Du parc à la nature sauvage chapitre 4.
La chasse, la nature sauvage à portée de fusil

Étude réalisée par
Isabelle CELLIER, anthropologue
avec la contribution de :
Jean-Louis GIRARD, historien du village
Claude RAYNAUD, archéologue
Maëlle BANTON, géographe

4.1. La chasse à la sauvagine dans le Midi

Forte d’une expérience de 32 ans de chasse dans les marais de l’Hérault, du Gard et des Bouches-du-Rhône, la passion de Léon Manse l’entraîna principalement à faire découvrir aux spécialistes toutes les spécificités et les problématiques de la chasse à la sauvagine du Midi par rapport à celle du Nord. Il s’attacha par exemple à décrire, en notifiant le vocabulaire vernaculaire employé pour en désigner tous les aspects, les différents types de chasse que l’on pratiquait dans les marais, soit à l’affût, soit depuis des barques. Alphonse Daudet décrit cette dernière pratique qu’illustrent aussi des affichettes qui leur ont survécu et qui indiquent le prix des bateaux que l’on doit louer pour « la chasse aux macreuses » avec la consigne que l’on doit y respecter, ne pas s’y tenir à plus de deux :

« Quelquefois on tient l’affût dans le negochin (le naye-chien), un tout petit bateau sans quille étroit, roulant au moindre mouvement. Abrité par les roseaux, le chasseur guette les canards du fond de sa barque, que dépassent seulement la visière d’une casquette, le canon du fusil et la tête du chien flairant le vent, happant les moustiques, ou bien de ses grosses pattes étendues penchant tout le bateau d’un côté et le remplissant d’eau. » 1

Si Alphonse Daudet jugeait cette pratique trop compliquée pour son inexpérience, des photos prises en 1913 révèlent par contre qu’elle fut usitée même pour de grandes « battues » en barques, qui montrent les chasseurs peu soucieux de se mettre à couvert. (Fig. 24) Que la sauvagine reste généralement tout l’hiver expliquait, selon Léon Manse, que l’on ne puisse la chasser comme dans le Nord, où elle ne passait que quelques heures ou quelques jours. Aussi, outre la chasse dans les barques, ne chassait-on pas en faisant les huttes ou gabions du Nord mais des « affûts 2 » :

« Nos gardes font des postes […] assez grands de façon à pouvoir se remuer facilement et avoir un chien bien dressé avec soi. Ces postes sont faits avec des roseaux ou des tamaris, d’une certaine hauteur de façon à ce que le chasseur assis ne puisse se voir. »

Battue en barque sur l’étang de Scamandre en 1913 et affichette de 1901
Fig. 24 Battue en barque sur l’étang de Scamandre en 1913 et affichette de 1901. © Fonds Manse.

Il indique aussi les moments les plus appropriés pour chasser, soit le matin quand le canard va du marais à l’étang ou à la « remise 3 », soit le soir, quand il retourne au marais pour manger. Il précise même la durée que la chasse doit respecter, une demi-heure le matin et le soir « du coucher de soleil aux dernières lueurs du rouge » si l’on ne veut pas « déchasser » ces endroits que le canard risque d’abandonner pour toute l’année. Les chasseurs ne peuvent pas en effet chasser de nuit. Alphonse Daudet en fit l’expérience en 1869, dès que la lune parut : « Déjà un premier rayon est distinct près de moi, puis un autre un peu plus loin… Maintenant tout le marécage est allumé. La moindre touffe d’herbe a son ombre. L’affût est fini, les oiseaux nous voient : il faut rentrer. » 4. Si l’on chasse en respectant ces règles, Léon Manse indique que l’on pourra retourner à ces endroits plusieurs fois durant la saison en espaçant les chasses de 10 à 15 jours. Il livre ainsi tous les détails de cette chasse à l’affût, allant jusqu’à recommander la meilleure marque de bottes à utiliser pour protéger les pieds qui vont séjourner dans l’eau parfois jusqu’au mollet pendant plusieurs heures :

« On trouve seulement à Paris chez Mr Krudel ces bottes indispensables pour nos chasses. Ce sont des bottes cuir et caoutchouc. Entre deux cuirs, assez minces, une feuille de caoutchouc est placée et avec ces bottes vous pouvez rester des heures dans l’eau sans jamais avoir la moindre humidité. Les autres bottes en cuir ou simplement en caoutchouc ne peuvent pas faire. Celles en cuir sont trop lourdes et finissent toujours par transpirer et par vous blesser, celles en caoutchouc trop minces et pas assez résistantes dans nos marais couverts de roseaux. » (1922)

Une préoccupation qui semble peut-être accessoire à première vue mais essentielle pour le bien-être du chasseur. Alphonse Daudet en fit lui-même les frais, portant « d’énormes bottes taillées dans toute la longueur du cuir » 5 et devant marcher prudemment, de peur de s’envaser dans le marécage !

Suite réservée au membres inscrits ...

4.2. Des tableaux de chasse impressionnants

4.3. Une passion transmise de père en fils

4.4. Une exploitation maximale de la nature

NOTES

1. DAUDET, 1895, p. 321-322.

2. affûts : « nous désignons sous le nom d’affût l’endroit où le canard mange » Léon Manse.

3. remise : « on appelle remise l’endroit où le canard dort toute la journée et où à l’abri de tout mauvais temps, et de tout bruit, il peut se reposer tranquille en attendant l’heure où il doit retourner le soir au marais pour y prendre sa nourriture » Léon Manse.

4. DAUDET, 1895, p. 316.

5. DAUDET, 1895, p. 314.

6. Permis de chasse : « Le code de la chasse est créé par décret du 3 mai 1844, instituant alors le permis de chasse. Celui-ci est délivré par la préfecture contre paiement d’un droit de quittance dont le montant, d’abord élevé, baisse progressivement au cours du siècle. » (CESAR, 2016, p. 16).

7. Mairie de Lunel-Viel, 1994.

8. Raoul Dussol a dessiné la carte postale de la page de garde.

9. BELLECROIX, 1886, p. 230.

10. BELLECROIX, 1875, p. 75.

11. BELLECROIX, 1886, p. 6.

12. MILLET-ROBINET, 1911.

13. gibier à plumes : tel qu’indiqué dans le Manuel, alouettes, grives, merles, caille, bécasse, bécassine, vanneau, gelinotte, pluvier, canard, sarcelle, poule d’eau.

14. MILLET-ROBINET, 1911, p. 472.

15. CÉSAR, 2016 ; FLORENÇON, 2003.