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Description
La Peste dans le cérémonial des consuls.
Présentation, édition et commentaire d’une relation de la peste de 1720-1723
Pierre-Yves LACOUR * et Nicolas VIDONI **
* Maitre de conférences en Histoire moderne, Université Paul-Valéry Montpellier 3, CRISES EA 4424.
** Maître de conférences en Histoire moderne, Aix-Marseille Université, AMU-UMR Telemme (UMR7303).
Une « relation » de la peste de 1720-1722 est conservée dans le « Cérémonial » des consuls de Montpellier. Cette insertion peut paraître surprenante au regard de la plupart des textes contenus dans le registre, d’autant que l’épidémie a épargné la ville. La mise par écrit et en archive de ce récit consulaire sert essentiellement à trois choses. D’une part, cette « relation » permet de conserver la mémoire des mesures sanitaires prises durant l’épisode de peste en prévision d’un possible retour de l’épidémie. D’autre part, le récit permet d’enregistrer la distribution des rôles entre la Municipalité et le Gouverneur dans la lutte contre l’épidémie, attribuant à l’autorité seule du second les décisions les plus restrictives et notamment la fermeture de la ville. Enfin, ce texte manuscrit tient lieu de pré-écriture de l’histoire de la lutte contre la survenue de la peste à Montpellier, la plupart de ses éléments étant notamment repris par Charles d’Aigrefeuille dans son l’Histoire de la ville de Montpellier dont elle constitue la principale source. Nous publions intégralement ici le texte extrait du Cérémonial.
The plague in the Ceremonial of the Consuls.
Presentation, editing and commentary on a ‘relation’ or matter of the plague of 1720-1723
A “relation” or matter of the plague of 1720-1722 is preserved in the « Ceremony » of the consuls of Montpellier. This insertion may seem surprising, with regard to most of the texts contained in the register, especially as the epidemic spared the city. The writing and archive of this consular narrative serves essentially three purposes. Firstly, this « relation” preserves the memory of the health measures taken during the plague episode, in anticipation of a possible return of the epidemic. Secondly, the narrative records the distribution of roles between the Municipality and the Governor in the fight against the epidemic, assigning the sole authority of the second regarding the most restrictive decisions, and in particular the closure of the city. Finally, this handwritten text serves as a first written draft of the history of the fight against the outbreak of plague in Montpellier, the majority of its elements were used as an important source of l’Histoire de la ville de Montpellier written by Charles d’Aigrefeuille. We have published the full text from the Ceremonial.
La pèsta dins lo Ceremonial dels Cònsols.
Presentacion, edicion e comentari d’una relacion de la pèsta de 1720-1723
Una « relacion » de la pèsta de 1720-1723 es servada dins lo « Ceremonial » dels cònsols de Montpelhièr. Aquela insercion pòt paréisser susprenenta a l’esgard de la màger part dels tèxtes contenguts dins lo registre, de tant mai que la reba esparnhèt la vila. La mesa per escrich e en archiu d’aquel relat consulari servís per l’essencial a tres causas. D’una part, aquesta « relacion » permet de servar la memòria de las mesuras sanitàrias presas pendent l’episòdi de pèsta en prevision d’un retorn possible de la reba. D’autra part, lo relat permet d’enregistrar lo partatge dels ròtles entre la Municipalitat e lo Goverrnador dins la lucha contra la reba, atribuissent a l’autoritat sola del segond las decisions mai restrictivas e en particular la barradura de la vila. Enfin, aquel tèxt manuscrit ten lòc de preescritura de l’istòria de la lucha contra l’arribada de la pèsta a Montpelhièr, la màger part de sos elements essent represes entre autres per Carles d’Agrafuèlha (Charles d’Aigrefeuille) dins son Histoire de la ville de Montpellier (Istòria de la vila de Montpelhièr) que ne constituís la sorsa màger. Çai publicam integralament lo tèxt extrach del Ceremonial.
Présentation
La relation des événements liés à la peste dite « de Marseille » à Montpellier entre les années 1720 et 1723 est insérée dans le registre BB 202 du Cérémonial consulaire qui couvre la période 1714 à 1737. La « rellation », qui occupe 7 pages dans le volume, entre l’entame de la page 95 et le premier tiers de la page 101, est placée entre une fête pour saint Roch datée de mars 1720 et la lecture d’une tragédie au collège jésuite le 7 août 1721. Ainsi qu’on le lit dans son titre, la relation décrit les événements liés à la peste et survenus à Montpellier entre le 20 août 1720 et le 2 décembre 1722. La période d’environ 28 mois couverte par le récit déborde ainsi les enregistrements suivants du cérémonial, ceux compris entre août 1721 et décembre 1722 qui s’étalent des pages 101 à 105 du registre. Cela suggère que cette relation et les événements qui la suivent ont été mis au propre sur le registre à distance des événements, ce qui pourrait aussi expliquer les passages du texte laissés en blanc.
La relation de peste consacre ses trois premières pages à quelques journées de l’été 1720 puis les quatre suivantes aux deux années et demi qui suivent. Au bas de la page 97, l’expression « dans la Suitte du temps » marque la bascule entre le moment très resserré des journées d’août 1720 et, la durée, beaucoup plus longue des mois suivants. À ce moment-là, les dates disparaissent d’ailleurs du texte. Dans le même volume, deux enregistrements plus tardifs mentionnent encore l’épisode, l’un le 17 août 1721 à l’occasion d’une procession générale en remerciement de la protection divine accordée à la ville à la page 102, l’autre en mars 1723 à l’occasion d’une messe en action de grâce pour le même motif à la page 107. Ces deux brefs enregistrements ont également été retranscrits dans notre édition de la « rellation ».
Le registre BB 202 fait partie d’une série des dix volumes in-folio appelés « Cérémoniaux consulaires » qui couvrent les années 1640 à 1791 (BB 197 à 206). Ces Cérémoniaux enregistrent les mentions des différentes cérémonies auxquelles ont participé les consuls montpelliérains pendant leur charge. Ils proposent ainsi une mémoire officielle des actions consulaires, sorte de pré-écriture de l’histoire de la ville, accessible dès le XVIIIe siècle dans les archives de l’Hôtel de ville. On peut dresser une brève typologie des événements les plus couramment rapportés dans ces Cérémoniaux :
- Élections et installations des consuls ;
- Fêtes religieuses et processions ;
- Béatifications et canonisations ;
- Entrées de ville ;
- Enterrements et naissances de grands personnages ;
- Ouvertures des séances des États du Languedoc, des audiences de la Cour des aides et assemblées publiques de la Société royale des sciences ;
- Visites ;
- Inaugurations ;
- Pièces de théâtre du collège jésuite et soutenances de thèses ;
Ces mentions sont en général assez courtes, de l’ordre de quelques phrases ou paragraphes. Certains événements exceptionnels font néanmoins l’objet de relations beaucoup plus longues. Par exemple, le registre BB 202 accorde plusieurs pages à une grande inondation en 1723, à une tornade en 1729, à un incendie en 1731 ou à la prise de navires de pêche à Agde en 1733. Le cas de la relation de peste n’est donc pas absolument unique ni même exceptionnel. La « rellation » a été couchée sur le registre par le greffier du consulat, un certain Fatgier, mentionné dans le texte lui-même. L’identité du scripteur est confirmée par la comparaison entre la graphie et l’orthographe au sein de la « rellation » et dans d’autres écrits issus de la même main dans le registre des délibérations municipales. Fatgier est alors greffier du consulat et garde des archives. Il le restera jusqu’en 1723. Scripteur de cette « rellation », il en est probablement aussi l’auteur – le texte indique seulement que l’auteur est un témoin montpelliérain des événements racontés. Quoi qu’il en soit, de par sa fonction, Fatgier écrit d’abord au nom du Consulat à l’image de l’un de ses prédécesseurs qui disait écrire « par commandement de mesdits seigneurs les consulz ».
Mais pourquoi consigner cette relation de peste dans le Cérémonial des consuls ? Pour le comprendre, on peut faire un détour par les usages d’un texte contenu dans le même registre BB 202. La « publication de la déclaration de la guerre contre l’empereur » fournit en effet un élément de réponse à notre question. En octobre 1733, l’intendant du Languedoc ordonne aux consuls de la ville de « faire publier » cette déclaration de guerre. Ces derniers « ayant Cherché dans les Ceremoniaux de la ville, de quelle maniere on auroit cydevant fait Cette publication, il na eté rien trouvé decrit » et les consuls délibèrent alors d’une forme de publication à adopter qu’ils inscrivent dans le Cérémonial. Le Cérémonial sert ainsi à enregistrer des procédures pour l’avenir, ici la publication de la guerre, là les mesures sanitaires face à l’épidémie de peste. Comme l’écrit Alexandre Wenger à propos d’un règlement pour lutter contre la peste produit à Genève en 1721 face à la menace d’extension de l’épidémie venue de Marseille, « consulter les registres tenus au cours des épidémies précédentes pour se remémorer les mesures prises est une pratique constante, presque un réflexe, de la part des autorités ».
Pourtant, cette relation n’a rien de commun avec les décisions relatives à la peste consignées dans le registre des délibérations municipales qui n’y sont jamais mises en récit. Il renvoie bien davantage à l’écriture des chroniques urbaines, dans le cas présent au Petit Thalamus de Montpellier. Ce manuscrit, le plus ancien texte de ce genre de l’Occident médiéval, se donne comme une « histoire consulaire » sur quatre siècles entre 1204 à 1604, chronique occitane jusque 1426 puis française à partir de 1502, partant des fastes consulaires, les listes de consuls lors de leur entrée en charge. La chronique, liée à l’apparition du consulat au tout début du XIIIe siècle, s’inscrit dans une perspective politique d’affirmation de l’unité de la communauté, par delà les divisions au sein des élites urbaines. Les ressemblances entre le Cérémonial consulaire et le Petit Thalamus tel qu’il a été décrit récemment – l’origine consulaire, la centralité des fastes et élections des consuls, l’écriture par le greffier du consulat, l’inscription simultanée de plusieurs événements, la présence de récits d’événements marquants, la fiction de l’unité du corps urbain – laissent entendre que le premier est peut-être un prolongement du second après une éclipse longue de plusieurs décennies, ce qui mériterait sans doute d’être étudié plus avant. […]
Informations complémentaires
Année de publication | 2020 |
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Nombre de pages | 6 |
Auteur(s) | Nicolas VIDONI, Pierre-Yves LACOUR |
Disponibilité | Produit téléchargeable au format pdf |