Environnement et maçonnerie d’une maison de l’époque moderne
dans le centre d’Agde (Hérault, France)

* Dr. Mans Schepers, Centre d’études paysagères, Rijksuniversiteit Groningen, mans.schepers@rug.nl.
** Prof. Dr. Henny Groenendijk, Institut d’archéologie de Groningen, Rijksuniversiteit Groningen, h.a.groenendijk@rug.nl

[Article traduit de l’anglais par Sandra Clozier]

Dans le centre historique de la ville d’Agde, de nombreuses maisons comportent une maçonnerie ancienne cachée sous les enduits, constituée de blocs taillés de basalte gris foncé, liés au mortier d’argile. Ici, l’enduit au plâtre a été particulièrement en vogue dans les années 1920 et 1930, lorsque la maçonnerie traditionnelle en pierre était démodée et que ce revêtement a non seulement été accepté du point de vue architectural, mais a servi en même temps à ralentir la désintégration des murs et des joints. En somme, ce revêtement a fonctionné comme une technique de préservation, car les murs en pierres liées à l’argile se sont révélés très vulnérables aux fuites (du toit), le liant étant emporté par les infiltrations d’eau et les pignons ayant tendance à gonfler suite à la perte de l’agent liant.

À l’heure actuelle, une sensibilité accrue concerne l’activité édilitaire dans les villes historiques du Languedoc qui permet un nouvel éclairage sur les anciens matériaux et techniques de construction. Les murs en briques séchées au soleil (adobes) sont connus dans le contexte du Languedoc urbain à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne 1. Un récent inventaire chronologique des vestiges de bâtiments historiques dans le centre-ville d’Agde révèle que plusieurs maisons ont encore ce genre de maçonnerie aux étages supérieurs alors que le rez-de-chaussée a été bâti en blocs de basalte. Ces murs en briques peuvent être datés entre le 12e et le début du 14e siècle ; par la suite, les maisons ont été principalement érigées en basalte seulement, mais en utilisant de l’argile pour liant 2 une pratique qui semble avoir perduré jusqu’au 19e siècle.

Les recherches actuelles sur l’histoire de la construction médiévale et moderne en Languedoc se concentrent principalement sur les éléments constructifs. Pour la composition des adobes, nous sommes moins bien informés. D’après la littérature, nous pouvons déduire que l’argile utilisée a été mélangée à de la paille hachée pour améliorer la cohésion pendant le processus de séchage et que le liant utilisé est constitué de terre très fine, apparemment tamisée, avec un ajout de sable et même de craie 3. Pourtant, aucune enquête ne semble avoir été faite sur les facteurs environnementaux inhérents aux briques ou au liant utilisés, qui, grâce à l’analyse macroscopique, peuvent donner des indices pour relier les techniques de construction aux facteurs environnementaux à travers le temps. Le but de cet article est de montrer quelques indices possibles par l’analyse des premiers « mortiers » modernes dans le centre-ville d’Agde.

Dans la tradition académique de l’Institut d’archéologie de Groningen, Rijksuniversiteit Groningen (NL), l’archéologie des peuplements est une activité principale depuis que H.T. Waterbolk en a pris la direction en 1954. Le personnel de ce qui a été appelé Institut Biologique et Archéologique était composé de botanistes, de zoologistes et d’archéologues. Cette particulière spécialisation permettait de combiner la connaissance des techniques de construction à celle des reconstructions de l’environnement dans la Préhistoire et la Protohistoire néerlandaises. Alors que l’institut étendait ses activités à l’Europe de l’Est et au Proche-Orient, l’attention pour les adobes a été une étape supplémentaire logique 4. L’utilité de l’analyse de la teneur en terre et en plâtre des bâtiments anciens, a déjà été soulignée par Ernst et Jacomet 5. Toutefois, pour ce que nous en savons, aucune étude de ce type sur le contenu environnemental du liant utilisé n’a été réalisée dans la présente zone d’étude. La tradition de l’institut ainsi que le manque de recherches comparables dans la région d’Agde ont incité les auteurs à se pencher sur le phénomène rencontré ici.

Échantillonnage d’une maison en pierre à Agde (Hérault)

Le sujet de cette étude est le lot 19, rue d’Embonne dans le centre historique d’Agde, propriété de l’un des auteurs de cet article. Au moment de l’achat (2001), le bâti était dans un mauvais état et avait besoin d’être rénové. Comme le montre le plan cadastral de 1821, le lot se composait autrefois de deux maisons dos à dos (parcelles nos 483 et 475), dont le lot n° 475 a été incendié et transformé en cour. [Fig. 1] Le mur arrière de l’autre maison à quatre étages (anciennement le mur entre les lots 483 et 475), érigé en blocs de basalte plus ou moins rectangulaires, présente un liant traditionnel d’argile. Plus précisément, après l’enlèvement de l’enduit mural à l’intérieur de la maison, le liant entre les blocs de basalte semblait être constitué d’une argile brun clair, limoneuse mais rigide, mélangée à des particules végétales. La forme irrégulière des blocs de basalte a entraîné des joints irréguliers, offrant la possibilité de collecter beaucoup de matériel pour l’échantillonnage, comme cela a été fait pour la première fois en 2003. La flottation de l’échantillon de mortier de 2003, prélevé sur le mur arrière du rez-de-chaussée, a permis d’obtenir de nombreux restes de légumes, à l’aide d’un tamis à la maille de 1 mm. Cette observation a soutenu l’idée que le composant botanique avait été un ajout volontaire au mortier et représentait donc un matériau végétal disponible au moment de la construction. Le composant botanique a été envoyé au laboratoire d’isotopes de Groningen (CIO) pour la datation au radiocarbone conventionnelle, qui l’a fixé à 395 ± 40 BP (GrN-28064) = 1437-1527, 1555-1633 calAD (2?).

Détail du plan cadastral de la cité d’Agde de 1821, avec l’emplacement du 19, rue d’Embonne (flèche, lots 483/475). Source : Archives départementales de l’Hérault.
Fig. 1 Détail du plan cadastral
de la cité d’Agde de 1821, avec l’emplacement
du 19, rue d’Embonne (flèche, lots 483/475).
Source : Archives départementales de l’Hérault.

Bien que ce résultat soit moins précis qu’espéré, la seconde moitié du 16e siècle est considérée comme la période de construction la plus plausible, soutenue par des détails architecturaux tels qu’un escalier tournant en basalte, caractéristique des bâtiments domestiques d’avant 1600, et le fait que la maison, actuellement dans une rangée de maisons mitoyennes, était à l’origine séparée au moins sur un côté. Le mur perpendiculaire nord-ouest présente des ouvertures de fenêtres au deuxième et au troisième étage, ce qui montre qu’à un moment donné ce mur a dû former le coin de la maison. [Fig. 2a et 2b] Dans une perspective historique plus large, l’urbanisme d’Agde a subi un remodelage entre le 15e et le 17e siècle conduisant à une densification de l’aménagement entre les bâtiments domestiques 6. Les façades de rue ont vu le jour, concentrées dans des îlots tels qu’ils existent encore aujourd’hui. Au cours de ce processus de densification et d’orientation de la façade, le bâtiment 19, rue d’Embonne pourrait bien avoir été incorporé à l’îlot connu en 1789 sous le nom d’« île de M. Audibert ». 7

Façade postérieure du 19, rue d’Embonne, Agde, après enlèvement de l’enduit de revêtement et l’apparition des embrasures de porte. Photo H. Groenendijk, 2019.
Fig. 2a Façade postérieure du 19, rue d’Embonne, Agde, après enlèvement de l’enduit de revêtement et l’apparition des embrasures de porte. Photo H. Groenendijk, 2019.
Côté intérieur de la façade postérieure montrant un passage voûté correspondant à une porte au deuxième niveau de l’extérieur. Photo H. Groenendijk, 2017.
Fig. 2b Côté intérieur de la façade postérieure montrant un passage voûté correspondant à une porte au deuxième niveau de l’extérieur.
Photo H. Groenendijk, 2017.

En 2016 et 2017, de nouveaux échantillons de liant (M1, M2) ont été prélevés au troisième étage, à la fois dans le mur arrière et dans le mur perpendiculaire nord-ouest. Ces échantillons servaient principalement à l’analyse de la composition botanique. Une date au radiocarbone AMS-Micadas des noyaux de raisin (voir tableau ci-dessous) a donné le résultat suivant: 245 ± 20 BP (GrM-10237) = 1640-1670, 1780-1800 calAD (2?), avec 1640-1670 comme créneau de datation le plus plausible. Il ne correspond pas à celui obtenu auparavant, mais il est probable que ces noyaux de raisin proviennent de la paroi perpendiculaire, qui a dû être placée contre la paroi arrière seulement dans un deuxième temps et doit donc être plus récente.

Restes macroscopiques végétaux et animaux
Tableau 1 Restes macroscopiques végétaux et animaux trouvés dans le liant. cf.= identification incertaine ;
les chiffres correspondent aux décomptes réels ; x = présent, xx = nombreux, xxx = très nombreux ; les chiffres soulignés correspondent à des restes carbonisés.
Voir le texte pour le contexte des échantillons.

Les résultats de l’analyse macro-botanique ont été publiés dans une revue néerlandaise axée sur les résultats préliminaires des recherches en cours par notre institut de Groningen 8.

Un autre matériau de construction qui pourrait donner un indice environnemental est le bois utilisé pour les poutres. Celles du plafond du rez-de-chaussée du 19, rue d’Embonne, s’étendant sur 6 m, sont des troncs grossièrement taillés, dont l’un a été analysé. [Fig. 3] Il s’agit de Populus (peuplier), avec une forte probabilité, qui n’est apparemment pas l’essence la plus adaptée pour des travées d’une telle longueur 9. Si cet arbre n’a pas été recyclé mais abattu au moment de la construction, les constructeurs du 16e siècle ont peut-être pris n’importe quel arbre disponible dans le quartier les environs de la ville. Cependant, une utilisation secondaire reste possible, raison pour laquelle ce tronc n’a pas été daté au radiocarbone.

La topographie d’Agde et la disponibilité des matériaux de construction

Poutres en bois soutenant le plafond du rez-de-chaussée, 19 rue d’Embonne, Agde. La poutre la plus éloignée, un tronc brut, appartient très probablement à un peuplier. Photo H. Groenendijk, 2003
Fig. 3 Poutres en bois soutenant le plafond du rez-de-chaussée, 19 rue d’Embonne, Agde. La poutre la plus éloignée, un tronc brut, appartient très probablement à un peuplier. Photo H. Groenendijk, 2003.

La ville d’Agde, dont l’origine remonte au 6e siècle avant J.-C., est placée sur le bord occidental d’une coulée de lave du complexe volcanique du Mont Saint-Loup / Petit Pioch / Mont Saint-Martin, l’affleurement volcanique le plus méridional de la chaîne de volcans entre l’Escandorgue au nord et Fort Brescou au sud (la chaîne dite Escandorgue-Languedoc 10. L’activité volcanique s’est arrêtée ici il y a environ 400 000 ans, laissant principalement un basalte gris foncé dur comme la pierre, dont l’utilisation abondante comme matériau de construction a donné à la ville son nom de « perle noire ».

Au 2e siècle avant J.-C., le plateau d’Embonne à environ 4 km au sud-est de la ville d’Agde a vu l’extraction à ciel ouvert de basalte gris foncé pour la production de meules à grains, mais aussi plus tard en tant que matériau de construction pour la ville médiévale. L’exploitation de carrières à ciel ouvert pour la ville grecque a eu lieu aussi à proximité directe 11. Il est aujourd’hui difficile de déterminer la ou les carrières exploitées dès le Moyen Âge et la provenance de la pierre taillée utilisée pour la construction.

L’approvisionnement en eau douce était important car c’était l’une des conditions pour une ville en pleine croissance. Nous avons constaté que le liant d’argile utilisait de l’eau douce, notamment de l’eau douce courante, comme en témoigne la présence d’une écaille de perche ou de grémille, d’une daphnie et d’une graine de jonc incrustée dans le liant (voir tableau 1). Ces trouvailles rendent moins probable l’approvisionnement en eau par les puits. Dans le contexte urbain, l’eau douce pour la consommation humaine, une nécessité primordiale pour la vie des habitants d’Agde, dépendait des puits, mais ceux-ci n’étaient pas nécessairement à la disposition de tout le monde. L’eau courante était plus difficile à trouver. Depuis l’Antiquité, l’alluvionnement et des débris volcaniques dans le delta de l’Hérault avaient constitué une plaine côtière autour de l’affleurement volcanique au sud et au sud-est, à l’exception du Cap d’Agde où la coulée de lave atteint la Méditerranée. [Fig. 4] Dans cette plaine délavée, se trouvent deux étangs : l’étang du Bagnas et l’étang de Luno, dont la salinité a pu les rendre inappropriés pour l’approvisionnement en eau. De plus, le plus proche d’entre eux se trouve à 2,5 km de la ville, une distance excessive pour fournir de l’eau douce à des fins de construction. Au nord de la ville, la vallée du Rieu Mort, ruisseau prenant sa source dans la partie vallonnée au nord d’Agde, relie le delta de l’Hérault à l’étang du Bagnas. À un peu plus de 1 km de la ville, le Rieu Mort aurait pu fournir de l’eau douce pour la consommation et d’autres besoins, tout comme les mares d’eau de pluie temporaires et les aquifères exploités au moyen de puits.

Et l’Hérault lui-même ? Son embouchure a été influencée par les marées qui rendent l’eau saumâtre à salée. Depuis la construction du barrage artificiel du Moulin des Évêques au 13e siècle, au nord-ouest de la vieille ville, l’eau douce de l’Hérault est séparée de l’eau saumâtre qui mène directement à la Méditerranée à environ 3,5 km au sud de la ville. Par conséquent, au moment de la construction du 19, rue d’Embonne, la disponibilité d’eau douce libre à proximité directe de la ville d’Agde n’aurait pas été si facile et aurait pu nécessiter des efforts, surtout en été lorsque les précipitations étaient rares et que la salinité des cours d’eau augmentait. Cependant, nous ne connaissons pas le degré de tolérance de la salinité de l’eau utilisée pour la fabrication du liant. Peut-être était-il courant de le puiser dans l’Hérault, quelle que soit la teneur en sel.

Topographie de l’environnement d’Agde au commencement de l’époque moderne. Avec l’autorisation du Dr. M. Adgé (Adgé, 2011).
Fig. 4 Topographie de l’environnement d’Agde au commencement de l’époque moderne. Avec l’autorisation du Dr. M. Adgé (Adgé, 2011).

La question de savoir où les maçons d’Agde ont pris l’eau douce pourrait être considérée sous un autre angle. Ils ont peut-être réduit leur effort en combinant l’extraction de l’argile et l’approvisionnement en eau. Bien qu’aucune analyse de l’argile utilisée n’ait pas été réalisée pour en localiser la carrière, une fosse d’argile historique proche de la rue d’Embonne peut donner un indice. À 400 m. à l’est, rue du 11 Novembre, les archéologues ont découvert des poches d’argile naturelle dans la roche basaltique. Ici, l’argile brunâtre et rougeâtre a conservé une nappe phréatique située à seulement 1,50 m. sous la surface. Une briqueterie située à proximité (Les Tuileries), figurant sur le cadastre napoléonien de 1821, illustre l’exploitation historique de ces poches d’argile qui se produisent plus fréquemment dans le plateau basaltique d’Agde 12. Une nappe phréatique dans une fosse d’argile en plein air comme celle-ci a peut-être attiré les organismes qui ont été trouvés dans le liant des murs du 19, rue d’Embonne, dont le composant principal, l’argile limoneuse, pourrait bien correspondre à ce qu’Astrid Huser a rencontré dans les murs en adobes de la rue Terrisse 13.

Analyse macroscopique du liant

L’accent est mis sur les restes végétaux et animaux dans la matrice argileuse. Trois échantillons de différentes parties de la maison ont été étudiés : du mur du fond au rez-de-chaussée (M3), du mur du fond, du mur perpendiculaire Nord-Ouest au 3ee étage (M1 + M2). En fait, les deux derniers provenaient du mur du fond, ainsi que du mur perpendiculaire Nord-Ouest, tous deux au 3e étage, dont la contemporanéité s’est avérée douteuse une fois les deux murs décapés. Les échantillons osseux secs, emballés dans des sacs en plastique, étaient en partie constitués de matière détachée pendant le transport.

Dans les échantillons, de plus gros morceaux de liant se sont rapidement dissous une fois mis dans l’eau, sans avoir à appliquer d’autres procédés (par exemple, en secouant/en remuant). Une fois complètement dissous, les échantillons ont été séchés lentement en laboratoire, dans un four à 40 degrés. Un effet secondaire positif du processus de dissolution était que les fragments macroscopiques inclus dans le liant étaient plus ou moins lavés des particules de sédiments adhérentes. Après séchage total, les échantillons ont été tamisés à la main une fois de plus, à l’aide d’un tamis à mailles de 2, 1 et 0,2 mm.

Tous les résidus ont été examinés à l’aide d’un stéréo-microscope avec des grossissements maximaux de 50x. Tous les restes potentiellement identifiables, principalement les graines et les fruits, ont été triés par type. À moins qu’un terme plus précis ne soit nécessaire, nous utiliserons le terme générique de « graines » pour les restes de plantes dans la suite de cet article. Les restes non directement connus des auteurs ont été identifiés à l’aide de l’atlas des semences des Pays-Bas 14 et de la collection de référence de l’Institut d’archéologie de Groningen. La taxonomie des plantes sauvages suit la dernière édition de la Flora de Heukels 15, les plantes cultivées suivent The Plant List, 2013. Bien que l’accent soit mis sur les restes de plantes à graines, d’autres groupes taxonomiques ont également été inclus dans l’analyse et principalement les taxons ayant une forte valeur indicative du point de vue écologique, même à un niveau taxonomique relativement élevé. Par exemple : un os de poisson est indicatif pour l’eau.

La quantification est faite principalement par des décomptes absolus du nombre de restes. Une petite sélection d’éléments a été quantifiée comme présente (x), abondante (xx) ou très abondante (xxx), soit parce qu’un organisme particulier était présent en nombre trop élevé pour sélectionner tous les individus et rendre ainsi le décompte dénué de sens, soit parce que les parties récupérées ne représentent pas une unité dénombrable individuellement.

Description et interprétation des restes extraits du liant

Les trois échantillons contiennent un mélange de restes représentant diverses origines (voir tableau). En plus des graines, divers autres restes ont pu être identifiés à un niveau taxonomique écologiquement significatif, qui aide à l’interprétation de l’ensemble. À l’exception d’un fragment de céréale carbonisé, tous les restes ont été conservés « secs » ou « desséchés ». Tous les échantillons contenaient des restes identifiables, mais la densité et le nombre de taxons par échantillon différaient.

La différence de composition entre les échantillons est considérable. Les restes de deux espèces seulement ont été prélevés sur les trois échantillons, à savoir la figue (Ficus carica) et le raisin (Vitis vinifera), deux (faux) fruits comestibles charnus. De ces deux, les pépins de raisin sont de loin les plus abondants, en particulier dans l’échantillon M3, où ils représentent une proportion substantielle du nombre total de restes de plantes identifiés. Cet échantillon contenait également un petit fragment d’un noyau d’olive (Olea europea) et un fragment d’un noyau de prune ou de cerise (cf. Prunus).

En plus d’avoir des fruits charnus comme unité de dispersion primaire, ces espèces ont en commun d’être des plantes ligneuses pérennes, à l’exception du raisin (vigne) plus communément connu en tant qu’arbre. Les restes d’arbres dépourvus de fruits comestibles sont à peine représentés dans l’échantillon. Un seul fragment d’aiguille témoigne de la présence d’un conifère comme l’épinette (épicéa) ou le pin, et un petit fragment de branche pourrait être de tamaris. Une tentative d’identifier d’autres espèces d’arbres à l’aide d’un échantillon de pollen (préparé à partir de fragments de l’ivraie de céréales) s’est malheureusement avérée infructueuse.

Les taxons caractéristiques des paysages ouverts, modifiés par les activités humaines, dominent les plantes herbacées. Parmi ceux-ci se trouvent des plantes cultivées, dont les céréales constituent la plus grande partie. Les céréales sont représentées par le blé dur (Triticum durum), le blé panifiable (Triticum aestivum), l’orge (Hordeum vulgare) et le millet commun (Panicum miliaceum). Cette dernière était la seule céréale extraite de l’échantillon M3, alors que les échantillons M1 et M2 contenaient tous deux plusieurs espèces de céréales. En outre, deux plantes non céréalières possiblement cultivées ont été trouvées, représentées par une seule graine chacune : le pavot à opium (Papaver somniferum) a pu être cultivé localement, mais la graine trouvée pourrait provenir d’une plante sauvage ; le fruit du chanvre (Cannabis sativa) provient certainement d’une plante cultivée.

La grande majorité des herbes sauvages peut être liée à des zones cultivées. Lorsque des espèces sont affectées à un environnement particulier, il est important de réaliser que cela ignore leur amplitude écologique potentiellement large. Cela dit, certaines des espèces rencontrées ont certainement fait partie de la flore adventice. En sont des exemples la renouée (Polygonum aviculare), le laiteron piquant (Sonchus asper) et la nielle des blés (Agrostemma githago). Sont représentés aussi les milieux urbains pierreux (Hordeum murinum) et les prairies (par exemple la renoncule [Ranunculus acris/repens]). Certains restes d’animaux indiquent également cet environnement synanthrope et représentent très probablement la vie dans et autour de la maison et des murs eux-mêmes, comme les excréments de petits rongeurs et les nombreux restes de fourmis dans l’échantillon M1.

Un dernier groupe d’organismes vit dans des milieux littoraux ou même aquatiques. Cela inclut les animaux aquatiques typiques comme les daphnies (Daphnia), ainsi que les plantes des marais comme le scirpe des marais (Eleocharis palustris). À remarquer le nombre étonnement élevé d’oospores de l’algue chara (Chara) dans l’échantillon M3, complètement absents dans les deux autres échantillons. [Fig. 5]

Oospores de Characeae de l’échantillon de liant de M3. Photo M. Schepers. La barre bleue représente 1 cm.
Fig. 5 Oospores de Characeae de l’échantillon de liant de M3.
Photo M. Schepers. La barre bleue représente 1 cm.

Validité des restes récupérés dans le liant

Premièrement, les taxons divergents trouvés dans les échantillons M1 et M2 d’une part et l’échantillon M3 d’autre part, provenant respectivement du 3e étage et du rez-de-chaussée, indiquent que la maison telle qu’elle se présente aujourd’hui est une construction par étapes. Ceci est également démontré par les datations au radiocarbone discordantes pour le rez-de-chaussée (395 ± 40 BP) et le 3e étage (245 ± 20 BP). Une étude architecturale plus approfondie pourrait révéler les interventions successives qui ont eu lieu au cours de quatre siècles.

La description des restes indique clairement que des organismes provenant de différents habitats sont présents dans le liant. Le défi consiste alors à essayer d’identifier les différents parcours responsables de l’arrivée des restes dans ce liant. Nous avons résumé les points de départs les plus probables dans la fig. 6. [Fig. 6]. Dans un article récent sur la relation entre la poterie et les restes végétaux, l’un des auteurs avec un collègue a défini trois « niveaux d’intention » 16. Ces restes sont : (1) délibérément ajoutés, (2) mélangés à la suite directe d’une action délibérée, mais pas dans le but d’ajouter des restes, et (3) matériel se retrouvant dans le liant sans volonté humaine. Le type de liant utilisé dans les murs du 19, rue d’Embonne nécessite généralement trois ingrédients de base : l’argile, l’eau et les restes de plantes utilisés comme adjuvant. De ces trois ingrédients, seul le dernier se compose principalement de matériaux délibérément mélangés.

Principales origines présumées des résidus du liant d’Agde. Dessin : M. Schepers.
Fig. 6 Principales origines présumées des résidus du liant d’Agde.
Dessin : M. Schepers.

Typiquement, les restes de battage sont utilisés pour stabiliser le liant, ce qui explique pourquoi les graines de cultures (principalement les céréales) et les adventices (mauvaises herbes arables) sont bien représentees. Le processus par lequel les grains ont été séparés de l’ivraie et des herbes a dû être très efficace, étant donné la quasi-absence de grains dans le liant. La combinaison des cultures avec les adventices nous indique quelque chose dans les champs arables des environs d’Agde. À cet égard, la nette différence entre l’échantillon M1 et M3 est remarquable. La différence d’apparence des divers restes rencontrés indique peut-être que les restes de battage proviennent d’une aire utilisée à plusieurs reprises à cette fin. Un faible nombre de restes plus altérés, exposés aux éléments sur l’aire de battage pendant une période plus longue et provenant d’un moment d’une action antérieure, ont été probablement saisis en même temps que les restes délibérément rassemblés peu de temps après le battage pour les mélanger au liant. [Fig. 7]

Les restes d’organismes aquatiques proviennent potentiellement à la fois de l’eau utilisée dans le mélange de terre utilisé pour produire le liant. Dans ce cas, les restes seraient plus anciens que le reste du matériau. À en juger par l’aspect physique et la fragilité de certains, nous considérons ce scénario comme un improbable. Les restes d’animaux aquatiques et de plantes se sont presque certainement retrouvés dans le liant avec l’eau ajoutée. En tant que tels, leur présence peut être attribuée au deuxième niveau d’intention. L’inclusion d’oospores de chara dans l’échantillon M3, absentes des deux autres échantillons, peut indiquer soit l’utilisation d’une source d’eau différente, soit un changement écologique que cette source d’eau a subi au fil du temps. En général, les organismes aquatiques indiquent que de l’eau douce courante est utilisée pour le liant.

Un peu plus déroutant est le nombre relativement élevé de restes de fruits comestibles dans les trois échantillons, principalement des figues et des pépins de raisin. Ils ne proviennent certainement pas des champs ou de l’eau ajoutée. Au moins une partie d’entre eux peuvent représenter les restes de collations consommées par les ouvriers impliqués dans le processus de construction, mais, étant donné leur grand nombre, cette explication générale est peu probable. Il faut garder à l’esprit que la construction de maisons, y compris la préparation du liant, n’était pas aussi strictement liée à la réglementation qu’elle l’est aujourd’hui, ce qui est souligné par la présence d’un fragment de textile plié relativement grand dans l’échantillon M3. [Fig. 8]

Un autre groupe d’organismes est peut-être lié à l’utilisation de la maison. Les petits animaux comme les insectes se cachent dans les fissures entre les pierres et le liant. Certains restes de faune peuvent en fait provenir des champs, de l’aire de battage ou ont d’autres origines potentielles antérieures à la construction, mais le nombre élevé de fourmis en particulier est très probablement l’indice de parasites domestiques.

Différents états de conservation dans l’échantillon M1.
Fig. 7 Différents états de conservation dans l’échantillon M1. Le fragment le plus abîmé est un rachis de blé panifiable (gauche), qui est comparé au plus luisant et mieux conservé’ fragment de blé dur (droite). Cela témoigne vraisemblablement de l’usage de restes de battage récents et plus anciens. Photo M. Schepers.
Fragment de textile retrouvé dans l’échantillon M3. Photo : G. Van Oortmerssen.
Fig. 8 Fragment de textile retrouvé dans l’échantillon M3. Photo : G. Van Oortmerssen.

Conclusion

L’analyse d’échantillons du liant du 19, rue d’Embonne permet l’approche de divers aspects de l’histoire de la construction d’Agde au début des temps modernes. Bien qu’il soit impossible d’expliquer pleinement l’origine de chaque élément extrait du liant, les principales composantes du matériau peuvent facilement provenir des champs cultivés, de l’eau, du lieu d’implantation ou même des déchets domestiques, y compris de zones où la récolte est en cours de transformation ou le liant en cours de préparation.

Malgré le faible nombre d’échantillons étudiés, des variations substantielles peuvent être détectées déjà pour cette seule maison. En étendant le projet de recherche à d’autres maisons et en l’accompagnant d’un financement pour effectuer les datations au radiocarbone de tous les contextes, il peut contribuer à parfaire notre connaissance de la région.

Compte tenu de la période dont il s’agit ici, de futures recherches devraient impliquer l’étroite collaboration des historiens de l’architecture, des historiens de l’agriculture, des historiens du paysage et des archéologues travaillant dans la région. De plus, de nombreuses espèces de plantes sauvages présentes dans le liant y sont beaucoup mieux conservées que dans les sites de plein air. Autrement dit, elles peuvent contribuer à l’étude des changements à long terme de la flore et du climat 17. Nous appelons les spécialistes de cette vaste région à garder un œil ouvert sur les bâtiments ‘candidats’ (qui pourraient inclure des bâtiments abandonnés et dégradés) pour une analyse comparable à celle présentée ici.

Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier les archéologues Céline Gomez-Pardies, mission service archéologique Communauté d’Agglomération Hérault Méditerranée, Saint-Thibéry, et la Dr Daniela Ugolini, Centre Camille Jullian, Université Aix-Marseille, Aix-en-Provence, pour leurs encouragements et leur aide à placer les analyses de laboratoire néerlandaises dans un contexte historique plus large. Le Dr Michel Adgé (Agde) a eu l’amabilité de mettre à notre disposition ses cartes inédites de reconstitution des environs d’Agde, tandis que les membres du Groupe de Recherches Archéologiques d’Agde (GRAA) ont fourni de très utiles informations sur la vie à Agde à l’époque moderne. L’un des auteurs (H. G.) souhaite aussi exprimer sa gratitude à l’architecte et urbaniste Chantal Parpaillon, Agde, qui guide patiemment la rénovation et la restauration du 19, rue d’Embonne depuis de nombreuses années déjà.

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NOTES

1. MORHAIN et al., 2009.

2. HUSER, 2009a ; PARDIES, 2017.

3. HUSER, 2009b : 108.

4. FLOHR & CAPPERS, 2008 ; VAN RIJN & CAPPERS, 2016.

5. ERNST & JACOMET 2005.

6. HUSER et al., 2010 : 96.

7. Selon le Plan de la ville d’Agde, d’après un plan antérieur à 1789 (réalisé en 1957). Archives Municipales d’Agde.

8. SCHEPERS & GROENENDIJK, 2017.

9. Aimable communication de Mme P. van Rijn, paléobotaniste à BIAX, Amsterdam, courriel du 11.04.2007.

10. AMBERT, 2001.

11. UGOLINI, 2001 et communication personnelle ; UGOLINI & PARDIES, 2018.

12. PARDIES & CROS, 2011:15 ; J.-P. Cros, communication personnelle.

13. HUSER, 2009 :108.

14. CAPPERS et al., 2006.

15. VAN DER MEIJDEN, 2005.

16. SCHEPERS & DE VRIES, 2018.

17. LANG et al. 2019.