La rafle du 12 juin 1944 à Clermont-l’Hérault : Témoignages
La « rafle » du 12 juin 1944 à Clermont-l’Hérault : Témoignages
Publication du
G.R.E.C. n° 228-229-230-231
(2e semestre 2021)
p. 94 à 97
Dossier coordonné par Pierre-Joan Bernard et Jean-Claude Richard Ralite
Introduction
La date du lundi 12 juin 1944 est restée gravée dans la mémoire des nombreux Clermontais qui ont vécu ces tragiques événements. Pour les plus jeunes, une plaque commémore les faits sur les lieux mêmes où ces Clermontais ont été rassemblés de longues heures durant, incertains du sort qui leur serait réservé. Ce drame a pour théâtre la place de la Victoire, devenue depuis place des Martyrs de la Résistance, au carrefour des routes de Béziers, Sète, Montpellier et Bédarieux/Lodève, et plus particulièrement le café des Platanes, quartier général de la Résistance clermontaise, ainsi que le café du Boulevard voisin, aujourd’hui disparu, situé au n°3 de la place (actuelle pizzeria). Il s’agit du principal incident survenu à Clermont-l’Hérault durant la Seconde Guerre mondiale, impliquant Occupants, Résistants et civils, qui, comme souvent, aurait pu finir en bain de sang.
Après avoir décapité le maquis Bir-Hakeim au combat de La Parade le 28 mai 1944, les Allemands ne souhaitent pas voir se reconstituer le groupe de Résistants dans le secteur de Clermont-l’Hérault. Un officier nazi connu sous le nom de « Robby » réussit à noyauter le maquis, se faisant passer pour un patriote alsacien. Robby, parfaitement informé qu’une réunion se tient ce jour-là au café des Platanes en présence du commandant DEMARNE, débarque à Clermont vers midi/midi et demi avec des troupes allemandes par la route de Nébian. Des coups de feu sont échangés. Certains s’enfuient, d’autres sont « cueillis ». DEMARNE parvient à s’échapper. Les Allemands échouent également à surprendre le groupe de maquisards stationné à la Grange haute, métairie isolée située en limite de Liausson et de Clermont. Seul Marc SANS, originaire de Pézenas, est abattu, au niveau du col de Gajo.
En représailles, les Allemands font arrêter toutes les personnes se trouvant aux alentours des cafés, ainsi que tous les individus suspects de résistance de la ville d’après une liste en leur possession. Entre trente-cinq (BOUNIOL) et une cinquantaine (GALLEGO) de Clermontais sont ainsi pris en otage. Alerté, Paul BARRAL, président de la Délégation spéciale, se rend sur place et parlemente avec les Allemands pour négocier leur libération, « en se portant garant pour eux ». En fin d’après midi, la brigade quitte Clermont, libérant la plupart des prisonniers et sans faire de victime parmi les civils. Cependant, huit Clermontais furent déportés : Marie-Louise DURAND, de l’Hôtel Gasset, Carmen MATÉOSERRANO et son patron Raymond CHRISTOL, de l’Hôtel Christol, Gaby GASSET, propriétaire du café des Platanes, André DELSOL, propriétaire du café du Boulevard, Jean MIRO, Hippolyte GUIRAUDOU, mort au camp de concentration de Neckargerach (BadeWurtemberg) en Allemagne, et Robert BOUZID, interpelé à l’école communale de garçons. À cette liste, il faut rajouter Roger SALASC, pris dans la foulée à Montpellier, mort au camp de concentration de Hersbruck (Bavière) 1. Selon Jean-Luc BOUNIOL, « il faut savoir que pendant que les Allemands se trouvent à Clermont, d’autres ont pris en otage, à Nébian, tous les hommes de 18 à 40 ans, qui sont rassemblés sur la place du village avec leur paquetage. Finalement ils sont libérés, mais on peut imaginer que si, à Clermont, les choses s’étaient mal passées, ils auraient très certainement subi des représailles 2. »
Il n’est pas un Clermontais qui n’ait gardé un souvenir de cette journée ou qui n’en ait entendu parler. La trahison de « Robby », en lequel ils avaient toute confiance, a été un réel traumatisme. La stupéfaction de reconnaître Robby dans son costume militaire ennemi, les paroles bravaches qu’il aurait prononcées ont été rapportées maintes fois, avec plus ou moins de véracité 3. Nous publions ici quatre témoignages, quatre points de vue différents des événements, deux du côté des Résistants, acteurs éphémères, et deux du côté des civils, victimes collatérales de ce qu’on nommera plus tard « la rafle ».
Témoignage de Joseph RAMON, chef du groupe FTP de Clermont, proche du maquis Bir-Hakeim
Au début juin 1944, le maquis est infiltré par un agent allemand se faisant appeler « Robby » qui, bien sûr, parvient très vite à savoir que l’État major de Bir-Hakeim se réunit à Clermont au café des Platanes. Le 12 juin, de nombreux maquisards dont DEMARNE se sont donné rendez-vous dans ce café. M. RAMON, quant à lui, attend au café voisin, dans la même rue, lorsque vers midi il entend un peu plus loin sur la route de Nébian, le bruit d’un coup de frein. Il sort du café et aperçoit à 150 mètres les camions de la Wehrmacht et de la Gestapo dirigés par Robby, vêtu d’un uniforme de sous-officier allemand. DEMARNE est déjà dans la rue et crie à M. RAMON : « RAMON, cette fois c’est pour nous ! » Celui-ci revient au café du Boulevard par la porte de derrière et prévient ses camarades. Tous s’enfuient alors vers Canet. Les Allemands stoppent sans hésiter leurs véhicules devant le café des Platanes, pendant qu’à l’intérieur DEMARNE fait évacuer tout le monde par la porte de derrière. Quand les premiers soldats allemands pénètrent dans le café, DEMARNE les menace d’y jeter une grenade et finit, lui aussi, par s’enfuir dans la petite rue de derrière. Celle-ci débouche sur le boulevard Gambetta. DEMARNE, pris en chasse par les Allemands, tourne à droite dans le boulevard et arrive, 25 mètres plus loin, au niveau du pont du Rhonel. Là, il enjambe le parapet et saute dans le cours d’eau qu’il descend en courant. Depuis le pont, les soldats tirent mais manquent leur cible. Toujours poursuivi, DEMARNE parvient à l’hôpital mais n’y reste pas et monte à Notre-Dame de Consolation qui surplombe l’hôpital. La ruse fonctionne très bien car, pendant plus d’une heure, les Allemands vont perquisitionner dans l’hôpital. Finalement, le soir venu, DEMARNE se rend à Canet, où il retrouve trois ou quatre maquisards dont RAMON.
Recueilli et retranscrit par Jean-Luc BOUNIOL (BOUNIOL 1995, 108)
Témoignage de Pierrot MANZANERA,
second de DEMARNE au maquis Bir-Hakeim
Aux alentours du 15 mai, un garçon présenté par un nommé CROS, commerçant que connaissait certains membres, offre ses services comme volontaire, prétendant vouloir organiser un maquis dans la région lodévoise. Il se faisait appeler « Robby ». Très avenant, parlant le français avec un accent parisien, il s’intègre remarquablement. Pourtant, Pierrot MANZANERA s’étonne de la quantité de questions, souvent indiscrètes. Il exprime des doutes sur le personnage. Il l’avait surpris téléphonant de la cabine de l’hôtel Gasset. Il l’interrogea et Robby répondit qu’il téléphonait à un ami, afin qu’il lui garde du courrier et sa carte de pain, assez curieux en la circonstance. Paul DEMARNE ne tint pas compte de ses soupçons. […] Le 12 juin, Pierrot MANZANERA a rendez-vous au café des Platanes, où se rencontraient dans l’arrière-salle les divers responsables de la Résistance, dont Marcel LESTANGE et Joseph RAMON pour les F.T.P.F. Ceux-ci parviennent à s’enfuir sous les tirs des Allemands. Ces derniers, furieux de cet échec, prennent en otage le patron du café, Gaby GASSET, et détruisent le café avec des grenades. Pierrot MANZANERA arrive à Clermont, voit les Allemands, se faufile jusqu’au garage Régis, y récupère sa moto, suit un camion allemand et prend la direction de Villeneuvette. Le voyant s’arrêter au carrefour, il fait demi-tour et part alors sur la route de Lodève [auj. route du Lac]. Arrivé en haut du col de Gajo, il voit un camion allemand posté. Il donne un grand coup de freins, pivote et s’en va sous les rafales qui le ratent. Il abandonne au bas de la côte sa moto et s’en va à pied chez SUBIAS, son ancien patron, aux Civières, qui l’abrite quelque-peu, puis le laisse partir à pied par le chemin de Saint-Peyre. Toujours à pied, il va jusqu’à Brignac ; il prend 3 ou 4 pains chez le boulanger et s’en va jusqu’au château de Larcade, près de Canet, lieu de ralliement prévu, où il retrouve Jacky avec DEMARNE.
Recueilli et retranscrit par Blaise GALLEGO (GALLEGO 2004, 29-31).
Témoignage de Colette RONZIER JOLY, groupe Corps franc Léon,
arrêtée avec soncompagnon Pierre BEAUCLAIR
Le 12 juin. C’était affreux. On était pris. Avec Pierre [BEAUCLAIR], on était allé au café prendre l’apéritif et il y a eu une rafle. Un Allemand s’est infiltré dans la Résistance de DEMARNE, qui a connu tout un tas de détails. Il était parti retrouver les Allemands à Montpellier, je crois, et il avait dit : « il y a la Résistance qui est là, on va entourer Clermont, ils vont à ce bistrot et on va les prendre tous etc. » Effectivement tout le monde était là. Mais heureusement – il n’y avait pas que des résistants de DEMARNE – nous on n’était pas connu. On a été pris quand même pendant des heures et des heures, les bras en l’air, avec la mitraillette derrière le dos. Moi j’ai pu m’échapper. Comme d’habitude, avec mon vélo, je portais le pain à ma mère. C’était une heure, deux heures, trois heures, on était toujours là, les mains en l’air. Il y avait un petit allemand quand même derrière moi, avec sa « truc », il me fait signe, j’avais une trouille à crever, il me faisait signe : « n’ayez pas peur, c’est pas grave, attendez ». Et puis ils sont sortis, tous les Allemands sont sortis du bistrot, puis on avait regroupé tous les hommes devant le café, entre les deux cafés, alignés. Pierre avait sa pipe à la bouche. Il y en a un qui est arrivé qui lui a filé un coup de poing ; la pipe a sauté dans le ruisseau plus loin ; et Pierre, cette andouille, au lieu de rester tranquille sans pipe, il a voulu ramasser la pipe ; on te l’a fait revenir là avec un coup de pied dans le derrière ; ça lui a remis les idées en place. Voilà, on a tous été entourés par des Allemands. Moi je suis passé par Nébian avec mon vélo et le pain que je portais. À l’intérieur du sac, d’ailleurs, également, il y avait des petits jeunes qui m’avaient mis des armes dans le panier sous le pain. Je suis parti par Nébian, j’ai fait tout le tour, je suis allé à Val Ombreuse, j’ai posé le pain à maman en pleurant comme une Magdeleine, en lui disant : « tu sais, ça y est, mais moi, c’est pas grave, je suis là, mais Pierre est pris, je retourne vite à Clermont ». À Clermont, ils m’ont vu passer à bicyclette, parce que ça a été une histoire terrible pour Clermont, tous les gens s’étaient enfermés chez eux. Et en passant, en descendant à Clermont, les gens se mettaient au balcon et me criaient : « attendez, arrêtez vous, tout le monde est pris, là-bas, il y a les Allemands, n’y allez pas ». Mais je le sais qu’il y a les Allemands, je vais retrouver Pierre. Je suis allé chez ANTOINE, Alice ANTOINE, et je lui ai dit : « mon mari va avoir une faim à crever – ce n’était pas mon mari, c’était mon ami – il doit avoir une faim terrible, il lui faut porter quelque chose à manger ». Elle est allée chercher des boites de foie gras, je me souviens très bien. Elle m’a donné un demi pain, alors qu’on crevait de faim, je ne sais pas d’où elle l’a sorti. Elle m’a étendu cette pâte de pâté sur le pain. Elle m’a mis un papier autour : « Tenez, prenez-le ». Et je suis arrivé là-bas et je me suis remise dans la foule, dans les gens arrêtés. Et je me suis adressé à un Allemand, je lui ai fait comprendre que je portais du pain, toujours en larme, que je portais du pain à mon ami qui était là et qui allait partir en Allemagne. Il l’a appelé. Le nom, il m’a demandé. Je lui ai dit BEAUCLAIR. Il a appelé : « Beauclaf ! ». Pierre n’en revenait pas. Il est revenu vers moi. Il m’a embrassé. Je lui ai donné son pain. Et il a eu l’idée, au lieu de se remettre avec tous les gens qui allaient être arrêtés, c’est-à-dire avec DELSOL et tous les autres, il s’est remis avec tous les gens qui avaient été dans la rue arrêtés, en particulier avec Jules CRÉMIEUX. C’étaient des gens qui avaient été arrêtés dans la rue, des balayeurs…, ils prenaient n’importe qui, ils prenaient tout le monde. Et il s’est mis dans cette espèce de fouillis de gens, avec son pain à la main. Et puis alors, « schnell, schnell », ils ont embarqué tous les pauvres types qui étaient là qu’ils devaient prendre, et les autres « foutez le camp, foutez le camp ». Je n’ai jamais vu courir autant de gens à la fois. Si vous les aviez vus s’échapper. On a eu très peur. C’est sûr.
Recueilli par Régine et Pierre-Joan BERNARD (2009, inédit).
Témoignage d’Henri CRÉMIEUX, fils de Jules CRÉMIEUX, arrêté parmi les passants
Mon père, Jules CRÉMIEUX, s’est retrouvé sans emploi et sans revenu, à la suite de la spoliation de sa librairie-imprimerie en 1942. M. BARRAL l’a alors embauché comme employé communal à la Mairie de Clermont. Il était dans le personnel ouvrier. Lorsqu’il y a eu la rafle à Clermont, il s’y est trouvé parce qu’il était têtu comme une mule. Il savait qu’il y avait cette colonne allemande qui passait à Clermont (sic), mais il lui fallait à une heure et demie être à son travail aux Pénitents [ateliers municipaux] et il est parti de la maison, ma mère lui disant : « non, ne pars pas, reste là, c’est dangereux ». Et arrivé devant l’église, il s’est fait ramasser, comme beaucoup d’autres, et amené place des Martyrs de la Résistance avec tous ceux qui avaient été raflés. Là, M. BALDY, qui était le chef du personnel communal, et M. BARRAL, le maire, quand ils ont vu mon père ramassé et qui sortait sa carte d’identité pour montrer, M. BARRAL s’est avancé, pas précipité mais presque, en disant à l’interprète allemand : « non celui-là j’en ai besoin, c’est un ouvrier dont j’ai besoin à la mairie », pour qu’il n’ait pas le temps d’éplucher sa carte d’identité. Et donc M. BARRAL l’a sauvé une seconde fois. Il l’a enlevé des griffes des Allemands, alors qu’il aurait bien pu être amené comme GUIRAUDOU et DELSOL. S’il avait été reconnu qu’il était juif, c’était directement la déportation.
Recueilli par Régine et Pierre-Joan BERNARD (2010, inédit)
NOTES
1. Blaise GALLEGO, « Le dramatique 12 juin », Clermont, ville marchande, autoédition, 2004, p. 28-33.
2. Jean-Luc BOUNIOL, Le canton de Clermont-l’Hérault pendant la Seconde Guerre mondiale, mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine, Jules Maurin (dir.), Université Paul-Valéry Montpellier III, 1995, p. 109.
3. Ainsi, on rapporte ces mots : « Chacun sert son pays comme il peut » (témoignages recueillis par Brigitte Saint-Pierre).