Domestiquer la nature pour en tirer profit
Du parc à la nature sauvage chapitre 7.
Domestiquer la nature pour en tirer profit
Étude réalisée par
Isabelle CELLIER, anthropologue
avec la contribution de :
Jean-Louis GIRARD, historien du village
Claude RAYNAUD, archéologue
Maëlle BANTON, géographe
p. 93 à 107
Entretenir le parc avait pour objectif le seul agrément. Cultiver le jardin par contre poursuivait un but beaucoup plus utilitaire, nourrir non seulement la famille et sa domesticité mais aussi tout le personnel agricole qui travaillait au château. Car avant d’être une demeure bourgeoise, le château était un domaine viticole qui longtemps représenta seulement un investissement financier et un signe de prestige pour la famille Manse. Qui dit investissement dit bénéfice attendu en retour. Aménager, entretenir ne suffisent plus, la nature change de statut. Elle sort de son rôle d’agrément, dépasse celui de « terre nourricière » pour devenir terre d’exploitation maximale, comme l’idéologie occidentale le commande. Au même titre qu’une industrie, on va chercher à en obtenir un rendement maximum dont le but ultime est non plus seulement le profit mais l’accumulation de richesse. Cette recherche de rentabilité justifiera dans l’histoire viticole le recours aux pesticides, aux machines agricoles et amènera finalement à une déshumanisation du travail viticole symbolisé, à l’époque des vendanges, par le remplacement des colles de vendangeurs par la seule machine à vendanger. Nous n’en sommes cependant pas encore là à l’époque étudiée, mais cela en prend le chemin.
Toujours est-il que le fait de considérer le domaine uniquement comme un investissement explique que ni Léon Manse qui en fit l’acquisition ni son fils Paul qui en hérita n’envisagèrent d’en faire leur résidence principale, même si le second devait réinvestir les profits qu’il en tirerait dans des travaux d’embellissement. Son but ultime était en effet désormais le paraître, que le château devienne la vitrine sociale de la famille, aussi ne négligea-t-il pas ses efforts pour multiplier les profits que son père n’avait fait que récolter, sans apporter un quelconque changement à la propriété. Or le pari de Paul Manse, pour concrétiser cet objectif, fut, à l’instar de beaucoup d’autres propriétaires, de tout miser sur la viticulture.
7.1. Tout miser sur la viticulture... à ses risques et périls
L’époque à laquelle il réorganisa son domaine était en effet celle de l’expansion de la monoculture de la vigne. Le Midi allait devenir l’usine à vin qui ferait la fortune des propriétaires, mais perdrait la réputation des vins du Languedoc, au point que les viticulteurs d’aujourd’hui peinent encore à revaloriser son image. De ce conflit entre qualité et quantité, Paul Manse prit sa part, plaidant dans les années 1870 à Nîmes et à Montpellier pour la défense de vignerons lésés par des concurrents, par des négociants peu scrupuleux ou encore par la compagnie du chemin de fer qui n’acheminait pas toujours les marchandises dans les délais impartis, aux dépens de la qualité du vin. Plusieurs actes de justice conservés dans les papiers du château témoignent de son dévouement à la cause viticole, qui le poussa parfois à demander l’expertise d’un certain Louis Pasteur afin d’établir l’honnêteté de tel vigneron languedocien (Tribunal civil de Montpellier en 1874).
Son premier souci fut de restructurer les terres agricoles communément appelées le Clos Vieux qui prolongeaient le parc, en remplaçant les cultures de céréales par celle de la vigne. Homme d’action, il trouva le temps, parallèlement à une carrière bien remplie d’avocat, d’imaginer et d’entreprendre les travaux d’aménagement du parc, en y faisant édifier dès 1876 le majestueux monument que représente l’orangerie. Dans le même temps cependant, il entreprenait de racheter 17 parcelles qui jouxtaient le domaine à pas moins de douze propriétaires différents afin d’opérer un remembrement de la propriété qui constituerait le Clos Neuf. (Fig. 75) Ces opérations, qui se déroulèrent de 1883 à 1888, aboutirent à multiplier par deux la surface des terres accolées au château. Désormais fort de 42 ha 82 ares, le domaine ne conserva que 87 ares plantés d’oliviers et 6 ares mêlant vigne et oliviers.
La restructuration du domaine allait aussi l’amener à modifier les bâtiments d’exploitation. Si l’acte d’achat de 1843 indique que la vinification se faisait jusqu’alors dans « deux cuves désignées sous le nom de petites cuves qui forment le couchant de la basse-cour », il allait faire agrandir et modifier cet espace en édifiant un chai d’envergure destiné à recevoir la nouvelle production : pas moins de 50 m de long et plus de 1 000 m² de surface !
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7.2. Un personnage déterminant, le régisseur
7.3. Les ouvriers du domaine, des journaliers
7.4. Le travail de la vigne au fil de l'année
7.5. 1934-35/1935-36 : deux années viticoles révélatrices
NOTES
1. Aviner : couper les repousses au bas de la souche.
2. ESCUDIER, 2014.
3. Cornues : grandes bassines à poignées utilisées pour le transport du raisin du rang de vigne à la pastière ou tombereau.
4. Espoudasser : dérivé du verbe occitan pouder, tailler la vigne ; l’espoudassage est une pré-taille sommaire pratiquée après les vendanges en préparation de la taille.
5. Fagottes : fagot de sarments de vigne.
6. Pisse-vin : sarment vigoureux que l’on ne taille pas afin qu’il donne beaucoup de raisin, dans un régime productiviste ; pratique rigoureusement interdite dans les vignobles de qualité.
7. Porette : bouture de vigne pour la replantation.
8. Rupestris ; vitis rupestris : espèce américaine de vigne résistant au phylloxéra, porte greffe sur lequel est greffé le cépage sélectionné.
9. Déchaussage : arasement à la sape du bourrelet (cavaillon) resté aux pieds des ceps après le labour.
10. Pyralion : traitement chimique contre la pyrale, papillon ravageur de la vigne.
11. Dépointer : couper les pointes des branches de la vigne pour limiter la végétation improductive.
12. Tarer les charrettes : les peser vides afin de prendre le juste poids des chargements de raisin.
13. Colle : l’occitan cola désigne une équipe de travailleurs.
14. RAYNAUD, CELLIER, 2011.
15. ESCUDIER, 2014.