Le pasteur Pierre-Charles Toureille, témoin de la libération de Lunel

* Maître de conférences (er) Université Paul Valéry Montpellier III

[Texte intégral]

On peut s’étonner de ne découvrir qu’aujourd’hui dans un ouvrage publié en 2003 aux presses universitaires du Wisconsin (États-Unis) 1 de nouvelles précisions sur des évènements qui se sont produits à Lunel lors de la déroute des forces d’occupation allemandes précédant la libération de la ville. Ces éléments inédits sont désormais à la disposition des historiens d’une part dans la biographie de Tela Zasloff qui vient d’être publiée aux Presses universitaires de la Méditerranée sous le titre Histoire d’un Juste, le pasteur Pierre-Charles Toureille dans la France de Vichy2 et d’autre part dans le fragment de journal qu’a tenu le pasteur à Lunel pendant l’été 44, récemment retrouvé dans les archives de la famille Toureille. (Fig. 1)

Pierre-Charles Toureille (1900 – 1976) est un personnage hors norme, un héros injustement oublié dans son propre pays. Né dans une famille nîmoise d’origine cévenole, il s’illustre dès son adolescence en se portant volontaire auprès des blessés serbes de la Grande Guerre soignés à l’hôpital de Nîmes. C’est à eux qu’il doit son horreur de la guerre, son don pour les langues slaves, et c’est à leur contact qu’il découvre sa vocation religieuse. Après des études de théologie à Montpellier, puis Strasbourg, Prague et Bratislava, il obtient sa licence de théologie à Montpellier en 1924 ; la même année il épouse Délie Lichtenstein-Warnery, dont il aura cinq enfants. Tout en exerçant son ministère dans plusieurs villes de la région, il s’engage dans les années trente auprès d’une organisation internationale protestante pacifiste. Il participe à de nombreux congrès en Europe et en particulier en Allemagne, où il rencontre le théologien Dietrich Bonhoeffer (qui périt plus tard pour avoir participé au complot contre Hitler). Il y découvre la montée de l’antisémitisme bien avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir ; les écailles tombent de ses yeux (Actes 9.18) et il renonce au pacifisme, qu’il juge impuissant devant la montée des totalitarismes. En 1938, le pacte de Munich, avec l’abandon de la Tchécoslovaquie par la France et le Royaume-Uni, lui brisent le cœur.

Le pasteur Toureille, cliché datant probablement des années 40. (collection particulière)
Fig. 1 - Le pasteur Toureille, cliché datant probablement des années 40. (collection particulière)

La lourde défaite de la France en 1940 marque un tournant dramatique dans sa vie. Le Conseil œcuménique des Églises de Genève et la Fédération protestante de France le nomment aumônier en chef des réfugiés et prisonniers protestants dans les camps d’internement de la zone sud. Il est aussi nommé au Comité de coordination de Nîmes, qui réunit des groupes caritatifs non gouvernementaux, chrétiens et juifs, français et internationaux, dont il deviendra en 1942 le président. Ayant quitté la propriété de sa mère, à Cournonterral, trop éloignée de la gare de Montpellier où il se rend à bicyclette, Toureille installe sa grande famille à Lunel le 11 octobre 1941. La petite ville a été choisie pour sa gare « sur la grand ligne entre Nîmes et Montpellier » et aussi pour son collège « où nos enfants pourront suivre leurs cours normalement » 3.

Voici comment la biographe Tela Zasloff présente l’enchaînement qui propulse le pasteur dans la clandestinité :

« Dans un premier temps, ces missions étaient tout à fait reconnues et encouragées par le gouvernement de Vichy qui était débordé par la vague de réfugiés, en provenance du nord et de l’est de l’Europe, et des Espagnols qui étaient repoussés par les Allemands vers la zone sud. Comme les mesures répressives des autorités de Vichy et des Allemands contre les réfugiés, en particulier contre les Juifs, ne cessaient de se durcir, et comme les camps de détention devenaient clairement des camps de déportation et des lieux mortifères, les missions caritatives se transformèrent en missions salvatrices. Les priorités changèrent : améliorer les conditions de vie, certes, mais surtout sauver des vies et aider les personnes à échapper aux trains de la mort. Toureille commença à mener des actions clandestines, en intervenant de façon audacieuse auprès du gouvernement de Vichy, en aidant les évadés à se cacher, en fabriquant de faux papiers d’identité, y compris des certificats de baptême, et en organisant des routes d’évasion et des points de relais vers la Suisse et l’Espagne » 4.

Pour découvrir le quotidien du discret pasteur à Lunel en ces arides années de guerre (il n’a aucun rôle officiel au temple de la petite ville, ses voisins les plus proches le soupçonnent même de sentiments pro-allemands car il cache bien son jeu), reportez-vous à Histoire d’un Juste. Je veux simplement ici faire revivre, jour par jour, heure par heure, les émotions d’un Lunellois, ses craintes devant les exactions commises, sa satisfaction devant la déroute de l’ennemi, sa rancœur face aux bombardements ratés de l’aviation anglo-américaine, et enfin sa joie de voir sa famille réunie, et de vivre avec elle ces semaines historiques de l’été 1944 lorsque sonna enfin à Lunel l’heure de la Libération.

Grâce à l’amabilité des descendants Toureille 5, j’ai pu consulter l’original du journal tenu par le pasteur pendant les trois dernières semaines de l’occupation de la ville. Ce document se présente sur une seule « pelure » 6 dactylographiée en simple interligne recto-verso ; il s’agit sans doute d’une synthèse rédigée à posteriori à partir de notations faites au jour le jour, pendant que se déroulaient les évènements.

Ceci explique sans doute pourquoi le pasteur a choisi de faire commencer le processus de libération de la ville dès le soir du dimanche 13 août. Toureille note en effet :

« Des troupes allemandes commencent à défiler, nuit et jour, sous nos fenêtres. Elles vont vers Arles et Nîmes. »

La famille Toureille occupe tout le premier étage, plus une chambre au second, d’un bel immeuble du XIXe siècle au 36 bd de Strasbourg (aujourd’hui le 224) ; les fenêtres donnent sur le « grand chemin », axe reliant Montpellier à Nîmes où passe toute la circulation routière ; le lieu était idéal pour un observateur avisé. Ces troupes d’occupation qui « commencent à défiler » ne sont pas (ou pas encore) en déroute. Il semble bien qu’en reprenant ses notes le 3 septembre et les dactylographiant, Toureille a pensé que les mouvements de troupes plus ou moins habituels qu’il percevait n’étaient que les prémices de la débandade qu’il devait constater par la suite. Toureille comme la population de Lunel ne recevront la bonne nouvelle du second débarquement que le mardi 15 août ! Date confirmée par le récit que fait Jean Hugo de la libération de Lunel dans Le Regard de la mémoire, pages 492 à 501. (Fig. 2)

L’immeuble du boulevard de Strasbourg à Lunel, où habitait la famille Toureille (cliché de Christine Garcia-Paut)
Fig. 2 - L’immeuble du boulevard de Strasbourg
à Lunel, où habitait la famille Toureille
(cliché de Christine Garcia-Paut)

C’est justement ce jour-là que commence le début du véritable repli tactique de la Wehrmacht vers Lyon, ordonné le matin même de Koenigsberg par Hitler :

« Les Allemands continuent à défiler. Pour les regarder la foule s’amasse sur la place Denfert-Rochereau. »

Ce spectacle offert aux Lunellois durera une bonne dizaine de jours mais dès le 20 août, le désordre s’installe :

« La retraite allemande s’accentue très fortement. À 10 heures, les services allemands des chemins de fer évacuent la gare de Lunel. Dans l’après-midi, d’interminables colonnes d’autos, venues de la Haute-Garonne, passent. La Gestapo de Toulouse s’arrête un moment sous nos fenêtres, par suite d’une panne. Elle est accompagnée de la Milice Française de Toulouse. Un lieutenant de ladite Milice, abat près du Pont de Vesse, un romanichel de Lunel qui avait ramassé un révolver sur la route et lui vole son portefeuille avec 40 000 francs. »

Nous possédons sur la victime d’intéressantes informations supplémentaires, fournies par Marc Toureille, fils du pasteur et gestionnaire des archives familiales aux États-Unis :

« Ce Gitan de Lunel était François Pascucci. Il avait 47 ans. Lunel avait été sélectionné par les autorités comme lieu de résidence forcée pour les Gitans comme premier point de rassemblement avant leur internement et déportation. Par bonheur pour eux et pour des raisons inconnues ni l’internement ni la déportation ne s’étaient concrétisés. Contrairement à la majorité des Gitans, la famille Pascucci avait abandonné la vie de forains et s’était installée à Lunel avant la guerre. Ils géraient avec succès une entreprise de ferraille et étaient connus et respectés de tous. »

Il faut faire remarquer que l’assignation à résidence des gitans n’avait pas été l’œuvre de Vichy ; c’est le gouvernement de la Troisième République qui l’avait créée par le décret-loi du 6 avril 1940 et une circulaire du ministre de l’Intérieur.

Toureille s’intéresse assidûment à ce défilé incessant et constate lors de la journée du 23 août une nette recrudescence des arrivages ; il en note soigneusement l’origine, que lui fournissent les numéros des plaques d’immatriculation des véhicules :

« Les convois de l’Armée allemande en déroute ont défilé sans arrêt. Véhicules de toutes sortes : autos militaires et civiles – (autocars et petites voitures) voitures à chevaux de tous genres (même un corbillard et des voitures de voirie), voitures à bras, poussettes et voitures d’enfants, motos et vélos volés). Venues de la Haute-Garonne, Garonne, Lot et Gne., Tarn et Gne., Tarn, Ariège, Aude, Hérault (Béziers et Sète), Pyr. Or. On a même remarqué des voitures de la Manche et du Calvados, dont une de Falaise.

Parmi les convois allemands, quelques voitures de miliciens, hommes, femmes et enfants.

Parmi les troupes allemandes, on remarque des russes et surtout des asiatiques (dits kalmouks) 7. Certains soldats allemands sont exténués et avancent avec peine, sur les vélos sans pneus ou à pied. Ils ne chantent plus : “Olahi ! Olahi – Haho” ou “Die sechste Kompagnie” 8. Leur déroute est pire que la nôtre en mai-juin 1940. Je me sens bien vengé de cela !

De 10 h à 12 h, on passe dans les maisons pour chercher vélos, voitures et chevaux. On annonce qu’on va faire sauter la gare. On a mis le feu à un train allemand de munitions, stationné sur la voie entre la gare de Lunel et le pont du Vidourle, près du domaine de Viala. À 16 h, le dernier grand convoi allemand s’ébranle ; un général allemand d’artillerie en surveille le départ. »

Rappelons que Toureille est un excellent germaniste ; il n’aura eu aucun mal à comprendre les ordres du général. Mais le spectacle du déferlement continue. Le lendemain, jeudi 24 août, passent les inévitables « retardataires allemands… en convoi, à 8 h. À 13 h une auto avec 5 officiers est arrêtée par les F.F.I. au Pont de Lunel. La municipalité est remplacée par un comité de la libération, présidé par M. Fernand Perier (sic), 9 boulanger. »

Les évènements se bousculent alors à Lunel ; tout l’appareil d’état de Vichy est en train de s’écrouler dans l’Hérault et le délicat processus du changement de régime est en marche à Lunel ; il s’agit, et ce n’est pas chose facile, de rétablir la démocratie. Il sera sans doute utile de rappeler que le dernier maire de Lunel, Hippolyte Valentin, élu le 4 juillet 1935, avait été écarté par Vichy et remplacé le 9 juin 1941 par un certain Raymond Fraisse ; c’est donc Fraisse qui vient d’être destitué par un résistant lunellois, Ernest Périer, récemment devenu président du Comité local de Libération de Lunel dans sa délibération du 21 août. Or, quand sont organisées les premières élections municipales d’après-guerre, dès le premier tour (26 avril 1945), à la surprise générale, Ernest Périer, qui a fait fonction de maire de Lunel par intérim pendant huit mois, n’obtient qu’un faible nombre de suffrages et renonce à se présenter au second tour ; par contre l’un des deux vice-présidents du Comité de Libération, Jules Agnély obtient le plus grand nombre de voix, et il a toutes les chances d’être élu maire à l’issue du second tour (13 mai 1945). Coup de théâtre au second tour : un entrepreneur de transports, Bruno Brunel, absent du premier tour, se présente sur une nouvelle liste et rafle la mise. Il devient le premier maire d’après-guerre dans la cité des Pescalunes. Mais dès le 18 mai 1945, Jules Agnély, René Benoit, et trois autres élus de l’ex-Comité de Libération écrivent au Préfet de l’Hérault pour donner leur démission collective : ils s’y plaignent de « manœuvres » et qu’il est de leur devoir de se« retirer d’un Conseil Municipal élu de la façon la plus équivoque » 10.

Mais revenons au vendredi 25 août 1944 :

« Le grand calme qui règne nous étonne. Mais la Radio anglaise nous annonce le prochain passage de deux régiments allemands à redouter. À 11 h, des avions alliés mitraillent la gare de marchandises qui brûle depuis hier.

Un peu avant midi, l’aviation anglo-américaine bombarde, sans succès, le Pont de Lunel : 5 morts et des blessés. »

Admirons l’ironie de Toureille devant les bavures des bombardements alliés de ce matin-là… Une gare qui brûle n’a pas besoin d’être mitraillée, et comment pardonner ces morts et ces blessés au Pont de Lunel, alors que la cible est manquée ?

« Grosse explosion du train allemand de munitions ; sept vitres sont cassées chez nous. »

La belle-sœur de Marc Toureille, Arlette Gauthier, a donné après-guerre la version suivante de cet évènement :

« Les Allemands fuyaient à bord d’un train de munitions, tiré par une vieille locomotive qu’ils avaient trouvée dans un dépôt ferroviaire. Cette locomotive tomba en panne en pleine gare de Lunel, le 22 août 1944. Les Allemands donnèrent l’ordre de faire sauter le train en plein milieu de la gare, ce qui aurait fait exploser la ville. Deux cheminots de Lunel, Monsieur Marignan, ingénieur, et Monsieur Couronne, conducteur, décidèrent qu’ils pourraient tenter quelque chose. En plein jour, à la faveur de la confusion due aux bombardements et aux incendies qui ravageaient des immeubles, ils coupèrent les lignes téléphoniques et montèrent à bord de la locomotive. Ils la réparèrent aussi bien que possible, en se servant de pièces prélevées sur de vieilles locomotives dans la rotonde. Ils mirent du charbon dans la locomotive, firent actionner la vapeur et le train quitta la gare en direction de Nîmes. Quelques kilomètres plus loin, le train atteignit le Mas de Viala, propriété de la famille Bruneton. Par bonheur, il n’y avait personne au Mas à ce moment-là. Les deux hommes savaient que la locomotive ne pourrait pas aller plus loin. Ils sautèrent du train et s’enfuirent se cacher dans les vergers et la garrigue. Ils furent poursuivis par les Allemands, mais ceux-ci ne les rattrapèrent pas. Les Allemands firent sauter le train. Cela donna lieu à une explosion terrifiante qui causa d’énormes dégâts au Mas et déclencha un incendie qui brûla pendant plusieurs jours. De nombreuses fenêtres de Lunel furent brisées par cette explosion. M. Marignan est mort il y a bien longtemps. Monsieur Couronne n’était pas originaire de Lunel et nous n’avons aucune idée de ce qui lui est arrivé. »

Belle illustration de l’incertitude du témoignage humain : si Arlette Gauthier identifie correctement le premier courageux cheminot (Eugène Marignan), elle se trompe sur le nom du second ; il s’agissait en réalité de d’Antonin Arnaud, le grand-père de Claude Arnaud, maire de Lunel de 2001 à 2020.

Mais revenons au 25 août, pour lequel Toureille note : « Les F. F. I. locaux font sauter le Pont de Lunel. »

Le samedi 26 août, le pasteur ne se prive pas de critiquer une nouvelle fois avec acrimonie l’imprécision des bombardements alliés :

« Dans la matinée, l’aviation anglo-américaine mitraille la gare de Lunel.

À 11h, l’aviation anglo-américaine bombarde, avec succès, le Pont de Lunel : nombreux dégâts aux environs. Neuf morts et des blessés. Parmi les morts, M. Bonnard, trésorier du conseil presbytéral de l’église de Lunel. »

Sur ce même sujet des bombardements alliés dans la région, voici le témoignage de Marc Toureille recueilli après la guerre :

« À la fin, les FFI firent sauter le Pont de Lunel pour que l’armée de l’air américaine ne le bombarde pas une troisième fois. Elle l’avait complètement manqué deux fois, mais en faisant plusieurs victimes, des civils. Ces deux fois, l’aviation alliée l’avait bombardé quelques jours après la retraite des Allemands et donc, à un moment où le pont avait perdu toute valeur stratégique. Quelle belle preuve de la bêtise de la guerre ! »

Toujours le 25 août, Toureille ajoute :

« Nous avons les premiers journaux de la 4e République. »

En effet, les organes locaux de la presse vichyste Le Petit Méridional et L’Éclair sont supprimés le 23 août par le nouveau Commissaire de la République Jacques Bounin, dès sa prise de fonction à Montpellier. Du 23 au 27 août paraissent 4 numéros du journal L’Information du Languedoc publié par le Comité Régional de Libération. Puis, le 27 août paraissent les premiers numéros de Midi Libre, journal du Mouvement de Libération National (MLN) et de La Voix de la Patrie, journal du Front National (Parti communiste à l’époque).

Et le pasteur signale :« Une colonne allemande est faite prisonnière par les F.F.I. près de Saturargues-Villetelle. Demain, la population de Lunel est invitée à pavoiser. »

Le dimanche 27 août, la communauté protestante pleure son conseiller presbytéral et les Lunellois pavoisent avec des drapeaux de fortune aux couleurs de toutes les nations alliées.

« Culte : commémoration de M. Bonnard. Nous allons voir Lunel pavoisé et la gare ravagée. »

C’est le mardi 29 que « les premiers détachements de l’Armée française d’Afrique 11 défilent allant vers Montpellier. C’est le 8e groupe de chasseurs et des fusiliers-marins. »

Le mercredi 30 août :

« À 17 h, Simon 12 vient nous voir, de Nîmes, en vélo. Depuis le 14 juillet, il était avec les F.F.I. du maquis de Lasalle 13 et a pris part à 3 batailles rangées. Il porte des bottes allemandes. »

« Le 2 septembre, vers 17 h le Général de Lattre de Tassigny passe à Lunel, follement acclamé. »

Et enfin, le dimanche 3 septembre :
« Fête locale de la libération : défilé, statue de la Liberté 14. Course de taureaux. Des collaborateurs et miliciens ont été arrêtés. »

C’est sur cette dernière image d’une ville qui fait la fête et qui traque ses « collabos » que Toureille referme son journal. (Fig. 3)

La dernière page du tapuscrit du pasteur Toureille (collection particulière)
Fig. 3 - La dernière page du tapuscrit du pasteur Toureille (collection particulière)

Le pasteur ne révèle pas ici ce qu’il pense des tristes dérapages qui ont suivi, à Lunel comme ailleurs en France, le départ des occupants nazis, mais il lui est arrivé plus tard de se prononcer sur le sujet à sa façon : par exemple, pour bien marquer son opposition aux pulsions dictées par le ressentiment envers l’ennemi, il n’a pas hésité, après la fin de la guerre, à se porter volontaire auprès des prisonniers allemands rassemblés dans les camps de la région ; car on a tendance à l’oublier, la plupart de ces camps créés par la Troisième République pour y accueillir les réfugiés de la guerre civile en Espagne, après avoir été largement réutilisés par le régime de Vichy, furent à nouveau mis en service brièvement après-guerre pour des collaborateurs et des prisonniers allemands 15.

BIBLIOGRAPHIE

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ZASLOFF, 2003 : ZASLOFF (Tela), A Rescuer’s Story. Pastor Pierre-Charles Toureille in Vichy France, Madison, The University of Wisconsin Press, 2003, 272 pages.

ZASLOFF, 2019 : ZASLOFF (Tela), Histoire d’un Juste. Le pasteur Pierre-Charles Toureille dans la France de Vichy, (traduction de Nada Perkovic-Allouche), Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, Collection Histoire et sociétés, 2019, 282 pages.

NOTES

1. ZASLOFF, 2003.

2. Traduction de Nada Perkovic-Allouche, PULM, Collection Histoire et sociétés, 282 p.

3. Idem, p. 157.

4. Idem, p. 22.

5. Je remercie tout particulièrement Mme Christine Garcia-Paut, petite-fille du pasteur Toureille.

6. Les bien nommées “pelures” étaient des sortes de fins papiers calque permettant de créer plusieurs copies d’un document dactylographié.

7. La Wehrmacht, à court d’effectifs d’occupation en France a été obligée d’enrôler de force certains prisonniers faits sur le front russe, d’où la présence ici des Kalmouks, et ailleurs dans la région d’Arméniens. Ces supplétifs avaient eux-mêmes été enrôlés de force par les soviétiques ; l’une des missions de l’équipe Jedburgh parachutée en 1944 à Barre-des-Cévennes était de faire déserter les bataillons arméniens, mission brillamment accomplie par le major Sharp. Voir le témoignage de Janet Teissier du Cros dans Le Chardon et le bleuet, p. 404 et 405, Rouergue, 2017.

8. D’après Marc Toureille, « Die beste Kompagnie, chant militaire de la Wehrmacht, résonnait trop souvent, comme tant d’autres. Chaque groupe modifiait les paroles avec celles qui identifiaient leur unité. Le premier groupe chantait “Die erste K”, le second, “Die zweite K”, et ainsi de suite. Ma mère nous disait que le soldat allemand était obligé de chanter en marchant pour l’empêcher de réfléchir. »

9. Toureille se trompe ; il s’agissait en fait d’Ernest Périer, résistant, président du Comité local de Libération de Lunel, qui venait à peine de se constituer.

10. Arch. Dép. Hérault, 31 W 103.

11. Ce que Toureille appelle Armée française d’Afrique est en réalité l’Armée B, rebaptisée Ière Armée française le 19 septembre 1944, qui sera connue plus tard sous le nom de Rhin et Danube. Elle est commandée par le général de Lattre de Tassigny, ancien chef de la 16e région militaire à Montpellier.

12. Simon, âgé de 19 ans en 1944, était l’aîné des cinq enfants de Délie et Pierre-Charles Toureille.

13. Voir l’autobiographie d’Herbert Steinschneider, Réfugié et résistant. Sous le pseudonyme de Pierre Séguy, Herbert Steinschneider, alors pasteur proposant avait passé 6 mois à Lasalle et était présent en août 1944 lors de l’accrochage avec les Waffen SS, au Château de Cornély. Les chemins de Steinschneider et de Toureille se sont croisés à Montpellier pendant la guerre et à Washington, DC après-guerre.

14. Les Lunellois célèbrent alors le retour de leur statue de la Liberté de Bartholdi, qui avait été réquisitionnée par les Allemands, mais fut heureusement récupérée avant d’être fondue.

15. DUGUET, 2015.

Errata : Article modifié par l’auteur le 28/07/2023

Belle illustration de l’incertitude du témoignage humain : si Arlette Gauthier identifie correctement le premier courageux cheminot (Eugène Marignan), elle se trompe sur le nom du second ; il s’agissait en réalité de Pierre Arnaud, le grand-père de Claude Arnaud, maire de Lunel de 2001 à 2020.