Une transmission familiale de l’amour de la nature
Du parc à la nature sauvage chapitre 3.
Une transmission familiale de l’amour de la nature
Étude réalisée par
Isabelle CELLIER, anthropologue
avec la contribution de :
Jean-Louis GIRARD, historien du village
Claude RAYNAUD, archéologue
Maëlle BANTON, géographe
p. 31 à 46
Comme Paul Manse, les bourgeois s’organisent en effet au XIXe siècle une vie en dehors de la ville, en bâtissant ou en transformant des propriétés viticoles en châteaux qu’ils utilisent comme « folies » destinées en premier lieu à montrer leur réussite mais dédiées aussi à l’assouvissement de leurs plaisirs campagnards. Parler des aménagements immobiliers et paysagers ne suffit donc pas à rendre compte de l’utilisation de ce lieu qui, outre son exploitation agricole fut, avant de devenir habitation principale, un lieu de villégiature. Chasser et inviter les amis à des parties de chasse en fait pleinement partie, tout comme, dans le cas de l’épouse de Paul Manse, s’occuper de botanique, ou dans celui de son fils Léon, pratiquer l’ornithologie et de son petit-fils Bernard, se passionner pour la bouvine.
Si l’attrait pour la nature et la culture camarguaise de sa femme a été déduit de nos investigations et confirmé par la correspondance qu’elle échangea avec son petit-fils, une profusion d’archives rend compte des pratiques de la chasse (essentiellement du temps de Léon Manse et de son fils Paul) et de l’ornithologie : correspondance adressée à divers spécialistes sur l’ornithologie et la chasse, annotations dans les livres de comptes et semainiers, cahiers de tableaux de chasse de 1922 à 1947, permis de chasse de Léon Manse de 1893 à 1932, mais aussi photos réunies et annotées dans un album qui révèlent les moments, les lieux, les pratiques et les personnes qui y participent. Recueils de poèmes, lettres, extraits d’articles de journaux, une centaine de cartes postales dont six écrites de sa main aident par contre à parler de la passion de Bernard de Montaut-Manse pour la bouvine et la Camargue.
Ce chapitre fera une large part à la parole de ces propriétaires bourgeois à travers de nombreux extraits de leurs correspondances et poèmes qui, en permettant de partager leur vécu, apportent des réponses quant à leur rapport à la nature sauvage.
3.1. Un amour de la nature transmis par une femme érudite
Si l’envergure de Paul Manse lui permit de mener une vie professionnelle brillante (avocat puis juge renommé à la Cour de Nîmes) et de transformer le domaine dont il avait hérité en château ceint d’un magnifique parc renfermant une orangerie assez remarquable pour lui valoir d’être classée monument historique un siècle plus tard, sa femme Marie, née de Cabissole, semble n’avoir rien eu à lui envier.
Issue d’une famille de vieille noblesse du Vaucluse, elle tint les rênes du domaine à la mort de son mari vu le jeune âge de son fils, puis à nouveau pendant la guerre de 1914-1918 lorsque ce dernier fut mobilisé. Période où elle dut assurer une gestion rendue extrêmement difficile par le manque d’hommes 1. Femme de ressources, un simple regard sur l’écriture qu’elle déploie sur les cahiers de comptes est révélateur. (Fig. 14) De hauts jambages lui servent à souligner chaque compte récapitulatif non pas d’un mais de trois traits qui montrent la vigueur avec laquelle elle écrase sa plume et révèlent un tempérament énergique dont l’autorité ne semblait pas devoir être mise en cause !
La nombreuse correspondance qu’elle prit le temps d’entretenir avec les membres de son personnel mobilisés pendant la guerre montre cependant une figure dépassant le statut de patronne du domaine pour y prendre une véritable place matriarcale. Un rôle de mère qu’elle assuma pleinement avec son fils Léon et son petit-fils Bernard (fils de sa fille Éveline, plus communément appelée Eva), qu’elle éleva dès l’âge de six ans à la mort de sa mère. Elle leur transmit son amour de la culture provençale et de la nature, comme Léon allait plus tard le transmettre à son fils Paul. Outre la chasse qu’ils pratiquèrent tous les trois parfois à outrance, cet amour des terres camarguaises fut en effet assez fort pour amener les deux enfants qu’elle avait éduqués, son fils et Bernard, à pratiquer l’un l’ornithologie et l’autre la bouvine. Au vu de ces passions, et surtout au travers du contenu de certaines cartes postales, on comprend que son tempérament autoritaire l’amena non seulement à le leur transmettre mais aussi à véritablement les y conditionner, surtout en ce qui concerne son petit-fils.
La correspondance de son fils Léon ne concerne pas en effet cette transmission, par contre elle est clairement évoquée par Bernard de Montaut-Manse dans ses poèmes.
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3.2. Un chantre de la Camargue
3.3. Un ornithologue amateur reconnu
NOTES
1. CELLIER, GIRARD, RAYNAUD, 2018.
2. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 9-11.
3. biou : taureau de race camarguaise.
4. manade : troupeau libre de taureaux, de vaches ou de chevaux conduit par un gardian, notamment en Camargue.
5. « Durant tout le XIXe siècle, les enjeux de l’éducation des filles sont simples : les préparer à une vie domestique exemplaire. Les enseignements sont donc orientés pour leur apprendre à tenir une maison et diriger les domestiques. Elles apprennent également les honneurs d’un salon et pratiquent toutes sortes d’arts d’agrément tels que le piano, la danse, la peinture ou la broderie. À cela s’ajoutent l’apprentissage de la conversation, de la littérature et des rudiments de langues étrangères. » (CÉSAR, 2016, p. 31).
6. BARTHE-DELOIZY, 1998.
7. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 13.
8. Collège Stanislas : institution fondée par l’abbé Liautard en 1804 et élevée au rang des collèges royaux de l’Université de France en 1821. Fréquenté par Charles de Gaulle en 1908-1909.
9. gardian : gardien de la manade à cheval.
10. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 43.
11. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 111.
12. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 115.
13. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 181.
14. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 17.
15. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 91-93.
16. JULIAN, FONTAN, 1924, p. 539.
17. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 89.
18. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 103.
19. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 111.
20. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 123.
21. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 38-41.
22. trident : instrument du gardian et du manadier, il est composé d’un long manche en bois et de trois pointes en fer à son extrémité.
23. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 103.
24. GAYOT, 1850, p. 14.
25. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 189.
26. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 117.
27. Le Marquis Folco de Baroncelli-Javon, manadier et écrivain français, disciple de Frédéric Mistral et majoral du Félibrige, est considéré comme « l’inventeur » de la Camargue. Il a exploité ses traditions et en a instauré de nouvelles.
28. Mas de Tamaris : mas que la famille Manse possédait sur la route d’Arles à Aigues-Mortes.
29. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 123.
30. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 39.
31. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 99-101.
32. afición : passion de la culture taurine.
33. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 81.
34. JULIAN, FONTAN, 1924, p. 537.
35. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 99.
36. casqueton : casque de gardian.
37. ferrade : marquage des taureaux et chevaux au fer rouge à l’emblème de la manade à laquelle ils appartiennent.
38. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 29.
39. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 33.
40. sauvagine : ensemble des oiseaux sauvages des zones aquatiques.
41. flamants roses : l’espèce est protégée depuis le 17 avril 1981.
42. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 93.
43. DE MONTAUT-MANSE, 1913, p. 113.
44. LÉVI-STRAUSS, 1962.
45. HARRIS, 1998.