Le retour de l’olivier, retour sur l’olivier

* Ethnologue au Service du patrimoine culturel du Conseil Général de l’Hérault
** Doctorante en Anthropologie, EHESS Toulouse

Introduction

Depuis les années 1980, l’oléiculture française connaît une forte relance. Chacun peut aisément le constater, en traversant les régions méditerranéennes, tant la reconquête de l’olivier est sensible dans le paysage, qu’il s’agisse de la remise en culture d’anciennes oliveraies abandonnées ou de la plantation de nouveaux arbres. Dans l’Hérault, comme dans les régions voisines, ce renouveau s’appuie sur le souvenir demeuré vivace d’une oliveraie prospère, mémoire d’un improbable âge d’or d’avant le gel de 1956, que seuls les plus anciens auraient connu. Comme s’il s’agissait de retrouver, au travers de cette essence et par-delà une époque proche mais déjà mythique, un monde paysan idéal, une agriculture non productiviste. À l’olivier est accolée l’image d’une certaine immuabilité, tant dans l’espace que dans le temps. Arbre pluriséculaire, porteur de représentations bien connues, puisées dans la Bible ou les mythes gréco-romains, il est devenu, dans le sillage des agronomes de l’époque moderne, un emblème de la Méditerranée. Fixé dans ces archétypes et semblant « aller de soi » dans le paysage, l’olivier reste pourtant largement méconnu, notamment dans l’Hérault, qu’il s’agisse de l’arbre ancien ou contemporain.

À côté du regain cultural actuel, on assiste, depuis les années 1980, à un très net retour d’intérêt des chercheurs pour le sujet, les deux ayant sans nul doute partie liée 1. Ce numéro spécial d’Études héraultaises veut rendre compte de ces nouvelles approches scientifiques venues de différents horizons 2. Plus que de donner un tableau exhaustif, ce dossier souhaite faire le point sur l’état actuel de la question, depuis l’Hérault, avec des incursions en Provence et autour de la Méditerranée, à travers une approche pluridisciplinaire, associant travaux de génétique des populations, d’archéologie, d’histoire, d’histoire matérielle, de géographie et d’ethnologie.

Apporter des connaissances nouvelles sur l’olivier n’est cependant pas chose aisée, tant les certitudes sont ancrées, comme par exemple sur sa domestication. Jean-François Terral et ses co-auteurs le relatent : « La publication des premiers résultats allant dans le sens d’une exploitation protohistorique autochtone de l’olivier en Méditerranée occidentale entraîna une levée de boucliers ». Contrevenant au modèle diffusionniste antérieur – un olivier domestiqué au Proche-Orient et propagé en Méditerranée d’est en ouest par les civilisations antiques – leurs découvertes archéologiques amènent à reconsidérer, au travers de l’olivier, les débuts même de l’agriculture 3. Les études génétiques menées par l’équipe d’André Bervillé, agronomes de Montpellier et d’Aix-en-Provence, sont d’ailleurs venues les conforter, en proposant un modèle de diffusion de l’olivier et de sa culture autrement plus complexe.

Pour la période allant du Moyen Âge au XVIe siècle, les incertitudes demeurent encore grandes, comme en témoignent les contributions de Jean-Louis Labbé et Bruno Jaudon. Même s’il reste de nombreuses sources à explorer, le tableau esquissé devrait stimuler les chercheurs, tant il bouscule des idées assez répandues, comme celle d’une oléiculture médiévale moribonde et d’une oliveraie florissante à l’âge classique. Un autre cliché a souvent cours, celui du déclin récent de l’olivier, attribué au seul gel de 1956. Catherine Ferras rappelle, pour sa part, qu’il est bien plus ancien, remontant au « petit âge glaciaire » du XVIIIe siècle, les aléas climatiques ne devant pas faire oublier d’autres raisons, comme la concurrence de différentes huiles et graisses à partir du XIXe siècle. Dans le temps long, l’olivier dans l’Hérault paraît occuper une place de second plan, frisant la marginalité dans certaines zones et à certaines époques, comme le confirme l’étude des cadastres des XIXe-XXe siècles proposée par Lucette Laurens.

En matière d’oléiculture, le domaine matériel n’est pas moins foisonnant. La question des moulins à huile, déjà largement explorée par ailleurs 4, n’a volontairement pas été abordée ici. Mais il existe d’autres objets, plus discrets, telles les poteries et les verreries, tout aussi nécessaires aux produits de l’olivier. En suivant la fructueuse collecte de Jean-Louis Vayssettes, nous découvrons moultes céramiques aux fonctions diverses (jarres, entonnoirs, passoires…) et aux appellations multiples (dourco, conscience, douire ou plounjoun). De son côté, Laurence Serra nous présente ces émouvantes bouteilles en verre emplies d’huile trouvées dans l’épave de l’Amphitrite, au large des Aresquiers, point de départ d’une enquête passionnante sur leur origine et leur commerce. Mais que connaît-on justement de ce commerce des huiles en Hérault ? Sans doute peu et, au-delà des deux images d’un XVIIe siècle exportateur et d’un XVIIIe siècle déjà importateur, le tableau resterait à préciser 5.

Si la culture de l’olivier a laissé des traces dans les archives et les restes archéologiques, la langue et la littérature occitane nous donnent aussi à entendre ce passé, toujours vivant. Guide précieux en ce domaine, Josiane Ubaud porte à notre connaissance une vaste collecte ethnolinguistique, variétés aux dénominations évocatrices, dictons et usages sur l’olivier ou encore textes d’auteurs héraultais. Il suffit d’aller dans la garrigue héraultaise pour retrouver cette description de Max Rouquette : « Se devinhava una oliveta que qualques aubres assalvatgits recorda van encara entremitan d’un fum de moges e d’avausses qu’aqui, un temps, aviàn cuihit l’oliva. » : « On devinait une olivette où quelques arbres redevenus sauvages rappelaient encore au milieu d’un amas de cistes et de kermès qu’ici, autrefois, on avait cueilli l’olive. » 6 À cet olivier cultivé ou abandonné, s’est joint, depuis une vingtaine d’années, l’arbre ornemental, phénomène que Josiane Ubaud avait déjà étudié avec beaucoup de justesse 7. Alexia Rossel reprend cet aspect dans une analyse globale du renouveau de l’olivier dans notre paysage contemporain. Sa contribution recoupe en partie celle de Laurent-Sébastien Fournier, consacrée aux fêtes thématiques dédiées aux produits oléicoles en Provence, et dresse un portrait de l’olivier d’aujourd’hui. Arbre ornemental et néanmoins fruitier, l’olivier serait-il un des marqueurs d’une société en profonde transformation, tant dans ses rapports territoriaux que sociaux, produit d’une société rurbaine cherchant dans cette essence, à la fois une image agricole idéalisée et un emblème méditerranéen dépassant ses attaches régionales ? Quoiqu’il en soit, cette reconquête dans le paysage ne saurait exister sans la passion continue de centaines d’oléiculteurs, amateurs souvent et aussi professionnels, dont Aurélien Ausset et Guillaume Soulé rendent compte dans leur présentation argumentée de la coopérative oléicole de Pignan, unité qui, avec quelques autres comme la coopérative de Clermont-l’Hérault et celle de Saint-Jean-de-la-Blaquière, a permis la continuité de la production oléicole après 1956 et encouragé son renouveau actuel.

Pour terminer, il nous est apparu nécessaire de laisser la parole à trois acteurs de l’oléiculture contemporaine, sous la forme, un peu inhabituelle pour cette revue, d’entretiens-portraits. Le choix des interlocuteurs, forcément limité en nombre, se voudrait être le reflet de la diversité actuelle de l’oléiculture. Yvon Creissac, mémoire de cette activité à Montpeyroux, nous livre tout d’abord de précieux éléments d’ethnographie, comblant en partie la grande lacune existant en ce domaine pour l’Hérault. Un couple d’oléiculteurs amateurs ensuite, Ondine et Frankie Vieque, nouvellement venus à cette activité comme tant d’autres, nous éclairent sur cette passion pour l’oléiculture de loisir. Enfin, combinant dans un cas de figure encore peu fréquent la monoculture de l’olivier et une activité de moulinier, un professionnel, Roch Vialla, oléiculteur installé avec son frère Pierre, nous fait partager ses projets de développement et de diversification, ainsi qu’un pan de l’histoire peu commune de cette exploitation, fondée par son grand-père en 1956.

Par ce numéro spécial d’Études héraultaises, quelques-unes des facettes de l’olivier sont redessinées, témoignages et études replaçant l’arbre dans une réalité et une recherche contemporaines. En espérant que d’autres s’attelleront à compléter le portrait de l’olivier dans l’Hérault et ailleurs, tant cet arbre recèle de richesses encore inexploitées.

Nous tenons à remercier toutes les personnes qui ont participé à ce numéro, notamment les nombreux informateurs et les auteurs qui ont diligemment fait part de leurs travaux actuels sur le sujet et fait preuve de patience durant la longue élaboration de cette édition. Nos remerciements à Josiane Ubaud pour le prêt de ses belles photographies d’oliviers.

Notes

   1.Les précurseurs en la matière ont été, depuis les années 1970, Marie-Claire Amouretti, Georges Cornet, Jean-Pierre Brun, et Louis Stouff, avec une prédilection dans le domaine français pour le Sud-Est, zone oléicole la plus importante en France.

   2.Par exemple, l’INRA a publié un numéro spécial sur le sujet (L’olivier, histoire et recherches, INRA mensuel, dossier, automne 2006, n° 128).

   3.Cf. l’article de Philippe Marinval, Repenser le modèle de l’histoire de l’agriculture : oléastre et olivier au cœur du débat, paru dans l’ouvrage collectif : Modernité archéologique d’un arbre millénaire : l’olivier, Toulouse, AITAE/AEP/Centre d’Anthropologie, cll. Archéo-plantes, 2005, pp. 137-153.

   4.Les moulins à huile 1. Arts et Traditions Rurales, Clermont- l’Hérault, suppl. hors série, dossier n° 6, 1986 ; Oliviers d’hier et d’avant hier, Montpellier, Arts et Traditions Rurales, suppl. aux Cahiers d’Arts et Traditions Rurales, 2006.

   5.Alors qu’il existe des travaux concernant le Sud-Est. Cf. la contribution de Laurence Serra ci-après.

   6.L’lrange, in Verd Paradis II.

   7.Des arbres et des hommes. Architectures et marqueurs végétaux en Provence et Languedoc, Aix-en-Provence, Édisud, 1997.