La peste dans le cérémonial des consuls relation de la peste de 1720-1723
La Peste dans le cérémonial des consuls.
Présentation, édition et commentaire d’une relation de la peste de 1720-1723
Pierre-Yves LACOUR * et Nicolas VIDONI **
* Maitre de conférences en Histoire moderne, Université Paul-Valéry Montpellier 3, CRISES EA 4424.
** Maître de conférences en Histoire moderne, Aix-Marseille Université, AMU-UMR Telemme (UMR7303).
P. 75 à 80
Une « relation » de la peste de 1720-1722 est conservée dans le « Cérémonial » des consuls de Montpellier. Cette insertion peut paraître surprenante au regard de la plupart des textes contenus dans le registre, d’autant que l’épidémie a épargné la ville. La mise par écrit et en archive de ce récit consulaire sert essentiellement à trois choses. D’une part, cette « relation » permet de conserver la mémoire des mesures sanitaires prises durant l’épisode de peste en prévision d’un possible retour de l’épidémie. D’autre part, le récit permet d’enregistrer la distribution des rôles entre la Municipalité et le Gouverneur dans la lutte contre l’épidémie, attribuant à l’autorité seule du second les décisions les plus restrictives et notamment la fermeture de la ville. Enfin, ce texte manuscrit tient lieu de pré-écriture de l’histoire de la lutte contre la survenue de la peste à Montpellier, la plupart de ses éléments étant notamment repris par Charles d’Aigrefeuille dans son l’Histoire de la ville de Montpellier dont elle constitue la principale source. Nous publions intégralement ici le texte extrait du Cérémonial.
The plague in the Ceremonial of the Consuls.
Presentation, editing and commentary on a ‘relation’ or matter of the plague of 1720-1723
A “relation” or matter of the plague of 1720-1722 is preserved in the « Ceremony » of the consuls of Montpellier. This insertion may seem surprising, with regard to most of the texts contained in the register, especially as the epidemic spared the city. The writing and archive of this consular narrative serves essentially three purposes. Firstly, this « relation” preserves the memory of the health measures taken during the plague episode, in anticipation of a possible return of the epidemic. Secondly, the narrative records the distribution of roles between the Municipality and the Governor in the fight against the epidemic, assigning the sole authority of the second regarding the most restrictive decisions, and in particular the closure of the city. Finally, this handwritten text serves as a first written draft of the history of the fight against the outbreak of plague in Montpellier, the majority of its elements were used as an important source of l’Histoire de la ville de Montpellier written by Charles d’Aigrefeuille. We have published the full text from the Ceremonial.
La pèsta dins lo Ceremonial dels Cònsols.
Presentacion, edicion e comentari d’una relacion de la pèsta de 1720-1723
Una « relacion » de la pèsta de 1720-1723 es servada dins lo « Ceremonial » dels cònsols de Montpelhièr. Aquela insercion pòt paréisser susprenenta a l’esgard de la màger part dels tèxtes contenguts dins lo registre, de tant mai que la reba esparnhèt la vila. La mesa per escrich e en archiu d’aquel relat consulari servís per l’essencial a tres causas. D’una part, aquesta « relacion » permet de servar la memòria de las mesuras sanitàrias presas pendent l’episòdi de pèsta en prevision d’un retorn possible de la reba. D’autra part, lo relat permet d’enregistrar lo partatge dels ròtles entre la Municipalitat e lo Goverrnador dins la lucha contra la reba, atribuissent a l’autoritat sola del segond las decisions mai restrictivas e en particular la barradura de la vila. Enfin, aquel tèxt manuscrit ten lòc de preescritura de l’istòria de la lucha contra l’arribada de la pèsta a Montpelhièr, la màger part de sos elements essent represes entre autres per Carles d’Agrafuèlha (Charles d’Aigrefeuille) dins son Histoire de la ville de Montpellier (Istòria de la vila de Montpelhièr) que ne constituís la sorsa màger. Çai publicam integralament lo tèxt extrach del Ceremonial.
Présentation
La relation des événements liés à la peste dite « de Marseille » à Montpellier entre les années 1720 et 1723 est insérée dans le registre BB 202 du Cérémonial consulaire qui couvre la période 1714 à 1737 1. La « rellation », qui occupe 7 pages dans le volume, entre l’entame de la page 95 et le premier tiers de la page 101, est placée entre une fête pour saint Roch datée de mars 1720 et la lecture d’une tragédie au collège jésuite le 7 août 1721. Ainsi qu’on le lit dans son titre, la relation décrit les événements liés à la peste et survenus à Montpellier entre le 20 août 1720 et le 2 décembre 1722. La période d’environ 28 mois couverte par le récit déborde ainsi les enregistrements suivants du cérémonial, ceux compris entre août 1721 et décembre 1722 qui s’étalent des pages 101 à 105 du registre. Cela suggère que cette relation et les événements qui la suivent ont été mis au propre sur le registre à distance des événements, ce qui pourrait aussi expliquer les passages du texte laissés en blanc.
La relation de peste consacre ses trois premières pages à quelques journées de l’été 1720 puis les quatre suivantes aux deux années et demi qui suivent. Au bas de la page 97, l’expression « dans la Suitte du temps » marque la bascule entre le moment très resserré des journées d’août 1720 et, la durée, beaucoup plus longue des mois suivants. À ce moment-là, les dates disparaissent d’ailleurs du texte. Dans le même volume, deux enregistrements plus tardifs mentionnent encore l’épisode, l’un le 17 août 1721 à l’occasion d’une procession générale en remerciement de la protection divine accordée à la ville à la page 102, l’autre en mars 1723 à l’occasion d’une messe en action de grâce pour le même motif à la page 107. Ces deux brefs enregistrements ont également été retranscrits dans notre édition de la « rellation ».
Le registre BB 202 fait partie d’une série des dix volumes in-folio appelés « Cérémoniaux consulaires » qui couvrent les années 1640 à 1791 (BB 197 à 206). Ces Cérémoniaux enregistrent les mentions des différentes cérémonies auxquelles ont participé les consuls montpelliérains pendant leur charge. Ils proposent ainsi une mémoire officielle des actions consulaires, sorte de pré-écriture de l’histoire de la ville, accessible dès le XVIIIe siècle dans les archives de l’Hôtel de ville. On peut dresser une brève typologie des événements les plus couramment rapportés dans ces Cérémoniaux :
- Élections et installations des consuls ;
- Fêtes religieuses et processions ;
- Béatifications et canonisations ;
- Entrées de ville ;
- Enterrements et naissances de grands personnages ;
- Ouvertures des séances des États du Languedoc, des audiences de la Cour des aides et assemblées publiques de la Société royale des sciences ;
- Visites ;
- Inaugurations ;
- Pièces de théâtre du collège jésuite et soutenances de thèses ;
- Réceptions de chirurgiens à la maîtrise.
Ces mentions sont en général assez courtes, de l’ordre de quelques phrases ou paragraphes. Certains événements exceptionnels font néanmoins l’objet de relations beaucoup plus longues. Par exemple, le registre BB 202 accorde plusieurs pages à une grande inondation en 1723, à une tornade en 1729, à un incendie en 1731 ou à la prise de navires de pêche à Agde en 1733. Le cas de la relation de peste n’est donc pas absolument unique ni même exceptionnel. La « rellation » a été couchée sur le registre par le greffier du consulat, un certain Fatgier, mentionné dans le texte lui-même. L’identité du scripteur est confirmée par la comparaison entre la graphie et l’orthographe au sein de la « rellation » et dans d’autres écrits issus de la même main dans le registre des délibérations municipales 2. Fatgier est alors greffier du consulat et garde des archives. Il le restera jusqu’en 1723. Scripteur de cette « rellation », il en est probablement aussi l’auteur – le texte indique seulement que l’auteur est un témoin montpelliérain des événements racontés. Quoi qu’il en soit, de par sa fonction, Fatgier écrit d’abord au nom du Consulat à l’image de l’un de ses prédécesseurs qui disait écrire « par commandement de mesdits seigneurs les consulz 3 ».
Mais pourquoi consigner cette relation de peste dans le Cérémonial des consuls ? Pour le comprendre, on peut faire un détour par les usages d’un texte contenu dans le même registre BB 202. La « publication de la déclaration de la guerre contre l’empereur » fournit en effet un élément de réponse à notre question 4. En octobre 1733, l’intendant du Languedoc ordonne aux consuls de la ville de « faire publier » cette déclaration de guerre. Ces derniers « ayant Cherché dans les Ceremoniaux de la ville, de quelle maniere on auroit cydevant fait Cette publication, il na eté rien trouvé decrit » et les consuls délibèrent alors d’une forme de publication à adopter qu’ils inscrivent dans le Cérémonial. Le Cérémonial sert ainsi à enregistrer des procédures pour l’avenir, ici la publication de la guerre, là les mesures sanitaires face à l’épidémie de peste. Comme l’écrit Alexandre Wenger à propos d’un règlement pour lutter contre la peste produit à Genève en 1721 face à la menace d’extension de l’épidémie venue de Marseille, « consulter les registres tenus au cours des épidémies précédentes pour se remémorer les mesures prises est une pratique constante, presque un réflexe, de la part des autorités 5 ».
Pourtant, cette relation n’a rien de commun avec les décisions relatives à la peste consignées dans le registre des délibérations municipales qui n’y sont jamais mises en récit 6. Il renvoie bien davantage à l’écriture des chroniques urbaines, dans le cas présent au Petit Thalamus de Montpellier. Ce manuscrit, le plus ancien texte de ce genre de l’Occident médiéval, se donne comme une « histoire consulaire » sur quatre siècles entre 1204 à 1604, chronique occitane jusque 1426 puis française à partir de 1502, partant des fastes consulaires, les listes de consuls lors de leur entrée en charge 7. La chronique, liée à l’apparition du consulat au tout début du XIIIe siècle, s’inscrit dans une perspective politique d’affirmation de l’unité de la communauté, par delà les divisions au sein des élites urbaines 8. Les ressemblances entre le Cérémonial consulaire et le Petit Thalamus tel qu’il a été décrit récemment 9 – l’origine consulaire, la centralité des fastes et élections des consuls, l’écriture par le greffier du consulat, l’inscription simultanée de plusieurs événements, la présence de récits d’événements marquants, la fiction de l’unité du corps urbain – laissent entendre que le premier est peut-être un prolongement du second après une éclipse longue de plusieurs décennies, ce qui mériterait sans doute d’être étudié plus avant 10.
Le Cérémonial, de par ses usages, a donc une double dimension, à la fois jurisprudentielle et mémorielle. L’usage jurisprudentiel consiste ici à garder la trace de la composition des forces dans la prise de décision politique et des dispositifs de lutte contre la « contagion ». La fermeture de la ville, contestée par une partie des habitants dans un temps de disette et d’instabilité monétaire, est présentée comme la décision – autoritaire – du gouverneur du Languedoc, le duc de Roquelaure que les consuls n’ont pu qu’exécuter. L’usage mémoriel permet, lui, de produire par le récit des fêtes et des réjouissances la fiction de l’unité d’une communauté comme on le lit dans l’emploi du pronom personnel « nous » à la fin de la « rellation » qui sert à désigner l’ensemble des Montpelliérains. Resserrée autour du consulat et de ses élites, en lien avec les États de la province, la communauté y apparaît unie et la peste est alors l’occasion de masquer les dissensions au sein des différents groupes urbains, comme le refus par la garde bourgeoise d’exécuter les ordres des commissaires du Bureau de Santé d’un rang social inférieur 11. Ces dimensions jurisprudentielles et mémorielles peuvent expliquer que l’on retrouve des échos directs de cette relation dans d’autres textes du XVIIIe siècle.
En aval de sa rédaction, la « rellation » de peste du cérémonial est la principale – mais non l’unique – source d’un chapitre de l’Histoire de la ville de Montpellier rédigée par Charles d’Aigrefeuille (1668-1743) et publiée la première fois chez l’imprimeur montpelliérain Jean Martel en 1740 et non 1737 comme l’indique la page de titre 12. Au livre XX, d’Aigrefeuille décrit « la crainte de la contagion, qui commença par la ville de Marseille, d’où elle se répandit dans toute la Provence 13 » et fait explicitement mention du Cérémonial à propos de la venue à Montpellier de l’ambassadeur de la Porte, Mehemet Effendi en septembre 1721 14. Les d’Aigrefeuille, le président de la Cour des comptes, aides et finances Jean-Pierre comme l’abbé Charles disent d’ailleurs avoir eu accès aux archives de l’Hôtel-de-ville dans les années 1720-1730 15.
Pourtant, d’Aigrefeuille s’appuie à l’évidence sur une autre version du texte qui a pu circuler dans la ville de Montpellier et/ou sur des témoignages complémentaires qu’ils soient écrits ou oraux. À propos de la mise en place des lignes sur le Tarn, il décrit en effet l’arrivée dans le pays d’un « grand-nombre de Brassiers, qui, après avoir fait la Vandange dans leur Païs viénent à Montpellier pour y être Porteurs-de-Chaise durant l’Hiver » 16. L’ajout du nom de la rivière qui manque dans la « rellation » de peste et la précision sur l’occupation des vendangeurs apportée précisément là où ce récit semble incohérent parce qu’incomplet laisse supposer que d’Aigrefeuille ne s’est pas exclusivement appuyé sur le texte du Cérémonial consigné en BB 202 que nous éditons.
D’ailleurs, entre le cérémonial et l’Histoire, quelques différences sont repérables hormis l’écriture elle-même, moins précise mais plus fluide chez d’Aigrefeuille. La plus évidente concerne le découpage des deux textes. La « rellation » du Cérémonial est d’un bloc tandis que le chapitre de l’Histoire entremêle, dans sa narration, des épisodes de la peste et des événements également survenus dans les années 1720-1722 comme la venue de l’ambassadeur ottoman, la banqueroute de Law ou le mariage du roi avec l’infante d’Espagne. La « rellation » du cérémonial constitue bien davantage un récit de la peste de Montpellier que le chapitre de l’Histoire de d’Aigrefeuille. De manière a priori paradoxale, l’historien démembre en effet une relation qui se donne comme un bloc narratif cohérent dans sa principale source.
Document
« Rellation de ce qui sest passé a la ville de Montpellier depuis le 2 aoust 1720 jusques au 2 Xbre 1722 que lad. ville a resté dans la crainte d’estre affligée de la maladie contagieuse a cause de celle qui affligeoit la ville de Marseille et quy attaque dans la suitte presque tout le reste de la province partie du Gevaudan et des Sevenes », p. 95-101.
« Le judy premier Aoust 1720 Monseigneur le Duc de Roquelaure 17 lieutenant général des armées du Roy Commandant en chef dans le haut et bas Languedoc toujour attentif pour le bien de la province de meme que M. de Bernage 18 Conseiller d’Estat ordinaire intendant de cette province manderent a Messieurs les Consuls de se trouver a dix heures du matin a la maison de M. le president Desplan 19 ou loge Mgr le duc de Roquelaure.
M. de Ranchin 20 M. Fabre 21 et M. Bellonnet 22 premier second et troisieme consul et Fatgier 23 greffier ce rendirent a lad. maison ou se trouva Monseigneur de Bernage M. Loys 24 son subdelegué et plusieurs autres notables habitans qui s’y estoint rendus.
Ou Estant led. seigneur duc de Roquelaure dit au sieurs Conseul qu’il avoit apris // a ne pouvoir pas en douter que la ville de Marseille Estoit attaquée de maladie contagieuse et que pour Eviter que personne ny marchandises venant de lad. ville ne trassent dans cette ville il faloit faire fermer cinq des portes qui Estoit les moins necessaires et qu’il faloit laisser les autres deux ouvertes qui seroit gardées par la garde bourgeoise Et par des Nottables habitans qui ne permettroit l’entrée aux Estrangers et marchandises venant de Marseille d’aucune manière Et des autres lieux sens estre munis de certifficats de santé Et qu’en attendant que les Barrières Et murailles de Cloture fussent faittes pour empecher la Communiquation des fauxbourgs avec le dehors qu’il seroit posé une garde au pont de Castelnau une au pont Jouvenal et une au pont de Lattes Et quon laisseroit la porte du pilla St Gelly ouverte et celle de Lattes seroint gardées par de Bourgeoisie et des Nottables habitans.
À cette triste et douloureuse nouvelle Messieurs du Chapitre St Pierre Messieurs de la Cour des aydes Messieurs les Trésoriers de france du présidial Et généralement de toutes sortes d’Estat // Et de conditions ce vinrent offrir a Messieurs les Consuls a l’hotel de Ville pour monter aux deux portes En qualité de Nottables.
Le Vendredy second aoust les portes de la Sonnerie de St Guillem du Peyrou des Carmes Et de la Blanquerie furent fermées et ne resta que la porte du Pilla St Gelly et celle de lattes d’ouvertes et la garde fut Establie aux pons de Castelneau de Jouvenal et Lattes. Cella dura jusques a ce que les Barrieres et murailles de Clotures fussent faites auxquelles ont travailla avec toute la diligence possible travaillant festes et Dimanches avec la permission de M. l’Eveque ou de son grand vicaire.
Monseigneur le Duc de Roquelaure rendit led jour 2 aoust une ordonnance portant de quelle manière la garde des portes et Barrieres seroint faite tant par la Bourgeoisie que Nottables habitans et des precautions qu’il y avoit a prendre pendant le temps quon seroit dans la crainte de la contagion.
La porte de Lattes fut fermée le [blanc] et celle de la Sonnerie fut ouverte ayant esté reconnu qu’elle convenoit mieux pour les Voyageurs Et pour le commerce que celle de Lattes dans la Suitte du temps Et la solicitation des habitans du // fauxbourg St Guillem qui souffroint beaucoup par la fermeture de la porte Monseigneur le Duc de Roquelaure en ordonna l’ouverture le ………. Et ne fut refermée que quinze jours après qu’on ouvrit celle de la Sonnerie et on continua de les ouvrir alternativement de quinsaine en quinsaine la porte du peyrou celle de la Blanquerie et Lattes furent ouvertes pendant tout le temps des vendanges seulement et fermée dans tout autre temps…
Le Mal Contagieux s’estant communiqué dans le Gevaudan il fut posé des lignes sur la Rivière de [blanc] 25 avec deffances a tous ceux qui Estoit dans l’Intérieur de les passés a peine de la vie. Cette sécurité ne fut pas capable de retenir un grand nombre de porteurs de cette ville qui avoit Esté faire la vendange dans le pais dont le plus grand nombre et de ces quartiers de les passer par des chemins qu’ils connoissoit Et qui Estoint inconnus Et presque impraticables aux troupes qui Estoint chargées de la garde des Lignes parmy ce grand nombre il en fut trouvé deux l’un nommé Jean Boyer // Estably en cette ville et autre nommé pierre Teyssier quy furent condemnés par Monseigneur de Roquelaure avoir la Teste cassée le nommé Boyer fut exécuté, cette tragique scene ce passa a la plaine de Sauret, Le Mal augmenté sy fort dans le Gevaudan qu’il ce communiqua dans la ville d’Allais qui fut d’abord Bloquée et interdite de tout commerce du Coté de la partie quy n’estoit pas attaquée on Eut de sy grandes Craintes pour le haut Languedoc qu’il fut posé des Lignes sur toute la rivière d’Orbe qui passe auprès de Béziers Et personne ne pouvoit aller dans le haut Languedoc sans estre obligés a faire une quarantaine, Et a passer par le parfuin les marchandises subcetibles faisoit aussy quarantaine Et Estoint mises a levent.
Cette crainte n’empecha Monseigneur de Roquelaure Et M. de Bernage qua la fin des Estats qui Estoit a Narbonne pour rassurer le public ne revinsent a Montpellier quy a leur arrivée fit de grandes réjouissances fit un feu d’artiffice. Et plusieurs tonneaux de vin furent mis en perce sur la place de l’hotel de Ville Et plusieurs autres marques de réjouissance dont chacun a l’envye l’un de l’autre // s’empressoit de donner de justes témoignages de joye du retour de ces seigneurs par l’espoir de sortir bientôt desclavage qui devoit finir par la cessation des lignes quy furent otées d’abord après que la Contagion Eut cessé dans tous les lieux attaqués Et que dans le voisinage le mal ne fit point de nouveaux progrès Ensuitte de quoy il fut chanté un Te deum dans l’Eglise St Pierre pour rendre grace au seigneur de ce que par sa toute bonté il avoit preservé cette ville du mal contagieux ou il assista Monseigneur le Duc de Roquelaure M. de Bernage Messieurs de la Cour des aydes Trésoriers de France presidial consuls et greffier revetus de leur robe avec une grande quantité de public qui estoit acouris de toutes parts.
Dans le temps de la Contagion il fut fait plusieurs processions générales pour demander a dieu de nous faire la grace de nous garentir du fleaux dont nous Etions menassés Messieurs les consuls firent a cette Intention un vœu a St Roch // dont leur Tableau fut mis dans l’Eglise Notre Dame des tables 26 Entre la chapelle des dames de la miséricorde et celle de M. de la Forets de Toiras il fut dit pendant tout ce temps de calamité tous les jours une messe a cette intention dans la meme Eglise a la chapelle St Roch a neuf heures du matin ou Messieurs les consuls Estoint apellés et auxquelles ils ont presque toujours assisté. »
[…].
[p. 102] « Procession generalle.
« Le meme Jour [dimanche 17 août 1721] messieurs les Consuls et greffe revettus de leurs robes ont assisté a la procession generalle qui a esté faitte pour prier le Seigneur de nous preserver de la maladie contagieuse dont nous sommes menassés ».
[…].
[p. 107] « Feu de joye a locasion de la contagion.
« Le 7. dud. Mois de mars 1723. Messieurs les consuls revetus de leurs robes ont esté a leglise Cathedrale St. Pierre ou il a esté chanté le te deum en action de graces de la cessation de la maladie Contagieuse qui estoit a marseille et autres Endroits de cette province et le soir au feu de joye quy a esté fait devant lhotel de Ville, auquel a assisté m. Le duc de Roquelaure Commandant en chef dans cette province ».
Commentaire
Les pages du Cérémonial – comme d’ailleurs le chapitre de l’Histoire de d’Aigrefeuille – décrivent les mesures prises par les autorités pour lutter préventivement contre la menace de la peste : confinement de la ville ; émissions de certificats de santé ; quarantaine des personnes et des marchandises ; installation de lignes sur les cours d’eau ; parfumage des marchandises ; processions religieuses 27. Elles n’ont rien de spécifiques et se retrouvent presque à l’identique dans les villes de Provence et du Languedoc menacées par l’épidémie et parfois au-delà comme à Genève 28. Certaines mesures sont également consignées dans le registre des délibérations municipales. Le Conseil de Ville y évoque la question de la « contagion » ou du « mal contagieux » à 21 reprises.
Comme le Cérémonial consulaire, le registre des délibérations municipales mentionne la fermeture des portes de la ville qui est signifiée aux consuls par le duc de Roquelaure le 1er août 1720 29. Le 6 août 1720, le Conseil des Vingt-Quatre décide d’établir, en complément du système de fermeture des portes, des « barrières sur les avenues » de la ville et à murer les « passages les moins nécessaires », c’est-à-dire les trous dans les murailles 30. Cette dernière opération se fait « a pierre chaux et sable […] avec autant d’oeconomie que faire ce pourra ». Le problème de la clôture est à nouveau évoqué le 18 octobre 1720 quand Ranchin, premier consul, rappelle les dispositions imposées par le duc de Roquelaure, et les justifie par la personnalité du gouverneur, « toujours porté, remply de bonté pour le bien publicq […] qui n’est pas resté dans l’inaction 31 ». Il ajoute : « on ne peut qu’admirer son zele et luy rendre grâce des bontés qu’il a pour cette communauté ». Cette mention élogieuse intervient alors que l’épidémie épargne la ville et que des murmures se font entendre dans un contexte de disette.
Lors de la séance du 20 février 1722, le « fléau de la peste » est mentionné une dernière fois dans le registre des délibérations à propos des remerciements adressés par les consuls à la Vierge et à Saint Roch 32. Les consuls sont alors invités par l’assemblée à poursuivre leurs prières quotidiennes pour maintenir éloignée la contagion, réponse spirituelle et politique très ordinaire lors des épidémies de peste. Les délibérations et le Cérémonial s’accordent sur ces pratiques de foi – processions générales, messes en action de grâce – mais divergent sur un point, une promesse assortie d’un engagement financier. Le registre des délibérations contient l’annonce de « faire batir & décorer une Eglise en l’honneur » de saint Roch, ce que le cérémonial ne mentionne à aucun moment. À l’évidence, l’engagement bâtisseur du Conseil n’a pas résisté aux contingences financières de la communauté.
L’Histoire de d’Aigrefeuille renferme également un élément important absent du Cérémonial : « On fit imprimer des réglemens sur tout ce qu’il y avoit à observer pour l’entrée des personnes & des marchandises venant des lieux suspects, & l’on établit, à l’Hôtel-de-Ville, un bureau de santé, pour juger de tous les cas que les préposez à la garde des portes leur renvoyeroient » 33. Nulle part, la relation du Cérémonial ne mentionne le bureau de santé pourtant très actif et assez autonome vis-à-vis de la monarchie jusque la fin de l’année 1721. Ce Bureau de santé est par contre mentionné dans les registres du Conseil des Vingt-Quatre 34. Il est formellement créé par un arrêt du Parlement de Toulouse du 27 août 1720. Un « Conseil de santé » existe d’ailleurs avant cette date qui est une émanation du Bureau de police auquel ont été adjoints « des medecins appoticaires et chirurgiens 35 ». Le Bureau de santé a pour mission de « juger » les faits en rapport avec la contagion, et d’organiser le système préventif. Mais en réalité, loin d’être un tribunal aux pouvoirs illimités 36, il dépend étroitement pour agir du Conseil de ville qui contrôle ses finances, choisit ses membres et lui fournit pour 30 000 livres de médicaments et de savon dans une conjoncture économique rendue difficile par la raréfaction de la monnaie métallique et l’essor des mécanismes spéculatifs permis par le système de Law qui fait banqueroute entre l’été et l’automne 1720 37.
Le 17 décembre 1720, le Bureau de santé juge d’ailleurs la somme insuffisante, et le premier consul Ranchin dramatise la situation de la ville au Conseil des Vingt-Quatre pour obtenir des crédits supplémentaires. Le danger n’est pas que sanitaire mais au moins autant social et politique : « Il s’agit aussy par cette prevoyance dont nous avons parlé de se mettre a l’abry des séditions dont les pauvres gens sont capables, qui seroit arrestées par une subsistance raisonnable, ce qui ne seroit guerre un moindre bien, en Evitant les séditieux et murmures des pauvres que celuy de nous garantire de la maladie contagieuse » 38. Le gouvernement de la ville pendant cet épisode de peur de la peste repose donc sur un triptyque institutionnel – Bureau de santé, Bureau de police et Conseil de ville – composé de membres des mêmes groupes dominants, élargi aux couches inférieures de la bourgeoisie urbaine qui sont appelées à participer, à l’échelle de leur rue ou de leur quartier, à la surveillance du quotidien et à la lutte contre les risques de contagion. L’apaisement en 1721 de la population, dû à des récoltes meilleures, ouvre la voie à d’autres remises en cause, notamment sur le caractère strict de la clôture de la ville 39. Sans surprise, la relation de peste tait ces contestations politiques.
BIBLIOGRAPHIE
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CARRIERE, COUDURIE, REBUFFAT, 1988 : CARRIÈRE (Charles), COUDURIÉ (Marcel) REBUFFAT (Ferréol), Marseille ville morte : la peste de 1720, Marseille, J.-M Garçon,? 1988, 356 pages.
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D’AIGREFEUILLE 1875 ou 1877 : D’AIGREFEUILLE (Charles), Histoire de la ville de Montpellier, Montpellier, Jean Martel, 1737 [en fait 1740].
D’AIGREFEUILLE 1875 ou 1877 : D’AIGREFEUILLE (Charles), Histoire de la ville de Montpellier depuis son origine jusqu’à notre temps, Montpellier, C. Coulet, coll. « Collection des cent-quinze de la Société des bibliophiles languedociens », 1875-1877, 2 vol.
FAURE 1977 : FAURE (Edgar), La banqueroute de Law : 17 juillet 1720, Paris, Gallimard, coll. « Trente journées qui ont fait la France », n° 15, 1977, 742 pages.
GERMAIN 1862 : GERMAIN (Alexandre), Le Président Jean-Pierre d’Aigrefeuille, bibliophile et antiquaire, Montpellier, Imprimerie de Boehm et fils, 1862, 44 pages.
VIDONI 2016 : VIDONI (Nicolas), « La peste et le gouvernement municipal. Montpellier, 1720-1723 », Annales du Midi, 4, 2016, p. 389-409.
WENGER 2003 : WENGER (Alexandre Charles), « Un règlement pour lutter contre la peste? : Genève face à la grande peste de Marseille (1720-1723) », Gesnerus, 60-1-2, 2003, p. 62-82.
NOTES
1. Archives municipales de Montpellier (désormais AMM), BB 202, Cérémonial consulaire, p. 95-101.
2. Par exemple, AMM, BB 413, Registre des délibérations du Conseil de Ville, séances du 13 mars 1720 et du 4 novembre 1722.
3. CHALLET, CONESA, DURAND 2018, page 525.
4. AMM, BB 202, pages 283-284.
5. WENGER 2003, page 67.
6. AMM, BB 413.
7. CHALLET, CONESA, DURAND 2018, page 523.
8. Ibid., page 513-517.
9. Ibid., page 523.
10. Voir BB 206 pour l’année 1788. Voir aussi BB 196 pour l’année 1432 par comparaison avec le Petit Thalamus.
11. VIDONI 2016, page 408.
12. d’AIGREFEUILLE 1737, page de titre. Voir la notice de La Pijardière, alors archiviste de l’Hérault, dans sa republication d’AIGREFEUILLE 1875.
13. d’AIGREFEUILLE 1877, volume 2, page 311.
14. Ibid., volume 2, page 311.
15. GERMAIN 1862, p. 22 ; d’AIGREFEUILLE 1737, préface.
16. d’AIGREFEUILLE 1877, volume 2, page 312.
17. Antoine-Gaston-Jean-Baptiste, duc de Roquelaure (1656-1738), lieutenant général des armées du roi depuis 1696 puis commandant en chef pour sa majesté en la Province de Languedoc à partir de 1706, il fait réprimer les camisards, participe à la libération des villes de Sète et d’Agde dont les troupes anglaises s’étaient emparées et met en œuvre des mesures d’isolement pur éviter la propagation de la peste de Marseille de 1720.
18. Louis de Bernage (1663-1737), intendant de la province du Languedoc depuis 1718.
19. Jacques de Valette-Desplans, seigneur Desplans (1699-1735), conseiller maître en la Cour des comptes, aides et finances de Montpellier en 1723.
20. Pierre de Ranchin, lieutenant du Roi à Aigues-Mortes, premier consul en 1720.
21. François Fabre, bourgeois, deuxième consul en 1720.
22. Antoine Bellonnet, notaire royal, troisième consul en 1720.
23. Fatgier, greffier du consulat et garde des archives jusqu’en 1723.
24. Jérôme Loys (1633-1728), subdélégué de l’intendant du Languedoc.
25. D’après d’Aigrefeuille, il s’agit du Tarn.
26. L’église Notre-Dame-des-Tables se trouve à côté du consulat.
27. Voir sur la peste à Montpellier l’article de Fleur Beauvieux et Nicolas Vidoni dans ce numéro.
28. CARRIÈRE, COUDURIÉ, REBUFFAT 1988 ; WENGER 2003, pages 62-82.
29. AMM, BB 413, fol. 134 v°.
30. Ibid., fol. 31 v°.
31. Ibid., fol. 52 v°.
32. Ibid., fol. 149 v°.
33. D’AIGREFEUILLE 1877, volume 2, page 311.
34. Sur le Conseil des Vingt-Quatre, voir : ARNAUD 1919.
35. AMM, BB 413, fol. 44 v°.
36. BIRABEN 1975, page 138.
37. AMM, BB 413, fol. 53 r°. Sur la banqueroute de Law, voir FAURE 1977.
38. AMM, BB 413, fol. 69 r°.
39. VIDONI 2016, page 398.