Var », il paraît considérer que ces années de guerre ne méritent pas plus de quelques lignes, et qu’il convient de passer au plus vite à la phase de reconstruction et d’enracinement du monde sportif.

Rendre plus lisibles les traces et signes du sport

Cette parenthèse sportive de la Grande guerre 7 tient essentiellement, selon nous, à la conception du sport qui sous-tend actuellement, en France, la recherche tant historique que sociologique. Pierre Bourdieu et Norbert Elias (ou du moins les lectures que l’on en fait le plus souvent) se donnent la main pour imposer la conviction que le sport ne peut se comprendre dans sa particularité moderne qu’en rupture avec les « jeux traditionnels » antérieurs 8. Et cette rupture, tout à la fois morphologique et historique, est consommée avec l’institutionnalisation des sports conçus comme compétitions administrées. Ce qui est censé assurer leur autonomie à l’égard des déterminations extérieures (sociales ou religieuses, en particulier) fait aussi leur fragilité. La conséquence de ce présupposé est immédiate : entre 1914 et 1918, plus d’organisations sportives, en sommeil faute d’acteurs disponibles, donc plus de sport !

À partir des années 1990, et surtout semble-t-il du fait de l’historiographie de la Grande Guerre et des débats houleux qu’elle a fait naître, la notion de « culture de guerre », élaborée à l’occasion des réinterprétations de la der des ders, interroge la « brutalisation » de la société civile, et par ricochet ses pratiques sportives. Ce qui, d’une certaine façon, rejoint la critique gauchiste habituelle du sport comme « guerre de tous contre tous ». Dans cette perspective, Paul Dietschy, déjà cité, concentre donc son propos sur les dimensions idéologiques les plus générales du sport. Du discours cocardier et belliciste de dirigeants sportifs à la pratique sporadique de parties de football parmi les poilus, il s’agit surtout d’essayer d’évaluer la présence de « l’esprit sportif » et le recours à l’exercice physique chez les combattants. Évaluation difficile et conclusions prudentes, tant manquent les moyens de démêler les usages concrets de la pratique sportive des discours programmatiques et déclarations fracassantes qui prétendent en rendre compte. De fait, Paul Dietschy fait figure aujourd’hui de spécialiste presque unique de cette période creuse, et sa signature apparaît dans nombre de publications collectives ; ses contributions à La Grande Guerre. Une histoire culturelle9 sous la direction de Philippe Poirrier, ou encore au volume dirigé par Luc Robène, Le sport et la guerre. XIXe et XXe siècles (PU Rennes, 2012) creusent le sillon des rapprochements ou homologies possibles, sur le thème du « sport comme continuation de la guerre par d’autres moyens ». D’un article à l’autre, Dietschy reprend la thématique de la « culture de guerre » avancée par Stéphane Audoin-Rouzeau : le monde sportif participe de la militarisation des esprits, tant par sa proximité avec les organisations de gymnastes ou de sociétés de tir, qu’à sa pratique de l’affrontement physique(« la guerre comme un grand match »), en passant par les déclarations publiques des responsables associatifs et des journalistes spécialisés.

Les difficultés méthodologiques d’une telle position sont évidentes, et dues pour l’essentiel à la faiblesse, sinon à l’absence, de données empiriques susceptibles de venir étayer des affirmations trop générales. Rien ne montre en quoi les attitudes, représentations et déclarations ainsi évoquées sont fondées, c’est-à-dire partagées par la masse des pratiquants – qui sont aussi partiellement ou potentiellement des combattants. On ne peut négliger l’hypothèse d’écarts importants entre l’idéologie des fondateurs et dirigeants des organisations sportives et les pratiques effectives des simples sportifs dans toute leur variété sociale, culturelle et géographique. Ce qui s’écrit à Paris trouve-t-il son répondant au fond des provinces ?

Les pages qui suivent tentent d’éclairer la réalité du sport en temps de guerre, mais loin du front, dans un arrière abandonné à lui-même et désorganisé, à partir des principales sources d’information que sont les quotidiens régionaux, les hebdomadaires spécialisés, les documents internes des fédérations sportives. Notre mise en perspective privilégie deux strates de l’activité sportive : la mobilisation des jeunes adultes laisse le champ libre à une pratique « sauvage » des adolescents, hors encadrement institutionnel, et qui se manifeste selon des logiques plus anciennes propres aux « jeux traditionnels » ; et dans le même temps, ce qui subsiste des sphères dirigeantes locales et régionales profite du vide institutionnel pour remettre en question les modalités de fonctionnement des organisations fédérales et préparer l’après-guerre.

À la veille de la Guerre

On ne saurait guère évaluer la nature et l’intensité des activités sportives durant la guerre sans les rapporter à la situation préexistante. Dresser un tableau des sports pratiqués dans l’Hérault au moment de l’ouverture du conflit excède les dimensions de cet article, mais il est loisible de se rapporter au volume collectif publié par les Études héraultaises en 2010 et consacré à « Cent ans de sport dans l’Hérault » 10. Le panorama proposé permet de mettre en évidence les spécificités des choix sportifs des Héraultais du début du siècle, et de mesurer la nécessité d’analyses géographiquement circonscrites susceptibles de nuancer, pour le moins, les généralisations trop hâtives. Si les historiens du sport mettent l’accent, à juste titre, sur un petit nombre de disciplines au succès déjà confirmé en 1914, soit le cyclisme, l’athlétisme, et les deux grandes variétés du football : rugby et association 11, il convient de faire la part des variations régionales en intégrant des activités négligeables au niveau national, mais pertinentes localement.

C’est le cas de deux disciplines, le « boulisme » et le jeu de balle au tambourin, qui bénéficient d’une large pratique populaire dans le département. Elles illustrent également le cas des « jeux traditionnels » qui se transforment alors en sports en se moulant dans les modes d’organisation impulsés par les fédérations sportives modernes.

Dans l’immédiat avant-guerre, le « boulisme » se distingue des multiples variantes locales des jeux de boules pratiqués depuis des siècles pour imposer le « jeu lyonnais » consacré nationalement en 1900 lors des Jeux Olympiques de Paris 12. Apparu à Lyon au XIXe siècle, ce jeu de boules s’est progressivement institutionnalisé à partir d’un Concours, organisé et richement doté par Le Progrès de Lyon sur la place Bellecour, qui réunit des centaines de quadrettes. Suit la création en 1906 d’une Fédération Lyonnaise, puis Lyonnaise et Nationale dès 1913, qui essaime dans tout le grand Sud-Est. Dans l’Hérault, c’est un instituteur, Jean-Baptiste Sabde, qui fonde à Béziers l’Union Boulliste de l’Hérault (UBH), chargée d’organiser concours locaux et championnat fédéral autour de règles du jeu et de règlement administratif, sur le modèle de ce qui se fait dans les grandes fédérations sportives nationales. Mieux même, au début 1914, un commerçant montpelliérain, Jean Sabatié, lance un hebdomadaire spécialisé, Le Bouliste Français, chargé de promouvoir le sport-boules, et qui se diffuse dans tout le Sud-Est.

Tout est donc en place, dès avant la guerre, pour faire de la boule lyonnaise un sport organisé qui se pratique par concours et championnats. Et dans cette période de pluralisme fédéral, le boulisme héraultais s’offre même le luxe d’une scission : en 1913, un conflit aux origines obscures donne naissance à une « Fédération bouliste biterroise et régionale” qui tend à repousser l’UBH de Sabde vers la partie orientale du département, autour de Montpellier. Malgré ce, le jeu lyonnais s’organise sous forme de clubs affiliés, nombreux en ville (une douzaine à Béziers) mais aussi dans le monde rural jusque dans les villages des hauts cantons et de l’arrière-pays. Les grands concours richement dotés organisés à Béziers, Lodève ou Montpellier rassemblent des joueurs issus du Saint-Ponais, du Larzac ou de la garrigue, et drainent des foules assez considérables, qui font du boulisme le loisir sportif le plus populaire et le plus nombreux de l’avant-guerre. En mars 1913 par exemple, la nouvelle fédération biterroise parraine un grand concours en triplettes sur trois boulodromes de la ville (ceux de la Boule Lyonnaise, société organisatrice, de la Boule d’Or et de la Boule Moderne). Les droits d’inscription sont de 6 francs par triplette, mais permettent d’espérer gagner l’un des trois prix de 150, 100 et 50 frs. 13 (Fig. 1)

Jeu de boules à Béziers (ADH – 2FI CP 1199 67)
Fig. 1 - Jeu de boules à Béziers
(ADH – 2FI CP 1199 67)

Au concours de boules de Lodève organisé en juillet 1913, 48 équipes sont en compétition, qui viennent de tous les environs, de St Maurice du Larzac jusqu’à Aspiran, mais aussi de Montpellier, Béziers et Narbonne.

La particularité du jeu de boules réside dans une pratique intergénérationnelle : c’est un sport d’adresse qui peut se pratiquer à tout âge, et qui a continué d’exister pendant la guerre en se reposant sur les joueurs trop âgés pour être mobilisés. Certes, les grands concours semblent bien s’être interrompus, de même que la parution du Bouliste Français, mais les rencontres amicales ou les défis locaux entre équipes rivales se sont poursuivis durant toute notre période.

La situation du jeu de tambourin n’est pas très différente, en ce sens que les années d’avant-guerre voient un succès grandissant des parties de tambourin 14. A partir du modèle traditionnel des rencontres-défis entre équipes rivales et voisines, se met progressivement en place un système sportif qui privilégie les joueurs vedettes autour desquels se construisent des équipes en compétition pour la prééminence. Une hiérarchie se constitue à l’occasion d’un concours annuel organisé à Pézenas à partir de 1909 et qui mobilise durant tout l’été des équipes représentatives de leur village et un public enthousiaste. A la différence du boulisme, le tambourin n’est pas encore organisé en fédération 15, mais un comité est mis en place à Pézenas pour organiser le calendrier d’un grand concours estival et assurer le bon déroulement des parties, tandis qu’un règlement est édité à fin d’unifier les règles du jeu. De ce fait, le tambourin présente, dès cette époque, certains des caractères des sports modernes. Les articles qui lui sont consacrés dans la presse locale mettent en évidence l’engouement pour les vedettes que sont les joueurs de fond, capables de renvoyer la balle à la volée hors d’atteinte des adversaires, et que les équipes s’arrachent. D’une saison à l’autre, on assiste à un marché des transferts de ces vedettes, autour desquelles les notables qui financent les frais de fonctionnement des équipes, tentent de former le « cinq » le plus performant possible. Cette vedettisation s’accompagne naturellement du supportérisme qui rassemble des foules bruyantes prêtes à faire des kilomètres à vélo pour encourager leur équipe favorite 16.

Notons enfin une dernière caractéristique du tambourin, d’ordre géographique. Non seulement il s’agit d’un sport local, propre au département de l’Hérault et qui ne pousse que des pointes timides vers l’Aude (à Narbonne) et le Gard au-delà de Marsillargues, mais encore dans le département les équipes sont fortement concentrées dans la moyenne vallée du fleuve Hérault, autour de Pézenas. Les équipes sont plus rares dans le Montpelliérais, et quasiment inexistantes dans le Biterrois. (Fig. 2)

Comme pour les boules, les grandes manifestations disparaissent avec l’entrée en guerre : c’est le cas du concours de Pézenas. Mais la pratique du tambourin est, elle aussi, ouverte aux adultes même mûrs, et on cite des champions qui n’ont arrêté de jouer qu’à 60 ans passés. Tout donne à penser que des parties ont continué à se jouer sur les places des villages, même si elles n’ont plus attiré les grandes foules.

Parmi les disciplines sportives modernes, l’athlétisme peut mobiliser des pratiquants comme des spectateurs avides d’exploits individuels ; mais les manifestations mentionnées dans la presse d’avant-guerre se limitent à deux catégories de compétitions : championnat annuel et courses sur route.  

Jeu de tambourin à Gignac (ADH – 2FI CP1337 - Bacard photographe éditeur)
Fig. 2 - Jeu de tambourin à Gignac
(ADH – 2FI CP1337 - Bacard photographe éditeur)

Les championnats régionaux sont organisés l’été sous l’égide de l’USFSA ou de la FGSPF qui en confient l’organisation à un club volontaire. Pour l’Union, ils ont lieu à Cette puis à Béziers organisés par l’ASB sur le terrain du Gasquinoy. Dans l’immédiate avant-guerre, la manifestation qui attire une petite foule plutôt élégante et bourgeoise, réunit jusqu’à 80 athlètes issus des principaux clubs de football ou de rugby de la région. Les Catalans et les Biterrois y sont bien représentés, qui se disputent les épreuves classiques de courses, sauts et lancers. Les performances restant très en deçà des records de l’époque, ce qui est compréhensible car aucun concurrent ou presque n’est un spécialiste : l’athlétisme est une activité de complément qui meuble les mois d’été entre deux saisons hivernales consacrées aux sports collectifs.

Plus continue est la pratique de la course à pied, que certains clubs omnisports organisent selon des modalités diverses : boucles en ville qui offrent un spectacle à la population, en ligne sur des distances très variables, ou encore des cross-country hivernaux qui semblent assez prisés (et peuvent se combiner avec des cyclo-cross). La plupart de ces courses donnent lieu à des récompenses pour les mieux classés, généralement sous forme de prix en nature ou d’« œuvres d’art ». Ces courses à pied sont cependant moins nombreuses et surtout moins populaires que les courses cyclistes.

Le cyclisme comme indicateur de la pratique sportive

L’autre sport populaire de la Belle Époque est en effet incontestablement le cyclisme. Le monde de la « petite reine” est composite, tant la bicyclette et devenue un moyen de locomotion pour des usages très différenciés. Le tourisme peut donner lieu à des performances athlétiques spectaculaires lorsque, au-delà de la randonnée individuelle, familiale ou en groupe, les jeunes sportsmen se lancent dans des parcours de longue durée, comme le font des étudiants montpelliérains vers la Côte d’Azur, ou un aller-retour jusqu’à Paris. Ce sont aussi des escalades sur les pentes pyrénéennes ou cévenoles que leurs auteurs ne manquent pas de rendre publiques dans la presse admirative. Il existe donc dès avant 1914 une pratique du cyclotourisme qui touche une population bourgeoise assez nombreuse.

De façon plus explicitement sportive, le cyclisme se pratique selon deux modalités : les courses sur route, de la compétition locale au Tour de France, et sur piste grâce aux innombrables vélodromes qui sont apparus dans les villes de province, à la suite du célèbre Vel’d’Hiv’ parisien.

Le sport cycliste est régi, pour l’essentiel, par l’Union Vélocipédique de France (UVF) qui, autour de 1900, s’était assuré un quasi monopole sur l’organisation du sport cycliste après plusieurs années de luttes avec des fédérations rivales (l’USFSA, la FCAF en particulier) en prenant le contrôle sportif des vélodromes. C’est également l’UVF qui délivre les licences pour la plupart des coureurs, qu’ils soient professionnels ou amateurs 17. Dans chaque département, l’UVF met en place une cohorte de « fonctionnaires” chargés tout à la fois d’une action de propagande à fin de recruter des adhérents, personnes individuelles ou sociétés sportives, et du contrôle sportif de toutes les compétitions courues dans le cadre de l’Union.

Les premiers clubs sportifs, les Véloce-Clubs, apparaissent dès la fin des années 1880, et se multiplient au rythme de la popularisation du vélo comme mode de locomotion ouvert à tous, hommes femmes, enfants, riches ou modestes. On doit constater que, dans l’immédiate avant-guerre, les compétitions cyclistes marquent le pas dans l’Hérault. La vogue des vélodromes, en bois ou en ciment, qui avait touché les dernières années du XIXe siècle, s’est essoufflée depuis. Ces équipements assez rudimentaires (il s’agit souvent de structures mobiles, montées à l’occasion de fêtes locales ou autres manifestations) sont dus à peu près exclusivement à des initiatives privées : des entrepreneurs se lancent dans des investissements qui se révèlent difficilement rentables en raison du nombre insuffisant de compétitions professionnelles au long de la saison, et faute de champions de renom capables d’attirer les foules.

Le fait est qu’en 1914, l’UVF qui comptabilise en France une quarantaine de vélodromes affiliés et agréés en province, n’en mentionne plus un seul en Languedoc 18. Plus généralement, le département de l’Hérault semble peiner à maintenir une dynamique positive. Au congrès fédéral de 1913, tenu à Paris, les organisateurs ne comptent aucune présence de représentants de l’Hérault, pas plus d’ailleurs que des départements voisins. Les nouvelles adhésions de sportsmen et de clubs se font rares. Sur cette même période de l’immédiate avant-guerre, le chef délégué Brodard ne peut mentionner que 2 ou 3 nouvelles adhésions individuelles pour son département, et encore s’agit-il probablement d’amateurs de tourisme que l’UVF cherche à attirer. Les sociétés sportives, qui restent nombreuses, renâclent à s’affilier à l’UVF, et organisent leurs courses, tout au long de la belle saison, de façon assez anarchique, entre lesquelles se dispersent les coureurs locaux. Mais à part le passage du Tour de France qui génère des foules considérables dans les villes et villages traversés, nulle grande manifestation cycliste ne soulève l’enthousiasme. (Fig. 3)

Ganges : vue du vélodrome Bastide (ADH 2FI CP 1332 – M. Astruc et Paul Roux éditeurs)
Fig. 3 - Ganges : vue du vélodrome Bastide
(ADH 2FI CP 1332 – M. Astruc et Paul Roux éditeurs)

Des clubs tels que l’Union Vélocipédique de Ganges ou l’Etoile Sportive de Montpellier montent un calendrier tout au long de la saison « qui fera sûrement plaisir aux amateurs de belles courses à vélo ainsi qu’aux sportsmen » (L’Éclair du 16 janvier 1913).

Localement, on assiste à des épreuves, telles que ce cross cyclo-pédestre organisé à Montpellier par l’Amical Vélo-Club à la périphérie de la ville entre l’Agriculture et le Champ de manœuvres (L’Éclair du 5 janvier 1913).

La situation de l’UVF dans l’Hérault est loin d’être unique. Un constat identique est posé dans le Nord, où on assiste à un effondrement des clubs affiliés : de 18 en 1903, ils ne sont plus que 5 en 1913 : « comme dans d’autres régions les exigences draconiennes, la tyrannie de l’UVF indisposent les clubs ». 19 Le contournement des rigidités fédérales s’opère par la constitution d’organisations alternatives qui font de la résistance : ainsi de la « Fédération cycliste indépendante du Midi » qui rayonne depuis la Provence. En début 1914, par exemple, l’Union Vélocipédique de Ganges, club dynamique qui possède aussi une équipe de football, annonce son ralliement à cette fédération. L’UVF est confrontée à ce problème en mai 1914, quand elle interdit absolument toutes les courses organisées par cette fédération dissidente. Tous les coureurs qui y prendraient part seraient interdits d’UVF. De nombreux coureurs participent à des « courses interdites », et lorsqu’ils veulent revenir à l’UVF, ils doivent payer de lourdes amendes, ou encore régler 5 ans de cotisation à l’Union pour s’assurer de leur fidélité. La solution la plus fréquente est alors le repli sur soi, et l’organisation d’épreuves locales, ou même tout simplement réservée aux sociétaires.

Cette activité sportive à l’écart des fédérations officielles ne caractérise pas que le cyclisme et l’UVF. Le constat est identique à propos des deux sports collectifs majeurs que sont le rugby et le football 20. Tous les deux, dès leur apparition en France, ont été pris en charge par l’USFSA (Union des sociétés française des sports athlétiques), fédération omnisports proche de Coubertin, et qui prétendait régir l’ensemble des compétitions sportives. Jusqu’au lendemain de la Grande Guerre, le rugby est resté le sport collectif favori de l’USFSA qui s’était assuré le monopole de fait de son organisation. L’Union appréciait dans le rugby son recrutement bourgeois et désintéressé – c’est-à-dire résolument amateur, à l’abri des tentations du professionnalisme. Les footballeurs, longtemps négligés par les dirigeants de l’Union, pour des raisons inverses : pratiques plus populaires et guettées par le professionnalisme qui sévissait en Angleterre, se sont dispersés entre plusieurs fédérations concurrentes, dont l’assise géographique était parfois réduite. Le football a surtout investi les patronages catholiques, justement en raison de son attractivité auprès des jeunes citadins des quartiers populaires que visaient les « patros ».

L’emprise du rugby et du football

En Languedoc, le rugby apparu dans les années 1890 a été d’abord un phénomène exclusivement lycéen, c’est-à-dire urbain et bourgeois. Durant cette décennie, les compétitions se sont bornées à quelques rares matchs annuels opposant, sous forme de défis, les équipes des lycées de la région : Perpignan, Carcassonne, Montpellier, puis Narbonne et Béziers. Ces équipes lycéennes se sont vite transformées en clubs estudiantins comme à Montpellier avec l’USEM, ou plus souvent en clubs civils réunissant les fils des familles bourgeoises de la ville. L’apparition plus tardive du football – vers 1900/1902 à Nîmes ou Cette 21, 1906 à Montpellier – s’est opérée dans un environnement sportif déjà occupé et a pu bénéficier de l’expérience des activités sportives préexistantes, pour mieux s’imposer à celles-ci (comme à Cette) ou pour composer dans un premier temps en cohabitant (ainsi à l’USEM de Montpellier, de même qu’au Stade Toulousain ou à l’Olympique de Marseille). Mais si les clubs de rugby sont restés dans le giron de l’USFSA jusqu’en 1920, le football héraultais, s’est partagé, avant guerre, entre l’USFSA et, à partir de 1910, la fédération des patronages (la FGSPF : Fédération gymnastique et sportive des patronages de France). Encore faut-il remarquer que seule l’USFSA exige des clubs structurés sous forme associative avec un bureau directeur responsable. Malgré ce, la déclaration en préfecture n’a alors rien d’automatique, et plusieurs années peuvent séparer la constitution effective d’un club de son officialisation administrative. C’est particulièrement vrai pour les clubs des patronages catholiques, adossés aux paroisses, dont on peut penser qu’ils ne sont pas toujours pressés de faire allégeance aux lois de la République, en cette période de crise entre l’Église et l’État.

Quand on cherche à préciser les modalités de diffusion régionale de ces deux sports, on doit observer que tant le rugby, regroupé au sein de l’USFSA, que le football, éclaté entre deux fédérations concurrentes, présentent une caractéristique commune : leur incapacité à convaincre l’ensemble des pratiquants. Durant toutes ces années d’avant-guerre, seule une minorité d’équipes accepte d’entrer dans les cadres fédéraux qui leur sont proposés, et il est donc nécessaire d’évaluer la part des pratiques non encadrées.

Commençons par tenter d’évaluer les effectifs de clubs affiliés.

Clubs USFSA

Clubs USFSA
Tableau 1 - Clubs USFSA

Les modalités de la pratique sportive

Côté USFSA, le Languedoc, d’abord rattaché à un Comité du Sud dont le siège était à Toulouse, s’est autonomisé en 1906 22 : les rugbymen comme les footballeurs ont désormais participé à leur Championnat du Languedoc, organisé par un comité régional installé à Cette 23. C’est la participation à ces championnats qui motive et légitime l’affiliation à l’Union. Il faut donc reconstituer les effectifs de clubs unionistes 24 à partir des résultats des compétitions officielles tels que rapportés dans la presse régionale, avec tous les aléas de rubriques sportives encore balbutiantes. La caractéristique commune aux compétitions organisées par l’Union est le petit nombre d’équipes engagées, ce qui signifie un calendrier très bref, que seuls les matches amicaux permettent de garnir entre octobre et juin.

En rugby, les clubs unionistes sont pour l’essentiel distribués entre l’Aude et les Pyrénées-Orientales, l’Hérault occupant une position très marginale. Inversement, le football est inconnu dans l’Ouest du comité régional, et tous les clubs se répartissent entre le Gard et l’Hérault. (Fig. 4)

En dépit de renseignements imprécis et lacunaires, il est possible de proposer un tableau des clubs unionistes en compétition dans l’année 1913-1914, centré sur l’Hérault. Les championnats du Languedoc se jouent sur deux ou trois niveaux hiérarchiques (1ère, 2ème. 3ème séries) qu’il n’est pas facile d’identifier clairement. (Tableau clubs USFSA)

Une équipe de l’Olympique de Cette avant guerre (coll. Cortade)
Fig. 4 - Une équipe de l’Olympique de Cette avant guerre (coll. Cortade)

Les petits clubs de rugby affiliés, hors Hérault, ne nous sont guère connus, en particulier en Roussillon. Au total, on peut estimer à moins de 50 les clubs USFSA du Languedoc, football et rugby réunis 25. En 1914, l’élite de 1ère série est des plus réduite : 4 clubs en rugby (AS Perpignan, SO Perpignan, RC Narbonne et AS Carcassonne), et trois en football (O Cette, FC Montpellier et FC Nîmes), qui reflètent bien l’état des forces de ces deux sports. Aux niveaux inférieurs, 2ème et 3ème séries, on peut estimer au total la présence de 6 à 8 poules géographiques constituées de 5 à 6 équipes chacune (mais les clubs de 1ère série y sont fortement présents par leurs équipes secondes et troisièmes, ce qui réduit d’autant le nombre de clubs distincts.

Quant à la FGSPF, la fédération des patronages catholiques, plusieurs clubs y sont affiliés à Montpellier, et peut-être quelques autres à Béziers, mais ici encore il est difficile de savoir si la fédération regroupe tous les patronages paroissiaux, ou seulement une minorité d’entre eux. Sur un plan sportif, des rencontres régulières opposent les équipes montpelliéraines, classées elles aussi en séries hiérarchisées.

La saison 1913-1914 mettait en avant le Sport Club Montpellier, bien structuré et qui joue fréquemment contre des clubs « civils ». Il participe pour la première fois au championnat de France de sa fédération, et est éliminé dès son premier match par les Sports Athlétiques Provençaux de Marseille. Il semble qu’il partageait la 1ère série régionale avec le Green Star (qui était l’équipe du petit séminaire). Les équipes réserve des deux clubs sont en compétition, en séries inférieures, avec la Jeunesse chrétienne sportive, le Stade Saint Roch, le Stade Saint François, le Golden Star, le Hardy Club.

Cette évaluation faite, il faut confronter les effectifs fédéraux à la masse des clubs indépendants. Le terme de club ne doit pas masquer la fragilité de ces regroupements de joueurs qui forment une équipe pour se lancer à l’assaut de ses voisines et nécessairement rivales. La plupart du temps, point de déclaration en préfecture – ne serait-ce que parce que les promoteurs sont le plus souvent encore mineurs, et surtout parce qu’ils ne veulent pas s’embarrasser de formalités administratives. Tout au plus désignent-ils un secrétaire, et choisissent un siège pour leurs réunions, une arrière salle de café le plus souvent. Le club, c’est d’abord et souvent uniquement, un nom qui se choisit pour s’identifier dans un stock relativement limité d’appellations possibles. Et même là, les hésitations semblent fréquentes, et contribuent à brouiller les identités. D’ailleurs, les effectifs sont fluctuants, les joueurs vont d’un club à l’autre, prêtent volontiers leur concours pour compléter l’effectif d’une autre équipe en difficulté, et l’on comprend qu’il ne saurait être question de licence annuelle en bonne et due forme. Le terrain de jeu est un terrain vague sommairement aménagé les matins de match. Les autorités militaires prêtent – ou louent 26 – un emplacement sur les champs de manœuvre dans les villes de garnison ; sinon, un arrangement avec un propriétaire à l’esprit sportif fera l’affaire, malgré les sols bosselés, pierreux et dangereux.

La diffusion géographique des pratiques

L’aspect le plus important de l’activité sportive d’avant­guerre est la prolifération des petits clubs qui jouent à l’écart des grandes organisations, en « indépendants”, pratiquant leur sport sans contraintes d’une façon que l’on peut qualifier de « sauvage” au regard des normes du sport moderne. Certes, les règles du jeu sont connues et communes à tous les participants, c’est l’organisation des rencontres qui reste très libre. Cette exubérance du jeu se révèle surtout dans le football. La lecture de la presse régionale montre à l’évidence la spontanéité des rencontres entre petits clubs, négociées en permanence au coup par coup, que viennent tempérer ici ou là, des embryons d’organisation sous forme de « championnats indépendants” initiés par tel ou tel club plus ambitieux.

Prenons d’abord la mesure de la masse de ces petits clubs, qui touche aussi bien les villes de la région que les zones rurales. Un relevé systématique des rubriques sportives dans les deux grands quotidiens de Montpellier qui couvrent de façon inégale l’actualité régionale, aboutit à évaluer les clubs de football en 1913 et 1914 à près de 90 clubs dans le seul département de l’Hérault. Ce total impressionnant englobe toutes les équipes signalées à l’occasion d’une rencontre effective, quel que soit leur statut, affiliées ou non à une fédération 27. Pour le Gard, dont l’actualité (sportive ou non) est beaucoup moins bien couverte par les éditions montpelliéraines, seules disponibles, de l’Éclair et du Petit Méridional, les entrefilets consacrés aux résultats du football dominical ou des matches scolaires du jeudi sont moins nombreux, surtout dans l’Est rhodanien du département. Notre pointage dépasse la quarantaine de clubs, certainement très en deçà de la réalité. Mais la comparaison entre les deux départements met en évidence des caractéristiques communes. Dans les petites villes ou les gros villages, la concurrence semble féroce entre sociétés trop nombreuses pour être vraiment solides. Ainsi à Frontignan, pas moins de 4 sociétés naissent en quelques mois : l’Association Sportive, le Stade, le Racing Club et le Frontignan Sportif. Il en est de même à Lunel avec le Gallia, le Sporting, le Stade et l’Union Sportive. Même inflation chez les voisins de Marsillargues (4 clubs), ou encore à Mèze (3) et Pérols (3). Dans le Gard, le phénomène touche Beaucaire, avec le Stade, l’Etoile Sportive, l’Union Sportive, le Frater Club, le Sporting Club, et même un Scholl Club à l’Anglais hésitant. A la Grand-Combe, dans le bassin minier, ce sont trois sociétés qui se partagent les amateurs : le Stade Sainte-Barbe, qui deviendra le grand club des mineurs, mais aussi le Sporting et l’Olympique. Une fièvre semble saisir chaque groupe de footballeurs, habitants d’un quartier, habitués d’un café, camarades d’école ou de travail, de fonder une équipe et de se lancer dans la mêlée générale. On assiste ainsi, dès avant la guerre, à un phénomène qui s’est encore développé tout au long des années 1920, et qui a poussé alors les instances dirigeantes de la Fédération de football (FFF) à inciter les clubs à des fusions et des regroupements pour leur assurer une assise plus pérenne.

Un deuxième constat porte sur la diffusion géographique du football. Dans l’Hérault, c’est incontestablement dans la plaine littorale que naissent les sociétés sportives : tout autour du bassin de Thau, en raison du prestige de l’Olympique de Cette (Frontignan, Poussan, Gigean, Mèze, Bouzigues, Balaruc), mais aussi dans le Montpelliérais, malgré l’absence de tout grand club emblématique dans la ville chef-lieu (Palavas, Pérols, Villeneuve-lès-Maguelone, St Georges d’Orques, Fabrègues, Pignan, Cournonterral, Vendargues, Castries). Le centre du département, et plus encore les hauts-cantons, sont atteints plus difficilement. Une percée se tente vers Lodève (ville de collège et de garnison), en passant par Gignac, et Saint André de Sangonis ; Ganges reste isolée, et le Saint-Ponais est un désert. Il n’en est pas de même dans le Gard, où la plaine est certes atteinte depuis Sommières et Aujargues jusqu’à Beaucaire, avec Aimargues, Vauvert, Remoulins, Saint-Gilles… mais ce sont les Cévennes qui marquent un fort dynamisme autour d’Alais (6 clubs repérés), à Anduze, Bessèges, Cardet, Lézan, Saint-Ambroix ou Molières. Quant à Nîmes, la dizaine de clubs mentionnés dans nos sources ne rend probablement compte que très mal des pratiques sportives de la ville.

Un autre point et à remarquer : l’apparition de sociétés ancrées dans un milieu professionnel. C’est vrai dans le Gard pour le Stade Sainte-Barbe qui recrute chez les mineurs de la Grand-Combe. Mais le secteur tertiaire se manifeste également à Montpellier : d’une part dans le secteur bancaire, où la Société Générale met en place une politique active de loisirs sportifs pour ses employés avec le CASG (Club athlétique de la Société Générale) affilié à l’USFSA, et qui fait des émules au Comptoir d’Escompte ; et d’autre part, une tentative originale se fait jour avec le Rasoir Sportif qui regroupe des garçons coiffeurs de la ville appelés à jouer contre les clubs locaux (Un club du même type est né à Narbonne, en rugby cette fois, avec les employés du grand magasin Les Dames de France).

Enfin, il convient de mettre en évidence la situation très particulière du sport montpelliérain en 1914. C’est la seule grande ville qui n’ait pas encore de terrain clôturé, correctement engazonné, susceptible d’accueillir des spectateurs payants. Le meilleur club de la ville, le Montpellier FC, qui a succédé au Stade Michelet, et qui regroupe quelques uns des meilleurs joueurs locaux (du moins ceux qui n’ont pas été attirés par les sirènes du grand voisin cettois), club bourgeois au demeurant dont le siège est au célèbre café de la Paix de la rue Maguelone, joue ses matches sur le terrain de la Paille, proche de la gare Chaptal, qu’il partage avec d’autres, et sur lequel il est à peu près impossible de faire les moindres recettes. Lors de la réception de l’AS Nîmes en novembre 1913, le club se voit contraint de « faire la manche » : « A l’occasion de ce match, et pour couvrir les frais de déplacement des Nîmois, les dirigeants du Montpellier FC distribueront sur la touche des tickets d’accès sur le terrain à 0,20 frs. Ils font appel au bon esprit sportif des Montpelliérains en cette circonstance. » 28

Ce handicap économique interdit de construire une hiérarchie solide des clubs de la ville, et Montpellier est donc le théâtre d’une poussière de clubs fragiles, instables, et sans ambition. La presse évoque d’ailleurs assez fréquemment le « désert montpelliérain » qui fait les gorges chaudes des Cettois et des Nîmois mieux pourvus.

Défis et championnats locaux

La masse de ces clubs fragiles et sans moyens financiers est conduite à vivre la compétition sportive sur des modes particuliers ; il s’agit le plus souvent de tenter d’exister et de se construire une reconnaissance collective en se lançant dans une site de face-à-face ou de défis vis-à-vis d’équipes plus huppées, dans l’espoir de coups d’éclat glorieux ; et une autre solution est de participer à des compétitions locales plus ou moins spontanées, mais qui rassemblent des rivaux et voisins désireux de s’étalonner. C’est ce qui est à l’origine d’initiatives comme celle d’une « jeune société » de Cette décidée à organiser pour la saison 1913-1914 « une épreuve de football association qui sera réservée aux seules équipes de la région ne prenant part à aucune des épreuves des Fédérations… elle permettra à quelques petits clubs aujourd’hui inconnus de se révéler et de se mettre en vedette ». 29 Au printemps 1914, c’est autour de Mèze que s’organise un championnat local réunissant deux équipes mézoises, deux autres de Poussan, ainsi que des clubs de Gigean, Montbazin, Villeveyrac et Cette : voici une forte concentration de footballeurs que ne recense aucune fédération sportive.

Très symptomatique de cette situation d’ensemble du football régional de l’époque, le cas du Montpellier Sportif, club aux assises populaires qui tente d’asseoir son existence dans plusieurs disciplines : football et rugby, mais aussi athlétisme et cyclisme. La Vie montpelliéraine et régionale, hebdomadaire mondain, n’hésite pas à s’intéresser aux sports à la mode et ouvre ses colonnes à des chroniqueurs tels que Drive30. Ce dernier compte les aventures du club montpelliérain qui cherche à reprendre le flambeau de l’ancienne USEM estudiantine, et à maintenir une activité sportive de bon niveau dans la capitale régionale. Deux initiatives de sa part sont diversement jugées par Drive durant l’année 1911. En janvier, le Montpellier Sportif UC lance un défi à l’Olympique de Cette !!!!, défi refusé par les Cettois, et Drive conseille charitablement aux présomptueux : « Que les Montpelliérains rencontrent tout d’abord toutes les équipes de leur série : Alais, Calvisson, Vergèze, etc. Qu’ils passent ensuite aux équipes de 1ère série en commençant par celles dont la valeur est moindre, Nîmes ou Calvisson » avant de prétendre se frotter aux champions cettois 31. Un mois plus tard cependant, Drive se montre plus accommodant à propos d’« une très intéressante innovation du Montpellier Sportif. Ce club à qui manque peut-être uniquement l’appui financier de personnalités connues vient de créer un championnat de Montpellier avec une formule nouvelle, un handicap… Mais je relève au nombre des engagés un certain nombre de clubs qui n’appartiennent pas à l’USFSA. Dans ces conditions, je crains bien que le Comité régional n’ait à intervenir et ne prie le MS de choisir entre les Fédérations celle à laquelle il préfère se rallier ; en tout cas, il n’admettra pas le cumul. » Malgré ces menaces, les semaines qui suivent voient s’affronter, réparties en deux séries les équipes d’une pluralité de clubs 32 locaux : l’Etoile Sportive, le Racing Club, le Sport Club (de la FGSPF), l’Espérance (émanation d’un groupe estudiantin d’Action Française), l’Étoile filante, le Lycée-Sport, le Stade Michelet (du nom de l’école primaire supérieure) qui remporte finalement le titre 33.

Ce mode de fonctionnement du Montpellier Sportif suggère plusieurs remarques. Voici un club affilié à l’USFSA qui vivote dans les profondeurs de la 2ème série du Languedoc, dans une période où Montpellier est dépourvu de club emblématique, et qui pour se faire reconnaitre s’essaie à plusieurs stratégies possibles. La plus évidente à cette époque est d’obtenir un match contre un grand club (l’O Cette en l’occurrence) qui attirera la curiosité du public, en lui lançant un défi ; la rivalité ainsi provoquée rapproche le petit du grand 34. Ce type de démarche qui court-circuite la logique de la compétition réglée par les fédérations sportives, est un pari qui repose sur l’accord du partenaire défié ; parti perdu dans le cas du Montpellier Sportif, tant l’écart de grandeur, mesuré par les résultats obtenus dans la compétition réglée, invalide l’idée même d’une rivalité possible 35. Mais cette modalité de la rivalité sportive par défis se rencontre fréquemment dès lors que des clubs ne s’affilient pas à une fédération et n’accèdent pas à un championnat réglé.

Un autre aspect à retenir dans l’aventure du Montpellier Sportif est la capacité à improviser une compétition locale baptisée championnat avec le moins de contraintes organisationnelles possibles : participe qui veut, quel que soit son niveau ; d’où l’introduction d’un handicap, comme dans les courses de chevaux, pour égaliser les chances. C’est ainsi qu’on voit le Montpellier Sportif battre l’Etoile Sportive 5-0, score ramené à 5-3 grâce à trois points de handicap.

Ce championnat local ouvert interroge aussi sur la politique sportive de l’USFSA, en même temps que sur sa capacité effective à l’appliquer. L’Union a cherché constamment à rassembler sous sa bannière le maximum de disciplines sportives, et quand elle ne parvenait pas à s’assurer un monopole de gestion comme pour le football ou, un certain temps, pour le cyclisme, les conflits frontaliers avec les fédérations concurrentes donnaient lieu à des exclusions pur les sportifs ou les clubs qui cherchaient à louvoyer entre les appartenances fédérales. Les avertissements de Drive à l’égard du club montpelliérain sont dans la ligne unioniste d’interdiction de rencontres sportives avec des clubs affiliés à la fédération des patronages, mais restent plus flous à l’égard d’équipes sans affiliation, qui sont aussi les plus nombreuses. Ces ostracismes fédéraux entravent la libre organisation de rencontres sportives, à une époque où les compétitions officielles (fédérales) sont courtes en raison du petit nombre des participants, et où donc il faut meubler l’essentiel du calendrier avec des matchs « amicaux” négociés de gré à gré. Pour continuer avec le Montpellier Sportif, très significative est l’annonce d’un match avec l’Association Sportive d’Alais en 1912 : « Les sportsmens (sic) viendront nombreux car ils savent très bien qu’un match amical est toujours plus intéressant à tous les points de vue qu’un match de championnat. » 36

Côté rugby, il faut convenir que l’Hérault est assez désertique, et qu’en deçà des clubs officiellement affiliés à l’USFSA (l’AS Béziers et le SO Béziers, le Rugby Club de Cette et l’US Lespignan), la presse consultée reste à peu près muette sur d’éventuels matches engageant des équipes de villages, hors peut-être Quarante. Béziers présenterait un Cercle Sportif, et Montpellier un Rugby Club très discret ; dans le chef-lieu, le ballon ovale est surtout tenu par les militaires originaires du sud-ouest des deux régiments d’artillerie et du génie en garnison.

Rien de semblable, donc, à ce que connaît l’Aude : dans un ouvrage publié en 1998 par les Archives départementales à Carcassonne 37, une liste des clubs de rugby audois avant 1914 s’établit à près de 30 sociétés à l’existence avérée, dont une vingtaine implantées dans des villages. C’est dire que deux-tiers des sociétés de rugby n’ont pas jugé bon de s’affilier à la seule fédération officielle apte à organiser des compétitions ordonnées. A la veille de la guerre, toutes ces équipes ne sont peut-être pas encore en activité, mais le Narbonnais en particulier semble bien fourni en équipes : outre les 5 ou 6 clubs qui existent alors à Narbonne même à l’ombre du Racing Club, on trouve du rugby dans des villages tels que Bizanet, Coursan, Marcorignan, Nissan, Ouveillan, Saint-Marcel, Sallèles ou Sigean. C’est donc dans le département voisin que les rugbymen de Béziers et de Cette vont chercher leurs adversaires.

Petites rivalités entre amis

La déclaration de guerre et la mobilisation générale à partir d’août 14 ont stoppé net les projets de la saison sportive 1914-1915. Les responsables des fédérations tout comme les membres des clubs en âge de combattre laissaient des vides tels qu’aucune compétition ne semblait possible. Ce n’est qu’au bout de plusieurs mois, lorsque s’est dissipée l’illusion d’une guerre courte, qu’est apparue la possibilité de reprendre un rythme de vie plus habituel pour tous ceux qui n’étaient pas – ou pas encore – directement impliqués dans les opérations militaires.

La presse généraliste locale permet de suivre tant bien que mal – la part qu’elle consacre aux évents sportifs est évidemment des plus réduite – le calendrier des rencontres proposées dans le département. Mais la période de guerre a connu également des publications spécialisées que ne rebute pas la dureté des temps. C’est ainsi que 1916 voit naître à Toulouse l’hebdomadaire Rugby qui, malgré son titre restrictif, assure une couverture aussi large que possible de l’activité sportive dans tout le grand Sud-ouest, Languedoc compris. L’éditorial de son premier numéro précise les objectifs de la nouvelle publication. Entre une presse quotidienne qui fait du sport le cadet de ses soucis, et les feuilles spécialisées parisiennes oublieuses de la province, il y a place pour « un organe sportif provincial qui vienne en aide aux clubs, en créant entre eux un lien effectif, en faisant de la publicité autour des manifestations athlétiques, en renseignant le public sur les événements sportifs intéressants, en enseignant à tous l’utilité bienfaisante des Sports. »

L’essentiel des événements sportifs se déroule dans la saison d’hiver – grosso modo d’octobre à mai – et se déroule sur les terrains de football et dans une moindre mesure de rugby 38. Ces sports d’équipes mobilisent le plus grand nombre de pratiquants et surtout de spectateurs, les réunions sportives s’insérant ainsi dans le calendrier des loisirs populaires institués, à côté des séances de cinéma ou des représentations théâtrales.

C’est donc sur ce secteur des sports collectifs que nous concentrerons nos analyses dans les pages qui suivent. Le double aspect que nous voudrions mettre en évidence concerne, d’une part le développement (et non l’assoupissement) des sports d’équipe, tout particulièrement d’un point de vue géographique, avec la diffusion vers de nouvelles couches de pratiquants ; et d’autre part les formes que prennent ces compétitions en l’absence d’instances institutionnelles de régulation.

L’histoire du sport a bien perçu l’impact de la guerre sur les grands clubs : ce sont eux qui ont vu le plus fortement se dégarnir leurs effectifs de jeunes hommes en pleine possession de leurs moyens physiques. Ces coquilles vides sont restées à l’abandon, et les tous jeunes joueurs (que l’on classerait aujourd’hui dans les catégories cadets ou juniors) ne se sont pas sentis autorisés à prendre la place des équipiers titulaires. C’est ainsi qu’à Cette, le stade de l’Olympique a été fermé et interdit d’accès en attendant des jours meilleurs. (Fig. 5) De même les grands clubs de rugby audois ou catalans se sont mis en sommeil. Malgré ce, il n’est pas possible de faire des années de guerre une simple parenthèse vide, puisque la pratique sportive s’est poursuivie selon des modalités imposées par les circonstances ; et ce n’est surtout pas souhaitable, car on perdrait ainsi des clés essentielles à la compréhension de l’enracinement du sport dans la société française.

Le stade de l’Olympique de Cette (ADH 2FI CP 1809 – Bardou Alexandre photographe éditeur)
Fig. 5 - Le stade de l’Olympique de Cette
(ADH 2FI CP 1809 – Bardou Alexandre photographe éditeur)

Progressivement, les jeunes joueurs qui attendaient l’appel se sont organisés et ont formé des équipes auxquelles, par respect pour leurs ainés, ils ont donné des noms de remplacement : les jeunes de l’AS Perpignan, championne de France de rugby en juin 1914, sont devenus les Green Devils Perpignanais, et les cadet de Narbonne se sont présentés comme White Jumpers. A Cette, où les dirigeants du club ont refusé de continuer leur activité, ce sont quelques cadets olympiens qui s’associent aux joueurs du Juniors Club pour créer de toutes pièces sous la houlette de l’Anglais Gibson le Football Club de Cette, qui représentera désormais l’élite du football héraultais.

Mais la crise qui atteint les clubs les plus matures épargne paradoxalement les plus jeunes et les plus fragiles. Ceux-ci sont peuplés de très jeunes joueurs qui prennent sans problème la relève de leurs ainés, ou créent tout simplement de nouvelles sociétés pour continuer à pratiquer leur sport. C’est avec cette cohorte de clubs de quartiers ou de villages que le football – et à un degré moindre le rugby – que la vie sportive va continuer durant les années de guerre.

Le pointage que nous avons réalisé pour l’année 1916 (qui couvre ainsi les saisons sportives 15-16 et 16-17) donne une idée assez précise de la pratique du sport en temps de guerre. Encore plus que pour l’évaluation des effectifs de clubs en 1913, il est très vraisemblable que la presse régionale est un filet à trop grosses mailles pour ramener tout le menu fretin des équipes de villages. Malgré des zones d’ombre, les résultats obtenus font montre d’une activité sportive considérable et dynamique, qui ne marque aucune rupture véritable avec l’avant-guerre. Sur l’ensemble des petits clubs, on peut distinguer deux types d’évolution. D’un côté, il semble bien que les phénomènes concurrentiels qui multipliaient les clubs des petites villes ont fait place à des regroupements moins nombreux, faute de combattants : à Frontignan ou à Marsillargues, les équipes se font plus rares. Mais d’un autre côté, on voit bien comment la pratique du football (et même, à une autre échelle, du rugby) grignote du terrain, et investit des territoires jusque là à peu près vierges.

A partir de la presse régionale, nous avons recensé pour cette année 1916 les mentions de 80 clubs de football aux dénominations distinctes dans le seul département de l’Hérault. A Montpellier, il existe toujours une vingtaine de clubs, aussi bien des équipes solides telles le Sport Club ou le Stade Lunaret, que de nouveaux venus très divers : par exemple, une Bourse Sportive serait en mesure d’aligner 4 équipes, tandis que l’Etoile bleue pourrait être un club de patronage probablement lié à la fanfare de ce nom qui anima la ville pendant plusieurs générations. Notons aussi un Standard Club qui pourrait être un hommage au Standard de Liège, club emblématique de la ville belge illustrée en 1914, ou peut-être monté par des réfugiés de Wallonie 39.

De son côté Cette présente une douzaine de clubs, parmi lesquels l’Olympique, finaliste du championnat de France USFSA en 1914, a été remplacé de fait par le Football Club dirigé par Gibson et quelques jeunes joueurs.

L’évolution la plus intéressante consiste en l’homogénéisation progressive du territoire départemental : les zones blanches s’amenuisent progressivement au-delà de la plaine littorale déjà bien dotée en clubs avant-guerre. Sur la bande côtière, des mouvements s’observent dans des directions contraires : Pérols ou Palavas disparaissent de la carte, mais ce sont d’autres villages qui se manifestent tout au long de la route nationale, Marseillan, Gallargues, Lunel-Viel, Valergues, ou encore Vendargues qui voit naître trois clubs distincts. Un peu plus au nord, apparaissent Florensac (3 clubs aussi), Montagnac, Paulhan, Brignac, Pézenas ou Valros. La garrigue montpelliéraine est touchée à St Drézéry et St Bauzille de Montmel. C’est l’arrondissement de Lodève qui voit le plus fort dynamisme, avec un pôle entreprenant à St André de Sangonis qui suscite, semble-t-il, l’émulation de plusieurs communes environnantes : du Ballon Sportif de Montpeyroux au Stade Olympique de Clermont, en passant par les Zèbres de Ceyras (dont on imagine la couleur du maillot), et le Ballon Sportif d’Aniane. A Gignac, l’Etoile catholique aurait été remplacée par le Ruban étoilé, et à Lodève la jeunesse collégienne suscite plusieurs clubs rivaux. Enfin, on voit les hauts-cantons s’initier au ballon rond avec le Stade Saint Ponais et l’AS du Jaur, qui entament des rencontres avec l’AS Bédarieux.

Au rugby, l’USFSA maintint les championnats régionaux qui se jouèrent avec un nombre très limité de clubs 40. En Languedoc, la compétition ne concernait que les principales villes, Green Devils de Perpignan, CO Carcassonne (qui remplaçait l’Association Sportive), White Jumpers de Narbonne, et l’AS Béziers, qui avait réussi à sauvegarder son organisation. Derrière ces formations de premier plan, le rugby se pratiquait de façon à peu près régulière dans les petites villes audoises de Quillan, Coursan ou La Nouvelle, tandis qu’à Limoux, la rareté des joueurs disponibles avait contraint à la fusion de l’Etoile Sportive et du Football Club. Plus épisodiquement, des matches sont relatés à Castelnaudary, Douzens, La Redorte, Alzonne, Ouveillan, Stade Lézignan. Dans l’Hérault, il est difficile de savoir ce qui relève du maintien en vie et de la naissance pour le Racing Club d’Olonzac, l’ES Maraussan, et surtout pour plusieurs club biterrois : les Harlequins, la Jeunesse sportive, le Midi Sportif, le FC Saint-Jacques et le Racing Club Béziers. Ainsi dans le Biterrois tout au moins, la période de guerre aurait vu également un développement de petits clubs formés de très jeunes joueurs.

Les rencontres sportives entre ces jeunes joueurs qui gèrent leur équipe en dehors de toute organisation, obéissent aux coutumes que nous avons vues déjà avant guerre : matches arrangés au gré à gré, par accord mutuel et le plus souvent amical ; défis lancés en direction d’un autre club ou à la cantonade : les relèvent qui veut ; ou enfin, organisation d’un « championnat » local, aux dimensions d’une ville, d’un canton ou d’un arrondissement, qui implique moins un calendrier organisé entre les inscrits qu’une suite de rencontres dont on espère pouvoir tirer un vainqueur final. Tel est le pain quotidien du « football de guerre » tendu entre l’échange amical et la rivalité exacerbée. Cette forme généralisée de pratique sportive, surtout entre nouveaux arrivants qui découvrent l’ivresse de la compétition, peut être illustrée par quelques cas particulièrement significatifs.

Les propositions publiques de rencontres, par voie de presse, peuvent prendre cette forme, utilisée par le tout nouveau club de l’Etoile Catholique de Gignac : après avoir donné la composition des deux équipes qu’il a réussi à former, « les deux équipes sont à la disposition des clubs du département qui voudront les rencontrer. Contre l’équipe 1ère, les adversaires devront avoir au moins 17 ans, et 16 ans au plus contre l’équipe 2ème » 41. Mais le ton peut aussi être moins neutre : « Nous sommes heureux d’apprendre aux nombreux amateurs de football que les Zèbres Ceyradois, s’étant maintenu jusqu’ici dans son entrainement, vient de la façon la plus amicale de lancer un défi à n’importe quelle équipe de la région » ; et après avoir donné la composition de son onze, conclut que « avec une telle équipe, le championnat de l’arrondissement de Lodève sera ardemment disputé. » 42 De la même façon, le Ballon Sportif de Montpeyroux, qui a battu l’équipe de Popian 1-0 « après une partie violemment disputée » se sent pousser des ailes et, par la plume de son trésorier, « lance un défi à n’importe quelle équipe de l’arrondissement de Lodève » 43.

Dans le flou généralisé, il est parois difficile de déterminer la valeur accordée à une rencontre, les deux adversaires divergeant sur l’interprétation à donner de la partie. C’est ainsi qu’à Montpellier, un match est joué entre le Stade Lunaret et l’Etoile Bleue, remporté 1-0 par cette dernière équipe. Une semaine plus tard on apprend que « l’Etoile Bleue ayant considéré comme un match la partie amicale que lui avait proposée le Stade Lunaret le dimanche 12 courant, celui-ci lui demanda sa revanche qui eut lieu hier après-midi. Le Stade cette fois au complet affirma sa supériorité et remporta la victoire par 3 buts à 0. Arbitrage impartial de M. Duroux » 44. Ces petits conflits n’épargnent pas des clubs de patronage en principe pacifiques ; au même moment, et toujours à Montpellier, une dispute oppose le Sport Club et le Stade St Roch adhérents à la FGSPF : le Sport Club qui avait déclaré, dans un communiqué, avoir battu St Roch 3-1, s’attire une réponse acerbe « Le match de dimanche dernier n’était pas considéré comme une revanche. La meilleure preuve en est que cette équipe a dû fournir au Sport Club deux de ses meilleurs équipiers pour égaliser les forces des deux camps. En outre, la partie s’est terminée par 2 buts à 1 et non par 3-1. » 45

Mettons une dernière touche au tableau avec les aléas d’un championnat local improvisé, celui que lance le Groupement Sportif du 2ème Régiment du Génie de Montpellier, sous forme de défi à la cantonade. La presse signale le « grand évent sportif » qui aura lieu le 16 avril 1916 sur le terrain du Parc à Ballon (derrière la citadelle) puisque le Stade Montpelliérain a relevé le défi : « une partie comme nous n’en avons sûrement jamais vu dans notre cité. » Le 2ème Génie bat le SM 3-0 et devient « champion de Montpellier, le défi qu’elle a lancé à toutes les sociétés de notre ville n’ayant été relevé que par le Stade Montpelliérain. » Mais quelques jours plus tard, le journal publie un communiqué du Racing Sport affirmant « qu’il n’avait pas cru répondre au défi du 2ème Génie, ayant déjà battu cette équipe 3-0. Mais puisque ces Messieurs le désirent, prenez note : le Racing Sport Montpelliérain, équipe 1ère, sera à la disposition du 2e Génie le dimanche 30 avril sur son terrain du Champ de Manœuvre. ». Le 1er mai, le Racing Sport constate que le 2ème Génie ne s’est pas présenté sur le terrain pour jouer cette demi-finale du championnat, ce à quoi le 2ème Génie rétorque le 3 mai que ses joueurs étaient en permission ce jour là. « D’ailleurs, les équipiers du RSM n’étaient pas sur le terrain, contrairement à son affirmation. L’équipe du 2ème Génie tient à réfuter ce mensonge, et, consciente de sa valeur, maintient ses prétentions au titre de Champion de Montpellier. » 46 Au même moment exactement, des rencontres ente les clubs de Lunel et Marsillargues donnent lieu à des échanges de communiqués tout aussi tendus, sur fond de rivalités anciennes entre les deux cités voisines. 47

Comme on s’en rend compte avec la multiplicité de ces situations qui peuvent vite devenir conflictuelles, et qui fourmillent dans la presse, le système de compétition sportive qui s’instaure dans cette période de vacance des pouvoirs organisés doit beaucoup moins à une « culture de guerre » qui aurait saisi les adolescents méridionaux, qu’à une logique de la rivalité aux racines très anciennes, fondée sur la défense publique de l’honneur des groupes, et qui se joue dans l’immédiateté des défis en face-à-face, et non dans la construction patiente d’une supériorité acquise méthodiquement au fil des rencontres. C’est une interprétation de ce type que nous pensons pouvoir proposer pour les incidents de match, assez nombreux, et qui touchent davantage le public des bords de touche que les joueurs eux-mêmes. La presse mentionne des incidents autour de certains matches, amicaux ou de championnat. Ainsi, le match AS Béziers-SO Perpignan (Rugby n°18 du 3 février 17), fut « émaillé de divers incidents provoqués par un public chauvin et antisportif. » Un correspondant catalan écrit au journal : « Le SOP remercie le public biterrois de l’accueil par trop chaleureux qui lui a été fait. Les équipes étrangères se rendant à Béziers ont, paraît-il, la même réception. Quel intérêt a-t-il, ce public, de crier et de menacer même les équipiers ? Serait-ce pour les impressionner ? Ne trouvons donc pas étonnant que les sociétés qui se présentent sur leur terrain soient battues. Le SOP a vaincu dimanche cette équipe imbattable… sur son terrain. Mal lui en prit, car une fois la partie terminée, des actes des plus antisportifs, pour ne pas dire davantage, se produisirent : les équipiers Pradal, Durand, Ricard et Pujol se rendant au vestiaire, furent tout à coup assaillis par des Biterrois. Grâce au concours de quelques Carcassonnais et Narbonnais, ils purent se dégager et regagner leur cabine… ».

Les grandes manœuvres fédérales

Les bouleversements causés par la guerre dans l’organisation de la vie associative ont particulièrement concerné les fédérations sportives. La période de guerre aurait pu être une parenthèse dans leurs activités, un entracte au sein des compétitions régulières. Ce fut probablement le cas pour certaines d’entre elles. Mais la guerre a été l’occasion, sinon le déclencheur, de profondes mutations au sein de la principale de ces fédérations, l’Unions des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques. La principale organisation omnisports de l’époque, qui à la veille de la guerre cherchait encore à renforcer son hégémonie, s’est vue contrainte en 1919 de laisser ses principales composantes prendre leur autonomie sous forme de fédérations indépendantes, et de devenir de ce fait une coquille vide vouée rapidement à la disparition 48. Ce destin de l’USFSA s’est joué pendant la guerre, et pour autant que nous puissions en juger à partir des sources très parcellaires dont nous disposons, il résulte tant de dissensions internes que d’attaques venues de l’extérieur. Les clubs languedociens ont été partie prenante de ces luttes institutionnelles, durant la guerre, époque charnière de l’évolution sportive.

Luttes intestines au Comité du Languedoc de l’USFSA

Son implantation à Cette, en 1906, a joué un rôle majeur dans la courte histoire du comité du Languedoc. Il y a tout lieu de penser que le choix de Cette comme centre administratif et politique a été dicté par des considérations pratiques. Le territoire languedocien (Gard, Hérault, Aude et Pyrénées-Orientales) était irrigué par deux sociétés de chemins de fer : la Compagnie du Midi dans le Sud-Ouest, autour de Toulouse et desservant Perpignan, Carcassonne ou Béziers, et celle du PLM dans le Sud-Est, reliant Lyon et Marseille à Nîmes et Montpellier. Le point de jonction entre les deux réseaux était à Cette : la ville devenait ainsi le lieu de réunion le plus adapté à des administrateurs venus de l’Ouest comme de l’Est de la région. Mais la position stratégique de Cette n’était pas seulement géographique. Le comité de l’USFSA était dès son origine une organisation bureaucratique, certes rudimentaire en moyens humains et matériels, mais intervenant en permanence dans une foule d’activités routinières et tatillonnes. Relais entre la direction parisienne et les sociétés sportives adhérentes, chargés d’organiser les calendriers des compétitions, désigner les arbitres, collecter les résultats des matches et les valider, arbitrer les réclamations et conflits de toutes sortes, les membres du comité régional étaient chargés en définitive d’imposer l’organisation unioniste, méticuleuse et impérialiste, à une foule de sportsmen naturellement tentés par des pratiques individualistes proches de l’anarchie. Cette action administrative continue et omniprésente exigeait l’existence d’une équipe soudée et permanente : le comité régional dut élire des Cettois à tous ces postes de gestionnaires, depuis son président, Louis Koster-Bencker, jusqu’aux membres des commissions, en passant par le secrétaire général Georges Bayrou. (Fig. 6 et 7)

Louis Koester-Bencker (coll. particulière)
Fig. 6 - Louis Koester-Bencker (coll. particulière)

L’efficacité administrative était à ce prix. Mais il se trouve que Cette était vouée essentiellement au football, et si la ville pouvait géographiquement parlant faire figure de charnière entre l’Ouest du rugby (Perpignan, Narbonne, Carcassonne, Béziers…) et l’Est du football (Nîmes, Alais, Montpellier…), les clubs de rugby pouvaient assez légitimement penser que la charnière favorisait indûment le ballon rond aux dépens du ballon ovale. Il n’est pas facile de détecter les tensions qui existent entre les deux sports au sein de la même Union, faute de sources suffisamment parlantes. Mais la politique générale de l’USFSA avait tendu à favoriser le rugby aux dépens du football, en grande part du fait de la dépendance de l’Union vis-à-vis des Britanniques, farouches amateurs en rugby, et promoteurs du professionnalisme en football. L’USFSA défendait un sport amateur et redoutait la contamination des joueurs anglais dans le football hexagonal. Toujours est-il que si l’USFSA dans ses plus hautes instances penchait vers le rugby, les membres les plus agissants du comité du Languedoc étaient très majoritairement des footballeurs.

Georges Bayrou (coll. du FC Sète)
Fig. 7 - Georges Bayrou (coll. du FC Sète)

A partir de 1909 et le retour de Paris de Georges Bayrou, on peut considérer que le Comité du Languedoc est dirigé par le duo Georges Bayrou-Jules Falgueirettes qui se partage les charges stratégiques de président et de secrétaire général. Tous deux sont des dirigeants de l’Olympique de Cette et s’intéressent essentiellement au football. La commission de football est installée un temps à Nîmes, à l’instigation d’Henri Monnier, mais est peut-être revenue à Cette avec la montée en puissance de l’Olympique. Quant à la commission de rugby, elle a été transférée en 1909 à Narbonne, c’est-à-dire au carrefour des axes de communication entre Aude, Pyrénées-Orientales et Hérault, et se réunit alternativement dans les 4 ou 5 villes concernées. Les Perpignanais Payra et Bausil en sont les têtes fortes.

Des dissensions s’expriment, de façon détournée, à l’occasion de la création, en 1912, d’un hebdomadaire créé à Cette à l’initiative de Georges Bayrou. Languedoc­Sport49 se présente comme « Journal de tous les sports » et, tout à la fois comme « Organe officiel du Comité du Languedoc de l’USFSA et de toutes les sociétés sportives du Midi ». (Fig. 8)

Manchette du Languedoc-Sport (ADH)
Fig. 8 - Manchette du Languedoc-Sport (ADH)

Ce journal a son siège social dans les bâtiments de la Chambre de commerce de Cette, au n°35 de la Grand Rue. Par la suite, il sera transféré dans un bâtiment qui héberge le siège social du Comité de l’USFSA, au n°45 Quai de Bosc. Son directeur est Jean Falgueirettes, 22 ans, fils d’un négociant vice-président de la Société Nautique de Cette.

A la suite de la publication des premiers numéros, les critiques fusent au cours des mois de septembre et octobre 1912 de la part de nombreux responsables associatifs qui lui reprochent une position ambiguë. En effet, l’USFSA diffuse déjà un journal officiel, Tous les Sports, auprès de toutes les sociétés sportives affiliées. Ce qui trouble les lecteurs est la présence éditoriale de plusieurs membres du comité USFSA qui s’expriment dans Languedoc-Sport en toute liberté, et affichent des opinions et des analyses parfois divergentes de la ligne de l’Union. Face à ces critiques qui entament la crédibilité du Comité et la cohérence du discours officiel, G. Bayrou est contraint de s’expliquer publiquement et fait paraître le communiqué suivant : « A la suite de certaines polémiques engagées dans un journal sportif édité à Cette, le Languedoc-Sport, il a paru se créer dans l’esprit de certains clubs l’idée que le Comité du Languedoc pouvait être quelque chose dans la publication de cet organe. En conséquence le Comité du Languedoc déclare :

1 – Que la direction, l’Administration et la publication sont complètement étrangères au Comité du Languedoc ; 2 – Que monsieur Jules Falgueirettes, président du Languedoc, n’a rien de commun avec Jean Falgueirettes, directeur de ce journal ; 3 – Que seule la partie officielle : réunions, décisions du Comité, est communiquée au « Languedoc-Sport » ; 4 – Que tous les articles qui pourraient émaner d’un quelconque des membres du comité sont publiés sous sa responsabilité personnelle et n’engagent en rien le Comité du Languedoc » 50.

La parution de Languedoc-Sport est à mettre en parallèle avec la publication, en 1908, à Toulouse, du Journal des Sports, organe de propagande et de défense sportives qui devient « l’organe officiel des sociétés sportives du Midi de la France » à l’automne 1909. Pour ces deux publications, le fait d’indiquer qu’il s’agit de l’organe officiel du Comité du Languedoc ou du Comité des Pyrénées de l’USFSA, renforce la confusion. Ils obéissent manifestement à une stratégie commune et opèrent des rapprochements significatifs : Le Journal des sports toulousain publie en 1909 la liste de ses collaborateurs… dont un certain G. Bayrou, spécialiste des articles sur le Football-Association.

Les deux périodiques ont souhaité mieux maîtriser et développer la pratique sportive en diffusant un discours plus accessible et motivant en direction de la population du Midi.

L’intérêt de telles publications est de donner de la vie au récit sportif et de solliciter l’imaginaire du lecteur, contrairement au journal officiel de l’Union qui ne donne que des résultats secs et qui s’étend sur les contraintes réglementaires et organisationnelles. Par ses commentaires parfois partisans sur les prouesses des équipes régionales, ils développent les éléments d’une identité d’appartenance territoriale et permettent un processus d’individuation pour les jeunes générations en glorifiant et modélisant les héros sportifs du lieu. Mais surtout en s’adressant potentiellement à la masse des sportifs non affiliés, ils se donnent la possibilité de prendre leurs distances avec l’USFSA en développant librement les linéaments d’une politique sportive alternative 51.

Nous ignorons évidemment le contenu éditorial du Languedoc-Sport durant ces trois années d’existence. Mais on peut imaginer que le journal exprima des désaccords entre rugbymen et footballeurs.

Toujours est-il qu’un conflit ouvert éclate en 1913, provoqué par Alphonse Vigneron, un postier originaire de Lille qui s’investit dans les années autour de la guerre dans la promotion du rugby. Après avoir créé au sein du SC Nîmes une section de rugby qui ne dura pas, il récidive à Cette avec un Rugby Club Cettois en 1912. Durant l’été 1913, il organise des fêtes athlétiques qui ont un grand succès, avec la présence de champions connus, dont Jean Bouin venu de Marseille. Et à côté de son équipe de rugby qui rencontre une équipe réserve de l’AS Perpignanaise, il met sur pieds des équipes de football. Fort de ce coup d’éclat sportif qui met son club en pleine lumière, Vigneron passe à l’attaque en utilisant les colonnes du Journal des Sports toulousain, en octobre 1913, et dénonce « Le peu d’encouragement qu’il reçoit de son œuvre utile et désintéressée par les dirigeants du Comité du Languedoc que naïvement jusqu’à ce jour nous nous figurions être là pour favoriser le développement du sport sous toutes ses formes ! Il est vrai que le Comité du Languedoc de l’USFSA est également le Comité de l’Olympique de Cette pour lequel en dehors de l’association il n’y a guère de salut ! (…) Nous souhaiterions cependant que les Pontifes du Languedoc aient la pudeur de se souvenir qu’en cette qualité, ils représentent surtout des rugbymen. » Et il ajoute que « ses deux équipes d’association [sont] composées uniquement d’éléments régionaux sans importation d’étoiles venues à grands frais d’outre-Manche ou d’ailleurs ! » La pique vise explicitement la politique de l’Olympique de Cette qui, grâce à son entraineur-joueur Gibson, fait venir du Royaume-Uni de bons joueurs capables d’élever le niveau technique du club 52.

Les soupçons de professionnalisme larvé s’attachent à l’OC dès avant la guerre, et Vigneron enfonce le clou en portant plainte contre l’Olympique de Cette auprès du bureau du Conseil national de l’USFSA. Ce dernier renvoie la balle au comité du Languedoc qui manifeste sa « surprise » et met en débat cette question embarrassante. Le bureau du comité réagit mal au fait que cette dénonciation ait été directement présentée aux instances nationales. Cette attitude ne lui paraît pas conforme à « l’honnêteté sportive » ni à « la bonne courtoisie que l’on se doit entre membres d’une même assemblée » et il décide sans attendre les conclusions de l’enquête de suspendre « de toutes fonctions officielles dans le comité du Languedoc » Alphonse Vigneron, Noël Bergès et Georges Fornt. En janvier 1914, Marius Bordes 53 est chargé par le bureau régional d’enquêter sur les allégations du Rugby Club Cettois. Bordes conclut à l’incapacité de Vigneron et de ses amis à faire la preuve du délit de professionnalisme des footballeurs de l’Olympique, et l’affaire en restera là, la déclaration de guerre venant mettre fin à la controverse. La dernière assemblée générale du comité régional, en juin 1914, se tiendra en l’absence des représentants du rugby cettois.

Le conflit entre rugby et football au sein du comité du Languedoc est aussi dû pour une bonne part à des raisons financières. Le rugby est le sport qui génère le plus de recettes, et de loin, et finance donc les autres sports déficitaires, ainsi que le football.

Cette situation privilégiée du rugby est due au fait que les meilleurs clubs languedociens ont su investir dans des installations sportives de qualité.

Ainsi le FC Lézignan, présidé en 1905 par « le richissime Cassan, gros négociant en vins » 54 bénéficie dès 1908 d’un terrain clôturé avec tribune et vestiaire en bois. Au même moment, en 1909, les dirigeants de l’AS Perpignan se dotent d’une tribune en dur pour leur stade de la route de Thuir (l’actuel stade Jean Laffon) 55. A Béziers, c’est Louis Viennet qui rassemble un groupe d’investisseurs locaux pour installer un Parc des Sports, route de Villeneuve ; pour lancer la saison 1913-1914, « le terrain superbement aménagé par l’ASB ouvrira demain dimanche ses portes aux nombreux Biterrois amateurs de jeu de rugby. Dans ce cadre merveilleux entouré d’arbres superbes (…) le terrain spécialement aménagé cet été, et sur lequel pousse une abondante pelouse, sera à tous les points de vue parfait. Une palissade complètement neuve l’entoure de tous côtés, ce qui lui donne très bel aspect. » 56

A Carcassonne, comme à Narbonne, avec son terrain de Maraussan, les terrains de rugby sont a minima clôturés et permettent des recettes substantielles lors des grands matches.

C’est surtout à Perpignan que les matches de rugby font recette : 10 000 spectateurs auraient été comptabilisés lors d’une rencontre de l’ASP avec le club de Lyon en phase finale du championnat de France. Mais l’AS Béziers, qui n’a pas la même réputation, peut accueillir un millier de spectateurs contre une équipe toulousaine, puis 2 000 contre le SO Perpignan en février 1913. Le club propose des tarifs attractifs : pour un match accompagné de séances d’entrainement des équipes réserve, l’entrée générale est à 0,25 Frs (chaises à 0,50 Frs). (Fig. 9)

Face à ces clubs de rugby, seul ou presque d’Olympique de Cette est en mesure de présenter un stade du même type. Dès 1908, des tribunes de 300 places seront construites sur le terrain de la route des casernes 57.

Jules Cadenat capitaine de l’AS Béziers (coll. particulière)
Fig. 9 - Jules Cadenat capitaine de l’AS Béziers
(coll. particulière)

Le bilan budgétaire du Comité du Languedoc pour l’exercice de mai 1913 à mai 1914 donne certaines indications chiffrées précises qui confirment la prépondérance du rugby en matière de recettes :

Dans une intervention publiée dans la revue Tous les Sports, Georges Bayrou donne une analyse intéressante de la logique financière de son budget : « Il ne faut pas diminuer le nombre des rencontres dans les championnats régionaux, elles ont un intérêt sportif et financier. Le bénéfice sert à favoriser les autres sports : la course à pied, la natation, les sports militaires et scolaires. » 58 Assurément, mais on peut comprendre que les dirigeants des clubs de rugby, grands pourvoyeurs de richesse, se sentent insuffisamment considérés par le Comité cettois 59.

Les dissensions internes font silence pendant les premières années de guerre, jusqu’à la reprise de ses activités par l’USFSA au printemps 1916. Le 3 mars, le journal Tous les Sports est à nouveau publié. Son n°1 « Edition de Guerre », comporte un éditorial qui rappelle l’interruption des activités de l’USFSA au cours de la première semaine du mois d’août 1914 pour « fait de guerre » et du départ dans leurs régiments respectifs des dirigeants et des athlètes mobilisés. Il est rappelé qu’au cours de l’année 1915, ceux dont « l’âge, la maladie ou la faiblesse de constitution » et les « blessés » momentanément retenus dans leurs foyers ont permis de « reconstituer la plupart des rouages disparus » et qu’il est devenu de l’intérêt de l’Union de faire savoir ce qui se fait et de faciliter les liaisons entre les comités régionaux et le bureau de l’Union… « Pour une meilleure préparation physique des soldats ».

Un comité de transition

Aussitôt, le 5 mars 1916, un comité « provisoire pour le temps de guerre » est fondé à l’initiative de dirigeants de l’Association Sportive Biterroise (ASB), de l’Association Sportive Perpignanaise (ASP), des White Devils Perpignanais (WDP), du Stade Olympien Perpignanais (SOP) et du Racing Club Agathois (RCA). Les sociétés suivantes s’étaient excusées et « approuvaient d’avance les décisions prises » : Association Sportive Carcassonnaise (ASC), Racing Club Narbonnais (RCN), Union Sportive Castelnaudarienne (USC) et Club athlétique Montpelliérain (CAM). Il est à noter qu’à l’exception du RC Agde et du CA Montpellier, tous les clubs cités pratiquent le rugby. Le bureau qui est constitué se compose du journaliste Albert Bausil, de Perpignan, nommé président, et de 4 Biterrois : le chef d’entreprise Henri Bru, le négociant Émile Aïn, l’employé de commerce Pierre Jean, et Georges Dupuy faisant office de trésorier. (Fig. 10)

Ce comité de transition, comme le souligne le compte rendu de la première réunion, fait fi des anciens dirigeants du bureau d’avant guerre puisqu’aucun d’entre eux n’a été sollicité. Il s’agit d’une véritable rupture, car le siège social est transféré à Béziers, à l’adresse même du siège social de l’ASB : « Ainsi qu’il a été convenu avec le secrétaire général de l’USFSA, ce comité est élu pour la durée des hostilités seulement… la présidence effective, le secrétariat et la trésorerie sont centralisés à Béziers au siège du comité régional, café de France à Béziers »

Le comité n’organise que deux commissions : une de rugby et une autre de football. Il est proposé d’organiser des manifestations permettant de récolter des fonds pour les journées de soutien « aux poilus » en rugby et … en football sur l’insistance, en fin de réunion, de M. Gros (RC Agde) qui sera chargé d’y réfléchir et de contacter les clubs concernés. Les clubs de rugby prennent en charge la relève en oubliant un peu le football : c’est peut-être une manière de contester les priorités antérieures du comité régional ! Il faut aussi souligner que c’est l’élite des clubs de rugby qui souhaite relancer l’activité et qu’il ne s’agit pas pour l’heure d’agir en direction des jeunes débutants des petits clubs.

Albert Bausil, président de l’AS Perpignan (coll. particulière)
Fig. 10 - Albert Bausil, président de l’AS Perpignan
(coll. particulière)

Quelques semaines plus tard, dans un nouveau bulletin de l’USFSA, on relève la réaction de G. Bayrou qui, se sentant peut-être dépossédé de son pouvoir régional, lance un appel « aux clubs du Languedoc » pour réaffirmer son leadership, son patriotisme et surtout sa légitimité :

« Dirigeants, permettez à un vieux sportsman, au Président de votre région – loin de vous en ce moment – de vous donner un conseil.

Encouragez, entrainez les jeunes.

Le Languedoc possède une belle jeunesse sportive, grâce aux qualités et à l’éducation de leurs aînés. Aujourd’hui, plus qu’hier, l’avenir des sports repose sur la jeunesse. Travaillons donc pour plus tard, Voilà notre devoir !

Ne cherchons pas en ce moment à conquérir une épreuve en constituant nos équipes des meilleurs joueurs, au contraire formons nos équipes de demain.

Si nous savons développer les bons principes des jeunes, si nous savons les former, nous aurons les dignes remplaçants des aînés – si glorieux – chers camarades tombés au champ d’honneur. »

En éminent stratège, Bayrou occupe le terrain en faisant une proposition au bureau de l’USFSA le 8 août 1916 et signant « Le président du Comité du Languedoc »… alors que le journal officiel de l’Union indique bien que le véritable président provisoire est Albert Bausil ! La situation est donc confuse et G. Bayrou compte certainement sur ses très nombreuses relations au sein du conseil national de l’Union pour s’imposer. Il demande que soit créée, tant en association qu’en rugby, une épreuve appelée « Coupe Nationale » pour les jeunes de moins de 19 ans. Le bureau renvoie la proposition « pour étude » auprès des commissions centrales de rugby et de football. Les délibérations de la commission centrale de rugby du 11 septembre 1916 débouchent sur la création d’une « Coupe de l’Espérance » ouverte aux clubs champions de chaque région qui souhaiteront y participer. Chaque comité est chargé d’organiser des éliminatoires pour désigner le représentant de sa région.

Le 29 décembre 1916 60, G. Bayrou intervient une nouvelle fois pour rappeler sa position d’acteur incontournable dans la gestion de l’USFSA et en appelle à ne pas oublier la légitimité de ceux qui sont au front, tout en soulignant la solidarité nécessaire, voire le patriotisme, pour encourager la pratique sportive : « Le président du comité du Languedoc, vice-président de l’USFSA, s’incline respectueusement devant les deuils qui ont frappé si cruellement tous les clubs – Chers camarades tombés au Champ d’honneur. Il est de cœur avec tous dans les moments si pénibles à passer et forme des vœux pour tous les braves camarades remplissant si noblement et courageusement leur devoir envers la patrie. Que 1917 soit l’année de la victoire finale !

Il fait appel à tous ceux non mobilisés et mobilisés à l’intérieur pour continuer la bonne marche de la grande œuvre de l’Éducation Physique de la Jeunesse, sous la bannière de l’USFSA.

Il remercie vivement tous les dévoués sportsmen qui ont su, dans les moments si difficiles, maintenir et encourager la pratique des sports.

Il compte sur eux aujourd’hui plus qu’hier et autant que demain.

Georges Bayrou, État-Major, 16e C.A. secteur postal 138 »

Le 15 mai 1917, sur une proposition de G. Bayrou, décidément très actif, le Conseil de l’Union demande l’avis des comités régionaux sur le texte suivant : « Les épreuves officielles qui remplacent pendant la durée de la guerre les championnats régionaux et de France, seront disputées (dans tous les sports), par les jeunes français – âge maximum : dernière classe appelée sous les drapeaux… L’union organisera d’autres épreuves ouvertes à tous ». Bayrou relance donc, sous une autre forme, son attention en faveur des jeunes. Sa position au front ne l’empêche point de suivre de très près le fonctionnement du Conseil de l’Union au sein duquel il conserve une légitimité virtuelle. Mais il faut également souligner que l’ordre du jour de cette réunion porte sur un courrier du CFI 61 qui interdit, pour le département de la Seine, « tout match d’équipes premières ou secondes, les 20 et 27 mai… et de même toute rencontre interfédérale ou internationale d’équipes premières ». Cette interdiction vise à donner à la « Coupe de Guerre » 62 l’ampleur qu’elle mérite. L’intervention de G. Bayrou semble inciter le Conseil de l’USFSA à la reprise en main de la formation des jeunes sportifs en contrepoint de l’action du CFI dans ce domaine.

Le 17 septembre 1917, le comité provisoire du Languedoc de l’USFSA se réunit sous la présidence d’Henri Bru. Le président Albert Bausil et l’ancien vice-président Hans Rettmeyer, de Carcassonne, se sont excusés de leur absence en raison de contraintes impératives. Sept clubs sont représentés dont le FC Cette, et trois sont excusés dont l’Olympique de St André de Sangonis.

Le calendrier des rencontres de la « Coupe de l’Espérance » est mis au point (elle concerne les équipes premières de 1re série de rugby) et le principe est arrêté d’un championnat des cadets, toujours en rugby, opposant les équipes 2èmes des Clubs de 1re série. En football, la Coupe du Languedoc est réactivée et l’organisation en est confiée à la commission sportive de ce sport. Les commissions de rugby et de football sont maintenues dans leur composition actuelle : un représentant par club dans chacune d’elles. A la demande des représentants des clubs de Perpignan et de Narbonne, le lieu de réunion de la commission de rugby est fixé à Narbonne. Toutefois, le Languedoc est absent de la Coupe Nationale de football au cours de la saison 1917-1918. Durant cette période, le rugby languedocien tente d’investir la commission centrale de rugby au sein de laquelle il n’a jamais eu de représentant. Ainsi, Jean Payra, membre fondateur de l’AS Perpignan en 1902, présente sa candidature, qui est appuyée par G. Bayrou au cours d’une séance du conseil de l’Union.

Ce que l’on peut retenir de ce comité provisoire, c’est que le coup de force des clubs de rugby pour reprendre la main n’a pu enrayer la désaffection des sportifs languedociens vis-à-vis de l’USFSA. Le nombre de clubs participant activement à ses travaux est infime, très inférieur à la cinquantaine d’adhérents d’avant-guerre. De plus, les footballeurs ont fait désertion, probablement découragés par la mise à l’écart des dirigeants cettois.

À la fin de la guerre, Georges Bayrou est placé en congé illimité à Cette, par l’autorité militaire, à dater du mois de mai 1919. Dès ce retour, il peut entreprendre de retrouver les responsabilités qu’il assumait au sein du mouvement sportif. Le 25 mai 1919, le bureau provisoire de l’USFSA étant dissous, G. Bayrou est élu président du Comité du Languedoc 63 (et le 1er août 1919, vice-président de l’USFSA). Le secrétaire-trésorier est le Cettois Louis Taillan.

Le nouveau bureau est également composé des vice-présidents, le Dr Marius Bordes, Jules Falgueirettes, Félix Cortade qui retrouvent leurs prérogatives passées. Les délégués au Conseil sont Gustave Saacké (O Cette), Jacques Gratia (USA Perpignan) et Jules Cadenat (AS Béziers). Mais 17 sociétés seulement sont régulièrement affiliées. Cette composition du bureau est entérinée à l’occasion de l’AG du 5 juillet 1919 qui s’est tenue à Béziers et permet de confirmer la place de Louis Koester-Benker à la présidence honoraire.

LFMA contre USFSA

Les remous qu’a connus le comité du Languedoc ne sont pas seulement l’expression de rivalités entre les deux grands sports gérés par l’Union. L’affaiblissement de l’USFSA perceptible pendant la guerre résulte aussi d’insatisfactions profondes ressenties par les uns et les autres. Côté football, nous avons déjà évoqué les frustrations ressenties par des pratiquants qui se jugent insuffisamment reconnus, d’autant que la politique très maladroite de l’Union à l’égard du CFI a pendant quelques années laissé les clubs et joueurs unionistes à l’écart des rencontres internationales ; et quand l’USFSA a fini par rejoindre le giron du CFI, ce fut pour constater que la place qui lui était accordée ne correspondait pas à ses ambitions. Mais du côté des rugbymen, les enfants chéris de l’Union, l’insatisfaction était aussi forte, pour d’autres raisons. Ce qui se jouait depuis vingt ans autour du ballon ovale, c’était un match Paris-Province que les ruggers du Midi jugeaient régulièrement biaisé en faveur des Parisiens, saison après saison. Malgré les résultats implacables des championnats qui affichaient la prééminence des clubs du Sud-Ouest, Bordeaux, Toulouse, Tarbes, Bayonne ou Perpignan en 1914, l’équipe de France continuait de sélectionner des « Parisiens », par facilité et souci d’économie. L’exaspération à l’encontre des dirigeants a joué assurément dans l’affaiblissement de l’Union, trop éloignée à tous points de vue du centre névralgique du rugby qu’était devenue Toulouse. Il semble donc bien que la rivalité entre football et rugby s’est compliquée d’une alliance de circonstance, plus ou moins occulte, des leaders des deux sports contre le pouvoir central du Conseil national de l’USFSA.

Il est alors intéressant d’examiner comment ces grandes manœuvres institutionnelles ont été vues depuis le Languedoc à partir de 1916.

Le 29 novembre 1916, L’Éclair de Montpellier publie l’article suivant :

« Football association. – Nos lecteurs ont sans doute entendu parler de la campagne que mène actuellement le journal Rugby de Toulouse en faveur du football association dont le développement est intimement lié à la création d’une ligue spéciale. Ce projet est à la veille d’être une réalité, et à partir du 1er décembre, nous aurons la Ligue du Midi de Football Association dont le but peut se résumer : « Union exclusivement méridionale, direction méridionale, une seule Fédération par sport. » Si nos renseignements sont bien exacts, les principaux clubs du Midi ont promis leur concours et participeront à la création de la LMFA. Le Midi sera divisé en trois districts : Bordeaux, Toulouse, Montpellier. Le district de Montpellier comprend les Pyrénées-Orientales, l’Aude, le Gard et l’Hérault. Toutes les personnes qui s’intéressent aux sports, ainsi que les clubs de ces régions qui désireront voir prospérer le football association sont invitées [sic] à envoyer leur adhésion de principe le plus tôt possible à M. Rongier, 3 rue Joachim Colbert, Montpellier, délégué provisoire du district. »

Cette première annonce est suivie d’une seconde le 18 décembre, toujours dans l’Éclair, qui informe qu’une première réunion s’est tenue le dimanche précédent pour former un bureau :

« Un comité de sélection a également été constitué. Le congrès fondamental se réunira le 24 décembre à Bordeaux.

L’entrée de la LMFA au CFI va augmenter l’intérêt de la saison sportive et créer une saine émulation dans la jeunesse. Pour la première fois, une équipe entièrement méridionale disputera aux Parisiens la suprématie dans la nouvelle Coupe de Guerre réservée aux classes non mobilisables. Parmi les grands matches qui seront disputés par l’équipe représentative de la LMFA, nous pouvons annoncer d’ores et déjà Ligue contre Ligue de Paris qui se jouera à Bordeaux et Ligue contre Ligue de Provence qui se jouera à Montpellier.

Le championnat du Midi commençant en janvier, les listes d’adhésions seront closes le 31 décembre 1916. »

De fait, l’organisation quelque peu précipitée prend les clubs de court, et il semble bien que le premier championnat du district de Montpellier se soit joué entre 3 clubs : le Stade Montpelliérain, le Daring Club Cettois, qui joue sur l’ancien stade de l’Olympique, et le Red Star Alaisien qui vient jouer à Nîmes. Toujours est-il que le vainqueur de la finale SM – RSA « sera champion du Midi, district de Montpellier. Il devra rencontrer les vainqueurs des districts de Toulouse et Bordeaux pour le titre définitif de champion du Midi » 64.

Mais le mouvement est enclenché, et au printemps 1917, la presse montpelliéraine se félicite : « Une grande société sportive est en voie de formation dans notre ville. Nous pouvons annoncer qu’elle sera sous la présidence de M. Henri Gasqueton, président de La Vie au Grand Air du Médoc, à Bordeaux et de la Ligue du Midi de Football Association. Ce nouveau club prend le nom de Vie au Grand Air du Languedoc, et se présente comme société omnisports et particulièrement intéressée par l’athlétisme et la préparation militaire. Les autorités lui concèdent l’utilisation du Parc à Ballon, terrain de manœuvre du 2e Génie ». Le club fusionne vite avec l’Olympique Montpelliérain, mais il participe durant la saison 1917­-1918 au championnat LMFA en compagnie de plusieurs clubs nouvellement engagés : le FC Cette, le Stade Cettois, le Sport Club Cettois, le FA Nîmes, l’Etoile Sportive Nîmes, le CA Montpellier, le Sporting de Vauvert… (Fig. 11)

Le magazine Rugby et la LMFA (coll. particulière)
Fig. 11 - Le magazine Rugby et la LMFA (coll. particulière)

L’entreprise de la LMFA n’a pas connu un succès considérable, même si elle a attiré quelques clubs languedociens de qualité, mais elle est une pièce significative du jeu institutionnel qui se joue alors dans le Sud-Ouest. Il particulièrement intéressant que l’hebdomadaire toulousain Rugby, dès son premier numéro paru début octobre 1916, au début de la saison des sports collectifs, fasse une place en première page au dirigeant girondin Henri Gasqueton, qui plaide pour une relance du football, « ce sport dont la vogue n’est pas encore très grande dans le Midi ». La raison de ce retard régional ? C’est « qu’aucune organisation vraiment sérieuse ne s’est pas encore constituée… Un Comité spécial, par une propagande active, des championnats, des réunions internationales et de sélection, donnerait à ce sport la vie à laquelle il a droit ».

On voit que la critique vise l’USFSA qui est responsable de la diffusion du football dans le Midi. Gasqueton, qui engage le dialogue avec les lecteurs du magazine, revient à la charge dès le numéro 3 en argumentant plus explicitement :

« … je vais par une suite de questions et de réponses, résumer tous les arguments qui ont été soulevés.

Pourquoi créer une société d’encouragement au football association ?

– Parce qu’il n’en existe pas chez nous.

Pourquoi la limiter au Midi ?

– Parce que, pour qu’une action soit efficace, il faut qu’elle soit localisée. Le Midi est une délimitation géographique basée sur la communauté de tempérament et d’aspiration qui a sa raison d’être.

Les Fédération

– L’USFSA fédération « omnisports » de par sa constitution, ne peut rien pour l’association ; inutile de prolonger une expérience désastreuse.

Cette idée a-t-elle été déjà mise en pratique ailleurs ?

– Oui, à Paris, la Ligue de Football Association s’est créée depuis plusieurs années et connait une grande prospérité. La plupart de ses Sociétés sont des dissidents de l’USFSA… » 65.

L’auteur fait remarquer au passage que les organisations omnisports sont appelées à disparaitre rapidement, au profit de fédérations spécialisées.

Il apparait bien au fil des interventions d’Henri Gasqueton dans les colonnes de Rugby, que sa Ligue du Midi est une machine de guerre contre l’USFSA. La LFA est une réponse au désintérêt de l’Union vis-à-vis du football, mais cette opposition se manifeste aussi sur un autre plan. La LFA originellement parisienne cherche à essaimer en provinces. En même temps que la Ligue du Midi se créent une Ligue du Nord, une Ligue de Provence, etc., dotées d’une large autonomie, et qui sont autant de réponses au centralisme autoritaire de l’USFSA. Girondins contre jacobins, les organisations sportives reprennent à leur compte les débats sur le régionalisme que ce début de siècle a vu proliférer. Le Midi de Gasqueton – plus exactement un Sud-Ouest délimité par une ligne Nîmes-La Rochelle – se voit affublé d’un « tempérament » propre qui justifie le succès du rugby autour de Toulouse. Pourquoi alors ne pas rêver d’un destin identique pour le ballon rond, surtout si l’on jette un coup d’œil au-delà des Pyrénées proches vers Bilbao ou Barcelone.

C’est au nom de ces ambitions régionalistes que se cristallise la rancœur des rugbymen à l’encontre de la direction parisienne de l’USFSA. Des revendications périodiques veulent faire de Toulouse le centre névralgique du rugby français 66, et les Catalans ne comprennent pas qu’en 1912, le comité du Languedoc et l’AS Perpignan soient encore classés en 2ème série.

Les témoignages de cette insatisfaction sont légion, et nous ne citerons que cet article 67 d’Albert Bausil, le publiciste perpignanais, dont le Cri catalan a accompagné de sa verve l’ascension du rugby roussillonnais : « Pauvre Paris… Aucun Parisien n’est classé dans le cadre glorieux des champions nationaux… (Rugby, association, cross-country). C’est là le meilleur camouflet que puisse recevoir le cénacle omnipotent de ces dictateurs de l’USFSA !

…Et maintenant, messieurs de l’USFSA ! Avant de promulguer vos lois pour la saison prochaine, avant d’établir arbitrairement les centres de rencontre et de choisir les équipiers internationaux, relisez, relisez avec sang froid (car vous ne devez plus avoir le sourire, n’est­ce pas) la petite liste ci-dessus…

Messieurs de l’USFSA ne négligez pas le Midi… Bordeaux Toulouse et Marseille ont fait parler d’eux cette année… Riez tant qu’il vous plaira de nos prétentions ! Blaguez Gascons et Marseillais suivant la traditionnelle et quelque peu désuète plaisanterie : vous connaissez la réponse de la Garonne et celle de la Canebière ! Nous pensons pouvoir l’année prochaine, établir pour votre gouverne une petite liste dans le style de celle d’aujourd’hui… Il paraît que vos commissions centrales ne sont que de petites cuisines où vous élaborez en famille des combinaisons de votre goût.

Nous faisons fi de vos cuisines. Et nous espérons, en 1910, comme en 1909 cueillir tant de lauriers que nous ne vous en laisserons plus pour vos sauces ! »

Conclusion

Nous avons cherché à saisir des traces, multiples et diverses, de ce que fut la pratique des sports dans le Midi pendant ces années de guerre. Le tableau est certes incomplet, et des zones blanches subsistent. Mais quelques lignes de force se dessinent cependant. En essayant de repérer au plus près des acteurs du monde sportif régional, ce que furent leurs activités et aussi leurs préoccupations, on ne peut manquer d’être saisis par leur éloignement de la guerre. Certes, les journaux consultés ne manquent pas d’égrener périodiquement la liste des athlètes morts ou blessés, et des appels au recueillement sont lancés régulièrement. Mais « la vie continue » chez les adolescents laissés libres de courir après un ballon, et les terrains de football ou de rugby apparaissent comme le cadre de bagarres de cours de récréation. Sans parler de frénésie de dépense physique, il faut constater que les rencontres sportives n’ont en rien baissé pendant la guerre. Tout au plus ont-elles renoué, en l’absence de cadre organisé, avec des formes anciennes, ou traditionnelles, de face-à-face agonistique, que le contexte de la guerre ne parait pas avoir significativement aggravé. Le spectacle sportif qui est offert pendant la guerre draine des publics très variables selon les stades et la qualité de leurs aménagements. Mais tout semble indiquer qu’il participe des loisirs du dimanche après-midi, aussi bien en ville que dans les villages où se créent des clubs de sport.

Le jeu des organisations sportives, que nous avons tenté de saisir tant au sein de l’USFSA que dans ses rapports avec des fédérations concurrentes, montre la force de l’attachement des dirigeants à l’idée de promotion du sport. Leur engagement dans les institutions sportives est de nature à légitimer la pratique des sports pour et par elle-même. Si le sport est un jeu, les acteurs que nous avons rencontrés « se prennent au jeu » et s’y engagent sans restriction : c’est là l’une des conditions essentielles qui permettent de penser le monde sportif come un « champ » 68, c’est-à-dire un univers suffisamment autonome pour ne pas être essentiellement déterminé par le contexte extérieur. Dans cette période de guerre, bien des indices mettent en évidence la méfiance de nombre de responsables de sociétés sportives à l’égard de la militarisation de leur activité. Rugby se fait ainsi le porte-voix de dirigeants sportifs en grand nombre qui protestent fermement contre une loi de 1916 sur la préparation militaire obligatoire (PMO), dont le ministère de tutelle voudrait leur confier la responsabilité et l’application au détriment de leurs activités propres. Sur ce sujet brûlant, l’USFSA est accusée de ne pas prendre clairement position et de ne pas défendre l’argument des sportifs : la PMO à l’école, soit, mais le sport offre une formation physique et morale bien supérieure à l’embrigadement par la formation au pas cadencé.

Cette autonomie s’est traduite dans une histoire des institutions sportives qui a obéi à ses logiques propres. La guerre n’est probablement pour rien, ou presque, dans le bouleversement du paysage : le sport français dominé en 1914 par de grandes fédérations multisports héritées des sportsmen de la Belle Époque, s’est retrouvé en 1920 éclaté en une multiplicité de fédérations mono-disciplinaires. Ce processus de spécialisation s’est accompli sous la pression des logiques d’action d’organisations qi ont vu dans leur indépendance la clé de leur développement. La maison commune de l’USFSA s’est vidée de ses locataires en quelques courtes années sous la pression d’un trop-plein étouffant. L’État n’y était pour rien. En l’absence d’une histoire de l’USFSA, qui pourrait saisir ce mouvement dans son ensemble, les plongées ponctuelles peuvent éclairer certaines de ses facettes.

A une échelle plus locale, nos investigations montrent un sport languedocien sans grand relief, d’où émergent tout au plus deux pôles bien visibles : le printemps 1914 a vu s’épanouir le rugby catalan, avec le titre national pour l’Association Sportive Perpignanaise, et le football cettois avec un Olympique parvenu en finale du championnat de l’USFSA. Les deux clubs étaient déjà suffisamment armés pour passer l’épreuve de la guerre et reprendre leur ascension dans les années 20 : dans les deux cas, a été déterminante l’existence durable d’un groupe de dirigeants ambitieux qu’a peut-être façonné un contexte propice. Et plus peut-être que des déterminations économiques, conviendrait-il de mettre l’accent sur les réseaux denses de villages ouverts à la culture citadine et à une petite bourgeoisie agissante, qui ont été le terreau dans lequel ont recruté les grands clubs : le fait est que la grande guerre a vu naître une effervescence sportive plutôt inattendue.

NOTES

1. Hubscher, Ronald (sd), L’histoire en mouvements. Le sport dans la société française (XIXe-XXe siècles). Armand Colin, 1992.

2. Dumons, Bruno, Pollet, Gilles et Berjat, Muriel, Naissance du sport moderne, La Manufacture, Lyon, 1987.

3. Arnaud, Pierre, Camy, Jean (éds.), La Naissance du Mouvement Sportif associatif en France, Actes du colloque de Lyon, 5-8 novembre 1985, PU Lyon, 1986

4. Tétart, Philippe (sd), Histoire du sport en France (2 vol.), Vuibert, 2007.

5. Ibid. p. 57.

6. Gaugain, Jean-Claude, Jeux, gymnastique et sports dans le Var (1860­1940). L’Harmattan, 2000.

7. Qui ne trouve pas d’équivalent pour la Seconde guerre mondiale, la période d’Occupation et le régime de Vichy figurant au contraire comme une phase originale de l’action de l’Etat dans l’organisation de la pratique sportive.

8. Pierre Bourdieu a été l’un des tout premiers sociologues « généralistes » à s’intéresser au sport, et même si ses contributions sont rares (essentiellement : « Comment peut-on être sportif ? » in Questions de sociologie, Minuit, 1980, pp. 173-195 ; « Programme pour une sociologie du sport », in Choses dites, Minuit, 1987, pp. 203-216), son influence a été capitale dans le milieu des enseignants-chercheurs des STAPS qui ont très longtemps eu le monopole de fait des études sur le sport. Quant à Norbert Elias, qui était connu en France pour ses ouvrages historiques sur la société de Cour et le processus de civilisation, la publication en 1994 de Sport et civilisation. La violence maîtrisée (en collaboration avec Éric Dunning, paru en anglais en 1986), a renforcé l’hypothèse d’une spécificité du « sport moderne » par rapport aux formes antérieures de loisir. L’un des auteurs les plus représentatifs de ce courant historiographiques est certainement Georges Vigarello, venu du monde de l’Éducation physique, et passé dans celui de l’Université et de l’EHESS : cf. son Du jeu ancien au show sportif, Seuil, 2002. Il convient toutefois de noter que bien des historiens restent imperméables à cette bipartition entre jeux anciens et sports modernes, non sans arguments. D’aucuns ne craignent manifestement pas de succomber au pêché d’anachronisme, tels les spécialistes des Jeux olympiques antiques (cf., entre autres : Violaine Vanoyeke, La Naissance des Jeux olympiques et le sport dans l’Antiquité, Les Belles Lettres, 1992 ; Jean-Paul Thuillier, Le sport dans la Rome antique, Errance, 1996. Quant aux médiévistes, Les sports et jeux d’exercice dans l’ancienne France de Jusserand (1901) ne sont pas restés sans postérité : cf. de Bernard Merdrignac, Le sport au Moyen-Âge, PU Rennes, 2002 ; sans oublier le choix de Georges Duby d’analyser en termes purement sportifs les tournois auxquels participa son héros Guillaume le Maréchal, Fayard 1984.

9. Poirrier, Philippe (sd), La Grande Guerre. Une histoire culturelle, Éditions universitaires de Dijon, 2005.

10. Cent ans de sport dans l’Hérault, numéro hors série 2010, en particulier l’article de Christian Guiraud et Guy Laurans, « Il y a cent ans : entre jeux et sports, un panorama », pp. 31-59.

11. Sans entrer dans les débats récurrents depuis la fin du XIXe siècle, il convient selon nous d’exclure des sports la gymnastique, qui est la discipline alternative aux sports, en tant que pratique d’ensemble de type scolaire et paramilitaire à laquelle s’opposaient la grande majorité des sportsmen ; nous laissons aussi de côté des pratiques élitistes telles que le tennis, l’escrime ou le sport automobile, pour ne retenir que les activités en cours de démocratisation et susceptibles de toucher un vaste public.

12. Laurans Guy, « Le « boulisme » : de la lyonnaise à la pétanque », Cent ans de sport dans l’Hérault, op. cit. pp. 81-97.

13. La Vie Montpelliéraine et Régionale, 23 mars 1913.

14. Nous renvoyons à Guiraud, Christian, « L’histoire singulière d’un sport de « tradition” régionale : le tambourin », Cent ans de sport dans l’Hérault, op. cit., pp. 109-119.

15. Une fédération ne verra le jour qu’au lendemain de la guerre. Comme pour le boulisme, cette organisation se dédoublera très vite en deux fédérations rivales, l’une à Montpellier et l’autre à Pézenas. C’était trop pour un sport strictement local, et ce conflit, aux racines en partie politiques, affaiblira considérablement le jeu de tambourin tout au long de l’entre-deux guerres.

16. Des analyses plus poussées dans Laurans, Guy, « Le concours de tambourin de Pézenas », sur le site internet du Languedoc sportif : http://lelanguedocsportif.org/articles/histoire-du-sport/57-tambourin-pezenas.

17. L’UVF a également créé une catégorie de coureurs « indépendants” susceptibles de recevoir des prix en nature ou en espèces, de façon à réguler les tentatives d’amateurisme « marron ».

18. Les plus proches se trouvent à Toulouse et Montauban à l’ouest, Marseille et Pertuis ou Plan d’Orgon à l’est. Source : Bulletin officiel de l’UVF.

19. Poyer, Alex, « La structuration fédérale du cyclisme associatif du Nord et du Pas-de-Calais entre 1881 et 1914 : priorité à la région ou à la nation ? », Revue du Nord, n°355, 2004/2, pp. 297-310.

20. Rappelons qu’à l’origine de l’implantation de ces deux sports, le football était un terme générique qui recouvrait deux variantes : le rugby (joué à XV avec un ballon ovale) et l’association (à XI et un ballon rond). Ce dernier terme a subsisté dans les dénominations des instances internationales : la FIFA et l’UEFA dirigent le « Football Association” respectivement au niveau mondial et européen.

21. Les premiers pas des sports collectifs à Cette restent assez flous ; une histoire officielle de l’apparition du football semble bien avoir effacé la mémoire d’un processus plus complexe. Lorsque le Petit Méridional lui consacre, le 5 janvier 1914, un article détaillé, c’est pour affirmer l’existence en 1895 d’un premier groupement de « football” (qui, à cette date, ne peut guère désigner que le football-rugby) ; puis Jean Dugrip et Jean-Louis Jullien fondent en 1900 un Football-Club adonné au ballon rond qui après fusion avec une Union Sportive plus récente, donnent naissance à l’Olympique. Mais encore en 1903­1904, cet ancêtre pratiquait à l’occasion le rugby, avec des rencontres victorieuses contre les Montpelliérains.

22. L’USFSA a choisi de s’organiser à partir de comités régionaux. Le nombre de ces comités s’accroît régulièrement jusqu’à la guerre, par détachements successifs d’un comité antérieur plus vaste, selon la densité géographique des nouveaux clubs adhérents. La prolifération des clubs de rugby dans le sud-ouest a ainsi donné lieu, à partir des comités originaires du sud-ouest (Bordeaux) et du sud (Toulouse) aux comités de Côte d’Argent, Côte basque, Périgord-Agenais, Pyrénées et Languedoc.

23. Pour plus de détails, voir de Christian Guiraud : « Le Comité du Languedoc de l’Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques », Cent Ans de Sport dans l’Hérault, op. cit, pp. 61-78 ; Christian Guiraud et Guy Laurans : « Sète et l’organisation du sport moderne en Languedoc (1906-1920) », Revue d’archéologie et d’histoire de Sète et sa région, XXX-XXXIII, pp. 131-151, Société d’études historiques et scientifiques de Sète et sa région, 2008.

24. Les sources relevant de l’USFSA sont très lacunaires et peu disponibles : pas de collections du bulletin Tous les Sports ni de l’Annuaire, d’ailleurs pas totalement fiable.

25. Les statistiques officielles de l’USFSA évaluent à une cinquantaine les clubs affiliés avant guerre. Mais il faut compter dans ce total quelques clubs de tennis ou autres.

26. Dans le Petit Méridional du 16 février 1914, le chroniqueur proteste contre la décision des autorités militaires montpelliéraines d’interdire le libre accès du champ de manœuvres de l’avenue de Toulouse : Il faudra désormais payer une location de 30 F, si la mesure n’est pas reportée.

27. L’expérience nous invite à la prudence : ce chiffre d’une soixantaine de clubs de football à la veille de la guerre est à prendre avec précaution, tout à la fois sous- et sur- estimé. Une investigation exhaustive de toute la presse locale dans le département sur toute la durée de la saison sportive (d’octobre à mai) étendrait assurément le nombre de clubs ayant joué des matche ; à l’inverse, nous savons combien ces équipes sont fragiles et fluctuantes, y compris dans leur appellation : d’un mois à l’autre, l’Union Sportive est peut-être devenue Association Sportive, le Sport Club s’est transformé en Sporting au gré de la fantaisie des équipiers… ce qui grossira indûment notre comptage.

28. Le Petit Méridional du 8 novembre 1913.

29. L’Éclair du 5 juin 1913.

30. Dans la presse d’avant-guerre, les chroniques sportives sont souvent tenues sous couvert d’anonymat. Par recoupements, il s’avère que Drive est le pseudonyme d’Henri Diffre, étudiant en fin d’études de médecine, sportsman éclectique, multiple champion régional de tennis, et gardien de buts de l’Olympique de Cette.

31. La Vie Montpelliéraine et Régionale (VMR), 15 janvier 1911.

32. Encore faut-il prendre le terme de club avec prudence : il ne s’agit pas toujours d’association organisée au sens actuel du terme ; il faut plutôt y voir une étiquette distinctive, éventuellement fluctuante, d’un regroupement de joueurs lui-même instable : les cas sont fréquents d’équipiers qui passent d’un club à l’autre au cours de la même saison, recrutés selon les circonstances et pour les besoins d’un match.

33. VMR, 26 février, 12 mars 1911.

34. Pour une analyse anthropologique du défi comme structure agonistique de relation sociale, se reporter à Guy Laurans, « Qu’est-ce qu’un champion ? La compétition sportive en Languedoc au début du siècle », Annales ESC, 1990, n°5, pp. 1047-1069.

35. Quelques mois plus tard, le Stade Michelet, vainqueur du championnat de Montpellier, fera match nul avec l’équipe réserve de l’Olympique de Cette.

36. L’Éclair, 6 janvier 1912. Cet argument publicitaire ne serait plus utilisable de nos jours, lorsque les supporters ne sont captivés que par les rencontres officielles qui garnissent d’ailleurs tout le calendrier.

37. Les rugbys dans l’Aude. Des origines à 1980, Archives départementales de l’Aude, Carcassonne, 1998.

38. Nous laissons de côté les sports d’été, qui n’apparaissent que de façon fortuite : pour l’essentiel, quelques courses cyclistes locales, quelques compétitions aquatiques, natation en rivière ou dans les canaux de Sète, et matches de water-polo, ainsi que des activités, boules ou tambourin, qui concernent des pratiquants plus âgés et non mobilisés. Un peu d’athlétisme aussi, qui parvient à maintenir un semblant d’organisation de championnats départementaux et régionaux sous l’égide de l’USFSA ou de la FGSPF, les fédérations multisports.

39. Dans le même sens, signalons un Daring à Cette, ville qui accueillit de nombreux refugiés belges. Le Daring était un des principaux clubs de Bruxelles.

40. L’USFSA organisa des épreuves inter-comités régionaux représentés par des sélections de leurs meilleurs joueurs de clubs. En 1916-17, la Coupe de l’Espérance accueillit la participation de 11 Comités situés en dehors des zones de combat. Mais la Coupe de l’Avenir, réservée aux jeunes joueurs des classes 1918-1920 n’aurait attire que 4 Comités, dont aucun du Sud-ouest. Cependant, en décembre 1916, plusieurs clubs des Pyrénées auraient joué la coupe de l’Avenir. Il est fort probable que ces compétitions nationales se heurtèrent aux difficultés de circulation et aux frais de déplacement sur de longues distances.

41. L’Éclair du 5 janvier 1916.

42. Le Petit Méridional du 4 janvier 1917.

43. L’Éclair du 27 novembre 1916.

44. L’Éclair des 14 et 20 novembre 1916.

45. L’Éclair du 22 novembre 1916.

46. L’Éclair des 15, 18, 20 avril, 1er et 3 mai 1916.

47. Le récit en est fait dans Laurans, Guy, « Qu’est-ce qu’un champion ? La compétition sportive en Languedoc au début du siècle », Annales ESC, n°5, septembre-octobre 1990, p. 1055.

48. En 1919, l’USFSA tente de se sauver en se proposant comme une union de fédérations : l’Union des Fédérations françaises de sports athlétiques (UFFSA). Mais à l’évidence, ce rôle de porte-parole était déjà joué par le comité olympique français et par le conseil national des sports.

49. Il semble bien que cette publication soit inconnue des services d’archives publiques. Le seul exemplaire disponible est conservé aux ADH, déposé par Robert Cortade, de Sète, à l’initiative de Christian Guiraud. Il s’agit du numéro 65 daté du 9 janvier 1914. Cet exemplaire a été conservé car il contenait un article sur Félix Cortade, secrétaire général du Comité régional.

50. Communiqué paru dans Tous les Sports, bulletin officiel de l’USFSA daté du 25 octobre 1912. A noter que Jean et Jules Falguirettes sont cousins germains et qu’Henri Bergeyron, le rédacteur en chef, est le neveu de Louis Koester Bencker.

51. Concernant la stratégie éditoriale de Bayrou, il est intéressant de noter que l’aventure de Languedoc-Sport ayant pris fin avec la guerre, le dirigeant cettois renouvela l’opération dès le début des années 20 en appuyant son jeune collègue Emmanuel Gambardella, autre cettois, dans la création du Languedocien Sportif, tout à la fois hebdomadaire d’actualités sportives régionales et support officiel du district régional de la toute jeune Fédération française de Football (FFFA, puis FFF). Un pied dans l’institution et un autre dehors, Gambardella et Bayrou y militèrent en faveur du professionnalisme.

52. Au printemps 1914, l’O Cette joue la finale du championnat de France USFSA contre l’Olympique de Lille ; 4 Britanniques figurent dans l’équipe : Gibson, Stevenson, Burnett et Butler, alors que tous les Lillois sont Français.

53. Le docteur Louis, Marius, Bordes, né en 1877 à Toulouse, soutient une thèse pour le doctorat en médecine en décembre 1908 à Toulouse. La même année, il est élu maire radical socialiste de la ville de Balaruc-les-Bains, où il est médecin consultant à la Compagnie des Eaux thermo-minérales. Un temps vice-président du comité du Languedoc, il est surtout un des premiers capitaines des équipes de rugby qui virent le jour au sein de la ligue athlétique du lycée de Toulouse. Installé en Languedoc, il continue son activité rugbystique comme arbitre. Il est donc de bonne politique de la part du bureau du comité de désigner ce rugbyman pour enquêter sur les soupçons de professionnalisme de footballeurs cettois.

54. Amila, André, Le rugby, des hommes, un club et sa légende, Lézignan, 2001.

55. Catala, Jean, « Perpignan… l’ovale », in Sala, Raymond et Ros, Michelle (éd.), Perpignan une et plurielle, Perpignan, Trabucaïre, 2004.

56. La Vie biterroise, n°470 du 18 octobre 1913.

57. Yves Dupont, La Mecque du football, ou Mémoires d’un Dauphin, Nîmes 1973.

58. Tous les Sports, 22 mai 1914.

59. La règle prévoit 1/3 des recettes par match pour le comité. Cette règle sera modifiée par G. Bayrou en 1911 et il sera demandé de verser un forfait pour chaque rencontre. Si ce nouveau calcul est toujours maintenu en 1913, les recettes enregistrées signifient que les clubs de rugby affiliés sont plus nombreux que ceux de football, et jouent davantage de matches.

60. Tous Les Sports, 29 décembre 1916.

61. Le Comité Français interfédéral regroupe plusieurs organisations gérant la pratique du football, dont la Ligue de Football Association (LFA) et la FGSPF des patronages. Il est aussi le représentant de la France auprès de la Fédération internationale de Football association (FIFA) et, à ce titre, a la mainmise sur l’équipe de France et les rencontres internationales.

62. Épreuve nationale et d’encouragement des footballeurs des classes non appelées, instituée par le CFI.

63. Cette Assemblée Générale se tient au nouveau siège du Comité : Café de Provence, 27 rue de l’esplanade à Cette.

64. Le Petit Méridional du 4 mars 1917. La finale est gagnée 1-0 par le Stade Montpelliérain.

65. Henri Gasqueton, « Clubs d’Association unissez-vous ! », Rugby n°3 du 21 octobre 1916.

66. Encore en 1919, lors de la réorganisation de l’USFSA, un vœu est émis pour installer à Toulouse le siège permanent de la commission centrale de rugby (refusé par les représentants des comités « du Nord »).

67. Paru dans Tous les Sports, le bulletin de l’USFSA, en 1910.

68. Le terme de champ est pris ici dans son acception formulée par Pierre Bourdieu. Su la possibilité d’un champ sportif, nous renvoyons à sa conférence « Comment peut-on être sportif ? », Questions de sociologie, éd. de Minuit, 1980, pp. 173-195.