La longue marche vers le pouvoir du futur maire de Sète, Honoré Euzet

* Historien et généalogiste, créateur et gestionnaire du site internet : euzet.genealogie.free.fr

[ Texte intégral ]

Honoré Euzet (Musée Paul Valéry)
Fig. 1 - Honoré Euzet (Musée Paul Valéry)

170 ans après la naissance d’Honoré Euzet, le maire de Sète mort en fonction en 1931, n’est-il pas temps de faire un point sérieux sur sa carrière politique et, par le biais de son action publique, d’essayer de comprendre qui était cet homme ? Ses motivations ? Ses qualités et ses défauts ? Quel regard objectif peut-on porter sur celui qui est devenu conseiller municipal, pour la première fois en 1872, et qui a été élu maire de Sète à sept reprises, en 1895, 1896, 1900, 1908, 1919, 1925 et 1929 ? Dans cet article, nous allons examiner la période qui va de 1866 à 1895, c’est-à-dire la longue marche vers le pouvoir de celui qui, né Sétois, a intensément désiré devenir le premier magistrat de la cité. Pour ce faire, nous avons utilisé la presse ancienne 1 – bien qu’elle soit souvent lacunaire, des années entières étant absentes pour certains journaux et plusieurs quotidiens n’ayant pas été conservés, ce qui limite l’approche critique. La partie « utile » n’est vraiment présente qu’à partir de l’année 1876 (Le Petit Méridional), 1878 (Le Petit Cettois) et 1882 (L’Éclair). Bien sûr, il y a encore Le Messager du Midi, beaucoup plus ancien, mais il faut attendre l’année 1877 pour y voir apparaître des articles politiques concernant Euzet. Ainsi, aucun article journalistique le concernant n’est disponible pour la période du Second Empire et les débuts de la IIIe République, jusqu’en 1877.

Né à Sète le 13 mars 1846, Baptiste, Honoré est fils d’un tonnelier, Antoine Euzet, et de Célina Faure, elle-même fille d’un tonnelier. Cependant, du côté des Euzet, il est issu d’une lignée de jardiniers catholiques dont le premier s’installe à Sète vers 1728. Dès 1870, il exerce le métier de courtier en grains, ce qui lui assure une indépendance certaine vis-à-vis de la politique. Lui-même situe le début de son engagement vers 1866 (c’est-à-dire quand il a vingt ans) puisqu’il rappelle, le 15 octobre 1881, « les quinze années de bons et loyaux services rendus à la démocratie cettoise ». Le Dictionnaire biographique de l’Hérault de 1904 indique qu’il fut « secrétaire du comité Jules Simon aux élections législatives de 1868 » (ce qui prouve qu’il était déjà connu pour ses idées républicaines) puis « secrétaire du comité anti plébiscitaire du 8 mai 1870 ». Ces informations ont été reprises dans le dossier établi par la mairie pour ses obsèques 2 puis dans les ouvrages plus récents.

Euzet, républicain « modéré »

Un article du Petit Méridional du 2 mai 1884, à une époque où, radical lui-même, il s’opposait aux radicaux menés par Jacques Salis, leur chef de file, apporte une note critique sur cette période : « En 1863, d’après ce qu’il dit, le citoyen Euzet était un des chefs de l’opposition : il avait alors 15 à 16 ans et peu de barbe ». Certes, on comprend que cet article vise à le ridiculiser, mais on imagine bien aussi que le jeune Euzet a tenté d’en rajouter quant au rôle qu’il avait pu tenir à Sète, sous l’Empire. Il n’en demeure pas moins qu’il faisait bien partie du parti républicain, ainsi que le prouve un rapport du commissaire central de police au préfet de l’Hérault. En effet, c’est la préparation des élections communales de 1870 qui permet de savoir comment il se situait avant le 4 septembre 1870, date de la proclamation de la République. Les rapports du 29 et du 30 juin 3 sont particulièrement utiles car ils donnent les noms des 39 membres de la liste républicaine provisoire. Dans celui du 30, on trouve, au 36ème rang, « Euzet fils (négociant) ». Cette place, presque en dernière position, s’explique certainement par son jeune âge, mais sa présence même indique qu’il est déjà bien reconnu comme républicain. Ces rapports de police sont utiles, non seulement pour savoir qui se voulait républicain avant la chute de l’Empire mais aussi pour saisir l’ambiance, le climat qui régnait dans ces groupes. On y devine les futurs clivages entre les républicains modérés, radicaux et socialistes. Et puis, on se dit qu’Euzet a assisté à ces joutes oratoires et qu’il a pu se former auprès des anciens. Une chose est certaine, sa présence, voire son action parmi les républicains sous l’Empire n’a jamais été contestée par la suite, même si aucun détail n’est donné dans la presse. Manifestement, il n’a pas été un « résistant de la dernière heure », ce qui lui a permis, tout au long de sa longue carrière politique, de rebondir après des revers, et de pourfendre ses accusateurs, en rappelant ses « brevets de républicanisme » quand d’autres ne se sont révélés républicains qu’une fois la République bien installée.

Le même article du Petit Méridional donne un autre éclairage critique sur lui, tout de suite après la chute de l’Empire : « En 1871, retour du siège de Paris comme mobile, le parti radical l’eut comme adversaire. Jusqu’en 1877, par suite de cette contremarche, il resta beaucoup dans l’ombre. » Ces mots vengeurs passent sous silence l’étape de 1872, probablement parce qu’en 1871-72, le parti républicain était uni. En effet, le registre des délibérations municipales indique qu’à l’occasion d’une élection complémentaire, il fait son entrée au conseil municipal et est installé dans ses fonctions lors de la séance du 24 mai.

Cependant, un peu plus tard, le compte rendu de la séance du 12 août fait ressortir l’absence d’une proposition qui devait être portée à l’ordre du jour. Le conseil demande qu’elle soit soumise au conseil dès la prochaine séance. La suite permet de comprendre. En effet, au conseil du 13 août, Euzet lit une proposition détaillée visant à commémorer le 4 septembre 1870 : « […] Le conseil décide qu’un arbre de la liberté sera planté sur la place de la Mairie. Le conseil s’engage, en outre, à faire remplacer le dit arbre de la liberté par une colonne commémorative aussitôt que faire se pourra. Le dit arbre de la liberté sera planté le 4 septembre 1872 à 10 heures du matin. La cérémonie sera présidée par la municipalité de Cette et tous les citoyens seront invités à y assister. […] ». Le conseil municipal s’associe à cette idée patriotique et décide de nommer une commission chargée d’étudier et de préparer un programme pour cette fête. Or, à partir de cette séance, Euzet est noté parmi les absents à chacune des réunions du conseil municipal. Le 17 octobre, on apprend qu’ayant offert sa démission, le conseil décide qu’une commission sera chargée de l’engager à reprendre ses fonctions. En fait, tous les comptes rendus des séances qui suivent signalent son absence. Le dernier où il est ainsi présenté est celui du 27 décembre. Par contre, à partir de janvier 1873, son nom n’apparaît plus. (Fig. 2)

Délibération communale du 13 août 1872. (AM Sète)
Fig. 2 - Délibération communale du 13 août 1872. (AM Sète)

On peut noter qu’entre le jour de son entrée au conseil municipal (le 24 mai) et sa dernière présence (le 13 août), à chaque séance, il a été nommé secrétaire du conseil. Certes, ce poste est honorifique et il lui a été probablement accordé parce qu’il était l’un des plus jeunes membres (probablement même le plus jeune) mais c’est aussi un signe de confiance dans ses capacités. Quoiqu’il en soit, ce poste d’observation n’a pas dû lui suffire et il a trouvé le moyen d’apparaître en première ligne grâce à sa proposition relative au 4 septembre. Le compte rendu ambigu du 12 août semble signifier que cette proposition ne devait pas plaire à tout le monde. Manifestement, il n’a pas obtenu satisfaction, et la commission spéciale a enterré le projet. On peut aussi noter que le conseiller Pierre Thomas a suivi un parcours similaire pour les absences, la démission, la constitution d’une commission pour l’engager à reprendre ses fonctions et l’échec de celle-ci. Ces deux hommes lutteront ensemble puis se combattront dans les années suivantes. On peut enfin remarquer que sa démission a été rappelée dans une critique apportée par le Journal de Cette du 10 août 1890 : « M. Honoré Euzet a été nommé conseiller municipal dans une élection complémentaire en 1872 sous l’administration Michel. Il démissionna quelque temps après, ne pouvant s’entendre avec ses collègues. » Dans les années qui vont suivre, son caractère ombrageux va être souvent souligné par ses adversaires politiques. En tout cas, l’incident de 1872 porte déjà en germe tout le condensé de son caractère et de son savoir-faire : l’innovation, la technicité, la précision … et la raideur.

Un peu plus tard, il devient délégué cantonal à l’Instruction publique. Il le restera jusqu’au 12 mars 1900. Peu d’articles de presse évoquent cette fonction mais, le 13 août 1886, il répond à des critiques par l’intermédiaire du Journal commercial et maritime, comme quoi il fait partie de la commission cantonale de l’instruction publique « depuis dix ans » et qu’il « est permis de supposer qu’il a rempli son mandat à la satisfaction de tous, puisque depuis ce temps, et sous toutes les administrations, il lui a été maintenu. » Enfin, le Dictionnaire biographique de l’Hérault indique qu’il est secrétaire des comités de résistance pendant les périodes dites de « l’ordre moral », en 1874 et 1876 mais les journaux n’apportent pas d’éléments supplémentaires.

En fait, le premier article de presse qui le concerne (en tant qu’homme politique), est celui du Petit Méridional du premier novembre 1877. Le comité républicain de Sète le propose aux suffrages des électeurs pour l’élection au conseil d’arrondissement. Le président de ce comité, Enjalbert, appelle ensuite à la discipline de vote. Le 3 novembre, le Petit Méridional critique le Journal commercial et maritime qui prône l’abstention au scrutin, « pour la seule et mauvaise raison que le candidat choisi ne leur convient pas ». Les résultats de l’élection sont donnés dans la presse du 5 novembre. Il est élu par 3 459 voix sur 4 048 votants, ce qui représente un beau succès. C’est le 19 décembre que le conseil d’arrondissement se réunit à la préfecture pour élire son bureau et constituer ses commissions (PM du 20 décembre 1877). Alexandre Laissac (maire de Montpellier) est élu président et membre de la commission des travaux publics. Euzet fait également partie de cette commission où l’on trouve encore d’autres personnalités importantes. C’est, manifestement, le bon endroit pour se former et constituer un réseau de relations utiles pour l’avenir et c’est, pour Euzet, la première marche vers le pouvoir.

Euzet républicain « radical »

Deuxième étape, en 1878. En effet, Le Petit Méridional du 5 janvier donne la liste des candidats républicains (de toutes nuances) au conseil municipal, liste qui comprend son nom. On y trouve aussi les noms de la plupart de ceux qui vont être au-devant de la scène dans les mois et les années qui viennent : François Aymeric, Joseph Espitalier, Théodore Olive, Benjamin Peyret, Jacques Salis, Pierre Thomas… Dès le 7, le journal annonce que la liste est élue, les conservateurs ayant prôné l’abstention. Euzet devient donc conseiller municipal pour la deuxième fois. En ce début 1878, le contexte est celui de la confrontation entre les républicains modérés (qui soutiennent le maire, Joseph Espitalier) et les républicains intransigeants (sous la houlette de Jacques Salis, conseiller général). La discorde porte d’abord sur les moyens d’améliorer le port car deux projets sont en concurrence. Cependant, la situation n’est pas aussi simple. Dès février, Salis est obligé de rappeler qu’il a défendu le projet dit de « la jetée Régy », en 1875 au conseil général. Cependant, comme l’administration supérieure s’opposait à la jetée Régy, il a cru devoir rallier le projet dit « Simonneau » qui doit bientôt être soumis aux Chambres (PM du 06 février 1878). Par cette seule déclaration, on comprend le caractère de Salis, capable de changer de position en fonction des nécessités, négocier et apprécier les contraintes politiques, etc. Or, Euzet a bâti sa carrière dans le sillage de cet homme, ce qui peut expliquer bien des retournements ultérieurs. La position de Salis est plus nuancée, le 2 mars, quand il fait voter un nouveau voeu au conseil municipal pour que l’administration supérieure mette à l’étude et édifie, « s’il est possible », la grande jetée Régy, simultanément avec l’autre projet. Ils sont 13 à voter comme lui. Les opposants sont 12 dont le maire, Joseph Espitalier, et ses deux adjoints. Le basculement de majorité est dû à 2 abstentions (PM du 12 mars 1878). La division du camp républicain apparaît au grand jour et elle va désormais rythmer la vie municipale et locale, Euzet se plaçant du côté des plus radicaux.

En fait, c’est le journaliste Henri Fournaire qui a mis le feu aux poudres par un article du Journal commercial et maritime du 3 mars contre les « cinq hommes forts » du conseil, c’est-à-dire Salis, Euzet, Aymeric, Thomas et Carron, sous-entendu les intransigeants, à l’origine du vœu sur la jetée Régy. Une longue polémique a alors agité le landerneau politique. En fait, Le Petit Cettois du 16 juin estime que l’origine de l’opposition entre les deux groupes vient du fait que la majorité a refusé un poste d’adjoint à la minorité. Quoiqu’il en soit, la situation était devenue intenable, comme le souligne Fournaire dans le dernier numéro du Petit Cettois, le 14 décembre 1878 (ce journal reparaîtra en 1880). Les intransigeants étaient favorables à une démission rapide des conseillers municipaux, afin d’obtenir un renouvellement complet du conseil. C’est, finalement, ce qui s’est passé et l’on voit, dès le 7 juin, que la rupture est définitive entre les deux camps républicains. En effet, une réunion composée de plus de 3 000 personnes a lieu dans le local de la fonderie, à l’initiative de Salis. Une partie des conseillers, parmi lesquels le maire, Espitalier, a décliné l’invitation. Un comité est ensuite formé, à l’effet de choisir les 27 noms qui devront figurer sur la liste des élections municipales prochaines (PM du 10 juin 1878). La phase suivante est la préparation de ces élections, chaque partie espérant remporter la totalité de la mise. Pour cela, les modérés sont soutenus par Le Petit Cettois avec, à sa tête, le journaliste Fournaire, cependant que les radicaux s’appuient sur Le Sémaphore de Cette, propriété de Thomas, Salis et Euzet, journal créé tous exprès pour ces élections qui ont lieu le 23 juin 1878. La liste du maire sortant, dite du comité républicain, fait un triomphe en remportant tous les sièges. C’est un échec cuisant pour la liste du comité radical. Dès le lendemain des résultats, les modérés poussent Salis à démissionner du Conseil général et Euzet du Conseil d’arrondissement. Rapidement, Salis démissionne.

Une fois connue la démission de Salis, la pression se fait d’autant plus forte sur le conseiller d’arrondissement. Les journaux anticipent, à plusieurs reprises cette démission qui ne vient pas. Euzet est, d’ailleurs, bien présent au Conseil d’arrondissement qui ouvre sa session le 15 juillet. Il est nommé 2ème secrétaire et fait partie de la commission des Travaux publics (PM du 16 juillet 1878). Dans sa séance du 23 septembre, le Conseil d’arrondissement adopte un vœu émis par Euzet, relatif au stationnement en gare des wagons complets et aux taux du magasinage de ces wagons (PM du 26 septembre 1878). Le Petit Cettois du 28 septembre raille cette initiative qui devrait surtout profiter aux marchands de fourrage (ce qui est le cas d’Euzet). Comme zone d’influence, il lui reste encore le Conseil départemental de l’instruction publique de l’Hérault puisque ce dernier, dans sa séance du 12 juin, l’a désigné comme membres de la commission cantonale de l’instruction primaire avec Salis, Espitalier, le curé doyen, le pasteur et deux négociants (PC du 7 juillet 1878). La composition de cette commission montre que les disputes politiques et les sentiments anticléricaux n’empêchaient pas les rapprochements dans d’autres circonstances. Il faut croire, également, que son influence commençait à porter ses fruits, comme le prouve la visite à Sète du député du Vaucluse, Alfred Naquet, en octobre. Celui-ci venu pour faire une conférence sur « la question sociale », est accueilli par les délégués des cercles républicains, à la tête desquels se trouve Euzet. Le Petit Cettois du 25 octobre donne même un détail étonnant : « M. Naquet a fait son entrée en ville donnant le bras à Honoré Euzet, suivi par les personnes qui étaient venues l’attendre, au nombre de 250 environ ». On imagine la scène.

De 1878 à 1880, Euzet apparaît ainsi comme un homme d’avenir, à 33-35 ans, le meilleur de la classe montante sétoise, en quelque sorte. Il est toujours aux côtés de Salis quand une personnalité nationale vient à Sète. Ainsi, pour la visite de Louis Blanc, Le Temps du 26 septembre 1879 écrit-il : « Louis Blanc était accompagné de son frère et de MM. Salis et Euzet, qui étaient allés au-devant de lui à Montpellier. Une foule énorme remplissait la gare et les arrivants ont été accueillis par les cris unanimes de : Vive Louis Blanc ! vive la République ! vive l’amnistie ! ». Pendant la conférence, il est à la tribune, à la gauche de l’orateur et à côté du député Eugène Lisbonne ; à la droite de Louis Blanc, sont assis le député Émile Vernhes et Jacques Salis. Si l’on se souvient que Lisbonne et Vernhes ont fait partie des 363 qui ont refusé la confiance au gouvernement de Broglie, le 16 mai 1877, on se rend compte du rang éminent que tient alors Euzet dans la mouvance républicaine et radicale sur la place de Sète. Pendant ce temps, le maire, Peyret, échoue à l’élection au conseil général. Du coup, il démissionne de sa fonction de maire tout en restant simple conseiller municipal. Les démissions d’élus se multiplient et, finalement, dans les derniers mois de 1880, Olive assure seul toutes les fonctions de l’administration municipale. Il faut alors organiser de nouvelles élections qui ont lieu début janvier 1881. Logiquement, on s’attend à trouver Euzet en bonne place sur la liste des radicaux qui est menée par Salis. Cette liste, dite du comité central républicain, avec ses 27 candidats, est présentée dans Le Petit Méridional du 5 janvier 1881, par le président, Aymeric, et le vice-président, Taquet. On y trouve bien Salis et Thomas mais pas Euzet. Cette liste radicale passe en entier à la mairie. Jacques Salis a le plus de voix (il devient maire, le 9 février), suivi par Marius Vareille (qui devient le premier adjoint) et, un peu plus loin, par Pierre Thomas (second adjoint). Comment peut-on expliquer l’absence d’Euzet au moment précis du triomphe sans partage des radicaux à la mairie de la ville ? A-t-il exigé de devenir premier ou second adjoint et, ces postes lui ayant été refusés, a-t-il préféré se mettre en retrait ? Son trop jeune âge (il n’a pas encore 36 ans) a-t-il été un obstacle à ses ambitions, dans une société qui donne la préférence à l’âge mûr, pour ne pas dire plus ? C’est l’hypothèse la plus vraisemblable. Quoiqu’il en soit, c’est le début d’une traversée du désert qui va durer jusqu’en 1884 et qui va être riche en escarmouches avec les radicaux.

Au début, cependant, il semble rester dans le droit fil de la mouvance radicale. Ainsi devient-il vice-président du conseil d’arrondissement. En effet, dans sa séance du 18 juillet 1881, le conseil constitue son bureau. C’est Vigouroux qui est élu président par 6 voix contre 5 données à Euzet et 1 bulletin blanc. Il est quand même élu vice-président par 8 voix (PM du 19 juillet 1881). On constate par ces votes qu’il a pris du galon auprès de ses pairs. Cependant, la grande affaire politique de 1881 est celle de l’élection d’un conseiller général, suite à la démission de Salis de l’assemblée départementale. Or, une lettre d’un « groupe d’électeurs », parue dans Le Petit Méridional du 14 octobre 1881 donne la tonalité, en souhaitant qu’il soit candidat. Ses antécédents sont rappelés, en particulier « son attitude ferme pendant les époques néfastes des 16 et 24 mai » et, au final, il est souhaité « que le citoyen Honoré Euzet sorte donc de sa modestie habituelle ! Son nom s’impose : qu’il se présente à nos suffrages, il sera vainqueur ». Sa réponse est immédiate puisqu’elle se trouve dans Le Petit Méridional du lendemain. Il déclare, notamment : « Plusieurs groupes d’électeurs avaient pensé que les quinze années de bons et loyaux services rendus à la démocratie cettoise, le mandat de conseiller municipal dont j’ai été investi à deux reprises, un stage de quatre ans dans le conseil d’arrondissement dont j’ai l’honneur d’être le vice-président, me donnaient des titres suffisants à la confiance de mes concitoyens : ils avaient pensé aussi qu’il était bon que Cette fût représentée par un Cettois dans notre assemblée départementale où s’agitent des intérêts si divers. » Cependant, au final, compte tenu des divisions récentes du parti républicain, il se refuse à ajouter à la confusion. Cette lettre fait référence à la candidature Thomas – soutenue par les radicaux – contre celle de Ducros (adjoint au conseil municipal, dans la nouvelle municipalité Vareille, après la démission de Salis). Le Petit Méridional est empli d’articles critiques contre Émile Ducros. On comprend mieux pourquoi Euzet n’a pas voulu ajouter un élément supplémentaire de discorde. Il n’est pas impossible, aussi, qu’il soit l’auteur de la lettre soi-disant signée par « Un groupe d’électeurs », cette pratique étant un moyen courant de communication dans la presse de l’époque. Les résultats des élections montrent que les deux candidats avaient chacun leurs partisans sans qu’aucun des deux ne se détache vraiment. Il y a litige sur les résultats et l’élection est annulée par le Conseil d’État dans sa séance du 16 mars 1882, Thomas n’ayant pas obtenu un nombre de voix égal au quart des électeurs inscrits.

L’année 1882 marque un véritable tournant dans la carrière politique d’Euzet. Dès le mois de février, les journaux radicaux commencent à lui mener une sorte de guerre d’usure et cette tension va aller crescendo jusqu’à la rupture. C’est ainsi que Le Petit Méridional du 13 février publie une réclamation critiquant l’absence d’Euzet à la réunion du 10 de la commission d’enquête du conseil d’arrondissement pour les travaux du port de Sète. C’est une attaque en règle. Le Petit Méridional et Le Petit Cettois publient la réponse d’Euzet. Puis, Le Petit Méridional du 17 février 1882 répond à sa réponse, par l’intermédiaire d’une lettre anonyme qui souligne que ses « indispositions » ne l’ont pas empêché de se montrer au café et au concert et que, s’il manque les séances des commissions, c’est parce que les compte rendus de leurs séances ne sont pas publiés.

Le 23 mars 1882, Le Petit Méridional et Le Petit Cettois tiennent les lecteurs au courant du litige qui existe entre Taquet (rédacteur en chef de L’Avenir Maritime) et Euzet. Le second reproche au premier des articles parus les 17 et 19 mars dans son journal et intitulés « Types Cettois ». Il estime s’être reconnu dans l’un d’eux, désigné sous le nom de « Pipette ». On se critique violemment par journaux interposés (L’Avenir Maritime pour Taquet, Le Petit Réveil pour Euzet, cependant que Le Petit Méridional compte les coups). Chacun des deux dit être l’offensé. Le 1er avril, un duel au pistolet a lieu, à Port-Bou (à la frontière, côté espagnol). Deux balles à vingt mètres, au commandement et simultanément, sont échangées, sans résultats. Les témoins déclarent l’honneur satisfait. A noter qu’un des deux témoins d’Euzet est Levère qui était président du comité radical de Sète en 1878 et qui participe aux réunions de la société de la Libre pensée. Enfin, plusieurs articles qui ont précédé le duel montrent que Thomas était du côté de Taquet, ce qui va accentuer l’acuité de la compétition qui suit.

Euzet républicain « radical socialiste »

En effet, le 27 avril, le Journal Officiel publie un décret convoquant pour le 14 mai les électeurs de Sète, afin d’élire un conseiller général, en remplacement de Thomas, invalidé. Et là, fait nouveau, Euzet se porte candidat. Dès le 6 mai, Le Petit Méridional commence donc ses attaques contre lui car Thomas est, à nouveau, le candidat officiel des républicains radicaux. Le journal appelle Euzet : « le candidat radical socialiste ». Effectivement, c’est dans les quelques numéros conservés du Sémaphore de Cette (organe de la démocratie radicale socialiste) que l’on comprend l’évolution qui s’est faite. Ainsi, le 9 mai, ce journal écrit-il en première page que le comité républicain radical socialiste recommande Euzet aux suffrages des électeurs, car il est connu pour ses positions courageuses pendant les « périodes néfastes du 24 mai et du 16 mai ». Lui-même s’adresse aux électeurs radicaux et déclare : « Je me présente donc à vos suffrages sous l’invocation des mêmes principes qu’en 1877, alors que je briguais le mandat de conseiller d’arrondissement. J’étais à cette époque avec ceux qui pensent que la République ne serait qu’un leurre si elle ne nous servait à réaliser progressivement l’ensemble des réformes politiques et sociales qui doivent améliorer le sort des classes laborieuses. […] Comme membre du conseil municipal et comme membre du conseil d’arrondissement, j’ai eu l’occasion d’étudier toutes les questions qui se rattachent aux intérêts moraux et matériels de notre canton. Si vous m’envoyez au conseil général, je saurai mettre à profit l’expérience acquise pendant dix ans de vie publique. Citoyens, vous me connaissez. Enfant de Cette et républicain, c’est à ce double titre que je sollicite vos suffrages. Si, au contraire, citoyens, votre décision ne répond pas à mon attente, je l’accepterai sans amertume, pour reprendre dans les rangs de la démocratie, la place modeste que j’y occupais il y a quinze ans, alors que, tous unis, nous préparions l’avènement de la République. Vive la République démocratique et sociale ! » On trouve dans cette déclaration, tout ce qu’il représente : républicain depuis toujours, né à Sète, compétent, il veut retrouver l’unité républicaine autour des principes qui ont fait sa force. Il y a, probablement aussi un élément plus nouveau quand il met en avant les « réformes sociales » et « les classes laborieuses ». C’est le début de sa sortie du radicalisme pur et dur. Le 11 mai, Le Sémaphore de Cette continue l’appui à Euzet et accentue la charge contre Thomas. Pour le premier, il écrit : « Honoré Euzet est un enfant du pays, Cette l’a vu naître, nous l’avons vu grandir, nous l’avons vu à l’œuvre ; quoi de plus naturel et de plus logique qu’une mère défende son enfant ? Cette, défendra le sien, c’est certain. » Plus intéressante encore est l’analyse de la situation portée par le Messager du Midi

(journal conservateur) du 11 mai : « La lutte sera circonscrite entre radicaux plus ou moins avancés » (dans cette première appréciation, Euzet est donc qualifié de radical) ; « Les seuls compétiteurs qui jusqu’à ce jour sont sur les rangs sont, d’une part, M. Euzet, membre et vice-président du conseil d’arrondissement, qui se qualifie de démocrate-socialiste » (c’est la première fois que l’on apprend comment il se qualifie lui-même), « et, d’autre part, ledit M. Thomas, invalidé, qu’on ne désigne plus que sous le nom de candidat perpétuel et qui signe comme républicain radical. Il serait difficile de dire quelle est celle des deux affiches qui est d’un plus beau rouge ; et ce qu’il y a de plus surprenant, toutefois, c’est que la proclamation de M. Euzet, socialiste » (on voit dans cette nouvelle appréciation que, pour les conservateurs, le socialisme n’est qu’une forme avancée du radicalisme), « est relativement d’un caractère beaucoup plus modéré. Cette anomalie est facile à expliquer, c’est que M. Euzet, à qui l’on peut bien reprocher d’être un républicain utopiste, est toujours tel qu’on l’a connu sous l’Empire et n’a donc pas eu besoin d’exagérer sa nuance » (cet argument lui permettra de surmonter toutes les crises qui vont émailler sa carrière, à commencer par celle-ci). Dans le même article, il est indiqué qu’un nouveau journal vient d’être publié, en vue de soutenir la candidature d’Euzet ; cette feuille a pris un titre déjà connu, le Sémaphore de Cette. Finalement, Thomas obtient 1 976 voix et Euzet, 1 115. Il y a ballottage (PM du 15 mai 1882). A noter que dans ces résultats, Euzet est présenté de la même manière que Thomas par Le Petit Méridional : « républicain ».

Dans l’entre-deux-tours, le Sémaphore de Cette du 20 mai écrit à propos d’Euzet : « s’il ne représente pas absolument nos idées politiques, nous estimons que par sa connaissance plus approfondie des affaires commerciales et administratives, il peut défendre, d’une manière plus efficace, nos intérêts au Conseil général. Bien qu’il ait été, en d’autres occasions, notre adversaire, nous ne faisons aucune difficulté de reconnaître qu’il ne s’est jamais départi, à notre égard, de la courtoisie qu’on se doit entre républicains ; qu’il s’est tenu à l’écart des intrigues qui ont amené la déplorable situation actuelle. De plus, c’est un candidat indépendant, patronné par un comité indépendant ; son élection serait une protestation contre la candidature officielle. – Vive la République. ». Il est indiqué que les signatures suivent mais aucun nom n’est donné à ce communiqué écrit, probablement, par des républicains modérés. Conclusion : si le Sémaphore de Cette se présente comme l’organe de la démocratie radicale socialiste, on voit bien qu’il s’appuie aussi sur des républicains radicaux indépendants et des républicains modérés, face au bloc des républicains radicaux officiels. Le Petit Méridional du 19 mai, lui, fustige Euzet qui a décidé de maintenir sa candidature au second tour. On critique son égoïsme et son côté brouillon, dissident, ambitieux, rebelle, qui font le jeu de « la réaction », d’autant qu’il se fait appuyer par des journaux dirigés par des cléricaux et des comités composés d’opportunistes. L’appel des radicaux porte ses fruits puisque Thomas, « candidat radical » est élu avec 2 190 voix, contre Euzet, « candidat radical socialiste » qui obtient 1 284 voix et Rius, « candidat socialiste » qui a 397 voix (PM du 22 mai 1882). A noter, aussi, qu’il y a eu plus de 60 % d’abstention. D’une certaine manière, on peut dire que tout ce combat électoral trouve sa conclusion dans un litige qui oppose Sereno (du Petit Méridional) à Bonnel (du Midi RépublicainPM du 30 mai 1882). Ainsi, il se trouve désormais face à Salis et ce, dans la défense d’un journal de modérés, pour ne pas dire plus ! C’est, à tout le moins, un renversement d’alliance pour Euzet à qui, pourtant, personne ne dénie le titre de radical et qui, en plus, se dit radical-socialiste. Il y a là un mélange des genres qui tient, certainement, à son assise locale et à son caractère indépendant, ce qui lui permettra, plus tard, de gagner puis de conserver la première place à la mairie, plus qu’aucun maire élu avant lui.

A la suite de son échec à l’élection au Conseil général, il adresse au préfet sa démission de conseiller d’arrondissement pour le canton de Sète. Pendant ce temps, le conseil municipal est en pleine crise en cette fin 1882, mais ce n’est que fin 1883 que le préfet accepte la démission du maire et des adjoints. Le conseiller Défarges est désigné pour remplir les fonctions de maire, en attendant de nouvelles élections municipales. La fin de cette période est marquée par l’entrée en jeu d’un nouveau journal, le Petit Républicain Cettois dont un des rédacteurs est Euzet qui écrit sous le pseudonyme de « Quidam ». Il accuse de gaspillage le conseil municipal dans son ensemble, au grand dam du Petit Méridional : « Le Quidam chevaleresque, dont l’ambition mal déguisée est d’obtenir une place en tête de la liste des candidats au Conseil municipal de Cette » (PM du 18 janvier 1884). Puis, vient le temps des élections municipales. (Fig. 3) Les 30 candidats de la liste de l’Alliance républicaine (opposée à la liste Radicale) sont élus, avec, le 22 juin 1884, l’installation de Benjamin Peyret comme maire, Théodore Olive comme premier adjoint et Honoré Euzet comme second adjoint. La municipalité doit alors s’organiser pour contenir l’épidémie de choléra qui frappe le sud de la France. A Sète, on met en place des mesures préventives : salles de désinfection dans les deux gares, aménagement du Lazaret pour recevoir les malades, etc. Les arrêtés relatifs à la lutte contre le choléra sont signés par « l’adjoint délégué, pour le maire empêché : Honoré Euzet ». De même, c’est lui qui apporte les démentis de la municipalité quand circulent des rumeurs qui peuvent entraîner la panique. Ainsi, dans cette lutte contre le choléra, il est en première ligne.

Présentation d’Euzet (Le Petit Méridional du 2 mai 1884)
Fig. 3 - Présentation d’Euzet (Le Petit Méridional du 2 mai 1884)

Plus tard, on saura se souvenir du rôle actif qu’il a joué dans ces évènements. On ne peut que mettre en parallèle l’effacement du maire. En effet, on constate que, dès le conseil municipal du 12 juillet, l’assemblée est présidée par Olive, le premier adjoint, en l’absence de Peyret. En fait, le maire ne va plus venir aux réunions du conseil municipal et, semble-t-il non plus, aux séances des commissions. Les journaux ne vont même plus indiquer d’excuses pour ses absences, le conseil municipal étant toujours présidé par Olive. On ne peut qu’être frappé par cette attitude bizarre du premier magistrat de la commune, alors que son second adjoint se répand dans les médias et est omniprésent dans la lutte contre le choléra.

Euzet, presque maire…

Toutefois, cela n’empêche pas le conseil de traiter des questions de pure gestion municipale. A chaque fois, Euzet intervient ou présente un rapport. Le plus souvent, ses positions sont adoptées. Au conseil municipal du 6 février 1885, Euzet demande d’avoir voix délibérative dans les commissions qu’il préside ou auxquelles il assiste. Il demande, en outre, à faire partie des commissions des Finances, de l’Instruction publique, des Beaux-Arts et des Travaux publics. Le conseil adopte ses propositions. On se rend compte, ainsi, de son désir d’être partout, au moment même où le maire fait la politique de la chaise vide. En mars, un journal annonce même que le maire aurait envoyé sa démission au préfet mais on n’en parle plus par la suite.

Le 13 janvier 1885, Euzet est l’un des cinq conseillers municipaux qui s’opposent au projet de bail à loyer de locaux vacants du Lazaret pour être annexés à l’hospice. Les opposants ont argué du fait que la dépense pourrait devenir importante. C’est par 14 voix contre 5 que le projet est, finalement, adopté. Le Journal de Cette du 15 janvier donne encore la précision suivante : « la sœur Marthe, supérieure de l’hospice, dont le dévouement ne saurait être trop exalté, possède une somme de 3 000 francs qu’elle a offerte pour cette œuvre, et au besoin, elle ferait appel à la charité publique ». On peut se demander si ce dernier argument n’était pas trop à l’opposé des conceptions idéologiques de certains opposants, notamment Euzet… (bien qu’ils n’aient argumenté que sur l’aspect financier). En effet, il se fait l’apôtre de la laïcisation auprès du conseil municipal. Il explique qu’avec l’organisation actuelle de l’hospice, la liberté de conscience n’est pas assez garantie et que, sous peu, il soumettra au conseil un projet de laïcisation. En mai, un communiqué d’Euzet est repris dans les différents journaux : « L’Éclair annonce dans son numéro de ce jour, 20 mai, que les casernes seront bénites dimanche par M. le curé de Saint-Louis. C’est inexact. La municipalité de Cette se passera dans cette circonstance du concours du clergé qui est d’ailleurs parfaitement inutile. Messieurs du clergé ne seront point invités à la cérémonie. » (JC du 23 mai) Son communiqué est fortement critiqué pour la forme employée. Il est évident que sur cette question, Euzet a voulu se positionner comme un anticlérical de stricte obédience et on comprend pourquoi, plus tard, ses opposants l’ont affublé du surnom de laïcisateur. Il est clair aussi qu’Euzet veut apparaître comme un homme qui sait décider, qui sait le faire savoir et ce, dans des termes durs qui tranchent avec le vocabulaire des dirigeants de l’époque.

Toujours en 1885, en tant qu’officier de l’État civil, il prononce le premier divorce à Sète, suite à la loi de 1884. Un journaliste note que « l’épouse a fait défaut. En revanche, une foule de curieux avait envahi la porte de la Mairie pour assister à un spectacle aussi curieux qu’inusité. » (JC du 15 mars 1885) Comme pour d’autres questions, on a l’impression qu’Euzet tient à se montrer à l’avant-garde de l’innovation juridique et sociale. Au conseil municipal du 8 avril, le conseiller Teulon lit un rapport de l’architecte de la ville sur le danger pour la sécurité publique qu’offre le théâtre Jeannin, dans la Grand’rue. Le conseil est d’avis de nommer une commission pour examiner l’état des lieux et émettre son avis sur les mesures à prendre. Un mois plus tard, au conseil municipal du 8 mai, la question revient. Au nom de cette commission, Euzet donne lecture du rapport qui conclut à la conservation du théâtre, moyennant quelques travaux de consolidation et d’aménagement pour une somme raisonnable. La discussion qui suit est très vive. Finalement, par 13 voix contre 7, le conseil décide la fermeture du théâtre. Pourtant, c’est un revirement complet de la situation, au conseil municipal du 1er juin car, sur 13 conseillers qui avaient voté la fermeture du théâtre, un seul, Ther, maintient sa position et le rapport Euzet concluant à la réouverture du théâtre Jeannin est adopté. Nouvel affrontement au conseil du 9 juin. Ther demande au président de lire une protestation contre ce qui s’est fait de la part d’un de ses collègues absent. « Le citoyen Euzet prend la parole et du ton sec et impérieux qu’on lui connaît, il dit qu’il s’oppose à cette lecture, sous prétexte qu’un membre absent à une séance n’a pas le droit de protester contre ce qui s’y passe. » Le président refuse à Ther la permission de lire la protestation de son collègue. La dispute reprend de plus belle et Olive ordonne de faire évacuer la salle. Le Journal de Cette fait une supposition sur le rôle des deux adjoints : « Peut-être faut-il attribuer l’irritation de M. le président au rôle effacé que l’autoritaire Euzet voudrait lui imposer. » Si l’on veut comprendre ce qui s’est passé, il faut se reporter à ce qu’en dit le journaliste de L’Éclair pour la séance du 5 juin : « M. Arnaud, l’un des membres les plus intelligents, les plus honorables du conseil a protesté contre le fait que voici : le lundi matin, jour pour lequel était convoqué le conseil, on adressa une note à tous les conseillers en disant qu’à l’occasion des funérailles de Victor Hugo la séance n’aurait pas lieu le soir. Là-dessus, certains conseillers s’absentèrent ou disposèrent de leur soirée. Mais il paraît que dans l’aprèsmidi, on envoya un agent chez certains conseillers pour dire que la séance aurait lieu. Qui ne devine tout de suite la stratégie ? On avait voulu tout simplement écarter les conseillers qu’on savait hostiles à la réouverture du théâtre de la Grand’Rue. » (EC du 07 juin 1885)

Un rapport est, plus tard, adressé au maire par la commission d’examen des locaux du théâtre, présidée par Euzet : les travaux ont été entrepris et la commission a témoigné sa satisfaction à l’architecte de la ville. En conclusion, la commission déclare que le public peut désormais fréquenter sans crainte le théâtre. Le jeu de rôles qui a été joué dans cette affaire montre bien les caractères des trois partenaires principaux. Le maire, Peyret, est aux abonnés absents. Olive, le premier adjoint, préside le conseil à sa place mais c’est un faible qui ne souhaite pas d’affrontements et surtout pas avec le second adjoint. Ce dernier, Euzet, profite de la situation en tentant d’imposer ses vues, même avec des moyens déloyaux et en usant d’un langage et d’un ton qui le font taxer d’autoritarisme. Sur le fond, on s’aperçoit que les conseillers municipaux compétents semblent rares et qu’Euzet est, certainement, un excellent technicien de la chose publique, ce dont on se rend compte aussi dans la gestion courante du conseil municipal, y compris dans les domaines les plus terre à terre comme les égouts ou les logements insalubres. Les journaux constatent que « le maire ne compte pas » et qu’Olive « est un peu comme Ponce-Pilate ». Dans ces conditions, « il ne faut donc pas s’étonner que le deuxième adjoint impose sa manière de voir. » C’est dans le Journal de Cette du 14 octobre 1885 que l’on apprend qu’Olive a remis sa démission entre les mains du préfet, « depuis cinq ou six jours ». Ce journal le regrette car il était considéré « à bon droit comme un homme honnête et impartial »… qualités, ajoute le journaliste, « qui l’ont rendu suspect aux intrigants et qui ont, par tous les moyens, rendu la situation impossible. » (C’est Euzet qui est visé). Une délégation de sept membres (dont Euzet) se rend chez Olive pour le prier de retirer sa démission. Cette médiation est efficace puisque, dès le conseil municipal du 12 novembre, on revoit Olive présider à nouveau l’assemblée.

En 1886, la question sociale domine. Le 15 janvier, Euzet préside l’assemblée générale annuelle du comité de la Caisse des Écoles ; il estime que des livres pourront être distribués à la moitié des élèves et il espère qu’en 1887, on pourra le faire pour tous. Le 25 février, le conseil municipal vote une subvention de 2100 francs pour venir en aide à la Société des fourneaux économiques, « dont le budget est en déficit par suite de la misère qui règne depuis quelque temps ». Sur la proposition d’Euzet, il est alloué 2 000 francs aux ouvriers sans travail, somme qui sera convertie en bons de pain, de viande et de légumes, distribués par les conseillers municipaux aux familles nécessiteuses. C’est aussi dans le courant 1886 que les relations avec le maire deviennent particulièrement exécrables. Pourtant, encore au début de l’année, Euzet préside quelques séances du conseil municipal qui se déroulent sans le moindre problème. Puis, on voit toujours Olive en assurer la présidence. A la fin de l’année, Olive étant lui-même excusé, c’est le maire qui vient exceptionnellement présider pour empêcher Euzet de le faire. Il semble bien que ce qui a entraîné une dégradation irréversible des relations entre les deux hommes, c’est une pétition adressée aux députés et aux sénateurs par cinq conseillers municipaux seulement, dont Euzet, le principal opposant au maire. Cette pétition a reformulé un voeu, allant pourtant dans le même sens, émis à l’unanimité par le conseil du 16 février sur le même sujet, à savoir revenir à la situation qui prévalait avant la loi du 27 mai 1885, loi qui a permis aux repris de justice libérés de s’installer à Sète (ce qui a entraîné beaucoup de désordres). Or, ni le maire ni le premier adjoint n’ont été signataires de cette pétition qui a donc marginalisé le conseil municipal, mis ainsi devant le fait accompli. Il y avait là matière à fâcherie. Les débats de mai des séances du conseil municipal sont houleux. Le conseiller Cothenet demande au conseil d’exiger la démission du maire s’il continue à s’absenter des séances du conseil et des commissions. En contre-feu, les partisans du maire font voter la confiance pour le premier magistrat de la commune. Ils rappellent que le maire avait donné sa démission pour raison de santé mais qu’il avait consenti à revenir sur sa détermination à la condition qu’on ne l’oblige pas à présider les séances du conseil municipal. Euzet, lui, donne une tout autre raison : « le véritable motif donné par M. le maire à la délégation qui avait été le trouver pour le prier de retirer sa démission n’était pas l’état de sa santé, mais le reproche qu’il croyait devoir adresser à M. Euzet, qui cherchait à empiéter sur ses attributions de maire.» Les relations deviennent à ce point conflictuelles que le bureau d’Euzet est transféré au secrétariat. Cet éloignement fait l’objet d’explications cinglantes de la part de l’intéressé, selon Le Petit Méridional : « c’est sur le désir formel exprimé par M. Euzet que son bureau a été transféré au secrétariat. M. Euzet a à se plaindre de la grossièreté de M. Peyret, et il a voulu fuir les occasions qui lui étaient offertes, de sortir du calme dont il ne doit pas se départir, à l’égard du maire doublé d’un vieillard. ». La crise se prolonge à propos des fonds de la caisse des écoles. A l’occasion de cette affaire, on voit bien le caractère d’Euzet qui est ainsi décrit lors d’un échange musclé au conseil municipal : « M. Euzet dominant le bruit, dit que quel que soit le nombre de ses adversaires, on ne l’empêchera pas de défendre ce qu’il croit juste et on ne le fera pas départir du calme qu’il s’est résolu à conserver. » Finalement, le maire lui supprime toutes ses délégations dans les commissions, au conseil du 10 août. Puis, le 22 novembre, Peyret préside exceptionnellement le conseil et, à la suite d’un nouvel incident, Euzet quitte la séance, suivi par cinq conseillers municipaux.

Toujours en 1886, de nombreuses questions techniques sont débattues au conseil municipal, et, souvent, Euzet croise le fer avec une partie de ses collègues. Un seul exemple de ses idées : la surveillance des enfants dans les écoles le jeudi ; sur ce sujet, « il croit que certaines familles mettent leurs enfants aux écoles congréganistes parce que dans ces écoles on les garde le jeudi : si vous en faites autant, dit-il, ces parents retireront leurs enfants des écoles congréganistes et les mettront aux écoles laïques dont le niveau des études est supérieur, et d’ailleurs, ajoute-t-il, il importe d’élever les nouvelles générations dans les idées républicaines ». Le plus souvent, ses propositions sont adoptées. En 1887, comme les années précédentes, Olive assure la présidence du conseil municipal et chacun semble en avoir pris son parti, au point que le Messager du Midi écrit, le 23 mars, qu’Olive est « plus spécialement chargé d’administrer la ville de Cette » ! Il semble aussi que la guerre d’usure entre le maire et son second adjoint se soit calmée. Au conseil municipal, comme toujours, Euzet n’hésite pas à donner son point de vue, quel que soit le sujet technique abordé. Cependant, la question essentielle reste encore celle du théâtre.

C’est le 19 février 1887 qu’arrive au conseil municipal la discussion sur l’opportunité de construire ou non un théâtre municipal. Défarges, au nom de la commission des Beaux-Arts, demande au conseil de supprimer la subvention au directeur du théâtre pour l’année 1887-88 et de ne pas renouveler le bail du théâtre Jeannin qui expire le 30 septembre. Il conclut à la nécessité d’un nouveau théâtre. Euzet combat ces conclusions, même s’il est d’accord sur le diagnostic mais, en attendant d’avoir un théâtre plus confortable, et que les finances de la ville soient suffisantes, il estime qu’il faut le conserver. Le 4 juin, la majorité du conseil présente une motion, pour appuyer la solution consistant à construire un théâtre provisoire. Le théâtre Jeannin est, à nouveau, considéré comme insuffisant, dangereux et insalubre et il convient donc de le fermer. 15 conseillers municipaux signent le texte. Euzet déclare que tout en étant opposé à la fermeture du théâtre Jeannin, la saison théâtrale est trop avancée. Il suit donc cette demande mais veut établir les responsabilités de la fermeture. C’est, évidemment, une manière de sauver la face.

Au premier trimestre 1887, la ville de Sète voit se développer un conflit professionnel dans la boulangerie, à cause de l’augmentation du prix du pain. Or, Euzet et quelques-uns de ses amis insistent afin que le conseil municipal agisse pour aboutir à une conciliation entre les parties. Cette intervention politique est critiquée par les libéraux au nom de la liberté commerciale mais, finalement, les boulangers modèrent la hausse. On se rend compte que ce conflit révèle deux conceptions de l’action municipale. On peut, remarquer aussi qu’Euzet est, comme d’habitude, à l’avant-garde des idées nouvelles qui vont se développer par la suite. Cela ne l’empêche pas d’être réaliste comme dans l’affaire des immeubles du Bureau de bienfaisance, en juillet 1887. Certains de ceux-ci sont arrivés dans le patrimoine municipal grâce à des donations, à la condition de servir à l’établissement d’un Bureau de bienfaisance. Or, plusieurs de ces immeubles ont été ensuite affectés à d’autres missions communales, en particulier pour la création d’une école laïque. La mairie s’expose donc à des revendications des héritiers. Ceux-ci sont défendus, en conseil municipal, par le conseiller Vivarès, cependant que l’autre point de vue est défendu par Euzet. Celui-ci explique, notamment : « Quand l’ancienne administration décida la création de l’école laïque Jeanne d’Arc, c’est qu’elle avait prévu l’invasion des cléricaux dans ce quartier, et qu’elle avait senti qu’à leurs organisations formidables il fallait imposer une digue. Cette digue fut la laïcisation de l’école Jeanne d’Arc qu’en ce moment l’on nous propose de supprimer. » Finalement, le conseil lui donne raison (PM du 10 juillet1887). De nombreuses autres questions de gestion courante font aussi l’objet d’interventions de sa part. Cependant, la malice politicienne n’est jamais loin. Le Petit Méridional du 23 juillet indique, par exemple, qu’une nouvelle fois, le quorum n’a pas été atteint pour pouvoir valablement délibérer : « M. Euzet est entré dans la salle du conseil au moment où la séance venait d’être levée. ». Cette question de l’absentéisme aux séances du conseil municipal devient préoccupante. Ainsi, l’année 1888 commence-t-elle avec un conseil qui ne peut se tenir, à cause des absences non motivées, onze noms sont indiqués, dont celui d’Euzet.

Quant au théâtre, la majorité de deux voix a été acquise à l’édification du théâtre proposé par l’architecte Carlier, dans une séance des commissions des finances et des travaux publics. A cause de cela, 11 conseillers municipaux (dont Euzet) démissionnent, en mars. Au conseil municipal qui suit, les conseillers municipaux restants votent, à l’unanimité, le rapport sur le théâtre Carlier. Le préfet décide une enquête de commodo et incommodo prévue du 21 au 23 avrilsuivant, presque en même temps que les élections municipales. Cette concomitance ne passe pas inaperçue dans la presse : « Pour un homme habile, M. le préfet est un homme habile ; il veut, dans cette circonstance, ménager la chèvre et le chou. La chèvre, c’est l’administration actuelle ; le chou, c’est Euzet. Qui résistera de la chèvre ou du chou (?) Qui le sa ! » (MM du 30 mars 1888). (Fig. 4)

La mairie de Cette, objet de toutes les convoitises (Coll. particulière)
Fig. 4 - La mairie de Cette, objet de toutes les convoitises (Coll. particulière)

Vient ensuite le temps des élections municipales. Un article du Journal de Cette du 5 mai 1888 critique fortement la liste des radicaux (dite de la concentration). Sous la signature d’un électeur du bon coin, Euzet est particulièrement égratigné. Il est vu comme un « candidat usé, trop usé, qui veut toujours de la timbale municipale. Il ne la lâche pas depuis bientôt 20 ans et soit avec les écarlates, les rouges, les bleus, les mauves, il faut qu’il soit toujours à la mairie. ». Au premier tour des élections municipales du 6 mai, dans la liste de la concentration républicaine radicale, le meilleur score est celui de Blanchet mais Euzet arrive en deuxième position. Avant le second tour, il ne reste plus en présence que les socialistes et les concentrés. Pour les socialistes, la liste de la concentration représente des haines et des convoitises. « Nous y voyons des processionnaires comme Gautier, des laïciseurs comme Euzet. Inconnus ou trop connus, honnêtes ou non, sobres ou intempérants, ils forment un accouplement bizarre autant qu’hybride. » (JC du 10 mai 1888) Au second tour des élections, le résultat, en nombre de candidats élus, est de 13 socialistes et de 17 « concentrés » et, cette fois, Euzet a failli ne pas faire partie des conseillers, n’ayant réalisé qu’un score médiocre.

L’élection de la nouvelle administration municipale a un caractère tout à fait hors norme. Dès l’ouverture des portes au public, des insultes sont proférées à l’adresse du nouveau conseil. Aux insultes succèdent les menaces et aux menaces les voies de fait. Le public envahit l’enceinte réservée aux conseillers et certains prennent place derrière eux, sur les fenêtres. Le calme finit par revenir, et on procède à l’élection du maire. Au 1er tour de scrutin, le radical Blanchet est élu par 17 voix contre 12 obtenues par le socialiste Aussenac. Vient ensuite l’élection du premier adjoint. Au premier et au second tour de scrutin, Euzet et Aussenac ont chacun 15 voix. Du coup, Euzet retire sa candidature, compte tenu de la défection de trois membres du groupe des radicaux. Puis, Blanchet intervient : « Si j’ai accepté les fonctions de maire, c’était par dévouement et aussi parce que j’avais lieu d’espérer que j’aurais à mon côté un homme d’expérience, M. Euzet. Celui-ci retirant sa candidature, je donne ma démission de maire, ne pouvant compter sur l’appui de nos trois collègues, devenus des transfuges aujourd’hui. » (PM du 20 mai) La séance continue sous la présidence du doyen d’âge. Plusieurs scrutins pour élire un maire n’aboutissent pas. La séance est suspendue. Sur la proposition d’Euzet, les élus de la liste de concentration se retirent dans le cabinet du maire pour délibérer. On insiste auprès de lui pour qu’il accepte la fonction. Il s’y refuse absolument, estimant que ce ne serait pas digne, alors que son ami Blanchet vient d’abandonner son poste si noblement. Finalement, les radicaux laissent aux socialistes toute l’administration, en leur promettant un concours dévoué. Euzet est chargé de leur faire cette déclaration au nom du groupe. Après plusieurs tours de scrutin, Antoine Aussenac est élu maire par 29 voix et les adjoints par 30 voix. Plus tard, l’un des dissidents, Émile Auloy, tentera de s’expliquer mais la réalité, c’est qu’il s’est opposé à l’élection d’Euzet. Il voulait bien de Blanchet comme maire mais refusait Euzet, non seulement comme adjoint mais encore plus comme maire. Il fut suivi par deux de ses collègues, rendant ainsi impossible la gestion de la ville par les radicaux. Le 2 juin 1888, les nominations se font pour les commissions et les délégations. Euzet devient membre de plusieurs commissions : les finances, les travaux publics, les eaux et l’éclairage, les logements insalubres et la commission scolaire ; il est aussi élu administrateur du Bureau de bienfaisance.

Le sujet du théâtre revient dès le début du nouveau conseil ; en effet, le 22 juin 1888, à la suite de l’exposé du rapporteur de la commission des beaux-arts, le conseil municipal finit par voter à la majorité les conclusions de ce rapport qui prévoient la construction d’un nouveau théâtre. Blanchet et Euzet combattent ces conclusions, notamment pour des questions financières. Sur la demande de 15 conseillers municipaux (dont Euzet), le vote a lieu par appel nominal mais les conclusions du rapport sont adoptées par 16 voix, contre 11 (dont Euzet) et 2 abstentions. Un conseiller est absent. Pourtant, les débats du conseil municipal du 2 octobre montrent une nouvelle évolution ; en effet, il est dit que la commission compétente s’est occupée sérieusement d’arriver, dans le plus bref délai possible, à la réouverture du théâtre Jeannin, mais qu’il reste à obtenir l’autorisation du préfet.

Euzet, allié objectif du maire…

Au conseil municipal du 17 août, une discussion a lieu sur l’organisation et l’avenir du Bureau de bienfaisance. Certains souhaitent une meilleure distribution des soins et d’autres veulent que l’établissement soit laïcisé dans le plus bref délai. Sur ces deux points, Euzet donne son point de vue. Pour le premier, il craint que l’on ne trouve pas de médecins si l’on diminue leurs appointements (pour en augmenter le nombre). Ginouvès propose alors qu’il n’y ait pas d’attachés à l’établissement, ce à quoi il répond « que l’essai en a été fait sous l’administration Vareille et que le résultat a été mauvais ». Cette répartie montre l’expérience qu’il a acquise au fil des ans. Pour la laïcisation, il démontre qu’elle entraînera la ville dans de grandes dépenses que le budget actuel ne pourrait pas supporter, tout en déclarant qu’il en est partisan. Ses avis sont suivis par les autres conseillers municipaux. Il s’oppose aussi à Jeannot qui veut prohiber l’entrée des futailles de Mèze et de Marseillan car, selon celui-ci, elles portent un grand préjudice au commerce des futailles de Sète. Euzet lui répond « qu’un vœu identique avait été formulé il y a quelques années à la municipalité. Il est illégal de vouloir protéger les produits industriels d’une cité au détriment d’une autre. Ce serait vouloir créer des douanes intérieures ». Là encore, il démontre sa connaissance des affaires et il apparaît comme le sage, celui qui a la mémoire de l’institution. Le 2 octobre, le secrétaire général de la mairie présente le rapport de la commission des finances. Euzet fait alors plusieurs interventions qui montrent encore ses compétences techniques ; ses propositions reçoivent l’aval du maire. Il est évident que cette technicité reconnue jouera, plus tard, dans son élection au fauteuil du premier magistrat, en plus de ses antécédents républicains sous l’Empire et de son adhésion au radicalisme puis au radical-socialisme.

Compétence donc mais aussi emploi de manœuvres dilatoires pour user peu à peu l’adversaire : « On peut déjà constater un grand découragement parmi les membres les plus modérés de notre administration communale. M. Euzet, l’absent par système, et aussi peut-être par calcul, va trouver de nombreux imitateurs ; il est même permis de présumer que d’ici à un mois les séances du conseil municipal ne seront plus suivies que par les douze ou treize membres qui composent la minorité socialiste. » (MM du 14 septembre 1888) Cet absentéisme voulu se retrouve même dans les commissions. A propos de la commission des finances, au conseil du 18 septembre, Jeannot se plaint que la question de l’emprunt n’a pu être traitée à cause des absences répétées et non excusées de certains de ses membres. « M. Euzet se sentant visé, répond que, s’il n’assiste pas aux réunions de la commission, c’est qu’il prend ses vacances. Et avec quelle permission ? lui demande le premier adjoint. Je n’ai de permission à demander à personne, riposte M. Euzet et mes vacances ne cesseront que quand il me plaira.» (JC du 20 septembre) Aussenac intervient alors pour faire cesser ces échanges dignes d’une cour de récréation. En fait, plus l’année avance, plus il est difficile de tenir le conseil et le public qui assiste aux séances. Cela tient, en partie, au maire lui-même qui déclare que « les mesures coercitives lui répugnent ».

L’année 1889 va voir se dérouler, au conseil municipal, des débats plus ou moins houleux, non seulement entre radicaux et socialistes mais aussi entre socialistes. En fait, plus que sur le plan des idées, ces disputes sont révélatrices de formations initiales trop disparates chez les conseillers municipaux. Bien entendu, les journaux conservateurs n’ont pas manqué d’ironiser sur l’inculture de certains conseillers municipaux socialistes, mettant en avant des échanges comme celui-ci, entre Euzet et Jeannot : « M. Jeannot pourrait parfaitement discuter avec moi sans se mettre en colère. Que voulez-vous, répond Jeannot, Je n’ai pas usé mes fonds de culotte sur les bancs du collège, et chacun il parle avec son tempérament. » (MM du 13 mars 1889)

A la séance du conseil municipal du 8 mars, un rapport est présenté sur les recettes de l’octroi. Gibert constate une forte diminution de ces recettes et estime qu’il faut rechercher les responsabilités de cette situation. C’est d’autant plus indispensable que le service de l’octroi constitue le plus clair des revenus de la ville. La discussion qui suit cette présentation devient confuse entre les socialistes et les radicaux. Finalement, Euzet intervient : « Je ne puis voter l’ordre du jour présenté par M. Gibert, lequel contient implicitement un blâme contre l’administration, sans indiquer les causes d’une décroissance dans les recettes de l’octroi. Je demande donc que la lumière soit faite par une commission d’enquête nommée par le conseil municipal avec mandat de déterminer les responsabilités. Je ne puis, dit-il, être suspecté de tendresse pour l’administration, mais je ne puis la condamner sans qu’il soit fait une enquête sérieuse. » Sa proposition est mise aux voix et adoptée à l’unanimité. Le 5 avril, les conclusions de cette commission font ressortir la désorganisation du service de l’octroi et l’indiscipline d’un certain nombre d’agents. Le rapport dédouane le préposé en chef qui avait été mis en accusation par une partie du personnel. Ces conclusions sont cependant rejetées par 13 voix contre 10, les socialistes votant contre et les radicaux (dont Euzet) votant pour. La discussion qui suit prend, ensuite, un tour assez violent car les socialistes veulent mettre tous les torts sur le préposé en chef. Le socialiste Planchon est particulièrement agressif : « Si l’on ne veut pas le révoquer, qu’on le pende. Il ne cesse de conspirer contre l’administration avec M. Olive, et M. Gibert s’est fait leur complice. » (PM du 08 avril 1889) Blanchet résume la situation en disant que le vote ayant rejeté les conclusions du rapport ne fait que consacrer les errements commis par l’administration.

Un autre débat agite le conseil municipal dans sa séance du 8 mars 1889. En effet, suite à la demande de Combes, le premier adjoint, de voter une pension de retraite à trois agents dont l’emploi a été supprimé, Euzet constate à regret que le conseil est, à chaque séance, appelé à délibérer sur les demandes de liquidations de retraites ou d’indemnités formulées par des employés injustement révoqués. Des procès sont pendants et les conséquences financières seront très onéreuses pour la commune. Si lui même dit qu’il a toujours été opposé aux révocations, à l’opposé, Planchon déclare : « il y a encore de nombreux réactionnaires en place et l’administration donnera un bon coup de balai ». Mêmes problèmes et mêmes discussions au conseil municipal du 19 mars et ultérieurement.

Autre sujet, à l’issue d’une élection municipale complémentaire, il s’agit d’installer 5 nouveaux conseillers élus et de nommer les 2ème et 3ème adjoints au maire. Le conseil municipal se réunit d’abord en séance officieuse, le 25 juillet, pour s’entendre sur ces nominations mais la séance commence mal car l’un des nouveaux élus demande la démission du maire qui refuse. Dans Le Petit Méridional qui se fait l’écho des débats, il est écrit que « pendant plus d’une heure, ce n’a été qu’un débordement d’injures réciproques et d’épithètes les plus grossières ». Enfin, par 24 voix contre 2 abstentions, il est décidé qu’il n’y a pas lieu de procéder à la nomination des deux adjoints.

Euzet propose alors à ses collègues de démissionner en masse. Le maire appuie cette proposition mais les socialistes la combattent. Dès lors, la séance officielle du conseil municipal qui était prévue le 26 juillet est reportée à une date ultérieure (PM 27.07.1889). Un article ironique du Messager du Midi du 11.12.1889 montre qu’Euzet est devenu indispensable aux conseillers municipaux socialistes : « Nous apprenons et de bonne source, que le préfet de l’Hérault, M. Pointu, aurait refusé, d’une façon carrée, la démission de six ou sept membres radicaux ». Le journal estime que leur retour apporterait inévitablement des troubles, alors que le conseil « qui, pour être fort amputé, n’en coule pas moins des jours tranquilles et heureux, sous la houlette de son berger, M. Honoré Euzet. C’est au résumé, une histoire drôlement curieuse que celle de ce conseil municipal panaché, qui n’a commencé à se diviser en deux camps des plus haineux qu’à cause de M. Euzet dont les socialistes ne voulaient pas pour premier adjoint et qui, aujourd’hui, en très forte majorité socialiste, se laisse conduire par lui, par le bout du nez. Ceci prouve donc qu’on est parfois plus gêné par ses amis que par ses adversaires. » Évidemment, une autre explication possible est qu’Euzet s’est rendu compte qu’il pouvait travailler avec les socialistes qui, de fait, étaient nettement moins compétents que lui. D’une certaine manière, cette période a probablement constitué un banc d’essai, avant de prendre le pouvoir. Ce qui apparaît aussi, c’est l’entente – de fait – entre le maire Aussenac et Euzet. Le premier est amené à soutenir le second contre les autres conseillers socialistes et il est évident que cette entente, cette confiance, prendra tout son poids dans l’élection de 1895. A titre d’exemple, au conseil du 7 juin, à propos des employés révoqués qui ont intenté un procès à la ville, Euzet propose la création d’une commission qui examinerait les motifs des révocations et qui leur accorderait des indemnités en conséquence. Suite aux protestations de certains conseillers, il ajoute qu’il « ne conteste pas les droits de l’administration mais une transaction lui paraît préférable à un procès ». Aussenac est d’accord avec lui, alors que Durand, Jeannot, Planchon et Gibert sont d’un avis contraire. Mais, ce qui est à souligner, c’est la position d’Aussenac : « il n’y a pas de mal à reconnaître ses torts, lorsqu’on vous prouve que vous vous êtes trompé ». Évidemment, ce type de réponse entraîne de fortes critiques chez certains conseillers et même dans l’auditoire qui traitent le maire de Judas. En réalité, la division se fait entre ceux qui veulent administrer la ville au mieux de ses intérêts et ceux qui en restent à l’idéologie. (Fig. 5)

Débat autour de la révocation d’employés municipaux. (L’Éclair du 10 juin 1889)
Fig. 5 - Débat autour de la révocation d’employés municipaux. (L’Éclair du 10 juin 1889)

Les démissions de conseillers municipaux continuent en cette fin 1889 mais le préfet fait de la résistance. Certains, d’ailleurs, veulent revenir. Le Petit Méridional annonce encore plus de démissions dans son numéro du 18 juillet1890. 16 d’entre eux ont reçu du préfet un accusé de réception des lettres par lesquelles ils sont résigné leurs fonctions de conseillers de la ville de Cette. Euzet en fait partie, ce qui surprend le journal. Dans le camp radical, la discorde qui existe aussi ne trouve pas sa source seulement dans un conflit de personnalités, c’est davantage un conflit de génération. Pour s’en convaincre, il n’y a que l’embarras du choix en cherchant dans les nombreuses chroniques électorales parues dans le Journal de Cette. Certaines sont très critiques mais d’autres font appel à la raison entre vieux routiers de la politique, comme cet article signé Mazel, le 27.07.1890 : « Depuis longtemps et tout particulièrement on ne veut plus d’Aymeric, on ne veut plus d’Euzet ; depuis 1870, ils ont joué assez de rôles : ils ne voient pas que le corps électoral populaire ne veut plus d’eux, qu’ils le fatiguent. Tous les deux d’ailleurs ont peut-être bien quelques mérites, ils sont de plus de nos amis, mais ce n’est pas une raison pour qu’ils se croient indispensables et supposent que les autres n’ont pas de talents. » L’auteur de cet article conclut ensuite en disant : « Depuis vingt ans, les jeunes de 1870-71 sont devenus des hommes : ils veulent s’affirmer sans se mettre dans les souliers des autres, l’avenir leur appartient. » Mêmes demandes chez les radicaux du Petit Méridional. Tous ces éléments poussent le préfet à décider d’élections municipales complémentaires qui concernent 16 puis 15 conseillers municipaux à remplacer.

C’est le 3 août 1890, dans Le Petit Méridional, qu’Euzet répond vertement aux attaques du comité de la ligue républicaine : « Au mépris de toutes les règles et les convenances, vous, candidats, vous prenez la liberté de me juger dans un placard signé de vous. Il n’est donc pas inutile de vous rappeler que je me disais républicain par mes actes, alors qu’il y avait danger à agir ainsi. Laissez-moi vous dire que pendant vingt ans j’ai servi mon pays avec le désintéressement le plus complet ; que je n’ai jamais sollicité et ne solliciterai jamais aucun poste rétribué par l’État, le département ou la commune. Il n’est pas de gouvernement assez riche pour me payer ma chère indépendance ! J’ai donc le droit de mépriser les injures des hommes qui ne viennent à la République que lorsque tout danger a disparu et qui, comme vous, ne voient dans la politique qu’un moyen de se faire une position. » Évidemment, ces mots sont l’illustration que, plus on approche des élections, plus le climat se crispe. La Ligue Républicaine qui représente les radicaux officiels tire à boulets rouges sur Euzet : « Ennemis des questions de vie privée, nous nous contenterons momentanément d’esquisser la vie politique du chef de liste du comité radical, de celui qui, par son entêtement à vouloir rester sur les rangs, a causé la scission du parti républicain de notre ville. Nous verrons par là ce qu’a pu faire l’ambition chez cet homme qui n’a cessé pendant 18 ans de parcourir en tous sens le parti républicain, ballotté comme une épave par tous les courants et venant échouer piteusement après tant M. Honoré Euzet a été nommé conseiller municipal dans une élection complémentaire en 1872 sous l’administration Michel. Il démissionna quelque temps après, ne pouvant s’entendre avec ses collègues. Comme membre du conseil Espitalier, il a été avec le président actuel de son comité, M. Aymeric, l’un de ceux qui ont le plus contribué à diviser le parti républicain. Il a combattu avec un acharnement inexplicable M. Marius Vareille, dont l’honnêteté ne faisait doute pour personne. Elu en 1884 sur la liste de M. Peyret, M. Euzet est devenu le membre le plus turbulent pour ne pas dire le plus néfaste du conseil. Si M. Euzet a pu considérer ses oppositions incessantes comme des services rendus, il faut croire qu’il n’a pas la notion vraie des mots, ni le sens réel des choses. Les services qu’il faut lui reconnaître ce sont ses fréquentes démissions. M. Euzet a été tour à tour républicain radical contre M. Espitalier, républicain socialiste contre M. Thomas, aux élections du conseil général, républicain opportunistes contre M. Vareille, républicain nimportequiste contre M. Peyret, enfin républicain boulangiste contre M. Salis aux dernières élections législatives. Que peut-on penser de cet homme en politique ? Il n’y a qu’un mot pour le qualifier : c’est un Caméléon. Après cela, tirez l’échelle et recherchez les vrais radicaux. » (JC du 10 août 1890)

Euzet républicain « socialiste »

Tous les coups sont permis dans cette campagne électorale. Des affiches sont placardées à toute heure du jour et toutes ne visent qu’Aymeric et Euzet. Une d’entre elles accuse ce dernier d’avoir fait de la propagande boulangiste et porte les signatures de Boissier et Diebolt. Ce dernier écrit : « Je proteste énergiquement contre l’abus que l’on a fait de mon nom, je n’ai jamais autorisé M. Boissier à faire afficher une accusation de boulangisme contre M. Euzet, quand il m’a demandé mon acceptation je la lui ai formellement refusée, je trouve donc son procédé absolument déloyal. » Le 21 avril 1892, Le Cettois annonce la parution prochaine d’un nouveau journal à Sète. Il s’agit de La Concentration Socialiste, « organe des républicains avancés ». C’est donc un journal créé pour les élections par les socialistes de la future liste qui va s’appeler Liste des candidats du parti ouvrier socialiste. Concentration socialiste, dans laquelle on va trouver Euzet qui quitte donc les bancs des républicains radicaux ou radicaux-socialistes. Dans cette liste, il côtoie le maire Aussenac (ce qui n’est qu’une demi-surprise, compte tenu de la bonne entente entre les deux hommes) mais aussi Jeannot et Planchon (ce qui est plus cocasse, étant donné les batailles homériques passées au conseil municipal).

Quatre listes sont en présence pour l’élection municipale de mai 1892 :

Liste 1 : liste républicaine, dite aussi des groupes républicains réunis. Elle est connotée opportuniste ou opportuno-radicale par l’Éclair ;

Liste 2 : liste libérale indépendante. Elle est connotée réactionnaire par Le Petit Méridional ;

Liste 3 : liste de concentration républicaine, avec le maire Aussenac. Elle est connotée socialiste par l’Éclair ;

Liste 4 : liste socialiste indépendante qui apparaît comme dissidente de la liste de concentration républicaine, avec seulement 9 noms.

A l’issue du scrutin, la première liste l’emporte et Ernest Scheydt est élu maire.

Désormais dans la mouvance socialiste, Euzet sait pourtant garder son indépendance d’esprit comme on le voit dans un courrier qu’il adresse au journal Le Socialiste Cettois, lettre publiée dans le Journal de Cette du 14 septembre 1892 : « Monsieur le Directeur, Je constate avec regret que malgré mes dénégations énergiques et répétées, on persiste à m’attribuer certaines attaques dirigées, dans le Socialisme Cettois contre diverses personnes : deux d’entre elles, des adversaires politiques, peut-être, mais sûrement deux amis personnels, sont venues aujourd’hui même à ma grande stupéfaction m’apporter leurs plaintes. » Du coup, il cesse de collaborer à ce journal et regrette de ne pouvoir continuer la publication de ses articles d’études sociales.

Une grande réunion est organisée le 1er mai 1893 pour la fête du travail avec Aussenac comme président, Euzet et Planchon comme assesseurs. Le député Salis fait un discours. Deux des thèmes majeurs abordés sont la journée de 8 heures et la construction d’une Bourse du Travail à Sète – si possible avant la fin de 1893. Ici, pour mieux comprendre les rôles respectifs des protagonistes, il faut rappeler la thèse de Claude Willard sur les Guesdistes 4. En effet, l’auteur indique que Planchon a contribué à la réélection du député Salis et que ce dernier l’a, semble-til, récompensé en lui procurant un emploi à Paris (ce qui fut contesté par l’intéressé). De même, Aussenac obtiendra de Salis une recette buraliste. Les deux se retireront alors de la vie politique militante. Claude Willard explique le contexte : « Dans plusieurs circonscriptions, les collectivistes s’effacent, dès le premier tour, devant les radicaux. L’exemple est donné en 1893, par les socialistes de Cette : au congrès électoral le 30 juillet, ils acclament la candidature du radical Salis socialiste sincère, honnête et profondément dévoué au prolétariat. » Mêmes phénomènes à Béziers et à Carcassonne. On voit donc que l’évolution politique d’Euzet doit aussi se comprendre dans ce mouvement d’ensemble. (Fig. 6)

Les journaux locaux des 19 et 20 août 1894 donnent les résultats de l’élection municipale complémentaire. Il s’agit d’élire 8 conseillers municipaux et il y a deux listes en présence : la liste socialiste de protestation municipale et la liste républicaine. Les socialistes obtiennent plus de la moitié des suffrages exprimés et sont élus. Euzet est de ceux-là. Mais, dès le 22 août, les 8 conseillers municipaux socialistes qui viennent d’être élus démissionnent. Chacun d’eux envoie sa lettre de démission au préfet, à peu près dans les mêmes termes. Le Petit Méridional publie celle d’Euzet : « […] Élu sur la liste socialiste de protestation municipale, je ne saurais siéger auprès de ceux que le suffrage universel a si justement condamnés. »

Jacques Salis (Guide de l’Hérault 1904)
Fig. 6 - Jacques Salis (Guide de l’Hérault 1904)

Euzet, enfin maire…

L’année 1895 commence aussi par une élection municipale complémentaire et Euzet fait partie de la liste socialiste mais le premier tour ne donne aucun résultat (EC du 28 janvier 1895). Au second tour, tous les candidats de la liste socialiste sont élus, Euzet a le moins de voix, ce qui ne manque pas de surprendre, compte tenu de la suite dans cette même année 1895 (EC du 4 février 1895). Les socialistes et les syndicats se réunissent, fin août, pour savoir s’ils doivent prendre part au vote du 1er septembre pour la constitution d’un nouveau conseil municipal. Des opinions différentes s’expriment. Euzet dit que les finances de la mairie accusent un déficit considérable et que de nombreux créanciers ne pourront pas être payés, vu le court espace de temps avant les élections générales. Il termine en disant qu’il ne faut pas voter, car ce serait tomber dans le piège qui est tendu au parti socialiste. Après d’autres interventions, le président met aux voix pour savoir s’il faut prendre part au scrutin ; à main levée, la réponse est négative et il est convenu de se réserver pour le mois de mai 1896. En effet, au 1er tour de scrutin, aucune liste de candidats ne se présente pour le renouvellement du conseil municipal démissionnaire. Cependant, pour le deuxième tour, les socialistes changent de tactique. L’Éclair du 9 septembre 1895 écrit que les élections « ont eu lieu sans animation ni enthousiasme, et cela se conçoit, la lutte étant circonscrite entre les socialistes qui, se voyant sans adversaires, se sont divisés sur le choix de quelques noms. Deux listes sont en présence : celle d’Euzet et celle du docteur Peyrussan, récemment nommé conseiller d’arrondissement. » Résultat : la liste Euzet (« comité central de tous les groupes corporatifs socialistes de la ville de Cette ») est élue entièrement. L’installation de la nouvelle municipalité se fait le 14 septembre 1895. Sur les 30 votants, Euzet est élu maire par 28 voix (2 bulletins blancs). C’est ensuite l’élection des deux adjoints. Bruniquel est élu 1er adjoint et Jeannot 2ème adjoint. Le compte rendu détaillé est donné par Le Petit Méridional du 15 septembre qui ajoute les éléments d’ambiance : « La façade de la mairie est brillamment illuminée. L’Harmonie et l’Espoir ont donné une sérénade à la nouvelle administration. L’enthousiasme de la population est indescriptible. » C’est, pour Euzet, l’aboutissement de sa marche vers le pouvoir, lui qui fut conseiller municipal pour la première fois en 1872.

Dans son discours au conseil municipal, il déclare ne pas exposer de programme mais insiste sur l’union nécessaire. Un des premiers objectifs est d’assainir les finances de la commune, payer les créanciers, trouver de nouvelles ressources, sortir la cité « de la position humiliante où elle se trouve ». Sur le balcon de l’hôtel-de-Ville, il termine son allocution en souhaitant provoquer « quand nous quitterons la mairie, autant de regrets que nous recueillons aujourd’hui de marques d’estime et d’amitié. »

La suite de l’histoire allait se révéler moins simple mais d’ores et déjà, s’il fallait caractériser en quelques mots le nouveau maire, on pourrait dire surtout qu’il était un fils de Sète, ce qui lui assurait un cercle d’amis dépassant les clivages idéologiques ; que sa situation commerciale de courtier lui permettait une indépendance de fait par rapport à la politique ; que ses engagements républicains – avant la chute de l’Empire et pendant les périodes de l’Ordre Moral – constituaient un bouclier contre les attaques des « néo-républicains » ; que ses appartenances politiques successives correspondaient à l’évolution des idées et n’étaient, finalement, que des mots abstraits recouvrant le même socle républicain ; enfin, que c’était un « homme très-intelligent », comme le soulignait le Messager du Midi du 14 août 1886 (journal qui, pourtant, ne lui faisait pas de cadeaux). Il reste, maintenant, à se demander ce qu’il a fait de ses atouts et s’il a su contenir et canaliser son autoritarisme. Qu’a-t-il construit et laissé en héritage à ses concitoyens, après ses mandats successifs comme maire de Sète… et comment lui-même a-t-il encore évolué ? 5

NOTES

1. Le Petit Méridional (Site de la région Languedoc-Roussillon Midi Pyrénées) : PM de 1877 à 1895,
Messager du Midi : MM de 1878 à 1891,
La République du Midi : RM de 1892 à 1893,
Le Petit Cettois et Le Nouveau Cettois : PC de 1878 à 1884,
Journal de Cette : JC de 1885 à 1892,
L’Éclair : EC de 1885 à 1895,
L’idée moderne et la chronique du Midi : en 1879 (sur le site de la région Languedoc-Roussillon Midi-Pyrénées),
Le Cettois : en 1892 (Arch. Dép. Hérault, PAR 547/1), Le Journal commercial et maritime de Cette : en 1878 (PAR 553/1),
Le Sémaphore de Cette : de 1878 à 1882 (PAR 824/1),
Le Socialiste Cettois : de 1892 à 1895 (Arch. Mun. Sète, microfilm).

2. Dossier établi par la mairie pour ses obsèques, en 1931, Arch. Mun. Sète C11 E4 D7.

3. Police 4 M/1058, Arch. dép. Hérault.

4. Willard, Claude, Le mouvement socialiste en France (1893-1905) les guesdistes, éditions sociales, 1965.

5. Sur le contexte sétois, voir, notamment :
Sagnes, Jean (dir.), Histoire de Sète, Privat, 1987 et rééditions ;
Robitaille, Louis Bernard, Sète la Singulière, Au fil du Temps, 2011 ;
Le Blanche, Hervé, Histoire(s) de Sète et des Sétois, Nouvelles presses du Languedoc, 2010 ;
Histoire(s) de Sète, des Sétois et de quelques autres, Nouvelles presses du Languedoc, 2012.