Présentation de la publication
Résumé FR : En ces temps troublés, le monde doit faire face à ce que les discours politiques ont eu tendance à qualifier de « plus grave crise sanitaire depuis un siècle », faisant ainsi référence à la grippe de 1918 dite « espagnole ». S’il est exclu de confronter grippe et COVID-19 du point de vue conjoncturel – les mesures hygiéniques et le contexte de la Grande Guerre n’étant pas assimilables à notre époque – l’analogie entre ces deux pandémies peut s’avérer fructueuse lorsqu’il s’agit d’examiner la gestion et le traitement médiatique des deux crises (mesures prophylactiques, impréparation, communication et désinformation…). Pour cela, la presse du XXe siècle est une précieuse source d’informations. Les journaux régionaux, en particulier, nous permettent de découvrir la manière dont les habitants de l’Hérault ont vécu l’épidémie. Cet article se propose donc de retracer l’histoire locale de la grippe « espagnole » à travers l’étude des quotidiens montpelliérains L’Éclair et Le Petit Méridional. »
Abstract: In these troubled times, the world must face what political discourse has tended to call the « worst health crisis in a century », referring to the so-called « Spanish » flu of 1918. While it is not possible to confront influenza and COVID-19 from a cyclical point of view – the hygienic measures and the context of the Great War cannot be compared with our era – the analogy between these two pandemics can prove note-worthy when it comes to examining the management and media handling of the two crises (prophylactic measures, unpreparedness, communication and misinformation…). The 20th century press is a valuable source of information. Regional newspapers, in particular, allow us to discover how the inhabitants of Hérault lived through the epidemic. This article aims to trace the local history of the « Spanish » flu as seen in the Montpellier daily newspapers ”L’Éclair” and “Le Petit Méridional”.
Resumit : Dins aquestes temps trebols, lo mond se deu acarar a çò que los discorses politics an agut tendéncia a qualificar de « mai grava crisi sanitària despuèi un sègle », se referissent aital a la gripa de 1918, dicha « espanhòla. » S’aquò’s exclús de comparar gripa e Covid-19 del ponch de vista conjonctural – las mesuras igienicas e lo contèxt de la Granda Guèrra essent pas assimilables a nòstre epòca – l’analogia entre aquelas doas pandemias se pòt revelar fruchosa quand se tracha d’examinar la gestion e lo tractament mediatic de las doas crisis (mesuras profilacticas, impreparacion, comunicacion e desinformacion…). Per aquò la premsa del sègle XX es una preciosa sorsa d’informacion. Los diaris regionals, en particular, nos permeton de descobrir lo biais que los estatjants d’Erau visquèron la reba. Aquesta article se propausa donc de relatar l’istòria locala de la gripa « espanhòla » a travèrs l’estudi dels quotidians monrpelhierencas L’Éclair e Le Petit Méridional [Lo Liuç e Lo Pichòt Miègjornal].
« Arrondissement de Montpellier – Montpellier.
- ARTICLE PREMIER. – Sont interdites les représentations dans les théâtres, cinémas, bals publics et tous les établissements où sont donnés des spectacles.
- ART. 2e. Les cafés, débits de boissons seront fermés tous les jours à partir de 19 heures. Les salles de consommation devront, en outre, être soigneusement désinfectées, tous les jours à l’aide d’un liquide antiseptique. Toutefois les cafés ou brasseries, servant habituellement des repas, pourront rester ouverts jusqu’à 20h ½.
- ART. 3e. – Sont interdites également, dans les églises, temples, chapelles ou synagogues, toutes les cérémonies susceptibles d’entraîner une agglomération de fidèles.
- ART. 4e. – Les mesures ci-dessus entreront en vigueur à partir du 31 courant et seront maintenues jusqu’à nouvel avis.
- ART. 5e. – M. le Commissaire Central de police est chargé de l’exécution du présent arrêté. . »
Si cet arrêté municipal annonçant le renforcement du protocole sanitaire dans la commune de Montpellier semble extrait d’un numéro du Midi libre paru dans le contexte de recrudescence de l’épidémie de COVID-19, il est en fait issu des colonnes du quotidien régional Le Petit Méridional du 30 octobre 1918, pendant la pandémie la plus meurtrière de l’histoire moderne. : la grippe dite «. espagnole. ». Ces mesures restrictives, qui visent à réguler les déplacements et regroupements de population, ne sont pas les seules caractéristiques communes aux deux épidémies. En effet, même si les contextes politique et hygiénique dans lesquels elles se déclarent sont incomparables – la grippe de 1918 se déroulant, comme l’explique Freddy Vinet, à l’ombre de la Grande Guerre – ces crises sanitaires présentent des similitudes intéressantes, notamment du point de vue de leur traitement médiatique. Certaines études ont déjà analysé la manière dont les journaux ont communiqué sur l’épidémie qui fait rage au début du XXe siècle, mais ces travaux se consacrent quasi exclusivement à la presse nationale parisienne. Pourtant, les journaux régionaux, en tant que témoins privilégiés de la gestion de la crise à l’échelle microcosmique, sont de puissants outils heuristiques qui nous permettent de faire une histoire locale de l’épidémie. En effet, en contrepoint d’un journalisme parisianocentré, la presse régionale et départementale nous renseigne au jour le jour sur la manière dont la province vit le double cataclysme de la guerre et de la grippe. Dès lors, dans quelle mesure la presse de l’Hérault nous permet-elle de faire un état des lieux de la situation sanitaire locale et nationale. ? Quelles informations, recommandations ou restrictions véhicule-t-elle. ? En somme, quelle histoire de l’épidémie peut-on lire en parcourant les feuilles régionales de l’époque. ?
D’après le fascicule de la Bibliographie de la presse française politique et d’information générale qui recense les journaux parus dans l’Hérault entre 1865 et 1944, la plupart des chefs-lieux d’arrondissement possèdent un ou plusieurs périodiques, mais rares sont ceux qui disposent d’un quotidien. Pendant la Première Guerre mondiale – à l’exception du Journal de Cette qui paraît jusqu’en 1919 – seuls deux titres montpelliérains aux lignes politiques bien distinctes font l’objet d’une publication journalière dans l’Hérault. : L’Éclair, journal monarchiste d’obédience catholique créé en 1881, et Le Petit Méridional, feuille anticléricale lancée en 1876 dans l’optique de conquérir la majorité républicaine. Ces deux journaux, qui s’allient quand il s’agit de faire obstacle à la concurrence, confirment leur hégémonie sur la presse locale pendant près d’un demi-siècle (1893-1944) 3 et bénéficient d’une large audience. Nous nous proposons donc, notamment grâce aux campagnes de numérisation menées par la Bibliothèque nationale de France, d’explorer les numéros de L’Éclair et du Petit Méridional parus entre 1918 et 1920 afin de mettre au jour des récurrences dans le traitement médiatique des épidémies d’hier et d’aujourd’hui et ainsi faire l’archéologie de phénomènes que l’on pourrait croire inédits, mais qui sont en fait profondément ancrés dans notre histoire culturelle.
Le récit de la grippe : un imaginaire médiatique aux couleurs locales
L’annonce de la nouvelle : une bombe à retardement ?
En mars 1918, alors que les premiers cas de grippe se déclarent, la France vit des instants décisifs pour l’issue de la Première Guerre mondiale. L’offensive du Printemps, menée par les Allemands sur le front occidental, polarise l’attention de la presse qui feuilletonne, jour après jour, la progression des troupes ennemies et la riposte des Alliés. Les journaux parisiens se focalisent également sur les bombardements aériens et les tirs de canons allemands qui continuent à menacer la capitale occasionnant l’exode des populations civiles. (13 pages et 13 illustrations)