Châteaux anciens, tours et métairies nobles Journaux et périodiques en Roussillon

Châteaux anciens, tours et métairies nobles

[Texte intégral]

Frédéric Mazeran et Jacques Nougaret (sous la direction de). Châteaux anciens, tours et métairies nobles, Tome 1 Béziers et le biterrois. Éditions le Chameau malin, Béziers, 2020, 587 pages.

Disons-le tout net, ce catalogue scientifique de demeures anciennes est une idée excellente. Tous les textes ne sont pas originaux, mais peu importe, ce regroupement est fort utile. Et au détour du cheminement qui nous est proposé, on fait de belles rencontres. La grange hospitalière des Brégines « aux portes de Béziers » est parmi celles-ci, avec son logis XVe. Ou encore le château de Lespignan dont la tour attribuée au XIIIe siècle rappelle des édifices rencontrés à Gignac ou Bédarieux. Les richesses de Sauvian, son château en particulier, et ses métairies méritent cette étude. Les décors muraux peints du début du XVIIe siècle du château de Perdiguier à Maraussan, qui déjà en lui-même ne manque pas d’intérêt, c’est le moins que l’on puisse en dire, laissent le lecteur comme étourdi. Le château de Savignac à Cazouls-lès-Béziers, sans doute unique en Languedoc, et dont l’évolution entre le XIIIe et le XVIIe siècles est commentée, conduit à la réflexion historique.

Doit-on multiplier les exemples ? Le château de Lignan-sur-Orb, ou la tour sur butte au domaine d’Aspiran Ravanès à Thézan-lès-Béziers, le castrum de Murviel et cette métairie de Sagnes à Béziers étudiée entre le XVIIIe et le XIXe siècle. Certains sont la synthèse de travaux d’équipe sur la longue durée. Ainsi en va-t-il de l’étonnant fort de Valros (V. Vassal) ou des châteaux de Villeneuve (Y. Manniez), et d’autres encore.

Châteaux anciens Tours et Métairies
Châteaux anciens Tours et Métairies

Petites et grandes richesses patrimoniales se côtoient dans cet ouvrage (voyez les panneaux de papier peints du XVIIIe au Château de Puimisson ou les décors peints du XIXe dans le château de Sauvian) et ouvrent le champ d’immenses recherches heureusement déjà bien avancées par les chercheurs de ce livre et au premier rang d’entre eux Fréderic Mazeran. Ce dernier a écrit ou participé à plus de 60 % des 53 notices qu’il présente avec soin dans un travail de qualité (intérêt des plans, des croquis, de l’analyse architecturale, etc.) qui certes est plus ou moins avancé selon la disponibilité de la documentation et …du chercheur. Mais nul ne songerait à le lui reprocher. La liste des sites ouvre d’ailleurs sur un article de synthèse, dont il est l’auteur, comme une introduction patrimoniale, déjà publié dans le n° 10 de Patrimoine Sud en 2019, et qui soulève le problème de l’évolution des châteaux entre le XVIe et le XVIIe siècle.

On peut toujours discuter de l’intérêt de quelques notices au contenu encore peu élaboré, elles ont le mérite de signaler l’édifice, c’est important. Et cet ouvrage vise-t-il l’exhaustivité ?

Pointant tout l’intérêt de cette édition, très ambitieuse, répétons-le, on regrettera cruellement l’absence de cartes de situation de ces châteaux. De même le parcours depuis Béziers et les grands axes routiers (voir la laborieuse explication des pages 40 et 41) n’est guère satisfaisant. On aurait pu décider une approche en zones géographiques, chronologique ou plus prosaïquement par ordre alphabétique des communes. Mais le choix présent, qui relève davantage d’une ébauche de démarche touristique sans repère cartographique, ne nous parait pas satisfaisant car peu commode ni éclairant.

C’est l’édition de cet ouvrage qui n’est pas des plus satisfaisantes. Le copier-coller des notices des auteurs n’a pas conduit l’éditeur à rechercher une quelconque harmonisation des références. La bibliographie générale patrimoniale aurait gagné à être référencée en notes et présentée de façon autonome. Ce ne sont pas les pages 18-20, principalement historiques, qui sauvent la mise.

L’absence d’index historique nuit. Il n’y a pas plus de crédits photographiques pour l’ensemble de l’œuvre, ce qui est moins gênant car ils sont portés sur presque tous les clichés. Ceux-ci sont généralement légendés, mais avec quelques oublis (voir par exemple pages 192, 193 ou encore 213, 377, etc.).

Ces aspects concourent malheureusement à diminuer la portée du projet. Y aurait-il une démarche utopique que d’espérer davantage d’harmonie et de cohérence dans la présentation de chacune de ces notices ? C’est encore un réel travail éditorial.

Cette approximation éditoriale ne doit pas relativiser le plaisir réel qui se dégage de la lecture de ces notices, ni gâcher les remerciements que l’on doit au travail des chercheurs. La recherche locale s’épanouit et c’est tellement essentiel. On nous annonce un tome 2 de cet inventaire, car la richesse monumentale le justifie, gageons que ces difficultés y seront corrigées. Nicolas Faucherre dans sa préface s’est dit happé de surprise en (belle) surprise. C’est bien l’effet produit par ces monuments encore trop mal connus et que cet ouvrage concourra à sortir de l’ombre lorsque c’est nécessaire.

Michel-Édouard BELLET

Journaux et périodiques en Roussillon

Bonet (Gérard), Landelle (Marie) et Souche (Madeleine) (éds), Aperçus de la presse roussillonnaise. Diversité et mutations 1870-2020, Actes du 4e colloque de l’Association pour la promotion de l’histoire dans les Pyrénées-Orientales, Publications de l’Olivier, Perpignan, 2020.

Les épidémies bouleversent l’ordre des choses : la Covid-19 nous en fournit un exemple inattendu, en faisant publier les actes d’un colloque avant même la tenue de celui-ci qui, prévue à la mi-novembre 2020, a dû être reportée à des jours plus ouvrables. Faute de rencontres et d’échanges in vivo, voici donc 300 pages de lectures foisonnantes proposées par un aréopage catalan autour du thème fédérateur de la presse locale. Historiens, journalistes, bibliothécaires ou éditeurs ont œuvré à la présentation des périodiques roussillonnais depuis les débuts de la IIIe République, dans leur diversité rédactionnelle comme dans leur évolution technologique.

Avant même d’entrer dans le détail de ces communications, je crois nécessaire de s’attarder sur la philosophie de l’entreprise. Ces Actes sont le produit de la volonté têtue, du courage – et très certainement, de l’abnégation – d’un petit nombre de personnes vouées à la recherche historique et à sa diffusion, dans des associations que l’on devine fragiles et qui n’en persévèrent pas moins bon an mal an dans les missions qu’elles se sont données. Rien d’original, pourra-t-on penser, et de telles situations se retrouvent à l’identique un peu partout en France. Certes, mais en parcourant ce volume élégamment présenté et bien illustré, on ne peut manquer de pointer la part immense qui revient à l’activité de longue haleine des deux associations qui ont cultivé depuis des années ce domaine de l’histoire des médias. En introduction, Madeleine Souche, qui fut professeure d’histoire à l’Université de Perpignan-Via Domitia, présente l’APHPO, « petite association départementale fondée en 1998 », dont l’activité la plus marquante est l’organisation, difficilement régulière, de colloques sur des thèmes d’histoire économique et sociale. L’invitation à visiter le site de l’association (http://www.maison-histoire-aphpo.fr/) confirme la diversité des activités et des centres d’intérêts, entre conférences, expositions ou colloques. Elle offre aussi plusieurs dizaines d’articles, qui s’évadent à l’occasion du périmètre départemental, mais reflètent bien le travail original des chercheurs, professionnels ou amateurs réunis autour de la mise en valeur d’un patrimoine d’archives tant publiques que privées. Quant à l’autre pilier de l’entreprise éditoriale de ce colloque, il s’agit des Publications de l’Olivier, maison d’édition associative sise à Pézilla-la-Rivière (https://mediterranees.net/olivier/index.html). Une équipe d’enseignants, d’écrivains et de professionnels du livre s’est groupée autour de Gérard Bonet, porteur de multiples casquettes : celles d’historien, de journaliste et, donc, d’éditeur. L’Olivier de Gérard Bonet a publié une cinquantaine de titres en trente ans, tous ancrés dans la terre catalane, qu’il s’agisse de littérature (fictions, poésie, ou analyse critique) ou d’histoire régionale. Dans ce dernier domaine, plusieurs ouvrages importants comme la biographie d’Etienne Arago ou la thèse de l’historien australien Peter McPhee sur la Seconde République dans les P.-O. Mais aussi la thèse de G. Bonet lui-même, sur un siècle d’histoire du quotidien perpignanais L’Indépendant des Pyrénées-Orientales. L’intérêt et la compétence de l’auteur dans le domaine se manifeste aussi avec la publication, entre 2004 et 2008, des actes de journées d’études consacrées aux divers aspects du monde de la presse : journaux, papier, impression, typographie, gravure… On voit que le colloque de 2020 vient couronner de nombreuses années de recherche et de réflexion ! Qui mieux que lui pouvait organiser une telle réunion, puisqu’il ouvre les Actes avec une copieuse histoire de la presse quotidienne à Perpignan de la Troisième République à nos jours, et les clôt avec un essai de bibliographie sur la presse, l’imprimerie et la librairie dans les Pyrénées-Orientales.

Aperçus de la presse roussilonnaise
Aperçus de la presse roussilonnaise

Ces Aperçus de la presse roussillonnaise rassemblent une quinzaine de communications organisées selon une grille inutilement complexe qui mêle monographies de titres, approches thématiques, évolutions techniques, sous formes d’analyses historiques ou de témoignages de journalistes. Une dernière partie inventorie les lieux « ressources » à l’usage des chercheurs et curieux. Sont ainsi présentés les fonds de la Bibliothèque universitaire de Perpignan, de la BNF à Paris, et surtout de la Médiathèque de Perpignan, dont le travail de collecte et de numérisation est détaillé par Marie-Andrée Calafat.

Venons-en maintenant aux contributions analysant les périodiques nord-catalans. Le vaste panorama synthétique présenté en ouverture par Gérard Bonet fait très utilement le bilan de quelque 150 ans de journaux perpignanais d’information générale et politique, en prenant soin à chaque étape de les situer dans l’évolution nationale de la presse. 

À partir des lois régissant la presse dans les dernières années du Second Empire, le constat d’une dynamique émancipatrice favorisant la prolifération des journaux d’opposition se manifeste particulièrement dans les Pyrénées-Orientales. L’auteur montre qu’en 1882, l’existence de six quotidiens à Perpignan, pour une ville de 31 000 habitants – le département ne dépasse pas les 210 000 – a un caractère exceptionnel, qui met le chef-lieu des P.-O. devant nombre de grandes villes de province démographiquement bien plus importantes. La prolifération de feuilles concurrentes, fragiles par nature, conduira à un tassement progressif des quotidiens locaux : ils ne sont plus que 2 en 1914, l’Indépendant des Pyrénées-Orientales, infléchi au centre-droit, et le monarchiste Roussillon qui tire à 1 000 exemplaires. G. Bonet insiste aussi sur l’apparition des journaux à éditions multiples avec informations locales permettant de couvrir plusieurs départements, selon la stratégie commerciale lancée par le Petit Méridional de Montpellier dès 1882. Ce phénomène de concentration des journaux de province se poursuit entre les deux guerres tandis que croît le tirage des titres survivants. Sous l’Occupation, la baisse du nombre total des titres se poursuit, en dépit de quelques créations, telles que celle de Midi-Soir lancé à Perpignan en novembre 1941, à l’initiative de l’Indépendant pour mieux contrer les journaux de Toulouse et Montpellier. À la Libération, de nouveaux titres viennent remplacer la presse en place sous Vichy, tel le Républicain du Midi, installé dans les meubles de l’Indépendant, et suivi du Cri du Soir, socialiste, lancé par Henri Noguères. Gérard Bonet termine son exposé sur la position monopolistique du Journal L’Indépendant depuis 1980 (alors diffusé à 75 000 exemplaires). Les 40 dernières années sont marquées par les grandes manœuvres entre groupes de presse, Midi Libre, le Monde, la Dépêche, pour la maîtrise du journal.

La presse d’arrondissement, caractéristique de la IIIe République, est illustrée par l’étude de Denis Corratger sur les débats politiques à Prades durant le premier tiers du XXe siècle. Sur des marchés aussi restreints, ce sont des hebdomadaires qui permettent de diffuser la parole des courants politiques, en particulier lors des multiples campagnes électorales, depuis les municipales jusqu’aux sénatoriales. Le recours à des tribunes publiques est d’autant plus nécessaire qu’augmentent les risques de confusions entre les multiples courants qui agitent républicains, radicaux et socialistes. Ces phases de la vie politique donnant lieu à des duels violents exigent la présence d’au moins deux organes de presse. En l’occurrence, durant la décennie 1880, le Canigou, lancé en 1879, et le Progrès, piloté par l’Indépendant dès 1882 jusqu’en 1890. Un autre antagonisme est créé en 1905 avec la Montagne qui vient rompre des lances avec le Canigou. Le personnage central des débats est alors Emmanuel Brousse, le patron de l’Indépendant qui emporte le siège de député de la circonscription de Prades. Après la guerre, c’est pour l’auteur « la fin de l’âge d’or » de la presse pradéenne. Le Canigou joue la carte de l’hebdomadaire départemental, en concurrence au Cri Catalan du socialiste Jean Payra. Il n’y a plus véritablement de place pour une publication autonome infra-départementale.

Sous l’étiquette « Témoignage », Jean-Marie Philibert présente un tableau équilibré, à la fois passionné et rigoureux, de l’hebdomadaire communiste Le travailleur catalan (TC) dans lequel cet ancien enseignant est chroniqueur. Le TC est un rejeton détaché du Travailleur du Languedoc, organe régional du PCF qui « ne devait sans doute pas exactement correspondre aux ambitions des communistes des Pyrénées-Orientales ». L’auteur détaille l’ancrage du journal dans une catalanité revendiquée par-delà la frontière. On sait les difficultés de la presse communiste, mais le TC perdure depuis plus de 80 ans, et parvient à alimenter ses 12 ou 16 pages hebdomadaires grâce à une équipe de collaborateurs bénévoles (le seul salarié est la maquettiste) chapeautée depuis 1967 par une SARL comprenant une cinquantaine d’actionnaires, et s’appuyant sur une association très active d’Amis du TC. Cet engagement bénévole généralisé, et une organisation technique éprouvée, permettent ainsi de subsister avec un chiffre d’affaire (2017) de 160 000 €. Le TC peut ainsi servir d’exemple dans un monde de la presse écrite bien souvent en crise.

Autre monographie, autres témoignages : ils concernent La Semaine du Roussillon, sous la plume de deux de ses journalistes, Antoine Gasquez et Philippe Becker. Le propos est court, mais le lecteur pourra comparer les destins bien différents du TC et de cet hebdo né en 1996 en vue de jouer le rôle du Canard enchaîné local. Faute d’arrimage à un parti politique historique, la Semaine est très rapidement confrontée à des difficultés financières insurmontables qui provoquent son rachat par L’Indépendant. Son destin dépend alors des regroupements successifs de la PQR méridionale entre Midi Libre et Dépêche, jusqu’à son « lâchage » par le groupe de la Dépêche. De nouveaux investisseurs lui permettent de repartir en 2009. Désormais, les 48 pages de la Semaine couvrent l’ensemble de l’actualité locale, depuis les faits divers jusqu’aux dossiers sur les sujets de société, en passant par l’actualité culturelle ou politique.

À côté de la presse généraliste, plusieurs contributions se penchent sur des publications spécialisées, qu’elles soient d’ordre professionnel ou corporatiste. C’est ainsi que Jean Dauriach, après avoir rappelé la profusion de titres consacrés à l’agriculture, dans la seconde moitié du XIXe siècle et jusqu’en 1945, s’attache à l’histoire de L’Agri des Pyrénées-Orientales, né en 1947, dont il fut rédacteur en chef. Lancé par des ingénieurs agricoles, l’hebdomadaire représente la Centrale, coopérative d’achats, et se fait la voix de la coopération et du syndicalisme professionnel. Au début des années 60, l’Agri s’implante dans l’Aude, et renforce ainsi son influence dans les milieux viticoles, en particulier à la CGVM. Plus tard, le journal élargit son horizon : outre le Crédit Agricole, les Chambres d’agriculture ou la MSA, on y voit apparaître les Foyers Ruraux, ou encore la Fédération de chasse des P.-O. Dans les années 80, les 12 ou 16 pages de l’Agri sont tirées à 13 000 exemplaires sur les presses de l’Indépendant. Dans ces mêmes années 1980, le journal prend le virage de la modernité : nouvelle maquette, introduction des illustrations et de la couleur, et ce toilettage est renouvelé en 2014, soulignant ainsi la vitalité de la publication.

Dans ce domaine de la presse professionnelle et syndicale, Georges Sentis s’intéresse au mensuel de la CGT, L’Action Syndicale, jusqu’à sa disparition en 1948. Dans un très copieux exposé, l’auteur détaille la vie mouvementée de la CGT départementale et de son porte-parole mensuel, né en 1894 sous le titre La Bourse du Travail, et qui dans les premières années du nouveau siècle, sous l’influence grandissante des socialistes et des anarcho-syndicalistes, prit son titre définitif en 1911. De fait, et faute très probablement d’archives suffisantes, la vie du journal s’estompe au profit du récit des soubresauts et des conflits internes entre tendances au sein de l’appareil syndical. L’Action Syndicale est d’ailleurs peut-être moins l’enjeu que le jouet des luttes de tendances.

Ainsi, son interruption dans les premiers mois de la Grande guerre masque la crise interne due à l’abandon du pacifisme d’origine et au ralliement à « l’Union sacrée », défendue au cours de quelques numéros parus au printemps 1915. Mais les dissensions ont raison du journal qui disparait jusqu’à la fin de la guerre. Pendant tout l’entre-deux guerres, l’Action Syndicale représente le courant majoritaire de la CGT réformiste et socialiste opposée à la CGTU procommuniste, sous la houlette de Joseph Berta, patron de l’Union départementale CGT et de la Bourse du Travail.

Le travailleur catalan

Cependant la réunification de la CGT et de la CGTU en 1937 conduit à un renversement de majorité au sein de l’union départementale au profit des communistes : Joseph Berta rapatrie alors le journal sur la seule Bourse du travail de Perpignan (qui en est d’ailleurs la propriétaire). De même, le journal semble rester peu disert à propos de la guerre d’Espagne toute proche. Celle-ci est l’occasion de tensions entre la politique de non-intervention à laquelle s’est ralliée la CGT et les aides humanitaires développées par les syndicalistes nord-catalans. L’indistinction par l’auteur entre histoire syndicale et histoire du journal syndical se manifeste de même pour la période de l’Occupation. G. Sentis note que dès la « drôle de guerre » l’épuration des cadres communistes de la CGT permet à Berta de reprendre les rênes de l’Union départementale, et que dans le même temps, l’effondrement du nombre de syndiqués provoque la disparition de l’Action Syndicale au printemps 1940. Celle-ci ne reparaîtrait, semble-t-il, qu’en octobre 1944 après la libération de Perpignan. Pendant ces quatre années de silence, l’auteur continue de retracer les aléas de l’action clandestine des syndicats dissous par Vichy ainsi que des institutions maintenues telles que la Bourse du travail. Il eût été intéressant de se demander pourquoi Vichy n’avait pas aidé Joseph Berta à maintenir en vie l’Action Syndicale, par l’entremise du ministre du travail René Belin, ancien dirigeant de la CGT. Tout comme on peut se demander pourquoi les syndicats illégaux n’ont pas repris le titre à leur compte dans la presse clandestine. L’Action Syndicale n’a-t-elle jamais réussi à s’imposer durablement comme vecteur de communication de la CGT, ainsi que le suggère Georges Sentis dans sa conclusion, ou bien faut-il penser que la vie syndicale est trop cahoteuse ? La question reste ouverte aux historiens.

Une dernière monographie concerne une revue emblématique des pays catalans, Tramontane, née pendant la première guerre mondiale à l’initiative de Charles Bauby, jeune poète qui n’a pas encore vingt ans. La revue mensuelle – mais qui au fil du temps et des difficultés économiques deviendra trisannuelle (ou trimestrielle ?) – ouvre ses pages à des collaborateurs très divers qui lui permettent de couvrir tous les domaines de la littérature et du patrimoine au sens le plus large. En ce sens Tramontane est le lieu de ralliement des amoureux de la langue et de la culture du Roussillon ainsi que de la diaspora catalane. Mais plus qu’une histoire de la revue, qui reste à faire, Jean-Louis Roure nous propose une évocation mémorielle qui vagabonde sans toujours éviter digression (beaucoup de place accordée aux encarts publicitaires !) et redites.

Le même auteur s’empare d’un thème alléchant, celui de la place, très variable, accordée aux activités sportives dans la presse perpignanaise à la jointure des XIXe et XXe siècles (1884-1914). Soit l’époque d’apparition des sports modernes et de leur développement avant la Grande guerre. Jean-Louis Roure passe ainsi en revue très rapidement une vingtaine de journaux, certains couvrant toute la période de référence, comme L’Indépendant ou Le Roussillon, mais la plupart n’ayant eu qu’une existence assez brève. Il est évident que les journaux antérieurs à 1895 ou même 1900 ont peu d’occasions de parler des sports encore embryonnaires, et que leur intérêt éventuel pour les exercices physiques se porte surtout sur la gymnastique et les sociétés de tir à visée patriotique. Plus peut-être que l’Indépendant, le grand quotidien qui couvre l’ensemble de l’actualité et donc tout naturellement la vie des diverses associations sportives, le Roussillon présente un profil intéressant. Journal monarchiste et socialement élitiste, il est, nous dit l’auteur, « le premier à avoir publié les règles officielles du rugby à XV (…) et très vite le premier à décrier ce sport ». De fait, ses sympathies se portent sur les activités patriotiques, et comme on peut s’y attendre, sur des sports plus confidentiels tels que l’escrime et les concours hippiques. À noter aussi quelques feuilles qui s’intéressent à la tauromachie, telles que Le Petit Catalan ou La Vie publique, ou encore Le Réveil Catalan qui soutient le Club Alpin Français. À partir de 1900, le rugby occupe une place prépondérante dans la plupart des journaux, au fur et à mesure de la montée en puissance des clubs perpignanais. Dans la presse divisée politiquement entre les multiples courants partisans, le rugby peut aussi être un « marqueur » social : « L’ASP, c’est les chapeaux, le SOP, c’est les casquettes ». En conclusion de ce panorama, Jean-Louis Roure peut écrire « qu’il n’y a pas eu de presse sportive proprement dite à Perpignan sous la IIIe République entre 1880 et 1914 », mais des journaux qui sont passés progressivement des entrefilets sur le sport dans la page locale à une page sportive consacrée à l’actualité ou à des réflexions de fond. « Le plus large dans l’accueil fut l’Indépendant, les autres étant parfois discriminants pour des raisons idéologiques, politiques et parfois sociales simplement ». L’auteur s’attarde ensuite sur deux titres particuliers, Le Cri catalan, né en 1909 et Le Coq catalan (à partir de 1917), dominés par la personnalité d’Albert Bausil. Le premier, fondé par Jean Payra qui fut des premières équipes de rugby du collège de Perpignan, s’inscrivait dans la tradition des sportsmen du XIXe siècle, passionnés par tous les sports pourvu qu’ils fussent modernes – et au premier chef le rugby. Bausil, qui se multipliait sous divers pseudonymes, fit du Cri un quasi journal sportif, étant le premier dans le département des Pyrénées-Orientales à créer un style narratif spécifique. En 1916, Payra se sépara de Bausil pour faire du Cri catalan un support de communication pour sa carrière politique au parti socialiste. Bausil continua donc son soutien au rugby dans Le Coq catalan, dont il fit un porte-drapeau du catalanisme, et qu’il mena jusqu’en 1941.

Enfin, Madeleine Souche étudie les journaux de ce mouvement de masse que sont les associations d’Anciens Combattants entre les deux guerres (la Confédération nationale compte 3 500 000 cotisants en 1932). Dans les Pyrénées-Orientales, deux publications se partagent les Anciens combattants catalans : La Voix des Poilus, née en 1925 après l’échec de diverses tentatives, est l’organe de l’Union fédérale des Associations d’AC (UF), animé par une petite bourgeoisie majoritairement socialiste. Quant à La Voix du Combattant méridional, elle représente les adhérents de l’Union Nationale des Combattants (UNC), organisation beaucoup plus centralisée et d’inspiration démocrate-chrétienne orientée à droite. Sa déclinaison catalane date de 1927, et couvre aussi les départements de l’Aude et de l’Hérault. Le journal est installé à Amélie-les-Bains où réside son directeur Louis Hoffmann, que La Voix des Poilus accuse régulièrement de ne pas être un vrai ancien combattant. Madeleine Souche insiste sur les rivalités entre les deux journaux, tout en mettant en évidence une communauté d’objectifs, et une similitude de fonctionnement : « culte des morts, 11 novembre et inauguration de monuments aux morts, organisation des fêtes collectives, banquets, cargolades, excursions, décorations, décès, mariages, naissances ». D’inspiration pacifiste, la presse des Anciens Combattants se focalise, dans les années 30, sur les questions économiques qui mettent en danger leurs droits, et sur les menaces que l’Allemagne fait planer sur la paix. Des divergences stratégiques se manifestent entre les deux journaux, par exemple sur le bilan de la SDN, mais l’auteur ne peut pousser plus loin cette analyse, faute de collections suffisantes aux Archives départementales.

Nous terminerons cette recension avec deux témoignages de journalistes perpignanais, l’un sur l’évolution technique de l’impression à L’Indépendant, et l’autre sur l’information locale au temps d’Internet. Rémy Calavera détaille dans un article très illustré la longue cohorte de machines et de procédés techniques qui ont successivement permis l’impression, d’abord à la page, puis en continu sur des bobines de papier : la première rotative est installée en 1901, et les modèles de plus en plus performants se succéderont jusqu’aux années 70. C’est alors l’abandon de la composition typographique au profit de la photocomposition, puis vers 1976 l’apparition de la rotative offset. Il est à noter que les innovations techniques dans toute cette période des années 70 sont commandées par les exigences des diffuseurs de publicité dans le journal (la couleur en particulier). Une dernière rotative, fortement informatisée et très innovante est installée en 1996 dans un local approprié à Rivesaltes, avant d’être transférée à St Jean de Védas en 2004 pour y produire les différents journaux du groupe : Midi Libre, L’Indépendant et Centre-Presse de Rodez. Quant à Nicolas Caudeville, journaliste-blogueur sur Internet, il rappelle dans une rapide frise chronologique la succession des technologies liées à l’informatique et à internet qui aboutissent à « un changement de paradigme dans la production, la diffusion et la perception de l’information ». Les conséquences sur les médias locaux sont évidentes. La presse traditionnelle : journaux tels que L’Indépendant ou Le Travailleur Catalan, stations de radio (France Bleu Roussillon…) ou chaines de télévision (FR3 Pays catalan) sont également reçus sur internet, en édition numérique ou en podcast. Mais Internet a surtout permis l’éclosion de nouveaux médias d’information conçus spécialement pour la toile. Ce sont des sites qui donnent une nouvelle vitalité à la presse d’opinion : ainsi du blog L’Archipel contre-attaque qui propose depuis 10 ans une vision particulière de l’actualité perpignanaise. Cette nouvelle situation conduit l’auteur à s’interroger sur la question complexe de l’archivage et de la mémoire numérique des données véhiculées par ces nouveaux médias d’information.

Au terme de la lecture de ces Actes, et malgré leur richesse et la diversité de leurs approches, il est difficile de ne pas ressentir une certaine frustration : mais c’est la loi du genre ! Pourquoi s’attarder sur tel titre, et non sur tel autre peut-être plus important ? Mais ces regrets sont à la hauteur des attentes suscitées par l’intérêt pris à la lecture de ce que nous ont proposé les auteurs ici réunis. Et il n’y a pas que des regrets, mais aussi des questions que font naître les aspects ainsi dévoilés de cette presse roussillonnaise, et qui appellent de nouvelles recherches. Pour suivre les réflexions de Jean Sagnes dans ses quelques pages conclusives, on peut s’interroger sur la discordance entre les revendications maintes fois aperçues de « particularisme catalan » et l’absence de journaux utilisant la langue catalane. C’est, semble-t-il bien, le cas dans le passé et en particulier en ce XIXe siècle qui fut celui du catalanisme à Barcelone et de Mistral en terres d’oc. D’où le regret de ne pas voir étudiée La Nova falç née dans les années 1970 en pleine période de revendications autonomistes régionales. L’autre regret concerne évidemment l’absence du Coq catalan et d’Albert Bausil, à peine effleurés par Jean-Louis Roure. Mais dans ce dernier cas, le déficit est plus profond puisqu’il semble bien que le Coq n’est pas numérisé et donc d’un accès difficile pour les éventuels historiens de ce porte-drapeau de la culture perpignanaise.

Ces Aperçus de la presse roussillonnaise n’en restent pas moins, tels qu’ils sont, un excellent outil de travail : source de réflexions et invitation à prolonger les investigations, tant dans le domaine catalan que dans une perspective comparatiste avec les départements méridionaux.

Guy LAURANS