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Description

La Galerie Romanin

Jean Moulin avait effectué des séjours sur la Côte d’Azur entre les deux guerres. La luminosité du ciel, la beauté des paysages, les festivités du Carnaval et la clientèle touristique avaient inspiré son talent de peintre et de dessinateur, dans des œuvres signées Romanin.

De retour dans la région niçoise après sa révocation par Vichy, c’est là qu’il obtint, sous l’identité de Joseph Mercier, professeur à l’institut international de New York, un « vrai-faux passeport » délivré par la sous-préfecture de Grasse en février 1941, qui lui permit, sept mois plus tard, de gagner Lisbonne et Londres. Parachuté dans les Alpilles en janvier 1942, il entreprit patiemment sa tâche d’unificateur de la Résistance, prenant de nombreux contacts dans toute la zone non occupée, sympathisant notamment avec la Niçoise Colette Pons : « À la fin de l’hiver 42, Jean Moulin me contacta pour travailler avec lui au service de la Résistance. Il s’agissait de camoufler ses activités secrètes sous la couverture officielle de marchand de tableaux. » Ce fut toutefois sous sa véritable identité que Jean Moulin écrivit depuis Saint-Andiol au préfet des Alpes-Maritimes, le 16 octobre 1942, afin de solliciter l’ouverture d’une galerie d’exposition et de vente de peintures, dessins et sculptures modernes, dans un local ayant servi à un bouquiniste et dont il était déjà locataire au 22 rue de France, à Nice. Sa demande était appuyée par le fait, qu’à sa connaissance, aucune autre galerie niçoise n’était alors spécialisée dans le domaine de l’art moderne et que la future galerie Romanin fournirait également un tremplin à de jeunes artistes locaux. La demande fut agréée, la galerie fut aménagée par le décorateur Jean Cassarini, ami de Matisse et de Colette Pons, le vernissage ayant lieu le 9 février 1943 en présence de nombreuses personnalités : « C’est le plus naturellement du monde qu’il invite les personnalités niçoises, le préfet des Alpes-Maritimes au premier rang. » Lors du vernissage, le secrétaire général de la préfecture, Clément Vasserot, futur préfet maquisard de la Creuse, qui avait bien connu Jean Moulin dans les cabinets du gouvernement Blum et dans les cercles radicaux avancés du milieu des années trente, constata avec déception la froideur que lui témoigna son ancien collègue qui, certes révoqué par Vichy, pouvait supposer que le haut fonctionnaire demeuré en poste était devenu une « créature » de l’État français.

Jean Moulin exposa dans la galerie Romanin ses propres œuvres, la collection personnelle qu’il avait patiemment constituée au cours de sa carrière et des œuvres de jeunes artistes : « Bientôt, elle fut fréquentée par les artistes, les marchands et les amateurs. Nous partions ensemble » prospecter « dans la région. Mais pas seulement pour découvrir de nouveaux et d’anciens talents ». En effet, la vocation première de la galerie Romanin n’était pas de combler l’oisiveté forcée de l’ex-préfet de l’Eure-et-Loir ou de lui apporter des revenus complémentaires, mais plutôt de fournir une « couverture » idéale aux activités clandestines du délégué du général De Gaulle et du chef des MUR. L’appartement situé au dessus du local constituait une « planque » pour des agents de liaison de la France libre ou des MUR, voire, plus tard, du CNR, lesquels prenaient contact avec Colette Pons, amie intime de Jean Moulin, qui assurait la direction de la galerie et prêtait l’appartement à celles et ceux qui lui réclamaient « la clé du Rex ». La boutique et l’appartement, comportant plusieurs issues, correspondaient particulièrement bien à la fonction clandestine qui leur était assignée : « planque » et « boîte aux lettres » : « Jean Moulin y venait tous les mois, heureux d’y passer quelques heures entre deux missions. Mais l’étau se resserrait autour de lui. La Gestapo recherchait « Rex », « Max », mais pas Jean Moulin, l’ex-préfet marchand de tableaux ». Ce fut lors de sa dernière visite que la principale exposition, concernant des aquarelles et des dessins de maîtres contemporains (Renoir, Utrillo, Picasso, Valadon) fut organisée dans la galerie, du 3 au 30 juin 1943.

Après l’arrestation de Jean Moulin à Caluire, Colette Pons reçut un télégramme signé Moulin, adressé depuis Saint-Andiol le 16 juillet par la sœur du président du CNR, portant la mention « Vendez comme convenu », ce qui, en langage codé, signifiait qu’il convenait de toute urgence de fermer le local, de mettre à l’abri la collection et de fuir, ce qu’elle fit, aidée par un ami possédant un charreton : « J’eus le temps de déménager, de nuit, toute la collection de la galerie, sur une charrette à bras, avant d’aller me cacher dans le Vaucluse. » Lorsque les sbires de la Gestapo, remontant la filière, parvinrent quelques jours plus tard au 22 rue de France, ils trouvèrent les grilles fermées et se contentèrent de terroriser la vieille antiquaire voisine.

Le 28 août 1972, dans le cadre des cérémonies commémorant la libération du chef-lieu des Alpes-Maritimes, le député-maire de Nice, Jacques Médecin, inaugura, en présence de Colette Pons et de Laure Moulin, une plaque apposée sur la façade du 22 rue de France, rappelant l’activité clandestine locale de Jean Moulin et signalant la reconnaissance de la Ville de Nice, qui avait déjà attribué en 1948 le nom d’une place au héros biterrois. […]

Informations complémentaires

Année de publication

2001

Nombre de pages

4

Auteur(s)

Jean-Louis PANICACCI

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf