Jules Renouvier et les monuments historiques de l’Hérault (1840-1845)

* Directeur de recherche (er) au CNRS

Jules Renouvier est connu à bien des titres à Montpellier et dans le département de l’Hérault 1 pour ses activités archéologiques, historiques, politiques et sociales. Ce que l’on sait moins c’est que, élu président de la Société archéologique de Montpellier en 1833, il avait été nommé membre Correspondant de la Commission des Monuments Historiques, le 6 mai 1840 2 à partir de laquelle il adressa à Paris trois rapports sous la signature d’« Inspecteur des Monuments Historiques » en novembre 1840, le 23 novembre 1841 et le 8 janvier 1842 3. Ces trois lettres méritent d’être publiées puisqu’elles donnent une vue d’ensemble des monuments de l’Hérault dont certains semblaient mériter une protection de l’État en même temps l’État que d’autres documents héraultais 4.

Le 22 juin 1840, le Ministre, Secrétaire d’État de l’Intérieur, Charles Comte de Remusat, fait savoir au Préfet de l’Hérault, Achille Bégé (1838-1841), que, par arrêté du 25 mai, il a nommé « Inspecteur des monuments historiques correspondant du Ministère de l’Intérieur pour le département de l’Hérault, M. Renouvier ». Il devra adresser, par l’intermédiaire du Préfet « deux rapports par an, l’un en avril, l’autre en novembre, sur l’état des monumens confiés à sa surveillance, l’exécution des restaurations ordonnées et les nouvelles découvertes dont il aurait eu connaissance. Il devra en outre faire un rapport spécial toutes les fois qu’un besoin d’urgence se fera sentir et appeler l’attention sur toutes les mesures utiles à la conservation et à l’entretien des monumens historiques ».

Dès le 25 juin, le Préfet informe Jules Renouvier que, sur sa proposition, le Ministre l’a nommé. Dans sa réponse du 8 juillet 1840, Jules Renouvier adresse ses remerciements au Préfet et lui demande de les transmettre au Ministre. Il ajoute : « Les monuments historiques sont depuis longtemps l’objet de mes études préférées et vous ne devez pas douter du zèle avec lequel je saisirai toutes les occasions de les faire mieux connaître et de les préserver de la destruction. J’aurai l’honneur d’adresser prochainement à M. le Ministre un rapport sur l’état actuel de nos monuments et je réclamerai son appui pour toutes les mesures nécessaires à leur conservation. Je me ferai un devoir aussi, M. le Préfet, d’appeler votre attention sur les destructions continuelles ou ce qui revient au même sur les réparations mal entendues qui se commettent dans un grand nombre d’églises intéressantes par leur construction. Dans toutes mes courses, je recueille quelque nouvel exemple de ce vandalisme et jusqu’à présent mes réclamations étaient impuissantes. Les encouragements que l’art a reçu de vous dans notre pays me sont un sûr garant que lorsque mes réclamations vous seront adressées, elles ne resteront pas sans appui ».

Au mois de novembre 1840, le Préfet reçoit un long rapport de Jules Renouvier qu’il fait parvenir au Ministre le 23 novembre et en remercie l’auteur le 1er décembre.

À cette date, on dispose de la liste dite de 1840 des édifices alors classés pour l’Hérault et qui sera complétée entre cette date et 1874 :

Arrondissement de Montpellier. Églises de Castries, de Ste Croix à Celleneuve, de St Guilhem-le-Désert [et parties subsistantes du cloître], de Maguelone, du Vignogoul à Pignan, de Valmagne.

Arrondissement de Béziers. Église St Nazaire de Béziers, Cathédrale d’Agde, Église d’Espondeilhan [St Pierre de Rèdes] Tour de Puissalicon, Pont de St-Thibéry.

Arrondissement de Lodève. Églises de St Fulcran à Lodève, de St Paul à Clermont-l’Hérault, de St- Pargoire.

Arrondissement de St-Pons. Église de St-Pons. 5

Le rapport est accompagné de deux lettres l’une au Préfet, l’autre au Ministre.

Jules Renouvier donne le sommaire de son rapport, demande l’appui du Préfet y compris pour des subventions et il propose « qu’un extrait de mon rapport serait inséré dans le recueil de vos actes administratifs et adressé à tous les maires des communes qui y sont désignées, appuyé d’une lettre recommandant expressément le monument qui les illustre… ainsi que le questionnaire du Comité des Arts pour que les maires des communes qui n’ont point encore été explorées y répondent ou y font répondre par la personne la plus capable de leur commune ». Il ajoute qu’il faudrait dresser un état complet avec le plan, les profils et des dessins mesurés… pour lequel on pourrait affecter un employé de l’architecte du département. Il est enfin proposé d’associer M. de Saint Paul, autre correspondant du Ministre de l’Instruction Publique 6 afin d’aboutir à une Statistique monumentale de l’Hérault.

Le Rapport de Jules Renouvier 7 avec un tableau communal (la désignation du monument, son caractère architectural, ses accessoires importants, les renseignements chronologiques, les observations (Annexe) est envoyé au Ministre par le Préfet qui en reprend les propositions et confirme à l’auteur cet envoi (1er décembre 1840).

Dans une lettre au Ministre du 23 novembre 1841, Jules Renouvier signale « la petite commune de Guzargues, canton de Castries,… pour un bas relief qui remplit le tympan de son portail. L’ange Michel les ailes étendues y pèse une âme dans ses balances ; à côté le diable, petit- corps maigre aux pieds crochus, les ailes dressées, porte une main d’une longueur démesurée sur un des bras des balances. Le travail minutieux et raide, les plis anguleux et l’expression narquoise de cette sculpture, la frise d’ornements qui l’entourent, d’un style plus correct que les figures, comme il arrive toujours, semblent indiquer le XIème siècle ». Jules Renouvier répond aussi au Ministre à propos d’une question qui lui a été posée concernant la demande de classement présentée par son propriétaire, M. Balguerie, du cloître attenant à l’église St Etienne d’Agde : « cet édifice n’est pas sans intérêt, ses galeries formées de colonnettes accouplées, variées de formes et d’ornements, sont d’un aspect tout roman, mais leurs voûtes croisées en pointes et les feuilles de vigne et de mauve de plusieurs chapiteaux y dénotent un travail du XIIIème siècle. L’appareil en est grand, composé de cette lave noire qui forme tout le sol d’Agde et les sculptures y sont d’une finesse rare pour une pierre aussi dure. Ce cloître étant à peu près le seul monument historique d’une ville fort ancienne, attenant à une église romane toute défigurée, mérite considération mais il y a beaucoup de difficultés à sa restitution. Toutes les galeries sont noyées dans un mur et chargées d’une suite de constructions grossières, un grand nombre de colonnes et de chapiteaux ont disparu. De plus, son utilité actuelle comme cellier donne au propriétaire des prétentions qui seraient certainement hors de proportion avec la subvention que vous pourriez accorder à un pareil édifice. Il avait été question de le céder aux Frères des Écoles Chrétiennes dont l’usage aurait pu, peut-être, s’accommoder avec le respect dû à son architecture. Le clergé et la fabrique de St Étienne sont disposés à faire quelques sacrifices pour le conserver et le rendre à leur église. Je crois que s’ils étaient provoqués par une lettre de l’administration et surtout par un encouragement pécuniaire, la ville d’Agde rentrerait en jouissance d’un monument intéressant pour le pays et qui, s’il reste propriété privée, ne peut tarder à disparaître ».

Je crois devoir, monsieur le Ministre, appeler votre attention sur un acte de vandalisme que vos circulaires et celles de M. le Ministre des Cultes auraient dû prévenir : l’église de Vias, petit édifice élégant du XVème siècle, possédait un baptistère d’un grand intérêt, c’était une cuve en plomb, de forme cylindrique, haute de 65cms, ayant une circonférence de 2m.65 et portant quatre bandes d’ornements en relief dont le style pouvait être rapporté au XIIIème siècle. On y remarquait comme signes plus distinctifs encore la croix fléchée tolosane du comte Raymond VII et la fleur de lys à étamines de St Louis. M. le curé de Vias vient de le vendre comme vieux plomb. Prévenu que cet objet était entre les mains d’un marchand de Béziers, je me suis hâté d’en instruire M. le Préfet. Ce magistrat a pris des mesures immédiates pour le faire intégrer aux lieux d’où il n’aurait pas dû sortir, elles sont restées sans résultat. D’après ce que j’ai appris depuis il est à craindre que dans l’incertitude des moyens à employer en pareille circonstance, ce monument ne soit tout à fait perdu pour l’église de Vias et pour le pays. La Société archéologique de Montpellier que j’avais informé du fait en aurait volontiers voté l’acquisition mais les prétentions du détenteur étant exhorbitantes, la Société devant d’ailleurs attendre l’effet des mesures prises par M. le Préfet, on s’est abstenu. » 8

Plus loin, Jules Renouvier précise que la Société archéologique a été « fondée à Montpellier par l’administration municipale…et un an après cette Société …fut convertie en Société départementale… et reçut une subvention annuelle de 800F par le Conseil Général…. La collection d’antiquités locales doit être transportée au Musée Fabre où elles formeront ce complément historique dont les musées ne se passent plus…. » Cependant le Conseil Général a supprimé l’allocation et l’autorité supérieure est sollicitée pour réparer « cette mesure affligeante pour tous les hommes qui ne se préoccupent pas exclusivement des intérêts matériels du pays ». Jules Renouvier renouvelle ses demandes de subvention car communes et fabriques n’ont pas les ressources nécessaires et précise qu’il n’a pas pu obtenir de l’autorité départementale les dessins demandés.

Le 20 octobre 1841, le Préfet adresse à Jules Renouvier la liste des monuments historiques qui ont été provisoirement classés et demande si des modifications doivent être apportées, accompagnées, pour chaque, d’un exposé des besoins et de l’état actuel, d’une notice historique et d’une description, de plans, coupes, dessins et d’un devis d’un architecte. Le préfet fait connaître ces demandes aux trois Sous-Préfets ainsi qu’aux Maires concernés. Maires concernés.

Le 8 janvier 1842, Jules Renouvier adresse une nouvelle lettre au Ministre. Il précise que la liste du Ministre a été revue, avec le concours de la Société archéologique, et invite à regarder les notices contenues dans les Mémoires de la Société et dans le volume Monumens. Il recommande les églises de S. Guilhem du désert, de Clermont, de Quarante, de Saint-Pierre de Rèdes et la tour de Puissalicon. Il relève le fait que « les communes et les fabriques qui n’ont jamais de fonds pour des études ou des restaurations intelligentes, en trouvent toujours pour percer des murs, pratiquer des chapelles, agrandir les jours et badigeonner les murs ».

Enfin le 12 janvier 1842, Jules Renouvier adresse au Préfet un tableau des monuments historiques établi en concertation avec la Société archéologique avec le concours des membres, MM. Thomas, Abric, Ricard, et se tient à sa disposition pour lui montrer les planches dont ils ont été l’objet.

La comparaison avec le tableau de 1840 montre que le travail de Jules Renouvier a continué sans désemparer et qu’il apporte là les renseignements complémentaires demandés par le Préfet et le Ministre. Le 19 janvier 1842 le Préfet fait parvenir au Ministre le tableau et exprime à Jules Renouvier ses remerciements tout en espérant pouvoir visiter les monuments lors des conseils de révision tout en acceptant de recevoir les publications évoquées.

Ainsi se terminent les documents officiels qui concernent, à notre connaissance, l’action de Jules Renouvier en faveur des monuments du département de l’Hérault. Il semble que cette action a été suivie jusqu’en 1841-1842, dates de la fin de ses fonctions à la Société archéologique et de la disparition de son ami Ph. de Saint-Paul. Dans les années suivantes, Jules Renouvier, conseiller municipal de Montpellier en 1844, est dans la vie politique et s’engage en faveur des réformes ; il est Commissaire de la République en 1848 mais échoue aux élections de 1849, si bien que, jusqu’à sa mort, en 1860, il ne se consacrera qu’à l’histoire de l’Art avec de nombreuses publications qui font encore autorité.

C’est durant cette période qu’il fera l’acquisition des anciens bâtiments conventuels de l’ancienne abbaye de Gellone-Saint-Guilhem-le-Désert en récupérant quelques sculptures encore subsistantes 9. Le travail de recensement précis par Jules Renouvier des monuments historiques de l’Hérault a été décisif pour l’histoire de l’Art et a largement inspiré, jusqu’à aujourd’hui, tous les travaux ultérieurs d’étude et de mise en valeur des richesses monumentales du département. 10

Annexe

Rapport sur les Monuments Historiques de l’Hérault par Jules Renouvier, envoyé au Ministre de l’Intérieur en novembre 1840.

(… avec en italiques les modifications ou ajouts figurant sur l’exemplaire parvenu au Ministère.)

« Je me fais un devoir de répondre à l’appel que vous avez fait à mon zèle et de remplir la mission que vous m’avez donnée comme Inspecteur des monuments historiques. Ce premier rapport que j’ai l’honneur de vous adresser n’est qu’un court commentaire de tous les détails que j’ai recueillis dans le plus grand nombre des communes du département que je m’empresserai de vous transmettre toutes les fois qu’il en sera besoin.

Le département de l’Hérault possède dans quelques unes de ses localités des monuments dits celtiques, ce sont des Dolmen, une large dalle posée en tableau sur trois ou quatre posées de champ. Leur dimension varie de 2 à 4 mètres, leur position et leur orientation sont diverses, leur nature est de pierre calcaire ou de grès suivant celle des roches environnantes. Il y en a trois dans la commune de Vailhauquès, arrondissement de Montpellier ; deux dans la commune de Soumont et plusieurs dans celle de St Maurice, arrondissement de Lodève, quelques uns enfin dans la commune de Minerve, arrondissement de St Pons. Ces dolmen sont en partie renversés ; pour les préserver d’une destruction plus complète, il suffirait peut-être d’une lettre de l’autorité aux Maires des Communes où ils sont situés, signalant ces riches comme des monuments qui intéressent l’histoire du pays et prescrivant de faire veiller par les gardes champêtres à leur conservation.

On trouve aussi dans le département des lieux depuis longtemps signalés à l’attention publique par les débris antiques que les travaux de culture ramènent à la surface du sol, fragments d’édifices de marbre et de pierre ; poteries rouges et noires, médailles, indices de cités, d’habitations ou de sépultures gallo-romaines. Il y a dans toutes ces antiquités rien de bien remarquable. La Société archéologique de Montpellier s’occupe d’ailleurs à recueillir tout ce qui s’y attache. Je me bornerai à vous signaler comme monuments encore debout : les cinq arches d’un pont sur l’Hérault à St Thibéry (Cessero) arrondissement de Béziers et la fontaine publique de Murviel (Altimurium) arrondissement de Montpellier. Ce dernier surtout me parait digne d’attirer / votre attention. Il se compose conformément aux principes de Vitruve de trois réservoirs souterrains qui ont ensemble 11,37 mètres de long sur 2,70 de large. Entre toutes les découvertes qui attestent l’importance de la cité antique d’Altimurium je ne citerai qu’une inscription de très grande dimension récemment trouvée, portant mention de deux édiles qui sur le décret des décurions y firent réparer une voie et un lac.

SEX-NETTO.C.PEDO.AED
VIAM LACVM – EX DD
REFIC COER

S’il entrait dans vos vues, Monsieur el Ministre, d’accorder des fonds pour les monuments romains du département, celui-ci à cause de la rareté des fontaines publiques existantes me semblerait mériter la préférence. Il est profondément enfoui dans le sol, un déblaiement et des fouilles ne seraient pas sans profit pour la science.

Mais dans l’Hérault comme ailleurs ce sont les édifices de moyen âge qui fournissent les données les plus nombreuses pour l’histoire du pays et de ses arts. Sur 332 communes qui composent les quatre arrondissements de Montpellier, de Béziers, de Lodève et de St Pons, on peut admettre que 80 environ, une sur quatre, possèdent pour église non un chef d’œuvre, un grand monument, mais du moins un spécimen intéressant pour l’art et caractéristique d’une époque. Il n’est pas dans les propositions de ce rapport de les citer toutes, bien qu’il fut bon de le faire pour constater quelles sont les églises du département auxquelles il ne devrait pas être permis aux fabriques de toucher sans l’avais des personnes compétentes.

Je me bornerai pour satisfaire plus particulièrement aux tableaux qui m’ont été donnés à remplir, à vous signaler les églises principales dans l’ordre de leur importance , en établissant deux catégories ; la première , celle des monuments de premier ordre pour ce pays, tant par leur caractère architectural que par les souvenirs historiques auxquels doivent s’attacher de préférence la surveillance et la protection de l’autorité ; la seconde celle des édifices moins considérables mais toujours remarquables, dignes d’une protection publique et auxquels une part doit être faite dans les subventions accordées par le / Gouvernement. On ne doit point être étonné de voir figurer dans cet état, en première ligne et en plus grand nombre, des édifices de style roman ; c’est seulement à l’époque où ce style était en faveur que le midi a eu pour maçons des artistes vraiment remarquables, et une architecture aussi distinguée par la pureté de ses lignes générales que par la richesse des détails.

Voici les monuments de premier ordre.

S. Guilhem-le-Désert. Église paroissiale, autrefois dépendante de l’abbaye des Bénédictins, fondée en 804 par Guillaume d’Aquitaine depuis Guilhem au court nez. Trois nefs romanes, porche, transepts carrés et absides circulaires. C’est l’église la plus ancienne et la plus importante du département. Les absides d’une ornementation très riche sont obstruées et dégradées, son toit est en mauvais état. Un autel donné à l’abbaye en 1076 par Grégoire VII, ouvrage en marbre blanc gravé et orné de mosaïques en verres colorés, est gisant sous des décombres dans une chapelle obscure. Un orgue excellent instrument de 7 pieds est détérioré. M. le Maire et M. le Curé demandent instamment pour l’église de leur village dont les ressources communales sont insuffisantes. La première subvention accordée au département me paraîtrait due à ce monument pour les réparations indispensables et pour la restauration de l’autel. (Fig. 1)

Orgue de l'Eglise (Saint-Guilhem-le-Désert)
Orgue de l'Eglise (Saint-Guilhem-le-Désert)

Quarante. Église paroissiale dépendant anciennement d’une abbaye de chanoines génovéfains. La dédicace en fut faite en 9882. Porche, trois grandes nefs romanes et trois absides, transept, coupole, pavé mosaïque en partie conservé, ornements en pierre noire, autels quadrangulaires formés de sarcophages et d’inscriptions antiques. Cette église du plus haut intérêt par son style est dégradée à l’intérieur par le badigeon et l’adjonction de quelques chapelles, elle est obstruée au dehors de constructions modernes.

St Pierre de Redes. Église d’un ancien prieuré dépendant de l’abbaye de Villemagne, dans la commune de Mourcairol. C’est une simple chapelle romane isolée dans la campagne, mais d’une intégrité rare et d’un style intéressant. Deux portails avec ornements en pierre noire, clocher arcadé, bas relief bysantin. Une allocation minime suffirait pour réparer ses portes qui la laissent livrée aux injures des vagabonds et son / toit en dalles qui a besoin d’être cimenté.

S. Etienne de Puissalicon. Tour romane isolée au milieu du cimetière de la commune de Puissalicon. Cinq étages au dessus du sol, percés d’arcatures et ornés de pierres noires. La rareté des monuments pareils, l’originalité de celui-ci le recommandent suffisamment. Sa couverture est enfoncée, il suffirait d’une somme modique pour la relever et assurer ainsi la conservation du monument.

Clermont. Cette église consacrée en 1313 est l’exemple le plus complet et le plus satisfaisant de style ogival que possède le département. Trois nefs avec faisceaux de colonnettes, chapiteaux de feuilles naturelles, portail au midi, rose à l’ouest, trois absides et deux chapelles des deux côtés en avant du chœur. Malgré l’extrême profondeur des fondements de cette église, ses murs sont menacés vers le nord-ouest, on a été obligé d’y murer plusieurs chapelles basses. C’est la construction de ces chapelles, postérieures aux chapelles hautes, qui a pu compromettre la solidité de l’édifice. Une demande de secours a été adressée au Conseil général qui a refusé. Si une subvention était accordée par vous, Monsieur le Ministre, elle ne devrait être employée qu’avec précaution ; en respectant scrupuleusement les trois nefs primitives, il vaudrait mieux revenir à l’ancienne disposition et supprimer entièrement les chapelles latérales basses.

Béziers. Église St. Nazaire. Ancienne cathédrale ; nef unique d’un style roman de transition au milieu, ogival aux deux extrémités, portail occidental, cloches et clochetons avec des détails empruntés à l’architecture militaire qui les rendent fort remarquables. Cette église a été, je crois, l’objet d’un examen particulier de la part du gouvernement. Je ne pense pas qu’elle ait des droits à une distinction spéciale et ce ne serait pas elle qu’il faudrait prendre pour type de l’architecture de notre pays si l’on voulait faire la monographie complète d’un de ses monuments.

Je passe à la désignation que je ferai plus sommaire encore des monuments de second ordre.

Lodève. Église de St. Fulcrand. Trois nefs ogivales complètes. Les lancettes du chœur ont été récemment mutilées et leurs réseaux de pierre enlevés pour faire place à des chassis de grands vitres carrées, la rose de la façade est bouchée, le tombeau de Plantavit de la Pauze, évêque de Lodève au XVIIème siècle / avec sa statue couchée, en marbre blanc, est relégué dans une cour et exposé à tous les outrages des passants.

St Pons. Église dédiée en 937, nef romane avec voûtes en ogive évasée, grands portails romans à l’ouest et au nord avec bas reliefs et sculptures très barbares. Un petit bas relief du portail latéral représentant le soleil porte sur sa tranche en lettres de relief : SOL GILLO ME FECIT. On refait en ce moment une partie de la voûte et des arcs doubleaux. Des fonds ont été accordés par le Conseil général et par M. le Ministre. Cette réparation n’est point assez avancée pour qu’on juge de son résultat, mais elle parait exécutée dans un style conforme à la voûte primitive. Si l’allocation était continuée, il conviendrait d’exiger la conservation des arcades qui éclairent la galerie supérieure de la nef, la restauration des portails et même si c’était possible le retour à l’ancienne disposition qui a été intervertie, le chœur ayant été placé du côté de l’entrée et la façade moderne élevée à la place de l’abside. Un grand nombre de chapiteaux en marbre, romans, historiés ou symboliques provenant des portails mutilés ou des cloîtres détruits sont disséminés dans les maisons voisines de l’Église.

M. le sous-Préfet de St Pons pourrait, je pense, les faire retirer comme propriété publique et les réserver pour la restauration des portails.

Béziers. Église de la Magdeleine. Trois nefs romanes, murs latéraux très purs à l’extérieur, corniches à palmettes, antéfixes. Les baies du côté du midi ont été agrandies dans leur évasement intérieur puis rebâties grossièrement ; il serait facile de les rétablir. Mais on ne pourrait pas aussi facilement réparer les mutilations et les enjolivements que tous ses membres antérieurs ont subis.

Montagnac. Trois nefs ogivales, clocher carré et flèches. XIVème siècle.

Sérignan. Nef romane avec voûtes et arcs doubleaux en fer à cheval, portail orné, chapiteaux à représentations symboliques et bizarres. Le toit en dalles de cette église attaqué sur des joints, laisse filtrer l’eau sur plusieurs points ; on […] de le changer en une couverture en tuiles, une subvention modique permettrait de conserver la couverture actuelle en la cimentant.

Espondeilhan. Trois petites nefs romanes à piliers carrés, tailloirs sculptés en tores rompus, portail au midi à archivoltes nombreuses. Cette église a des lézardes considérables. Une subvention incomplète accordée l’an dernier n’a servi qu’à réparer le toit. Cette réparation faite grossièrement a même dégradé dans plusieurs points le couronnement des murs.

St Pargoire. Nef ogivale, baies à lancette au midi, cordes et trifoliées, porche sous un clocher carré en avant de la façade, portail latéral surmonté d’un auvent dont la courbe singulière forme cette surface que les géomètres nomment paraboloïde et encadre très ingénieusement l’ogive du portail. Quelques fonds accordés il y a deux ans sur le budget départemental pour la restauration du clocher ont été employés avec beaucoup d’intelligence. M. le curé d’Espondeilhan [sic] demande encore une subvention pour réparer le pinacle des contreforts et le soubassement des murs de son église qui sont en effet très dégradés. Il serait d’un très bon exemple d’encourager un respect historique très rare parmi nos ecclésiastiques.

Castries. Nef romane, chapiteaux ornés, pignon à arcatures. Consulté particulièrement sur cette église pour laquelle on a fait un projet de réparation considérable, j’ai eu l’honneur d’écrire à M. le Vice-président de la Commission des Monuments en indiquant un moyen d’exécuter ces réparations sans dégrader les parties intéressantes.

St Martin de Londres. Nef romane en croix latine, porche latéral, coupole, absides à arcatures.

Celle Neuve. C’est l’église de ce village annexe de la commune de Montpellier et dédié à la Sainte Croix qui a été sans doute portée deux fois sous le nom du village et sous celui de l’église. Nef romane remarquable par le bel appareil de ses murs. On a récemment abattu une partie de son soubassement extérieur et creusé des chapelles dans l’intérieur de ses murs.

Béziers. Église de St Aphrodise. Trois nefs romanes à piliers paralléligrammes et voûtes croisées, chœur et chapelles ogivales. Église St Jacques. Abside polygone très ornée.

Villeneuve-lèz-Béziers. Nef romane, clocher carré d’abord et roman, puis polygone et ogival.

Villemagne. Église St Grégoire. Nef romane très intéressante. Inscription de 1192 dans le tympan du portail, belle fenêtre du XIIIème siècle par-dessus. La voûte de cette église est enfoncée et on a dû l‘abandonner bien qu’elle soit placée au milieu du village. Église St Majan. Nef ogivale, c’est l’ancienne église de l’abbaye des Bénédictins de Villemagne qui sert actuellement de paroisse.

Le Pouget. Nef ogivale du XIIIème siècle, baies carrées dans la nef, lancéolées à l’abside.

Saussines. Nef romane, tailloirs et corniches sculptés.

Villeneuve-lès-Maguelone. Nef romane, clocher carré, petit appareil.

Gabian. Nef romane augmentée de chapelles ogivales du XVème siècle, clocher carré puis polygone et flèche.

Magalas. Nef romane, porche saillant à colonnes, chaire du XVème siècle, inscription du XIIème siècle dans le mur extérieur au nord.

Minerve. Petite nef romane avec ornements en pierre noire, autel quadrilatéré avec l’inscription de Rusticus évêque de Narbonne de 430 à 461.

Crusy. Nef ogivale avec vitraux peints dans le chœur.

Assas. Nef romane, portail latéral à colonnes avec tympan gaufré.

Frontignan. Nef ogivale avec des restes d’un mur roman en petit appareil.

Lattes. Reste de trois absides romanes avec corbeaux et sculptures nombreuses.

Vias. Nef ogivale, belle rose à l’ouest. XVème.

Capestang. Trois nefs ogivales du siècle commencées sur un plan très vaste mais non terminées.

Gigean. Monastère de St Félix, édifice ruiné et isolé dans les garrigues où se voient les restes considérables d’une église ogivale et d’une petite nef romane.

Je n’ai pas compris dans cet état les monuments devenus propriétés particulières parceque l’action du gouvernement peut moins les atteindre. Ces édifices sont arrivés d’ailleurs à un état de décadence qui ne sera guère dépassé grâce à l’amour qui partout se réveille aujourd’hui pour nos vieux monumens. Je les citerai pourtant, en finissant, pour ne rien négliger de ce qui constitue la richesse monumentale du département.

Maguelone. Siège primitif du diocèse transféré à Montpellier en 1536 ; située dans un ilot entre l’étang et la mer ; cette église présente un grand intérêt, comme on voit, par des souvenirs et par sa construction. Son portail de marbre a une inscription de 1178 ; elle renferme un sarcophage des premièrs siècles et de nombreuses pierres tombales aux reliefs et inscriptions des anciens évêques du diocèse. Bien que cette église soit tombée aux mains d’un propriétaire, il serait facile de s’entendre avec lui pour la conservation du portail et des tombes exposées à toutes les mutilations. Si M. l’Évêque de Montpellier jugeait convenable de transporter les tombes de ses prédécesseurs dans la cathédrale actuelle dont la nudité est affligeante, le gouvernement croirait sans doute devoir venir en aide à un si louable projet.

J’ajouterai seulement ici pour mémoire les autres propriétés privées qui offrent des édifices religieux remarquables. Ce sont les abbayes de Valmagne, dans la commune de Villeveyrac, de Cassan, dans la commune de Roujan, de Grandmont, dans la commune de Soumont et du Vignogoul, dans la commune de Pignan.

Telles sont, Monsieur le Ministre, les observations que je puis maintenant vous soumettre sur les édifices qui offrent les exemples les plus saillants de l’architecture de ce pays. Ces notes auraient besoin sans doute d’être développées et appuyées de desseins et de plans, mais je ne suis point en mesure de faire copier et rédiger tant de détails. Dans les limites du temps dont je puis disposer, je m’empresserai de fournir à la Commission que vous avez instituée tous les documents que j’ai recueillis.

Je suis avec respect, Monsieur le Ministre, Votre très humble et très obéissant serviteur, l’Inspecteur des Monuments Historiques du dpt. de l’Hérault, Jules Renouvier.

NOTES

1. Jules Renouvier a été président de la Société archéologique de Montpellier de 1833 à 1841 : Jean Nougaret, « Jules Renouvier (1804-1860), archéologue et académicien », Bulletin de l’Académie des Sciences et lettres de Montpellier, 42, 2011, p. 277-294.

2. En 1837 fut créée la Commission des Monuments Historiques qui est à l’origine de la première liste de monuments classés, liste dite de 1840 (F. Bercé, Les premiers travaux de la Commission des Monuments Historiques (1837-1848), Paris, 2001). Dans l’Hérault, dès 1819, le préfet Creuzé de Lesser avait créé une Commission archéologique dont les rapports furent utilisés dans l’ouvrage rédigé par le fils du Préfet : Statistique du Département de l’Hérault, 1824 (Sylvie Lhostis et M-G Courteaud, « La première Commission archéologique de l’Hérault (1819-1824) », Études Héraultaises, 30-32, 1999-2001, p. 7-26).

3. Ces trois lettres, conservées au Ministère de la Culture, ont été communiquées par M. Ricome à Georges Dezeuze, le 28 octobre 1960, qui a bien voulu nous en fournir une copie, sans le tableau d’édifices à classer qui accompagnait la lettre de janvier 1842.

4. Les Archives de l’Hérault conservent un ensemble de documents en relation avec les activités de Jules Renouvier, Inspecteur des Monuments Historiques (4T1).

5. « Révision de la Liste des Monuments Historiques du département de l’Hérault », Mémoires de la Société Archéologique de Montpellier, 1ère série, 6, n° 35-36, 1876, p. 583-596. 5 : propositions d’ajout à la liste des monuments historiques, suite à la circulaire du Ministre du 8 octobre 1874.

6. Membre de la Société archéologique de Montpellier, Ph. de Saint-Paul (1805-1841) disparut prématurément à Millau où il était candidat aux élections d’octobre 1841 : Pierre Clerc et alii, Dictionnaire de biographie héraultaise des origines à nos jours, Montpellier, 2006, p. 1715. Jules Renouvier a rédigé une Notice littéraire sur son ami, en 1841.

7. Jules Renouvier avait publié en 1840 les Monumens de quelques anciens diocèse de Bas-Languedoc, expliqués dans leur histoire et leur architecture (avec des dessins de Jean-Joseph-Bonaventure Laurens) soit sept monographies, rédigées entre 1835 et 1837 (Valmagne, Maguelonne, Saint-Guilhem­le-Désert, Vignogoul, Saint-Félix, Lodève, Grammont, Villemagne, prieuré de Rèdes), et en 1841 : Monumens divers pris dans quelques anciens diocèses de Bas-Languedoc, expliqués dans leur histoire et leur architecture (avec des dessins de J.-B. Laurens) soit les dolmens de Laprunarède et de Grandmont, le Pont d’Ambrussum, la Tour de Saint-Etienne de Puissalicon, l’église de Saint-Martin-de-Londres, le cloître de Saint- Nazaire de Béziers et le château de la Roquette.

8. La Société a ultérieurement acquis cette cuve qui fait partie des collections actuelles de cette Compagnie.

9. On sait qu’à la suite de l’inondation de 1817, les parties sculptées des cloîtres avaient été abattues er qu’un grand nombre étaient devenues des décorations du jardin de Pierre-Yon Vernière, juge de paix à Aniane et membre de la Société archéologique de Montpellier (en 1905 elles finirent dans la collection du sculpteur américain Georges Grey Barnard avant de constituer un petit cloître aux Museum of the Cloisters à New York). À la mort de Jules, les bâtiments échurent à sa sœur Léa Renouvier-d’Albenas avant d’être cédés à Mgr de Cabrières, évêque de Montpellier, puis au Syndicat ecclésiastique. Quelques éléments modestes de ces sculptures, longtemps conservées dans la famille, ont été cédés, par l’entremise de l’abbé Gérard Alzieu, à la collection locale, classée Monument Historique et conservée actuellement dans le dépôt lapidaire local. Jean-Claude Richard Ralite, Saint-Guilhem-le-Désert, Cité et abbaye de Gellone, Montpellier, 6ème édition, 2019.

10. Le seul ouvrage écrit dans le même sens est celui de Maurice de Dainville, Monuments historiques de l’Hérault, Montpellier, 1933, (51 notices) qu’il convient de compléter par ses études détaillées sur les Églises de l’Hérault, du même auteur, publiées dans la revue Monspeliensia (II-2, 1937, p. 177-290 et II-3, 1940, p. 297-443, malheureusement sans la livraison finale).