Dynamiques et évolutions du littoral languedocien
Dynamiques et évolutions du littoral languedocien
Tony REY * et Stéphanie DEFOSSEZ **
* Professeur des Universités en Géomorphologie à l’Université Paul Valéry-Montpellier 3. Ses recherches concernent les littoraux, leur vulnérabilité, leur réaction et résilience face aux aléas côtiers. Il s’intéresse tout particulièrement aux tendances d’évolution des littoraux et à leur réaction aux « forçages » climatiques et pressions humaines. Ses études portent sur les littoraux français, les Petits États Insulaires en Développement et les Suds de manière générale.
** Géographe et maître de conférences à l’Université Paul Valéry-Montpellier 3, membre du LAGAM. Ses recherches interrogent les relations entre les sociétés et les territoires à travers le prisme de la gestion des risques et des crises. Elle travaille sur les littoraux en France métropolitaine et sur la frange littorale des territoires insulaires aux Antilles et dans le Pacifique (Vanuatu).
p. 9 à 20
À partir des années 1960, le littoral languedocien a connu des transformations profondes, sous l’impulsion de la mission Racine et de la croissance démographique et urbaine de la région. Le système côtier languedocien va être déstabilisé, marqué par un sévère déficit sédimentaire et des pressions anthropiques. La littoralisation des côtes languedociennes n’a laissé ni la place ni le temps aux côtes basses fragiles de s’ajuster à ces contraintes. Les mesures structurelles ont leurs limites face à ce rivage mobile et difficilement contrôlable. Face au recul du trait de côte et aux risques côtiers, les attentes sociétales sont fortes et demandent des interventions rapides. Une temporalité de l’agir vite qui est inadaptée aux temporalités côtières mais aussi aux temps des appels à projets, des financements et des politiques.
From the 1960s, the Languedoc coast underwent profound transformation, under the impetus of the Racine Mission and the demographic and urban growth of the region. The Languedoc coastal system was influenced by a severe sediment deficiency and anthropogenic pressures. The “coastalization” of the Languedoc seashore has left neither room nor time for fragile low coasts to adjust to these constraints. Structural measures have had their limits in the face of this mobile coastline and the difficulty to control it. Faced with the retreat of the shoreline and coastal risks, collective expectations are high and require rapid interventions. A temporality of acting quickly that is unsuited to coastal transcience but also to the time-lines for projects, financing and policies.
Les milieux côtiers relèvent de temporalités complexes 1. Le littoral languedocien s’étire sur 145 kilomètres du cap Leucate à la partie occidentale du delta du Rhône (et au-delà d’un point de vue géomorphologique). Il se caractérise par des côtes sableuses (54 %), artificialisées (32 %) et rocheuses (9 %). Sa morphologie actuelle résulte de plusieurs milliers d’années d’évolution 2. Pour comprendre les dynamiques géomorphologiques qu’a connues ce rivage, il faut se référer aux temps géologique, séculaire et météorologique. Plusieurs exemples de côtes permettent de contextualiser leur état actuel et d’envisager leur évolution face aux impacts du changement climatique et à l’accroissement des risques.
Le temps géologique
Il représente l’échelle des variations du niveau marin au Quaternaire et des fluctuations climatiques qui influencent la formation des côtes. Cette échelle temporelle a l’intérêt de replacer les dynamiques actuelles dans un cadre géochronologique plus large. La dernière glaciation peut constituer un point de départ. Elle a amplifié les processus de météorisation et d’érosion très actifs sous les climats froids. Puis l’entrée progressive dans la période interglaciaire a ralenti cette morphogenèse et libéré les eaux stockées dans les glaces continentales, entraînant dans le même temps une élévation irrégulière du niveau marin 3, ponctuée d’accélérations et de ralentissements 4. La vitesse de cette élévation a été rapide jusqu’à -6 000 ans avant notre ère. La remontée marine ou transgression a contribué à façonner les côtes actuelles grâce à la grande quantité de sédiments disponibles sur le plateau continental 5. Puis, l’élévation du niveau marin a décéléré pendant près de 4 000 ans favorisant par exemple la construction des deltas dans le monde (la progradation ou avancée de la terre dans la mer gagne sur la rétrogradation ou avancée de la mer dans les terres 6). De cette période d’abondance sédimentaire, il ne reste que des reliques pour bon nombre de littoraux 7.
Les étapes de la formation des littoraux dans le Languedoc sont marquées par la transgression marine postglaciaire, les variabilités climatiques, hydrologiques, et progressivement par les effets de l’action des hommes sur le fonctionnement et les paysages côtiers. Cependant la segmentation des recherches, parfois à l’échelle d’une subdivision administrative, au mieux à celle du bassin versant, ne permet pas d’avoir une vue d’ensemble sur la paléogéographie littorale de ce vaste espace. De plus, les données géochronologiques (datation des roches) et paléo-environnementales (environnements anciens) ne sont pas forcément synchrones sur un espace aussi grand, et il existe encore des incertitudes sur les modalités de formation.
Par exemple, le Rhône édifie déjà son delta vers -6 500 ans avant notre ère alors que le niveau marin se situe encore entre -2 et -8 mètres. À la même période, entre le Cap d’Agde et le mont Saint-Clair à Sète, la morphogenèse revêt des formes différentes. La remontée du niveau marin entraîne le recul du trait de côte et avec lui la mobilisation des sédiments marins. Moins de 1 000 ans après le maximum transgressif (entre -6 500 et -5 500 ans), une côte à lido se forme entre Sète et Agde. Toujours pendant ce millénaire, les fleuves côtiers du Languedoc, tels que l’Aude, le Lez, la Mosson, le Vidourle, ont étendu leur plaine alluviale. Leur extension s’est faite en fonction de plusieurs facteurs tels que les rythmes hydrologiques et les apports fluviatiles (en lien avec la variabilité climatique), la vitesse de la remontée du niveau de la mer et de l’espace d’accommodation, c’est-à-dire l’épaisseur de la tranche d’eau entre le fond et la surface de l’eau.
La morphologie actuelle du rivage languedocien est apparue vers l’Antiquité. Le niveau marin n’était pas encore stabilisé, la transgression étant contrecarrée par les apports fluviatiles et marins. Sous le double jeu de l’érosion et de l’accumulation, la mer a régularisé le rivage en consolidant les côtes à lido. Les graus reliaient la mer aux lagunes qui, elles-mêmes, étaient alimentées par des affluents tels que le Lez dans l’étang du Méjean, l’Aude dans l’étang de Bages 8 ou le Vidourle dans l’étang de l’Or 9.
L’attractivité du littoral languedocien a favorisé la création de comptoirs dès la protohistoire (Pech Maho, Agde, Lattes, le Cailar…), situés en arrière du rivage, au bord de lagunes et à la croisée de fleuves côtiers 10. Les Grecs et, ensuite, les Romains ont développé des villes le long de la côte et tiré profit de ses atouts, malgré les contraintes d’un espace qui était intrinsèquement mobile (érosion, ensablement, ouverture et fermeture de graus) et exposé aux aléas météorologiques et marins (tempêtes, inondations).
Les systèmes côtiers languedociens (en étroite relation avec les dynamiques fluviales) ne présentent pas les mêmes évolutions géomorphologiques face aux variations du niveau de la mer, en raison de la pente du plateau continental, de l’espace d’accommodation, des débits fluviaux, de la morphologie de la côte…, ainsi que face aux forçages climato-anthropiques. Ces derniers sont des perturbations d’origines climatiques (variation de l’ensoleillement par exemple) ou humaines (déforestation par exemple) de l’équilibre énergétique de la planète, qui engendrent des changements de températures. Les tendances d’évolution sont encore plus claires lorsque les analyses portent sur les temps séculaires et pluri-décennaux.
Les échelles séculaires et pluri-décennales
Les échelles séculaires et pluri-décennales représentent une dimension temporelle largement utilisée en géomorphologie car elle permet de cerner « les adaptations des littoraux d’accumulation aux évolutions des agents morphogènes (variations de l’intensité et de la fréquence des tempêtes, changements dans l’orientation des vents et des houles, modification de l’hydrologie continentale…) et anthropiques » 11. Cette échelle révèle, grâce aux sources (textes, cartes) et aux enregistrements historiques (archives sédimentaires), des changements côtiers et les capacités des sociétés littorales à agir et à s’adapter 12. En fonction de la fiabilité des sources (carte de Cassini, cadastre napoléonien, carte d’état-major, missions photographiques aériennes, levés topo-bathymétriques), les analyses peuvent faire ressortir des tendances d’évolution de la morphogenèse littorale à l’échelle de plusieurs siècles.
À partir d’une approche diachronique, la variabilité séculaire des rivages, des lagunes et des marais peut être soulignée ainsi que les métamorphoses fluviales. Les changements côtiers mettent en évidence des tendances de progradation ou d’érosion 13 qui ont été corrélées aux données climatiques historiques 14, aux variations eustatiques et aux pressions humaines. Par exemple, de nombreuses études géo-archéologiques insistent sur l’importance du Petit Âge glaciaire dans l’évolution des littoraux entre le XIVe et la fin du XIXe siècle 15. L’érosion mécanique des surfaces continentales (ou détritisme) a modifié le fonctionnement des hydrosystèmes, provoqué des métamorphoses fluviales et influé sur les dynamiques côtières. Par exemple, le trait de côte en Petite Camargue a montré une phase d’avancée rapide entre la fin du XIIIe et le XVIe siècle avec des vitesses atteignant 8 mètres par an entre 1400 et 1500. (Fig. 6) Le delta du Vidourle s’est avancé au rythme de 11 centimètres par siècle entre le IXe et le XIVe siècle 16 participant ainsi au colmatage sédimentaire de l’étang de l’Or et à son rétrécissement. Ce dernier a perdu entre 5,4 et 6,6 % de sa surface entre 1772 et 1965. L’étang du Méjean, exutoire du Lez, a diminué de 2,7 à 3,3 %, avec une accélération lors des 40 dernières années en raison de l’anthropisation des côtes 17. Côté mer, les tempêtes marines, plus fréquentes et intenses, ont aussi contribué durant cette période au colmatage des lagunes 18.
En fonction des échelles spatiales (régionale et locale) et temporelles et de l’approche multi-proxy, c’est-à-dire l’utilisation d’indicateurs climatiques, géomorphologiques, paléoécologiques, la dégradation climatique du Petit Âge glaciaire qui a affecté l’ensemble du domaine méditerranéen ne revêt pas les mêmes aspects. Pour un même signal climatique, la réponse des systèmes fluvio-marins languedociens a été spatialement, qualitativement et quantitativement hétérogène. La réponse des sociétés littorales face aux contraintes climatiques et environnementales a été tout aussi variable 19. Par exemple, l’abandon du port d’Aigues-Mortes au Moyen-Âge pourrait s’expliquer par des changements environnementaux jugés insurmontables, mais ce n’est pas le cas 20, car les techniques de dragage des bassins portuaires envasés ou ensablés étaient connues dès l’Antiquité 21. Les difficultés pour les contemporains de Louis IX, Philippe III Le Hardi, puis de Philippe IV Le Bel, ont surtout résidé dans les capacités à lever des fonds publics et privés pour financer des travaux coûteux, tout cela dans des contextes politiques instables (conflits armés) et de concurrence économique avec le port de Marseille 22.
La fin du Petit Âge glaciaire, à partir du milieu du XIXe siècle, se traduit par une diminution des apports sédimentaires : la pénurie sédimentaire succède alors à l’abondance sédimentaire.
Le temps court et évènementiel
Le troisième et dernier temps, le temps dit « instantané » ou « événementiel », concerne les dynamiques morpho-sédimentaires des systèmes côtiers à court terme. L’analyse pluriannuelle et saisonnière des côtes permet de qualifier les évolutions récentes d’un littoral. Les outils dont dispose le géomorphologue sont variés 23, (photographies aériennes associées à des profils saisonniers de plage, c’est-à-dire des états des lieux établis grâce à des relevés topo-morphologiques et sédimentaires notamment, photographies prises par drone avant et après une tempête) et participent à une meilleure compréhension des dynamiques côtières telles que l’influence des barres d’avant-côte sur le déferlement des vagues, les transferts sédimentaires longitudinaux et transversaux, l’ajustement des dunes aux conditions météorologiques, l’efficacité et l’impact des ouvrages de protection des côtes sableuses.
Depuis la fin du Petit Âge glaciaire, la croissance de la population dans les plaines et le littoral du Languedoc, l’artificialisation des hydrosystèmes, la littoralisation (construction de stations balnéaires, aménagements portuaires, ouvrages de défense contre la mer, etc.), et toutes les autres pressions humaines (déforestation, extraction de sable…) entraînent des changements profonds dans les dynamiques côtières. Selon les travaux de l’Observatoire national de la mer et du littoral (ONML) et de Géoportail qui ont porté sur l’évolution du trait de côte entre 1942 et 2011, entre le Petit Rhône et cap Leucate, 51 % des côtes sont en engraissement, 32 % en érosion et 18 % stables et/ou fixées par des aménagements côtiers. Les côtes les plus engraissées se situent dans le golfe d’Aigues-Mortes, à Frontignan, puis sur un linéaire côtier de 20 kilomètres entre Narbonne-Plage et Port Leucate. Les côtes à lido accusent en revanche un net recul ainsi que certaines plages à Vias et Valras.
L’érosion côtière constitue un risque graduel pour le littoral languedocien, qui s’amplifie lors des tempêtes marines. En quelques heures, une tempête peut modifier la morphologie d’une plage, entraîner le recul d’une dune sur plusieurs mètres, voire sa rupture, inonder par submersion les espaces situés en arrière. Par exemple, la tempête du 28-29 novembre 2014 a lourdement frappé les côtes : à Frontignan, à la suite de la rupture du cordon dunaire, le littoral a été temporairement submergé jusqu’au niveau de la route départementale 60. (Fig. 7) À Carnon, le vent et les vagues ont attaqué les dunes et la plage, laissant sur place des ganivelles fantômes. En quelques heures, le rechargement en sable réalisé en 2006, et qui avait coûté 100 000 euros à la commune de Mauguio, a été perdu. (Fig. 8) La situation est analogue sur les plages de l’Espiguette où le fulcrum (c’est-à-dire le point d’équilibre entre la zone d’érosion et la zone d’accumulation) se déplace depuis plusieurs décennies vers l’ouest, laissant la côte orientale en proie à l’érosion, et ce malgré les épis de protection. (Fig. 9) Une question fondamentale, au cœur des préoccupations des élus, se pose alors : où part le sable des plages ? Pour certaines d’entre elles, ce sable est définitivement perdu s’il a été déposé en dehors de la profondeur de fermeture des vagues (c’est-à-dire dans un espace où les vagues ne peuvent plus transporter le sable déposé sur le fond), ou si le sable est sorti de la cellule littorale 24 ; pour d’autres, le sable a été déplacé sur l’avant-côte et sera remobilisé vers les plages en période de beau temps. L’artificialisation du littoral et le déficit sédimentaire chronique ne semblent pas pouvoir renverser la tendance érosive des côtes, bien au contraire.
Les ouvrages lourds de protection du littoral occupent un important linéaire côtier. Les différentes études du suivi du trait de côte en mesurent néanmoins les limites, notamment sur le long terme 25. Localement ils permettent de réduire l’impact érosif des vagues ; mais d’une part les ouvrages ne réalisent pas un abri total derrière eux, et d’autre part, au-delà de leur aire d’influence, l’érosion côtière se poursuit et dans certains cas peut se renforcer. À Vias, la mise en place d’enrochements devant les campings et quelques habitations participe ainsi à l’aggravation de l’érosion côtière de part et d’autre des enrochements, une érosion des plages qui se poursuit en aval dérive en direction de Vias Ouest. Face à ce constat, la question d’abandonner de tels ouvrages peut être posée. En effet, l’abandon des ouvrages aurait pour conséquence positive de déplacer vers l’amont le point d’équilibre qui est situé plus en aval. Le résultat de ce déplacement augmenterait la part du linéaire côtier en stabilité/engraissement. À l’échelle du littoral d’Occitanie, le pourcentage de côtes stabilisées et engraissées passerait de 38 à 46 % dans l’hypothèse de l’abandon des ouvrages. Par contre, sans ces ouvrages, les 21 % de côtes actuellement touchées par une érosion supérieure à 1 mètre par an passeraient alors à 26 % 26. Enfin, si le rôle des ouvrages pendant les tempêtes reste mal connu, au regard de l’état de dégradation des plages urbaines après un coup de mer, leur efficacité pour la protection des plages semble assez limitée.
L’analyse des événements tempétueux et en particulier de leur cinétique spatio-temporelle permet de comprendre les effets de seuil en termes de changement d’état ou de seuils d’irréversibilité, à partir desquels le système côtier est instable ou en équilibre. Une plage en cours d’érosion récupérera plus difficilement après une tempête qu’une plage stable ou en cours d’engraissement. Il s’agit donc d’évaluer l’importance des tempêtes dans la dynamique côtière : épiphénomène lissé sur le temps, évènement ponctuel capable d’entraîner une bifurcation du système côtier (disparition ou création de plage), opportunité pour mobiliser des sédiments inertes en direction de la cellule sédimentaire, mobilisation/génération/destruction de barres d’avant-côte 27…
La résilience côtière est un concept qui permet de dépasser le temps de la tempête 28. Elle permet aussi d’entrevoir les capacités d’adaptation à des évolutions plus lentes et graduelles, (érosion côtière, élévation contemporaine du niveau de la mer). La résilience permet d’imaginer l’ensemble des processus côtiers susceptibles de participer à la récupération des plages, soit face à des évolutions lentes et graduelles, rapides et ponctuelles, soit sur des pas de temps qui sont rarement synchrones avec le temps des sociétés 29.
L’ajustement des plages face à l’élévation du niveau de la mer
Selon les données récentes de Martha Marcos 30 (2016) et Jean-Claude Romano 31 (2018), le niveau marin en Méditerranée s’élèverait au rythme de 1,1 à 3,3 millimètres par an depuis 1885. Il est continu depuis plus d’un siècle et s’est accéléré depuis les années 1960. Les côtes engraissées et peu artificialisées devraient s’ajuster à l’élévation de la mer par un mouvement de recul du cordon dunaire. La situation est bien plus problématique pour les côtes en cours d’érosion et fortement anthropisées. Dans l’état actuel des connaissances, il apparaît difficile d’imaginer une rétroaction positive des plages les plus fragilisées car la littoralisation du Languedoc a contrarié la mobilité des côtes et les échanges sédimentaires. Les plages urbaines se trouvent comprimées entre, d’un côté, un front de mer urbanisé et, de l’autre, une avancée de la mer. Inexorablement, le rivage recule. L’élévation contemporaine du niveau de la mer devrait donc aggraver l’érosion des côtes les plus fragiles et inonder les zones basses. À terme, des choix devront être faits : maintenir le trait de côte avec des interventions lourdes et coûteuses sans avoir la garantie que les plages subsistent (hormis par des rechargements en sable), ou adopter des stratégies d’adaptation plus coûteuses encore, et dont l’acceptation sociale reste très incertaine.
L’impact de l’élévation contemporaine du niveau de la mer sur l’augmentation des hauteurs de vague est aussi à souligner. Progressivement, la ligne de déferlement remonte vers le haut de plage, et ce déplacement sera d’autant plus important et dommageable lors des coups de mer. L’aléa météo-marin, ponctuel et paroxystique, apparaît ici comme dangereux et destructeur ; sa gestion ne peut pas donc être analogue à celles élaborées face à l’élévation du niveau de la mer. Dans l’hypothèse où la fréquence et l’intensité des tempêtes ne changent pas 32, l’élévation du niveau marin et ses conséquences sur les vagues de tempête seront la cause principale d’aggravation de la submersion marine. Il faut aussi ajouter que les hauteurs maximales des vagues sont dépendantes du contexte morpho-sédimentaire, à savoir de la topographie et de la bathymétrie locale ainsi que des interactions avec les ouvrages de défense. Les réponses sociétales aux risques de submersion marine ne sauraient être uniformes mais conduites au cas par cas, selon les effets de site.
Les conséquences du réchauffement de l’atmosphère s’inscrivent dans une dimension plus globale d’exposition des sociétés et des territoires littoraux aux risques hydro-climatiques : érosion, submersion, hausse du niveau marin, salinisation, acidification des mers, dégradation des écosystèmes côtiers… Depuis 50 ans, la littoralisation du Languedoc a perturbé le fonctionnement naturel des écosystèmes côtiers, et a ajouté des enjeux urbains, agricoles, économiques, patrimoniaux…, aux risques côtiers. Des espaces vierges se sont très rapidement et densément peuplés à l’instar des stations balnéaires créées sous la Mission Racine. Se pose aujourd’hui la question de la capacité d’adaptation et de l’état de préparation des sociétés face aux menaces actuelles et futures. Est-il envisageable de continuer à résider sur la frange littorale, de poursuivre son aménagement (ouvrages de protection, densification urbaine), à quel prix, avec quelles solutions ?
L’analyse des dynamiques géomorphologiques du littoral permet d’appréhender les temporalités naturelles et sociétales. L’intégrer dans les politiques de gestion des risques relève non pas du défi mais de l’opportunité. Il y a le temps des systèmes côtiers et celui des hommes chargés de les gérer 33. Les systèmes côtiers doivent être considérés par les gestionnaires du littoral comme des entités mobiles et dynamiques, aux temporalités propres, possédant une capacité de reconstitution qui demande parfois un temps plus long, et parfois en décalage avec les préoccupations immédiates des populations.
Face à l’élévation contemporaine du niveau de la mer, la question de la vulnérabilité du littoral languedocien est d’actualité. Associées à une érosion côtière continue depuis la seconde moitié du XXe siècle, les surcotes marines font reculer la ligne de déferlement. Les côtes exposées aux aléas météo-marins sont susceptibles d’être inondées plus durablement. Parviendront-elles à absorber les effets des coups de mer ? Difficile de le croire au regard de l’évolution actuelle du rivage. Sa protection a montré ses limites, le temps de l’adaptation est désormais arrivé.
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23. BRETEL et alii, 2013; CRAPOULET et alii, 2015 ; POUGET, 2015.
24. La cellule littorale est un espace qui intègre les limites spatiales de la profondeur de fermeture des vagues où se déroulent les échanges sédimentaires (en y intégrant les interactions avec les aménagements côtiers). Quant aux limites longitudinales, elles s’effectuent par des lignes fixes (jetée portuaire), perméables et semi-perméables. Voir BRAY et alii, 1995.
25. SAMAT, 2007.
26. SOGREAH, 2011.
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