Élire et être élu dans l’Hérault de 1789 à 1879

* Conservateur du patrimoine, Directrice des archives anciennes et des systèmes d’information,
Archives départementales de l’Hérault

[Texte intégral]

A l’occasion des élections municipales (quoique bouleversées par le contexte sanitaire) du printemps 2020, il a semblé intéressant de dresser un panorama historique des modalités d’élection dans l’Hérault de 1789 jusqu’à l’instauration de la Troisième République. Le choix des dates extrêmes permet d’embrasser un siècle riche en événements nationaux par la succession de pas moins de sept régimes politiques différents. Chaque régime a apporté aux Héraultais, comme à tout Français, de nouveaux droits et une implication plus ou moins forte dans la vie publique et politique. Les grands événements nationaux et l’accès au vote ne présentent pas de particularité dans l’Hérault et sont des mesures vécues par tout Français. Toutefois, l’objet de cette contribution est de mettre en regard de ces événements les archives conservées aux Archives départementales afin de leur donner vie. On peut ainsi appréhender dans les archives les modalités de vote, tant les conditions d’accès au suffrage, sans cesse renouvelés (jusqu’au milieu du XIXe siècle tout au moins) que les tractations entre partis, la surveillance du gouvernement quel que soit le régime mais encore le vote dans sa dimension matérielle. Pour les Héraultais d’alors, il n’est sans doute pas aisé d’appréhender leur nouvelle participation à la vie publique et politique mais celle-ci s’installe progressivement et durablement durant toute cette période dans les mentalités et les pratiques sociales.

Les États généraux de 1789 et l’Assemblée nationale constituante,
première participation des Héraultais à la vie politique nationale.

Durant les années 1780, la France connait des tensions sociales et politiques qui entrainent une forte contestation de la population. La royauté fait alors, en 1788, l’annonce de la convocation des États généraux pour l’année suivante 1. Ces assemblées composées des députés des trois ordres, noblesse, clergé et tiers état, s’étaient tenues pour la dernière fois en 1614.

Des cahiers de doléances sont produits dans toutes les paroisses par les assemblées d’habitants puis sont ensuite envoyés aux sièges des sénéchaussées où ils sont synthétisés par d’autres assemblées.

En Languedoc, peu de cahiers de doléances des sénéchaussées de Béziers et de Montpellier nous sont parvenus, les pertes locales ayant été importantes. Ceux qui subsistent se trouvent soit dans les archives des communes, soit dans les dépôts des archives communales aux Archives départementales (sous-série EDT) 2. (Fig. 1)

Cahier de doléances rédigé par l’assemblée du tiers état de la ville de Mèze (AD34, 157 EDT 10).
Fig. 1 - Cahier de doléances rédigé par l’assemblée du tiers état de la ville de Mèze (AD34, 157 EDT 10).

L’exemple de Mèze permet de donner une idée des propositions qui sont faites. Après une première partie sur les instructions reçues puis les recommandations de l’assemblée aux députés qui seront élus, les souhaits et doléances sont exprimés : « 8e que l’administration des finances ne soit plus enveloppée des ombres du mystère et qu’il soit publié tous les ans un compte exact et circonstancié des recettes et des dépenses. […] 27e que les projets utiles déjà exposés au conseil du Roy touchant l’abolition des péages et des douanes dans l’intérieur du royaume soient mis en exécution. […] 28e que les nouvelles institutions de la nation tendent à encourager l’agriculture et le commerce qui sont les sources de sa richesse […] 31e que tout français ayant un droit avéré à s’instruire du gouvernement, de la chose publique et à discuter librement les divers intérêts de l’état, il soit accordé à la presse une liberté indéfinie dans tout ce qui ne peut nuire au maintien des bonnes mœurs et à l’honneur des citoyens. […] 37e et finalement que la liberté naturelle de pescher dans les étangs attenants à la mer soit établie d’une manière irrévocable et qu’il ne soit plus permis d’exiger des impots sur les pescheurs » 3.

Les préoccupations des Héraultais à la veille de la Révolution portent sur leur quotidien, sur plus de transparence de la vie publique et leur conscience de la chose publique se voit également dans les recommandations faites aux députés qui porteront ces doléances aux États généraux. Ceux-ci sont exhortés « surtout à songer que le peuple aura toujours l’œil ouvert sur leur conduite, à ne point les injurier par de fausses appréhensions, à ne point ménager dans tout ce qui concernera le bien de l’état les efforts et les fortunes des citoyens de qui le dévouement n’a d’autres bornes que celles de leur zèle pour la patrie et de leur amour pour le souverain » 4.

Les cahiers synthétisés par les assemblées des sénéchaussées sont ensuite portés à l’assemblée des États généraux par des députés élus.

Les élections se tiennent dès le mois de mars 1789 dans les assemblées de paroisses. Sont électeurs tous les hommes de plus de 25 ans inscrits sur le rôle des impositions. Les députés se rendent ensuite aux sièges des sénéchaussées et désignent un quart d’entre eux pour prendre part à l’assemblée générale des trois états de la sénéchaussée qui procède à l’élection des députés au États généraux. Il s’agit d’élections très indirectes mais qui ont le mérite de donner au peuple français le droit à la parole et la possibilité d’élire ses représentants sur le plan national.

Les États généraux s’ouvrent le 5 mai 1789. Le 20 juin 1789, par le serment du Jeu de Paume, les députés du tiers état font la promesse de ne pas se séparer avant que la constitution ne soit établie. Moins de 3 mois après leur ouverture, le 9 juillet, ils se proclament Assemblée nationale constituante. Le 11 juillet, le pouvoir royal lance une contre-offensive et concentre ses troupes à Paris. Le peuple s’insurge dans la capitale et une poussée antinobiliaire se fait jour dans les provinces.

Le pouvoir royal cède et le 26 août 1789 est proclamée la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen qui acte la création d’une Assemblée nationale, composée des représentants du peuple français.

De la fin de l’année 1789 jusqu’en 1791, l’Assemblée nationale constituante s’attelle à préparer la nouvelle Constitution destinée à régir la France, sanctionnée par le roi le 13 septembre 1791. De nouvelles élections sont alors organisées afin de remplacer cette assemblée.

Parallèlement, à l’échelon local, dès 1789, une réorganisation administrative de la France se met en place : instauration des communes le 14 décembre 1789 ; création des départements et des districts le 15 janvier 1790, disposant chacun de conseils élus qui siègent par sessions et d’un directoire permanent qui assure la continuité. Les attributions de ces instances sont larges dans le domaine fiscal, les travaux publics, la police, l’éducation, l’assistance, la levée des troupes 5.

Suite à l’instauration des communes, l’exemple des délibérations communales de Castelnau-de-Guers montre bien la scission entre les conseils consulaires jusqu’en décembre 1789 et l’élection des officiers municipaux et du maire lors du conseil du 31 janvier 1790 6(Fig. 2)

Délibération de Castelnau de Guers, 31 janvier 1790 (AD34, 56 EDT 14)
Fig. 2 - Délibération de Castelnau de Guers, 31 janvier 1790 (AD34, 56 EDT 14)

Si les archives relatives à toutes les élections de députés ne nous sont pas parvenues en série L (série consacrée à la période révolutionnaire), on peut néanmoins y trouver de nombreux documents qui attestent des modalités d’élection et de l’implication des Héraultais dans la vie politique qu’elle soit locale ou nationale. Des documents relatifs aux élections sur cette période peuvent également se trouver en archives communales, qu’elles soient déposées aux Archives départementales (série EDT) ou conservées en commune.

L’Hérault est alors divisé en 4 districts et 52 cantons qui, pour les plus étendus comme Montpellier et Béziers disposent de plusieurs assemblées. Chaque canton réunit une assemblée primaire regroupant les citoyens actifs, c’est-à-dire ceux qui paient un impôt direct de 3 journées de travail, qui désignent une assemblée électorale parmi ceux qui paient un impôt de 10 journées de travail. Cette assemblée procède à l’élection des administrateurs locaux des districts et du département.

Durant la Constituante, les citoyens sont appelés à plusieurs reprises à voter au niveau local (élection des maires, juges de paix et assesseurs, greffier, membres du corps administratif du district, curés, procureur syndic, directoire et conseil de district, juges), doivent assimiler de nouvelles règles du scrutin définies à l’échelle nationale et supporter la longueur des opérations de vote parfois étalées sur plusieurs jours. L’implication dans la vie politique est soudaine et impacte la vie quotidienne des Français et des Héraultais. (Fig. 3)

Liste, état et rôle des citoyens actifs, 1790 (AD34, 10 EDT 492)
Fig. 3 - Liste, état et rôle des citoyens actifs, 1790
(AD34, 10 EDT 492)

1791-1795 : évolutions fluctuantes des modalités de vote

Entre août et septembre 1791, l’élection des députés à l’Assemblée législative peut être considérée comme le premier scrutin national, toutefois indirect et loin d’être étendu à l’ensemble de la population. En effet, seuls les citoyens mâles de plus de 25 ans considérés comme citoyens actifs peuvent élire les membres de l’assemblée électorale selon le système décrit plus haut. Cette assemblée électorale, dont les membres sont indemnisés à la journée, procède enfin, en son sein, à l’élection des députés aux assemblées nationales 7, parmi les citoyens éligibles, propriétaires et payant un impôt d’un marc d’argent soit 52 livres. Malgré cette limite d’âge, on trouve dans la liste des citoyens actifs de la commune de Saint Drézery, des jeunes hommes âgés de 18 et 19 ans déclarés « tous habitans de la commune de St Drézery et très utiles au travail de la campagne, lesquels sont bons patriotes et tous montent la patrouille » 8.

Le critère d’impôt pour être électeur et éligible est supprimé suite à de fortes contestations de la population mais trop tard pour que les élections à l’Assemblée législative en profitent. Dans l’Hérault comme pour le reste de la France, le taux de représentativité est d’environ 1% 9 : 48 873 membres des assemblées primaires élisent 499 électeurs 10.

Le 16 décembre 1791, la nouvelle Assemblée dite législative se réunit. Elle est entièrement composée de nouveaux membres puisque les députés de l’Assemblée nationale constituante s’étaient déclarés non rééligibles. 754 membres sont élus pour 2 ans et constituent une chambre unique aux pouvoirs étendus : établissement et vote du budget, initiative des lois. Le pouvoir exécutif ne peut la dissoudre.

Quelques mois seulement après son installation, la chute de la royauté le 10 août 1792 provoque la dissolution de cette assemblée et la convocation d’une nouvelle, la Convention nationale élue pour gouverner le pays et doter la République, proclamée le 21 septembre, d’une nouvelle Constitution.

L’élection de ces nouveaux représentants se fait pour la première fois au suffrage universel, sans conditions de ressources, mais selon le même principe indirect : dès le mois d’août 1792, des assemblées primaires se réunissent pour choisir des électeurs qui élisent ensuite les députés à la Convention nationale. Aucune condition de ressource n’est prise en compte : pour être électeur, il faut être âgé de 21 ans et domicilié depuis 1 an (les domestiques sont encore exclus de cette mesure pourtant la plus ouverte que la France ait connue jusqu’alors), les éligibles doivent être âgés de 25 ans. Le corps électoral passe de 4 à 7 millions 11. En effet, pour la première fois dans l’histoire nationale, ce scrutin à deux degrés s’est fait au suffrage universel masculin mais il est vrai qu’un dixième seulement du corps électoral participe au scrutin 12. Les assemblées primaires réunies au mois d’août 1792 connaissent une mobilisation moins importante que celles réunies pour l’élection des députés à l’Assemblée constituante 13. Comment expliquer une telle abstention ? Les conditions météorologiques, le calendrier agricole, les frais de déplacement et de séjour au chef-lieu de canton, peut-être une certaine lassitude de ces consultations, voire un désintérêt pour la chose publique 14 ?

La Convention nationale, composée de 749 députés, se voit conférer, par la Constitution adoptée le 24 juin 1793, d’amples pouvoirs et doit collaborer avec un nouvel exécutif, un conseil de 24 membres choisis par l’Assemblée parmi les candidats proposés par les assemblées électorales locales. La nouvelle Constitution est soumise à la ratification populaire mais son application est reportée à la paix. Inspirée par les députés montagnards, elle prévoit, sur le plan électoral, le suffrage universel (incluant les domestiques) direct (et non plus à 2 degrés) pour l’élection des députés 15.

La ratification est menée par les assemblées primaires au début d’une séance exceptionnelle. Celles-ci sont convoquées en exécution du décret de la Convention nationale du 27 juin. A Marsillargues 16, le secrétaire fait tout d’abord la lecture de l’acte constitutionnel. La lecture achevée, le président met aux voix l’acceptation et fait faire l’appel sur la liste des citoyens présents. Le nombre de votants, 291, accepte à l’unanimité la constitution et élit un représentant pour porter le procès-verbal à la Convention nationale et participer aux festivités du 10 août. S’il n’existe pas dans la série L des Archives départementales de l’Hérault, de document récapitulatif couvrant l’ensemble du département, on peut estimer, d’après les quelques procès-verbaux conservés, que le vote dans l’Hérault accepte majoritairement la nouvelle Constitution (comme par exemple à Lunel : 321 votes en faveur de la Constitution sur 322 votants) et suit ainsi la tendance nationale : près de 2 millions de « oui » contre 11 600 de « non » 17 sur toutefois 7 millions d’électeurs ce qui montre une abstention importante qui ne ressort toutefois pas des communes héraultaises dont le procès-verbal d’assemblée primaire est conservé.

Dès l’été 1793, le régime se durcit et les administrations municipales ont moins de pouvoir. En effet, un agent national est nommé par le gouvernement afin de faire appliquer les mesures révolutionnaires (surveiller et arrêter les suspects). Des comités de surveillance se développent aussi en province.

Suite à la chute de Robespierre en juillet 1794, une Convention dite thermidorienne se met en place, marquée par un retour progressif au pouvoir de la bourgeoisie puis, dès le 26 octobre 1795, par la mise en place d’un nouveau régime, le Directoire. Créé par acte constitutionnel, le Directoire est également approuvé par les assemblées primaires le 20 fructidor an III. Au cours de ces assemblées, des électeurs sont élus et vont ensuite approuver l’acte constitutionnel dans les assemblées électorales 18 contrairement à la Constitution de 1793, ratifiée par l’ensemble des citoyens présents dans les assemblées primaires.

Le Directoire est une période marquée par des coups d’état qui annulent souvent les résultats des élections législatives, réduisant ainsi la représentation du peuple. Le pouvoir législatif est confié à deux assemblées : le Conseil des Cinq-Cents formé d’autant de députés âgés de plus de 30 ans renouvelé par tiers chaque année et le Conseil des Anciens comptant 250 députés âgés de plus de 40 ans. Les députés des deux chambres sont élus par le même corps électoral.

Après l’expérience du suffrage universel en 1793, le nouveau régime rétablit le suffrage censitaire avec une distinction entre citoyens actifs et passifs mais également, dans les citoyens actifs, entre électeurs de premier et second degré. Pour être électeur du premier degré, il faut payer des impôts ou avoir participé à une campagne militaire. Les électeurs du second degré doivent être titulaires de revenus élevés, évalués entre 100 et 200 journées de travail selon les cas ou propriétaires d’un bien rapportant un revenu équivalent. Il faut être donc être résident et payer une contribution directe. Le système électoral indirect se maintient : constitution par les citoyens actifs d’assemblées primaires qui choisissent des électeurs formant l’assemblée électorale chargée de désigner les parlementaires. Le suffrage devient secret, chaque bulletin est déposé dans une urne ou un vase 19.

Dans l’Hérault 20, 53 921 citoyens ont droit de voter dans les assemblées primaires d’après l’état de distribution de l’an V. Seuls 6 760 se sont rendus dans les assemblées afin de voter en l’an VII et ont choisi 300 électeurs. Le corps électoral est alors fixé à 30 000 électeurs pour la France entière.

Un pouvoir collégial exécutif est assuré par cinq directeurs élus par les Anciens sur une liste de cinq noms proposée par le Conseil des Cinq-Cents. Le directoire est renouvelé par cinquième tous les ans sans possibilité de réélection avant 5 ans. Les directeurs nomment ensuite les ministres, les hauts fonctionnaires et les généraux.

Le Directoire supprime les comités de surveillance, les districts, réhabilite les départements (dont la direction est assurée par 5 administrateurs) et créé les municipalités de canton (composées d’agents municipaux et d’un président élu, surveillé par un commissaire) 21.

L’organisation communale est également revue. Les petites communes sont gérées par un agent et un adjoint élu, seules les villes de plus de 5000 habitants ont une municipalité complète. Sur le tableau des officiers municipaux, des agents municipaux et de leurs adjoints à nommer par chaque canton suivant les articles 179 & 182 de la Constitution (29 vendémiaire an IV) 22, outre les villes de Montpellier (7 officiers municipaux), Marsillargues (5), Sète (5), Béziers (7), Agde (5), Pézenas (5) et Lodève (5), toutes les communes héraultaises sont administrées un agent municipal et un adjoint.

Au terme de cette première période d’exercice des droits civiques par la population, l’alternance entre scrutins censitaires et un unique scrutin universel permet de dresser un bilan nuancé sur le test électoral de cette période, marqué par une abstention importante. Les nombreux changements politiques, administratifs tant au niveau national que local, la grande nouveauté du vote avec laquelle les hommes n’étaient pas familiarisés et les modalités pratiques (éloignement du lieu où se rassemble l’assemblée primaire, temps à y consacrer…) expliquent en partie ce bilan mitigé.

Consulat et Empire : établissement du suffrage universel mais vote très indirect

Le coup d’État du 18 brumaire an VIII instaure une dictature personnelle. La Constitution du 22 brumaire an VIII met en place le régime du Consulat. Comme pour les périodes précédentes, le Consulat partage pouvoir exécutif et législatif. L’exécutif est confié à un collège de 3 consuls mais seul le Premier consul exerce véritablement le pouvoir et dispose de l’initiative des lois, aidé par le Conseil d’État qui élabore et prépare les projets de loi. Trois assemblées sont créées, le Sénat, le Tribunat et le Corps législatif mais les prérogatives de chacune font qu’elles se neutralisent bien souvent entre elles. Pour les lois, le Tribunat les discute sans les voter, le Corps législatif les vote sans les discuter et le Sénat est juge de leur constitutionnalité. Ce système, imaginé au nom de l’efficacité législative, a pour principal effet d’affaiblir les assemblées 23.

La Constitution rétablit le suffrage universel masculin (la France est alors le seul pays au monde à l’avoir mis en œuvre) et donne le droit de vote à tous les hommes de plus de 21 ans. Mais il est limité par le système des listes de confiance. Il s’agit d’un scrutin à trois degrés : les électeurs désignent au suffrage universel un dixième d’entre eux pour l’établissement des listes départementales, qui eux-mêmes élisent un dixième d’entre eux pour former une liste nationale. Le Sénat choisit ensuite sur cette liste nationale notamment les membres des assemblées législatives, Tribunat et Corps législatif. Il s’agit encore une fois d’un suffrage très indirect qui ne permet pas aux Français de désigner directement leurs représentants. Auparavant élus, c’est désormais le premier consul qui nomme et révoque tous les fonctionnaires.

Le Sénat est composé de 80 membres nommés à vie et cooptés. Il choisit lui-même le successeur d’un sénateur décédé, parmi trois candidats présentés par le Tribunat, le Corps législatif et le Premier consul ou l’Empereur.

Le système des collèges électoraux est institué, en l’an X, en remplacement des listes de confiance. Il comporte trois degrés, les assemblées de canton réunissant à la base tous les citoyens domiciliés qui désignent les membres des collèges électoraux d’arrondissement et de département. Ce nouveau système réintroduit le critère censitaire puisque le choix des électeurs ne peut porter, dans les collèges du département, que sur les 600 citoyens les plus imposés 24.

L’instauration de l’Empire le 18 mai 1804 change peu le système de représentation nationale si ce n’est le renforcement du pouvoir personnel de Napoléon qui a un impact sur les prérogatives des assemblées : le Tribunat, manifestant trop d’indépendance à l’égard du pouvoir est supprimé et fondu avec le Corps législatif en 1807 25.

Le sénatus-consulte organique du 28 floréal an XII promulguant l’Empire et fixant des modalités telles que la question relative à l’hérédité de la dignité impériale est un des premiers référendums du XIXe siècle au cours duquel les Héraultais sont appelés à se prononcer 26. Sous la cote 3 M 1126 conservée aux Archives départementales de l’Hérault, on peut trouver les registres des votes par arrondissement. Ainsi, l’exemple de l’arrondissement de Lodève permet de voir que, sur les 9 553 citoyens ayant droit de voter, 5 710 votent effectivement et le « oui » l’emporte majoritairement avec 5 708 voix.

Au niveau local, si les maires et conseillers sont élus jusqu’en 1800, ils sont ensuite nommés par le préfet. Les sessions des conseils municipaux se réunissent sous l’autorisation expresse du préfet et certaines décisions doivent être soumises à l’approbation de l’Empereur telle l’acquisition de terres privées par les communes 27. Au moment du renouvellement quinquennal des maires et adjoints, le préfet adresse un courrier aux maires du département de l’Hérault afin de leur demander des précisions sur leur adjoint et eux-mêmes. De même, l’élection des conseillers généraux est supprimée. Ceux-ci sont désormais nommés par le pouvoir central sur présentation de listes. (Fig. 4)

Instruction du préfet de l’Hérault aux maires de la commune (AD34, 3 M 1)
Fig. 4 - Instruction du préfet de l’Hérault aux maires de la commune (AD34, 3 M 1)

Restauration et monarchie de Juillet : d’une monarchie à l’autre, le suffrage reste censitaire

Après l’abdication de Napoléon le 6 avril 1814, Louis XVIII est appelé au pouvoir et rétablit la monarchie. Le roi, chef suprême, décide de tout mais les principes de liberté de la Révolution sont réaffirmés. Une charte est promulguée en 1814.

Au niveau central, une Chambre des députés représente la nation. Elle est composée de 430 députés élus pour cinq ans au suffrage censitaire et renouvelés par cinquième tous les ans. La charte précise dans son article 35 que « la chambre des députés sera composée des députés élus par les collèges électoraux dont l’organisation sera déterminée par des lois » 28. Les électeurs sont des hommes de plus de 30 ans qui paient au moins 300 francs d’impôts fonciers (par comparaison, un ouvrier agricole gagne 1,5 francs par jour). Au plan national, le nombre d’électeurs est d’à peine 100 000, alors que la population compte plus de 9 millions d’hommes adultes (sur 30 millions de Français) 29.

Pour le département de l’Hérault et ses trois arrondissements, Montpellier, Béziers et Lodève, on peut estimer que 1240 électeurs environ se réunissent pour l’élection de députés en 1827 30.

Pour être éligible, il faut avoir plus de 40 ans (soit la génération d’avant la Révolution) et payer plus de 1 000 francs d’impôts. En 1820, est adoptée la loi dite du « double vote » : les électeurs les plus fortunés votent deux fois, une première fois avec les autres électeurs, pour élire les 3/5e des députés (258), puis une seconde fois, entre eux, pour choisir les autres députés (172). Les impôts des électeurs suspects de libéralisme sont diminués afin de les exclure des listes électorales. Ces manipulations des lois électorales permettent aux plus riches de monopoliser le pouvoir.

L’article 39 de la charte prévoit toutefois : « Si néanmoins il ne se trouvait pas dans le département cinquante personnes de l’âge indiqué payant au moins 1 000 francs de contributions directes, leur nombre sera complété par les plus imposés au-dessous de 1 000 francs et ceux-ci pourront être élus concurremment avec les premiers » 31.

La Chambre vote le budget, peut bloquer le gouvernement, mais vote des lois proposées sans pouvoir les modifier. Le pouvoir législatif est partagé avec la Chambre des pairs formée d’hommes, en nombre illimité, nommés par le roi, et toute dévouée aux intérêts royaux.

L’avènement de Charles X en 1824 durcit encore sa politique. Le mécontentement est croissant et l’opposition au gouvernement se ressent dans les élections de 1827 qui ont pour effet la dissolution de la Chambre des députés par le Roi. Dans l’Hérault, les élections à la Chambre des députés de 1827 ont nécessité parfois plusieurs séances de vote avant qu’un candidat n’obtienne la majorité. La 2e section du 2e arrondissement (Béziers) s’est ainsi réunie à trois reprises dans le courant du mois de novembre 32.

Le 25 juillet 1830, quatre ordonnances tentent de museler la représentation populaire : nouvelle dissolution de la Chambre, élections pour le mois de septembre sur des critères censitaires encore plus restreints (sont notamment exclus les artisans et marchands qui paient la patente), suspension de la liberté de presse.

Ces ordonnances ont pour conséquence le début de l’émeute et la fin du régime de la Restauration. La parlementarisation du régime, autrefois connue par les français, devient à la fin de la Restauration, une demande forte des Français.

Sur les listes des élections de la commune d’Aniane, une comparaison entre 1790 et 1817 est intéressante. Même si le suffrage est indirect durant la Révolution et direct sous la Restauration, il s’agit bien de montrer que l’implication des Héraultais, et dans ce cas, des habitants d’Aniane est bien différente entre les deux périodes. Plus de 200 habitants d’Aniane sont appelés à s’exprimer en 1790 au sein de l’assemblée primaire tandis qu’ils ne sont plus que 9 en 1817 à voter pour l’élection d’un député. (Fig. 5)

Liste des électeurs de la commune d’Aniane, 1817 (AD34, 10 EDT 492)
Fig. 5 - Liste des électeurs de la commune d’Aniane, 1817 (AD34, 10 EDT 492)

Dès le 26 juillet, des journalistes rédigent une protestation contre un coup d’état et font placarder des affiches sur les murs. Le 27 juillet, la police investit les imprimeries. C’est la révolution dans la capitale, les Trois glorieuses. Révolution mêlant bourgeois et ouvriers au départ, la bourgeoisie parisienne, poussée par le journaliste Thiers commence à s’inquiéter de l’arrivée d’un gouvernement qui promulguerait une nouvelle République. La Fayette, à qui les insurgés avaient demandé d’être président, refuse et accepte de présenter le duc d’Orléans à l’hôtel de ville de Paris ce qui lui apporte un soutien populaire. La charte de 1814 est modifiée par la Chambre des députés et Louis-Philippe y prête serment le 9 août 1830, actant d’un contrat entre les Français et la nouvelle monarchie. Plus libérale, elle garantit les libertés des français et confirme tout en les augmentant, les pouvoirs des deux assemblées. En effet, les deux chambres peuvent désormais proposer des lois. De plus, quand un gouvernement est mis en minorité par la Chambre des députés, il démissionne.

Dès 1831, plusieurs lois modifient les dispositions électorales. Le 24 mars 1831, la loi sur les élections municipales étend le principe de l’élection aux conseils municipaux 33, les maires restent nommés par le pouvoir central comme sous les régimes précédents. Le seuil censitaire est abaissé là où les électeurs seraient en nombre insuffisant. Il s’agit d’une disposition essentielle car la vie politique commence au niveau municipal : les électeurs font l’apprentissage (ou réapprentissage) du système représentatif dans leur commune, confisqué en totalité durant l’Empire et la Restauration où maire et conseillers municipaux étaient nommés. Autre mesure d’ouverture, le 22 juin 1833, la loi retire au Roi la nomination des conseillers d’arrondissement et des conseillers généraux qui sont désormais élus et dont le mandat est porté à 9 ans ; ils désignent ensuite leur président. Les sessions ne peuvent avoir lieu qu’en vertu d’une ordonnance royale qui en fixe l’époque et la durée ; la convocation est faite par le préfet 34.

Le régime reste censitaire mais la base du corps électoral est élargie par l’abaissement du cens suite à la loi du 19 avril 1831. En effet, pour être électeur, il faut désormais avoir 25 ans et payer 200 francs d’imposition. La base électorale est doublée puisque en 1831, 166 000 hommes sont électeurs sur 30 millions d’habitants, ce nombre atteint les 240 000 au cours de la Monarchie de Juillet (contre 89 000 à la fin de la Restauration) 35. Les modalités pour être éligibles sont également revues à la baisse. Il faut désormais avoir 30 ans et payer 500 francs d’impôts. On compte toutefois à peine 40 000 éligibles sur le plan national 36.

Si lors du senatus consulte de l’an XII, plus de 9000 résidants du collège électoral de Lodève étaient inscrits sur les listes, ils ne sont plus que 495 électeurs en 1827 37.

Une circulaire du ministère de l’intérieur est adressée aux préfets afin de les informer de ces nouvelles modalités et des révisions des listes électorales qui en découlent. Cette circulaire, conservée sous la cote 3 M 4 aux Archives départementales de l’Hérault, permet de saisir la complexité de la mesure. Selon la loi du 19 avril 1831, les maires et percepteurs de chaque canton se réunissent chaque année du 1er au 10 juin pour la révision des listes électorales. Lors de ces réunions, les maires et percepteurs sont chargés de contrôler les extraits de rôles que les préfets font dresser pour les détails du cens de chacun des électeurs inscrits. Or, les retards pris pour la confection des rôles d’imposition ne permettent pas aux maires, en 1831, de déterminer les listes électorales pour l’année suivante. Des directives leur sont alors données pour la sélection des électeurs : « vous devez rayer les électeurs dont le cens électoral ne serait atteint qu’au moyen des 30 centimes additionnels38 à l’impôt foncier qui ont cessé d’être payés depuis le 1er janvier dernier ». Une attention particulière est également portée aux contributions personnelle et mobilière et des portes et fenêtres 39. Cette opération de révision électorale n’est donc pas anodine et l’implication des Héraultais, au même titre que de tous les Français, dans la vie politique locale est un droit qui peut en permanence être remis en question suite à un changement, même minime, de situation financière.

La Monarchie de juillet donne pour la première fois, par les lois du 18 juillet 1837 et du 10 mai 1838, de véritables attributions à des assemblées élues. La loi du 18 juillet 1837 précise l’étendue des attributions du conseil municipal qui règle les affaires courantes ou seulement délibère sur les affaires locales, donne un avis ou émet des vœux. Le conseil ne statue pas définitivement sur les questions les plus importantes notamment le budget. Les pouvoirs du maire, agent de l’État, ont été nettement distingués. Le contrôle de l’État reste toutefois fort sur le maire (révocation possible) comme sur le conseil (dissolution) et les actes par un contrôle sur les délibérations 40.

La loi du 10 mai 1838 a conservé le caractère secondaire du conseil d’arrondissement et confirmé l’existence de la personnalité morale du département. Pour la première fois depuis 1789, le département est chargé d’administrer ses propres intérêts. Le conseil général statue définitivement sur la répartition des contributions directes et délibère sur de nombreuses matières.

Même si les maires et adjoints sont toujours désignés par le gouvernement et que des règles strictes sont édictées afin d’éviter que les assemblées élues n’outrepassent leurs attributions, dans l’ensemble, c’est à cette période que se construit une véritable vie administrative locale, au désespoir parfois des représentants de l’État en province comme en témoigne une lettre du sous-préfet de Lodève au préfet sur les opérations électorales de juillet 1843 41. Le sous-préfet se montre affligé devant le « triste spectacle » de quelques communes qui s’imaginent ne relever que d’elles-mêmes et pouvoir se gouverner toutes seules.

Le fonctionnement parlementaire gagne du terrain en France et se généralise chaque année le grand événement politique qui est l’adresse de la Chambre des députés dont le contrôle se renforce avec les droits de question, d’interpellation et d’enquête. Le Roi garde toutefois la possibilité de dissoudre l’assemblée comme c’est le cas le 3 octobre 1837. Les collèges électoraux (au nombre de 6 dans l’Hérault, 2 à Montpellier, un à Béziers, à Pézenas, à Saint-Pons et à Lodève) sont alors convoqués pour le 4 novembre afin que les deux chambres élues se réunissent le 18 décembre 1837. On note à cette date 3 602 électeurs (dont 1 389 pour les sections montpelliéraines) pour l’Hérault répartis en 10 sections, les collèges électoraux de Montpellier, Béziers et Pézenas étant divisés en deux sections 42. (Fig. 6)

Avis du préfet de l’Hérault composant les assemblées électorales, 18 octobre 1837 (AD34 3 M 1141)
Fig. 6 - Avis du préfet de l’Hérault composant les assemblées électorales, 18 octobre 1837
(AD34 3 M 1141)

Toutefois, le système électoral perpétue les inégalités dans la société en accordant le droit de vote à une élite foncière, économique et intellectuelle. Les ouvriers sont exclus de ce système qui favorise l’apparition de petits notables locaux. Est souvent élu le petit patron local, le petit propriétaire qui fait vivre les artisans locaux, les propriétaires fonciers…

Les listes des électeurs permettent de sonder les catégories sociales des votants. Pour le collège électoral de Saint-Pons par exemple, une liste des vingt électeurs les plus âgés et des vingt plus jeunes, dressée par le préfet de l’Hérault le 26 novembre 1840 montre, comme on peut s’y attendre, de nombreux propriétaires, tels que les deux plus jeunes, nés en 1813 et le plus âgé, né en 1755. On trouve également des négociants, des marchands, des notaires, des cultivateurs, deux avocats, un filateur et fabricant de draps, un géomètre 43

Certains élus sont durablement implantés dans le paysage politique local, que ce soient pour des mandats locaux ou nationaux, tel Jean Martial Azaïs, président du tribunal de première instance de Saint-Pons, élu député à Saint-Pons de 1834 à 1842. Fort de son emprise sur la vie politique et publique locale, il est d’ailleurs élu président du collège électoral pour l’élection législative de 1837 qui voit sa victoire…

Le résultat des élections est scruté de près par le préfet et les sous-préfets de l’Hérault. Ainsi, le 7 novembre 1837, le sous-préfet de l’arrondissement de Saint-Pons adresse un courrier au préfet l’informant du résultat de l’élection législative et donnant son avis sur les candidats. Jean Martial Azaïs est élu par 118 suffrages sur 163 (le collègue électoral de Saint-Pons est composé de 213 électeurs). A la lecture de ce courrier, il est aisé de comprendre qu’il s’agissait du favori, « cette nomination doit faire plaisir au Gouvernement et à vous monsieur le Préfet. Le Roi et ses institutions ont dans monsieur Azaïs un ami fidèle, dévoué et animé d’un esprit d’ordre et de conservation ». En effet, le principal opposant, monsieur Vidal, soutenu par les Républicains « est infecté de ce principe dont le triomphe entrainerait le désordre, l’anarchie et le renversement du trône de juillet ». « Je ne puis que me féliciter, monsieur le Préfet, de la conduite de messieurs les maires et messieurs les adjoints dans cette circonstance ; ils m’ont prêté l’appui moral que le gouvernement était en droit d’attendre d’eux ». Afin de garantir cette victoire, « des démarches » ont eu lieu, des alliances ont été contractées comme en témoigne le courrier adressé par le candidat Azaïs au préfet le 2 novembre 1837 44.

Lors des élections législatives de 1842, de nouvelles tractations ont lieu même si le sous-préfet souhaiterait observer « la plus religieuse neutralité » entre les deux candidats, tous les deux membres du parti constitutionnel, Azaïs et Viguier, premier président de la cour royale de Montpellier, et ne pas « se jeter imprudemment dans la mêlée » 45. Les dépêches télégraphiques illustrent les tractations. Azaïs, nommé à Toulouse, se retire de la campagne électorale mais, fort de son empreinte locale, soutient le candidat de l’administration et fait le déplacement à Saint-Pons au moment des opérations électorales. Alors que le scrutin a lieu le 8 juillet, on assiste dans les échanges entre le ministre de l’intérieur, le préfet et le sous-préfet, à des tergiversations jusqu’au début du mois, ce qui entraine la défaite du candidat du gouvernement, battu par Joseph Floret, ancien préfet de l’Hérault et de la Haute-Garonne élu avec le soutien du clergé. (Fig. 7)

Dépêche télégraphique du ministre de l’intérieur au préfet de l’Hérault, 20 mai 1842 (AD34, 3M1143)
Fig. 7 - Dépêche télégraphique du ministre de l’intérieur au préfet de l’Hérault, 20 mai 1842 (AD34, 3M1143)

Les PV des élections nous éclairent également sur les modalités pratiques de vote. Le bureau, dans une salle de l’hôtel de ville ou de l’école communale est ouvert dès le matin et réunit l’intégralité du collège électoral. Il est d’abord donné lecture des ordonnances royales et le bureau est désigné afin de procéder aux opérations de vote. « Chacun des électeurs qui s’est présenté pendant l’appel, pendant le réappel, et après, a prêté le serment prescrit par la loi, reçu de monsieur le président le bulletin nécessaire pour inscrire le nom du candidat, ils ont remis leurs votes pliés à monsieur le président qui les a déposés dans la boîte à ce destinée » 46. Un premier appel est fait le matin, un autre en fin de matinée ou début d’après-midi. Après en général six heures écoulées, le bureau est fermé et le dépouillement des votes peut commencer. Le texte du serment est également mentionné : « Je jure fidélité au roi des français, obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume ».

Le choix des électeurs peut porter sur les éligibles du département mais encore sur tout Français âgé de 30 ans et payant 500 francs ou plus de contributions directes sans déroger néanmoins à l’article 36 de la charte qui prévoit que la moitié au moins des députés d’un département soit prise parmi les éligibles qui y ont leur domicile politique.

A la réduction de la mobilité sociale, une transition démographique forte entraînant un vieillissement de la population et une paupérisation 47, s’ajoutent, dès 1845, une crise de disette agricole et une crise de surproduction industrielle qui provoquent des contestations sociales et économiques contre le régime. Celui-ci semble figé dans l’immobilisme et refuse d’innover, notamment par la modification du système électoral.

Le contrôle local des élections reste strict. Le ministère de l’intérieur adresse au préfet de l’Hérault un tableau suite aux élections municipales de 1846 sur lequel doivent être précisées les opinions politiques des anciens et nouveaux conseils municipaux : adhérents au système du gouvernement, opposition démocratique modérée, opposition démocratique prononcée, opposition légitimiste modérée, opposition légitimiste prononcée 48. (Fig. 8)

Les Républicains prennent une part de plus en plus grande à la vie politique et organisent de nombreux banquets entre juillet et décembre 1847. C’est l’interdiction de l’un d’eux par le ministre Guizot qui lance la révolution en février 1848 entrainant la démission de Louis Philippe le 24 février.

Modèle de tableau à compléter envoyé par le ministre de l’intérieur au préfet de l’Hérault (AD34, 3M1821)
Fig. 8 - Modèle de tableau à compléter envoyé par le ministre de l’intérieur
au préfet de l’Hérault (AD34, 3M1821)

La Deuxième République, adoption inédite et définitive du suffrage universel direct masculin

Un gouvernement provisoire non élu se met en place, composé de républicains modérés et de républicains plus révolutionnaires. Le 25 février, la République est proclamée avec la constitution d’une Assemblée constituante élue au suffrage universel.

Le suffrage universel masculin est alors adopté par le décret du 5 mars 1848 et ne sera plus remis en cause. Sont électeurs tous les Français âgés de 21 ans et jouissant de leurs droits civils et politiques. Le droit d’être élu est accordé à tous les électeurs de plus de 25 ans.

Les élections ont lieu en avril 1848 et rassemblent plus de 7 millions d’hommes 49 dont 55 805 votants dans l’Hérault 50. En juin 1848, à l’occasion d’élections complémentaires où un seul député est élu, les 9 autres restant en place, le département est divisé en 4 arrondissements et 36 cantons (dont 3 pour Montpellier et 2 pour Béziers) et le nombre d’électeurs est d’environ 100 000 51. Cette différence s’explique sans doute par une forte abstention au mois d’avril 1848 et un intérêt accru quelques mois plus tard au regard des événements nationaux.

On se rend en en cortège au chef-lieu de canton, l’appel est toujours nominal, dure une journée et cet exercice civique est marquant pour les esprits. Le résultat de l’élection sur le plan national donne une large victoire des républicains modérés et entraîne un renouvellement des hommes politiques mais ce sont toujours en majorité des bourgeois qui sont élus.

L’Assemblée constituante nomme une commission exécutive chargée de réguler les affaires courantes. Des premières lois sont votées telle l’abolition de l’esclavage le 27 avril 1848. L’assemblée proclame le 4 mai la République afin de ne pas tirer sa légitimité des barricades. La République doit résoudre la crise et le problème du chômage dont souffre une partie de la population. La suppression des ateliers nationaux qui employaient les ouvriers au chômage donne lieu à une réaction forte et des émeutes, durement réprimées, en mai 1848.

Le 12 novembre 1848, la Constitution est proclamée. Elle réaffirme les libertés essentielles mais les droits ne s’y trouvent pas. Une Assemblée législative est élue pour 3 ans au suffrage universel direct. On peut désormais être député sans fortune personnelle. Le pouvoir exécutif est détenu par un président élu pour 4 ans au suffrage universel non rééligible. Il a l’initiative des lois et peut peser sur les orientations du régime. Une séparation très nette est opérée entre les deux pouvoirs qui ne peuvent se renverser.

Les élections présidentielles du 10 décembre 1848 donnent une large victoire pour Louis-Napoléon Bonaparte qui a su mener une habile propagande reposant sur le souvenir glorieux de la France évoqué par son nom et sur son intérêt affirmé pour les questions sociales. Cette élection est inédite pour les Héraultais et en France car c’est la première fois que les électeurs peuvent élire directement le représentant du pouvoir exécutif. Ce sera également la dernière pour tout le XIXe siècle. Pour ces élections, 126 318 Héraultais sont inscrits sur les listes et 81 823 votent.

On note plus d’inscrits sur les listes électorales que pour les élections des députés du printemps 1848, ce qui, dans le détail, varie en fait d’une commune à l’autre et est essentiellement dû à l’arrivée de jeunes hommes dans l’âge de la majorité qui leur permet de voter. Cette différence suit aussi l’évolution démographique au plan national (le corps électoral passe de 8,2 millions en avril 1848 à presque 10 millions pour l’élection de décembre) 52. Cependant, ce qui est notable, c’est la participation plus importante des Héraultais à cette élection 53. C’est une large victoire pour Louis Napoléon Bonaparte puisqu’il remporte, dans l’Hérault, 46 849 voix, soit le double de celles reçues par son principal concurrent le général Eugène Cavaignac (20 221) et est très loin devant Ledru-Rollin (13 461) 54, Raspail et Lamartine. Ce scrutin est représentatif de la situation nationale, même dans l’ordre des trois premiers candidats : Louis-Napoléon Bonaparte (5,5 millions de voix), Cavaignac (1,4 million de voix) et Ledru-Rollin (400 000 voix) 55.

Il est intéressant de noter que les bulletins remplis à la main par les Héraultais amènent parfois quelques confusions sur les noms des candidats. Ainsi, sur le procès-verbal récapitulatif pour le département de l’élection du 10 décembre 1848, on retrouve, pour le même candidat, plusieurs dénominations : Louis Napoléon Bonaparte (la seule prise en compte dans le calcul avec 46 849 suffrages), Louis Bonaparte, Louis Napoléon, Napoléon, Bonaparte Napoléon, Louis Joseph Bonaparte, le prince Louis Napoléon et même un Napoléon II… (Fig. 9)

Procès-verbal par le bureau central pour le recensement général des votes émis dans le département de l’Hérault pour l’élection du président de la République (AD 34, 3 M 1135)
Fig. 9 - Procès-verbal par le bureau central pour le recensement général
des votes émis dans le département de l’Hérault pour l’élection du président
de la République (AD 34, 3 M 1135)

Dans le cadre de la participation, les problématiques très pratiques liées aux déplacements ont toute leur place. Ainsi, les habitants de Montarnaud adressent, le 19 novembre 1848, une lettre au préfet afin de lui exposer « que l’éloignement de la commune du chef-lieu de canton (Aniane) leur rend fort difficile l’exercice de leurs droits électoraux : aux dernières élections pour l’Assemblée nationale et pour le Conseil général, un très petit nombre d’électeurs de notre commune s’est rendu à Aniane, qui est à une distance de deux heures et demi à trois heures » 56. La demande est donc que pour les prochaines élections, celle du président de la république, et celles qui suivront, une section soit constituée à Montarnaud. Cela ne sera pas fait et on constate que l’abstention entre le nombre d’inscrits pour le canton d’Aniane et le nombre de votants est presque de 50 % (1 093 pour 2 047). Des demandes émanant d’autres communes éloignées du chef-lieu de canton, telle Saint-Thibéry (canton de Pézenas) mettent en exergue les mauvaises conditions de la saison d’hiver, l’éloignement pour les personnes peu valides et les vieillards. Quelques-unes de ces demandes sont prises en compte dans une nouvelle répartition des lieux de réunion des sections cantonales. L’enjeu est important pour cette première élection d’un président de la République, le plus de votants doit y participer. Aussi, afin de s’assurer la plus grande participation possible, les employés qui n’ont pas 6 mois de séjour sont également appelés à voter et des listes sont établies en ce sens.

Désireux de rester au pouvoir et allant ainsi à l’encontre de la constitution qui prévoit que le président de la République n’est pas rééligible, Louis Napoléon Bonaparte dissout l’assemblée et invite les Français à se prononcer par plébiscite, les 20 et 21 décembre 1851, sur l’attribution des pouvoirs lui permettant de faire une nouvelle constitution. Le « oui » l’emporte largement dans l’Hérault comme on peut le voir sur l’arrondissement de Lodève et au même titre que dans la France entière (7,5 millions de « oui » contre 650 000 « non ») 57. (Fig. 10)

Résultat du vote sur le plébiscite pour l’arrondissement de Lodève, (AD34, 3 M 1128)
Fig. 10 - Résultat du vote sur le plébiscite pour l’arrondissement de Lodève, (AD34, 3 M 1128)

Comme sous les précédents régimes, le gouvernement désigne et soutient ouvertement, au travers des préfets, des candidats officiels qui se voient accorder toutes les facilités. Lors des élections législatives de février 1852, on assiste à des tractations entre sous-préfets, préfet et ministre de l’intérieur sur les candidats à proposer. Trois députés doivent être élus au corps législatif. Dans une dépêche du 7 février 1852, le ministre accepte deux des candidats proposés mais demande d’en trouver un troisième. Des employés du ministère de l’intérieur proposent alors des membres de leurs familles tandis que préfet et sous-préfets reçoivent des pétitions pour appuyer des candidatures. Une instruction du cabinet du ministère de l’intérieur aux préfets le 11 février 1852 précise : « Or le bien ne peut se faire aujourd’hui qu’à une condition, c’est que le Sénat, le conseil d’état, le corps législatif et l’administration soient avec le chef de l’État en parfaite harmonie d’idées, de sentiments, d’intérêts, car c’est l’unité de vues dans les pouvoirs publics qui seule constitue la force et la grandeur des nations. […] dans les élections qui se préparent, le peuple français a donc un rôle important à remplir. Mais ici, quel ne serait pas son embarras sans l’intervention du Gouvernement ? Comment huit millions d’électeurs pourraient-ils s’entendre pour distinguer entre tant de candidats… […] Comme c’est évidemment la volonté du Peuple d’achever ce qu’il a commencé, il faut que le Peuple soit mis en mesure de discerner quels sont les amis et quels sont les ennemis du Gouvernement qu’il vient de fonder. […] Il est bien entendu que vous ne devez rien faire qui puisse gêner ou embarrasser en quoi que ce soit l’exercice du suffrage universel. Toutes les candidatures doivent pouvoir se produire sans opposition, sans contrainte. Le Prince Président se croirait atteint dans l’honneur de son gouvernement si la moindre entrave était mise à la liberté des votes » 58.

Une certaine démocratie persiste donc mais il est toutefois demandé aux préfets de faire connaître aux électeurs les candidats que le gouvernement de Louis Napoléon Bonaparte juge le plus propre à l’aider dans son gouvernement. Finalement, au terme de tractations, les trois députés élus pour le département de l’Hérault sont bien les trois candidats officiels du gouvernement : Louis Parmentier, rentier, maire de Montpellier ; Henri Roulleaux-Dugage, ancien préfet ; Charles Huc, baron, propriétaire.

Après des tournées très bien orchestrées en province, Louis Napoléon Bonaparte signe un sénatus-consulte le 7 novembre 1852 et lance un plébiscite, les 21 et 22 novembre sur le rétablissement de la dignité impériale avec hérédité dans sa descendance directe, légitime ou adoptive.

Comme pour l’élection à la présidentielle, sont appelés à voter tous les français âgés de 21 ans, jouissant de leurs droits civils et politiques. Les électeurs momentanément absents de leur domicile en raison de leurs fonctions ou de leurs affaires sont admis à voter dans le lieu actuel de leur résidence en justifiant qu’ils sont inscrits sur la liste électorale de leur commune.

Le préfet de l’Hérault s’adresse, le 10 novembre 1852, aux sous-préfets, juges de paix et maires du département afin de faire appel à leur zèle dans le soutien à Louis-Napoléon Bonaparte. « Tous ou la plupart d’entre vous ont eu le bonheur de voir et d’approcher le Prince Louis-Napoléon, lorsque naguère S.A.I. traversait le département de l’Hérault. Tous, vous avez conservé et reporté dans vos communes le souvenir de ses bienfaits, de ses paroles, de sa touchante sollicitude pour les intérêts du Peuple. Vous avez tous à la fois à lui prouver votre reconnaissance et consolider la paix du Pays par le vote solennel et définitif qui vous est demandé. Ce vote, les habitants du département de l’Hérault voudront le donner à l’unanimité ; mais s’il se glissait parmi vous quelques ennemis de la Patrie et du bien public, cherchant à répandre l’alarme parmi vos administrés par de faux bruits et de fausses nouvelles méchamment inventées, ou à retenir l’élan du vote par des conseils d’abstention que peuvent seuls dicter l’envie et le désespoir des partis vaincus, n’hésitez pas à faire arrêter immédiatement ces perturbateurs, que je déférerai aussitôt à la juste sévérité du Ministère public et des Tribunaux » 59. Sur l’affiche appelant au vote et au rétablissement de l’Empire en sa personne, Louis-Napoléon se présente comme président de la République française 60 tandis que le préfet évoque déjà « son altesse impériale », la modification du régime semble déjà actée…

Certains maires comme à Pézenas, n’hésitent pas à inciter les habitants à voter en faveur du plébiscite afin de consolider « l’ère de prospérité et de tranquillité inaugurée au 20 décembre » 61.

Le scrutin est ouvert, dans chaque commune, pendant les journées des 21 et 22 novembre, depuis huit heures du matin jusqu’à six heures du soir. Le vote a lieu au scrutin secret, par « oui » ou par « non », au moyen d’un bulletin manuscrit ou imprimé. Les locaux de vote sont aménagés. Ainsi, un courrier du maire de Sainte Croix de Quintillargues le 19 novembre 1852 précise que « le menuisier doit venir pour faire disparaître une cloison en bois afin de donner à cette pièce toute sa dimension et pouvoir par ce moyen placer le bureau conformément aux principes de la loi » 62.

L’organisation du scrutin est du ressort des juges de paix qui reçoivent des instructions pour l’organisation du vote mais tâtent également le terrain sur les intentions de vote et informent le préfet. On apprend ainsi que les habitants de Lavérune, « gens de la campagne, plus concernés que ceux des villes »,voteront en grande majorité « oui » 63.

Les cartes d’électeurs sont parfois déposées en mairie où les électeurs peuvent aller la chercher. Dans les petites communes, la distribution est souvent faite par le garde champêtre en même temps que les bulletins.

Le résultat des élections est une victoire incontestable pour le « oui » comme on peut le voir dans les tableaux récapitulatifs par arrondissement. Pour celui de Lodève par exemple, on constate que, sur 72 communes, seules 23 ont des bulletins « non » qui représentent par ailleurs une infime part de la population. Ainsi, à Lodève, 145 « non » pour 2 038 « oui » et 2 226 votants sur 3 266 inscrits. Même si certains Héraultais pouvaient voter dans un autre lieu que celui de leur inscription, une abstention importante est relevée 64.

Des courriers adressés à la préfecture par les maires ou, comme à Aniane, le directeur de la maison centrale de force et de correction, permettent de voir les tractations du gouvernement (avec des personnes influentes du parti légitimistes et des membres actifs de la classe ouvrière), et le porte-à-porte fait afin de retourner le vote en faveur de l’Empire 65.

Ainsi, le 2 décembre 1852, l’Empire est proclamé. Au-delà du coup d’état fondateur, Napoléon III espère, après le plébiscite, tirer sa légitimité de la souveraineté populaire.

Le Second Empire, maintien du suffrage universel et recours au plébiscite

Dans un premier temps, jusqu’en 1860, le régime est strict et les préfets jouent un rôle important notamment dans le déroulement des élections. Le gouvernement, comme on l’a vu pour les élections précédentes, continue de désigner et soutenir ouvertement, au travers des préfets, des candidats officiels qui se voient accorder toutes les facilités. De plus, les autorisations sont parfois refusées aux candidats de l’opposition. La campagne électorale se développe par le biais d’affiches présentant les projets des candidats 66.

Le rôle des députés se trouve réduit durant la première phase du régime ; le Corps législatif est assimilé à une chambre d’enregistrement dont la publicité des comptes rendus des débats est interdite. Ne tenant session que pendant trois mois, son rôle se résume à voter les projets de loi préparés par le Conseil d’État, entièrement soumis au Président.

Au niveau local, des listes peuvent également être proposées et soutenues comme on peut le voir dans un courrier du maire de Mèze au préfet de l’Hérault le 23 juillet 1858. Le scrutin portait sur le renouvellement intégral du conseil municipal : « la liste présentée par l’administration a été admise sans opposition » 67.

L’organisation matérielle des scrutins, qu’ils soient locaux ou nationaux, se précise comme en témoignent ces procès-verbaux des élections des membres du conseil municipal. « La boîte du scrutin a été aussi placée sur cette table, et, après avoir été ouverte et vérifiée pour s’assurer qu’elle ne renfermait aucun bulletin, a été fermée à deux serrures, dont les clefs ont été remises, l’une entre les mains de M. le Président, l’autre entre celles du plus âgé des scrutateurs » 68. (Fig. 11)

En parallèle des élections législatives et des élections locales, à chaque moment difficile, l’Empereur recourt au plébiscite, qu’il soit local comme lors du rattachement du comté de Nice et de la Savoie en 1860 ou national (1852 et 1870). Cette forme de participation lui permet d’établir un lien direct avec le peuple, sans tenir compte des objections formulées par l’opposition ou parfois, par ses propres partisans. Les plébiscites permettent aussi de réaffirmer la légitimité populaire de ce régime fondé sur une illégalité.

Bulletin du dépouillement du 1er tour du scrutin. Élections du conseil municipal, Murviel-les-Montpellier, juillet 1855 (AD34, 3 M 1866)
Fig. 11 - Bulletin du dépouillement du 1er tour du scrutin. Élections du conseil municipal, Murviel-les-Montpellier, juillet 1855 (AD34, 3 M 1866)

Après 1860, le régime devient plus libéral suite à la perte par Napoléon III d’une partie de ses soutiens. Des concessions sont faites et des réformes redonnent plus de pouvoir au corps législatif qui peut exprimer son approbation ou sa désapprobation par rapport au discours du trône. Les ministres sont par ailleurs chargés de justifier la politique devant la Chambre.

Des réformes sociales sont également portées comme le droit de grève en 1864. Cependant, les contestations se poursuivent et en 1869, lors des élections législatives du mois de mai, les candidats du gouvernement l’emportent d’une très courte majorité. De nouvelles prérogatives sont données au corps législatif dont l’initiative des lois et l’opportunité de réformer la Constitution vers un régime parlementaire se profile. Le 8 mai 1870, Napoléon III organise un plébiscite sur l’évolution du régime et la possibilité d’une réforme. Dans sa lettre adressée aux Français le 23 avril, Napoléon III estime qu’il « devient indispensable que le nouveau pacte constitutionnel soit approuvé par le peuple comme l’ont été jadis les constitutions de la République et de l’Empire. A ces deux époques, on croyait, ainsi que je le crois moi-même aujourd’hui, que tout ce qui se fait sans vous est illégitime. […] La Constitution de 1852 a procuré à la France dix-huit années de calme et de prospérité qui n’ont pas été sans gloire, elle a assuré l’ordre et laissé la voie ouverte à toutes les améliorations. […] En apportant au scrutin un vote affirmatif, vous conjurerez les menaces de la révolution, vous assoirez sur une base solide l’ordre et la liberté, et vous rendrez plus facile, dans l’avenir, la transmission de la Couronne à mon fils » 69.

Au niveau local, les élus soutiennent le gouvernement et appellent le vote affirmatif. Ainsi, le conseiller général du canton de Clermont-l’Hérault, adresse une lettre aux électeurs : « Au milieu des circonstances graves et solennelles qui se présentent aujourd’hui, ne prenant conseil que de mon initiative privée, je me crois obligé, en vertu du mandat dont vous m’avez investi, à venir vous faire entendre le langage du plus sincère patriotisme ». C’est bien la nature du régime qui est mise en valeur : « Si l’immense majorité, comme tout donne à le croire, acclame la restauration du régime, parlementaire, modifié, amélioré et sanctionné par l’appel suprême au peuple, juge souverain, l’empire consolidé reprendra un nouvel éclat et retrouvera une prospérité désormais à l’abri de ces tiraillements qui en paralysent le développement. […] Électeurs ! Voulez-vous le suffrage universel libre, éclairé, indépendant de toute pression de quelque part qu’elle vienne ? Mettez dans l’urne : Oui ». L’élu fait même appel à une citation de Robespierre : « que les partisans des idées les plus avancées ne récuseront pas » dans une adresse au peuple français du mois de juillet 1791 : « que tout état libre où la nation est quelque chose, est une République et qu’une nation, peut être libre avec un monarque ; qu’ainsi République et Monarchie ne sont pas deux choses incompatibles » 70. (Fig. 12)

Si le plébiscite pour le « oui » l’emporte au plan national, ce qui se confirme également dans les arrondissements de Lodève (11 238 « oui » contre 3 438 « non »), de Saint-Pons (9 171 « oui » contre 2 201 « non ») et Béziers (25 097 « oui » contre 12 347 « non ») ; le vote de l’arrondissement de Montpellier est plus mitigé et le « oui » l’emporte de quelques voix seulement (20 584 « oui » contre 20 403 « non ») 71.

Les 7 millions de votes affirmatifs au plébiscite sur le plan national semblent être un blanc-seing pour Napoléon III. Toutefois, les événements internationaux l’empêchent d’en profiter. Dès le mois de juillet, la France entre dans le conflit Prusso-Autrichien et essuie le 1er septembre la défaite de Sedan où Napoléon est fait prisonnier. Le 4 septembre, les députés proclament la déchéance de l’Empire, la République et un gouvernement de défense nationale se met en place. Au sein des députés, deux camps s’affrontent : ceux qui souhaitent poursuivre la guerre afin de restaurer l’honneur de la France et ceux qui veulent arrêter 72.

Déclaration du conseiller général de Clermont-l’Hérault en faveur du plébiscite (AD34, 3M1134)
Fig. 12 - Déclaration du conseiller général de Clermont-l’Hérault en faveur du plébiscite (AD34, 3M1134)

1871-1879, les débuts de la IIIe République, entre hésitations et ouverture du vote

Le 28 janvier 1871, l’armistice est signé par les membres du gouvernement provisoire sous la clause imposée par Bismarck de signer la paix avec un gouvernement régulier établi par des élections.

Les conditions pour être électeur ne varient pas : avoir 21 ans, résider depuis 6 mois dans une même commune et jouir de ses droits civiques. Toutefois, l’organisation matérielle est modifiée afin d’apporter plus de facilité aux électeurs : création, par arrêté préfectoral, d’autant de sections que nécessaire dans chaque commune et plus grande amplitude d’ouverture des bureaux de vote, ouverts de 6 h du matin à 6 h du soir 73. De nombreuses communes, en application de l’arrêté préfectoral, demandent la création de plusieurs sections correspondant à chacun de leurs hameaux. Toutefois, le préfet décide que les sections doivent être reliées à des paroisses puisque « c’est généralement à la sortie de la messe que les électeurs se présentent au scrutin. Établir une section dans chacun des hameaux où se trouve l’église c’est tout ce qu’il faut pour rendre le vote aussi facile que possible à tous les électeurs » 74. Les électeurs ne sont plus contraints à un appel mais peuvent venir quand ils le souhaitent. Ils ne sont plus appelés mais « sont admis à déposer leurs bulletins de vote au fur et à mesure qu’ils ont été présentés » 75. Pour être éligible, l’âge minimum de 25 ans est requis.

Organisées dans l’urgence, ces élections pour la paix voient le triomphe des monarchistes et des conservateurs. Après l’épisode de la Commune durant laquelle l’assemblée siège à Versailles, des élections complémentaires suite à de nombreuses démissions, sont organisées le 2 juillet 1871, 140 493 Héraultais sont inscrits 76 et 96 962 votent pour 4 candidats 77.

La neutralité de l’administration dans l’organisation des élections est désormais la règle. Une note du ministère de l’intérieur du 24 juin 1871 précise en effet que le gouvernement ne saurait permettre que des agents administratifs quelconques se fissent les distributeurs des bulletins électoraux. Ni les employés municipaux des villes, ni les gardes champêtres dans les communes rurales ne doivent les distribuer à domicile ou aux abords du scrutin, ce soin est exclusivement réservé aux candidats 78. Les électeurs se rendent donc sur le lieu de vote avec leur carte d’électeur et leur bulletin. Celui-ci, est d’ailleurs désormais imprimé. Les conditions se rapprochent des modalités actuelles. (Fig. 13)

Bulletin de vote pour les élections municipales de Lodève (AD34, 3M2212)
Fig. 13 - Bulletin de vote pour les élections municipales de Lodève (AD34, 3M2212)

Au cours des premières élections, les républicains gagnent du terrain. Les premières années restent toutefois indécises car l’Assemblée nationale, restée assemblée constituante, se réserve le droit de choisir entre maintien de la République ou rétablissement de la Monarchie.

Le suffrage universel n’est pas remis en cause mais des mesures en restreignent le périmètre : la loi du 27 juillet 1872 supprime le droit de vote des militaires présumés républicains et la loi du 18 février 1873 modifie les conditions du scrutin 79. Cette période transitoire voit par ailleurs la création d’une seconde assemblée républicaine, le Sénat par la loi du 25 février 1875. Une assemblée a toujours existé en face de celle représentant le peuple mais elle est pour la première fois élue au suffrage indirect pour une partie de ses membres (225 élus et 75 élus à vie par l’Assemblée nationale). Les membres du Sénat sont élus par les députés, les conseillers généraux et les délégués des conseils municipaux. Ce mode d’élection permet de représenter les petites communes rurales souvent vues par les conservateurs comme un bastion de la tradition.

Après 1879 et l’élection à la présidence de la République de Jules Grévy par les deux chambres, la République est installée et le droit de vote ne sera plus remis en question. Malgré les deux conflits mondiaux qui auront pour conséquence une baisse de pouvoir des électeurs, les choix de ceux-ci seront d’autant plus impactant au fil des réformes du XXe siècle car leur pouvoir décisionnel ne cessera de croître : vote des femmes accordé par l’ordonnance du 21 avril 1944, élection du président de la République au suffrage universel direct suite au référendum du 28 octobre 1962, droit de vote à 18 ans soit la majorité dès 1974.

BIBLIOGRAPHIE

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BURDEAU 1994 : BURDEAU (François), Histoire de l’administration française, du 18e au 20e siècle, Paris, éditions Montchrestien, 1994.

DONNADIEU 1989 : DONNADIEU (Jean-Pierre), États généraux de 1789. Sénéchaussées de Béziers et Montpellier (Procès-verbaux et cahiers de doléances), Montpellier, Archives départementales de l’Hérault, 1989, 911 p.

GARRIGOU 2002 : GARRIGOU (Alain), Histoire sociale du suffrage universel en France, 1848-2000, Paris, Seuil, 2002.

GUENIFFEY 1997 : GUENIFFEY (Patrice), Le nombre et la raison. La Révolution française et les élections, compte-rendu publié dans les Annales de Normandie, 1997. Consulté sur le portail Persée le 26 août 2020.

MAYEUR 1973 : MAYEUR (Jean-Marie), Les débuts de la IIIe République, 1871-1898, Nouvelle histoire de la France contemporaine tome 10, collection Points-Histoire, Seuil, 1973.

MORABITO 2016 : MORABITO (Marcel), Histoire constitutionnelle de la France de 1789 à nos jours, Issy-les-Moulineaux, LGDJ Lextenso éditions, 2016.

ROBERT 1995 : ROBERT (Jean-Louis) (dir), Le XIXe siècle, Rosny, Éditions Bréal, 1995.

VILLARD 2000 : VILLARD (Pierre), Histoire des institutions publiques de la France, de 1789 à nos jours, Paris, Dalloz, 2000

Consultées aux Archives départementales de l’Hérault :
série L, sous-série 3 M, série EDT consacrée aux archives communales déposées.

NOTES

1. Aberman et al. 2006.

2. Donnadieu 1989.

3. AD 34, 157 EDT 10, cahier de doléances de l’assemblée du Tiers-État.

4. AD 34, 157 EDT 10, cahier de doléances de l’assemblée du Tiers-État.

5. Burdeau 1994.

6. AD 34, 56 EDT 14, délibérations de Castelnau de Guers. Vue 487.

7. AD 34, L 817.

8. AD 34, L 704, extrait tiré du registre et tableau civique des citoyens actifs de la commune de Saint-Drézery suivant la proclamation du Roy sur un décret de l’assemblée nationale fait le 14 juillet 1790.

9. Gueniffey1997.

10. AD 34, L 704, convocation des assemblées primaires en mai 1790.

11. Morabito 2016.

12. Morabito 2016.

13. Gueniffey 1997.

14. Morabito 2016.

15. Morabito 2016.

16. AD 34, L 3166.

17. Morabito 2016.

18. AD 34,L4153.

19. Morabito 2016.

20. AD 34, L 789.

21. Villard 2000.

22. AD 34, L 707.

23. Villard 2000.

24. Morabito 2016.

25. Villard 2000.

26. AD 34, 3 M 1126.

27. AD 34, délibérations de la ville de Lodève, 1808 (en ligne sur le site internet des AD 34)

28. AD 34, 3 M 1 articles de la charte, 1814.

29. Morabito 2016.

30. AD 34, 3 M 1139.

31. AD 34, 3 M 1.

32. AD 34, 3 M 1139.

33. AD 34, 3 M 1821.

34. Villard 2000.

35. Morabito 2016.

36. Morabito 2016.

37. AD 34, 3 M 1141.

38. Taxe supplémentaire se fondant sur l’assiette de l’impôt foncier.

39. La contribution personnelle et mobilière, instituée en 1791, porte sur les revenus qui ne sont pas tirés du commerce ou de la terre. Sur la base de la valeur du logement, elle permet une évaluation approximative de son revenu. Instituée en 1798, la contribution sur les portes et fenêtres est un supplément à la contribution personnelle et mobilière. Elle taxe, comme son nom l’indique, toutes les ouvertures d’un logement, qu’elles soient utilitaires comme une aération de garde-manger ou d’apparat comme les nombreuses portes et fenêtres d’un château. Cet impôt est maintenu jusqu’en 1926.

40. Villard 2000.

41. AD 34, 3 M 1821.

42. AD 34, 3 M 1141.

43. AD 34, 3 M 1142.

44. AD 34, 3 M 1141.

45. AD 34, 3 M 1143, lettre du sous-préfet de Saint-Pons au préfet de l’Hérault le 9 mars 1842.

46. AD 34, 3 M 1143.

47. Robert 1995.

48. AD 34, 3 M 1821.

49. AD 34, 3 M 1129.Morabito 2016.

50. AD 34, 3 M 1129.AD 34, 3 M 1144.

51. AD 34, 3 M 1129.AD 34, 3 M 1144, tableau de répartition en sections des cantons. Le nombre d’inscrits sur les listes électorales est estimatif car non précisé pour Lunel et Montpellier où seuls le nombre de votants est exprimé.

52. AD 34, 3 M 1129.Garrigou 2002.

53. AD 34, 3 M 1129.AD 34, 3 M 1135.

54. AD 34, 3 M 1129.AD 34, 3 M 1135.

55. AD 34, 3 M 1129.Robert 1995.

56. AD 34, 3 M 1129.AD 34, 3 M 1135.

57. AD 34, 3 M 1129.Robert 1995.

58. AD 34, 3 M 1129.AD 34, 1 M 1148.

59. AD 34, 3 M 1129.

60. AD 34, 3 M 1129.

61. AD 34, 3 M 1129.

62. AD 34, 3 M 1129.

63. AD 34, 3 M 1129.

64. AD 34, 3 M 1129.

65. AD 34, 3 M 1129.

66. AD 34, 3 M 1154, élections législatives 1863.

67. AD 34, 3 M 1866.

68. AD 34, 3 M 1866.

69. AD 34, 3 M 1134.

70. AD 34, 3 M 1134.

71. AD 34, 3 M 1134.

72. Morabito 2016.

73. AD 34, 3 M 1177.

74. AD 34, 3 M 1178, réponse du préfet, 27 juin 1871.

75. AD 34, 3 M 2112, procès-verbal des élections municipales de 1884.

76. AD 34, 3 M 1177.

77. AD 34, 3 M 1178, résultats par communes.

78. AD 34, 3 M 1177.

79. Mayeur 1973.