Description
La mission médicale montpelliéraine à Marseille,
lors de l’épidémie de peste de 1720 :
une étape importante dans la recherche épidémiologique
* Anthropologue, Directeur de Recherche au CNRS
L’épidémie de peste du début du XVIIIe siècle a été l’occasion d’un important débat scientifique autour de la contagiosité de la peste. Si une telle controverse peut nous faire sourire aujourd’hui, force est de constater que ce débat fut l’occasion de franchir une étape importante dans la recherche scientifique. Les membres de la mission médicale montpelliéraine envoyée à Marseille, contagionnistes pour certains, non contagionnistes pour d’autres, jouèrent un rôle important dans ce contexte.
The Montpellier medical mission to Marseille during the plague epidemic of 1720:
an important step in epidemiological research
The plague epidemic of the early 18th century was the occasion for an important scientific debate around the contagiousness of the plague. If such a controversy can make us smile today, it is clear that this debate was an opportunity to take an important step in scientific research. The members of the Montpellier medical mission sent to Marseille, thought of as contagion spreaders for some, non-contagionists for others, played an important role in this context.
La mission medicala montpelhierenca a Marselha pendent la reba de pèsta de 1720 :
una etapa de remarca dins la recèrca epidemiologica
La reba de pèsta de la debuta del sègle XVIII foguèt l’escasença d’un important debat scientific a prepaus de la conta-giositat de la pèsta. S’una tala contèsta nos pòt far sorrire uèi, sèm forçats de constatar qu’aquel debat foguèt l’escasença de franquir una etapa importanta dins la recèrca scientifica. Los membres de la mission medicala montpelhierenca mandada a Marselha, contagionistas per d’unes, non contagionistas per d’autres, joguèron un ròtle important dins aquela endevenença.
Introduction
Bien évidemment, écrire en cette période de crise sanitaire une contribution sur la peste de 1720 rend l’exercice assez particulier. Bien sûr, l’épidémie due à la Covid 19 et l’épidémie due à Yersinia pestis sont très différentes, à commencer par le nombre de leurs victimes. La Covid 19 ne provoque pas l’anomie de la peste. Pour autant, par leurs arrivées soudaines, par les séismes provoqués au niveau économique et social, elles ne sont pas sans similitudes. Parmi celles-ci se trouvent le bouillonnement de la recherche, le débat scientifique. Face à l’inconnu, chacun essaie d’observer, d’expérimenter.
Au printemps 1720, un navire marseillais en provenance des Echelles du Levant apporta la peste dans la cité phocéenne. Toute une série de dysfonctionnements administratifs et politiques ont permis à la Contagion de sortir du cadre normalement clos des infirmeries, de se répandre dans la ville et même dans une grande partie de la Provence, passant la Durance et le Rhône, touchant jusqu’aux contreforts du Massif central. Cette épidémie, déjà anachronique dans l’histoire européenne de la peste, sollicita le monde médical de l’époque dans la prise en charge des malades. Mais peut-être plus fortement encore que par le passé, la peste de 1720-1722 fut l’objet de débats médicaux autour de la contagion ou de la non-contagion de la peste. Elle fut l’occasion, sans doute l’une des premières dans l’histoire de la recherche médicale, d’une approche scientifique reposant sur l’observation et l’expérimentation. Le professeur Antoine Deidier, membre de la mission médicale montpelliéraine dépêchée à Marseille par le pouvoir royal, ne mit que quelques semaines avant de comprendre le caractère contagieux de la peste et de l’objectiver en inoculant la maladie à des animaux.
Dans cette contribution, nous avons volontairement et très largement donné la parole aux contemporains de l’épidémie. Et parmi ceux-ci, c’est plus encore ceux qui étaient sur le terrain que nous avons convoqué.
Un navire infecté
En juillet 1719, un navire marseillais le Grand Saint-Antoine, commandé par le capitaine Jean-Baptiste Chataud mit le cap sur les Echelles du Levant. Il s’agissait de commercer avec les ports de la Méditerranée orientale : Smyrne, Chypre, Seyde, Tripoly de Syrie… le navire a quitté la Syrie avec une patente nette, c’est-à-dire sans aucun soupçon de peste dans la région, comme sur le bateau. Le 25 mai 1720, le Grand Saint-Antoine, de retour, arriva en rade de Marseille, avec une cargaison d’une valeur d’environ 100 000 écus qui devait être partiellement écoulée lors de la foire de Beaucaire, au début du mois de juillet.
Mais, lors de ce voyage retour, un passager, six matelots et le chirurgien du bord moururent subitement. Le nombre des morts, la rapidité de leur décès expliquent que lors de l’escale du Grand Saint-Antoine à Livourne, les autorités sanitaires de ce port interdisent l’accostage du navire.
À Marseille, contrairement à ce que prévoit le règlement sanitaire pour un navire ayant eu autant de décès à son bord, les conditions de la quarantaine du Grand Saint-Antoine furent très assouplies. Faut-il voir dans cet « aménagement » l’influence des propriétaires de la cargaison du navire et notamment celle du premier échevin de la ville : Jean-Baptiste Estelle ? Est-ce le résultat d’une négligence des intendants de santé ? Décision d’autant plus surprenante que « Trois autres navires qui venaient de ces mêmes endroits suspects de peste, arrivèrent le dernier du mois de May », « …tous avec patente brute, c’est-à-dire, portant que dans le lieu de leur départ il y avait soupçon de peste. Cela n’empêcha pas que leurs marchandises ne fussent traitées avec la même douceur que celle du Capitaine Chataud, & débarqués dans les Infirmeries ». Car force est de constater que le navire fut isolé au port de Pomègues et que son équipage, ses passagers et ses marchandises firent quarantaine aux Infirmeries d’Arenc. Au regard de la situation, c’est sur l’île de Jarre que le vaisseau et les marchandises auraient dû être envoyés. Mais Jarre est un îlot rocheux, sans abri, où l’on pratique une désinfection aériste des miasmes pestilentiels. Cela revient à dire que les marchandises que l’on y envoie ne résistent pas au vent, aux embruns et au soleil. (10 pages et 1 illustration)
Informations complémentaires
Année de publication | 2020 |
---|---|
Nombre de pages | 10 |
Auteur(s) | Michel SIGNOLI |
Disponibilité | Produit téléchargeable au format pdf |