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Description

Aniane dans la tourmente des guerres de religion

* Conservatrice générale du patrimoine, Directrice des Archives départementales de l’Hérault

Aniane a connu indéniablement son heure de gloire au Moyen Âge avec le rayonnement de son abbaye. Au XVIe siècle, à en croire les érudits, la ville, bourgade de taille moyenne, semble traverser le siècle sans trop de heurts. Les auteurs contant l’histoire locale évoquent essentiellement la prise de la ville à deux reprises par les protestants mais passent assez vite sur les autres faits. A priori, Aniane aurait donc été durant la période des troubles religieux, une petite ville catholique sans trop d’histoire. Or, pour qui a travaillé sur les guerres de religion en Languedoc ou en Rouergue, ce scénario semble peu plausible en regard de la situation de la ville et de la présence de l’abbaye. Le travail de recherche mené alors dans les archives d’Aniane – abondantes mais d’un abord peu facile – tend à vérifier à quel point la bourgade a été atteinte dans son quotidien par ces guerres civiles qui ont déchiré le pays pendant près de 40 ans, en particulier sur la période 1570-1580 la plus riche en documentation et la plus touchée par la guerre. Les archives d’Aniane sont d’une manière générale d’une grande richesse mais cependant lacunaires pour certaines périodes. Aniane est une ville où dès le Moyen Âge des archives consulaires sont tenues et où une véritable tradition « archivistique » est attestée (inventaires d’archives, mention d’archives, cotation…). La collection de comptes consulaires pour les guerres de religion est quasi complète à l’exception de quelques années ou de quelques registres très abîmés (acidité de l’encre, quelques pulvérulences) ; sont conservées aussi plusieurs liasses en sous-série EE (pièces concernant les faits militaires et logement des troupes dont pour l’essentiel pièces justificatives de comptes) mais qui ne commencent véritablement que vers les années 1570. En revanche, on constate une pauvreté des délibérations consulaires puisqu’il n’en existe qu’un seul registre de délibérations succinctes et éparses pour quasiment toute la période, non pas que les autres registres aient disparu, mais bien parce qu’ils n’ont pas été tenus par les consuls : on ne possède donc pas de « récit consulaire » à travers les délibérations ni d’ailleurs d’annales monastiques. Il faut donc aller à la « pêche » aux informations à travers les comptes, qui revêtent alors une importance double, la correspondance ou les récits des mémorialistes du temps (Philippi de Montpellier, le Calviniste de Millau ou Gaches à Castres), ce qui se révèle frustrant notamment pour les éléments très événementiels. De même, il faudrait dépouiller les fonds de manière plus systématique et approfondie, en croisant les sources d’Aniane évoquées avec celles notamment de Gignac et des États.

Le propos du présent article est non pas d’écrire l’histoire événementielle des guerres de Religion à Aniane et sa région (qui reste à faire) mais d’appréhender la façon dont la ville a fait face à cette tourmente sans précédent dans notre histoire (par la longueur des conflits, les violences subies par les populations, les calamités naturelles et la récurrence de la peste) en se concentrant sur la décennie 1570-1580 où toutes les stratégies de soumission, contournement, évitement sont mises en place par les édiles de la ville, période aussi la plus dense dans notre région.

Contexte politique et religieux

Le contexte languedocien

On ne reviendra pas ici sur la chronologie ou l’histoire des guerres de religion en Languedoc. Il faut cependant en souligner quelques traits si l’on veut comprendre la situation d’Aniane.

L’apparition et l’implantation du protestantisme en Languedoc, pays catholique marqué par une forte présence protestante, si on en connaît les facteurs, n’obéit à aucune logique pure. La carte des églises dressées en France montre un croissant protestant allant grosso modo de Genève à la Rochelle et on sait que 80 % de la population protestante de la France (environ 10 % de la population en 1562 moins de 3 % en 1600) réside dans le Midi.

De fait, les guerres de religion dans le Midi ont des caractéristiques propres, marquées essentiellement par le fait qu’il s’agit d’une terre catholique faite de nombreux et parfois importants îlots protestants. La réalité des faits militaires tient plus dans une véritable guerre de coups de main que dans de grandes batailles rangées. On se connaît, on continue à se fréquenter (comme dans la fratrie Montmorency où l’on trouve catholiques et protestants), on s’écrit…

En 1560, les principales églises protestantes du territoire correspondant à l’actuel département sont implantées à Montpellier, Gignac, Montagnac. Montpellier restera peu ou prou protestante, sans pour autant devenir la capitale huguenote de la région, rôle assumé par Nîmes, et dans une moindre mesure par Castres et Millau. En 1598, Montpellier, Gignac et Montagnac sont des places de sûreté données dans les annexes de l’édit de Nantes.

Le Bas-Languedoc est marqué par l’omniprésence du gouverneur, Henri de Montmorency-Damville et l’importance des États – qui n’ont cependant pas le rôle politique du Parlement de Toulouse -, la présence de troupes « régulières » en nombre, ce qui n’est pas forcément le cas en Rouergue ou en Albigeois par exemple.

Le gouverneur Montmorency-Damville a un poids politique et militaire sans précèdent dans la province. Né en 1534 et mort en 1614 près de Pézenas, il est le fils d’Anne de Montmorency, indétrônable gouverneur du Languedoc sous Henri II ; il épouse la petite fille de Diane de Poitiers et est nommé gouverneur du Languedoc en remplacement de son père le 12 mai 1563. En 1566, il reçoit le bâton de maréchal et en 1579 devient duc à la mort de son frère François. Il exerce deux lieutenances extraordinaires qui incluent la Guyenne, Provence, Dauphiné, Vivarais en 1569 et en 1572. Montmorency est l’élément clé et incontournable de ces guerres de Religion en Languedoc, d’abord d’un point de vue militaire et administratif puisque c’est sa fonction première : il décide de la levée des troupes, de l’implantation des garnisons, de la stratégie, octroie les subsides, et tranche toutes les questions dans son camp. Il a aussi eu un grand poids politique : de catholique presque ultra au début des guerres, il devient un « politique », faisant partie des Malcontents en 1574, persuadé désormais que l’éradication du protestantisme ne sera jamais obtenue par la force étant donné la vigueur de son implantation dans le Midi. Il prône alors l’entente, refusant de suivre la Ligue, d’autant plus qu’il voue une haine réciproque à la famille de Guise et qu’il est allié aux Coligny. Grand administrateur plutôt que stratège, charismatique, il écrase tout son camp de son autorité. Rien ne se fait sans son avis. Quand il passe dans le camp des Malcontents en septembre 1574, il entraîne à sa suite, parfois sans vraiment le savoir…, une bonne partie des communautés de la province. Mais le pouvoir du gouverneur en Languedoc est tel que si le roi lui enlève sa lieutenance générale en 1574, il n’ose pas lui retirer son titre de gouverneur.

D’autres personnalités ont été influentes durant cette période. On citera notamment Guillaume de Joyeuse, lieutenant général du gouverneur. Catholique sans concession, il se brouille plusieurs fois avec Montmorency, notamment lors de l’épisode des Malcontents, refusant de s’allier avec les protestants. Malgré son zèle catholique, il refuse de suivre l’exemple de la Saint-Barthélemy parisienne et provinciale, ce que les mémorialistes protestants lui reconnaissent. Sont aussi présents sur le théâtre languedocien Antoine, duc d’Uzès, lieutenant général pour le roi en Bas-Languedoc le temps de la défection de Montmorency, ainsi que son frère Jacques de Crussol, chef pour Condé dans la région ; dans une moindre […](extrait d’article : 2 pages sur 13 (11 illustrations))

Informations complémentaires

Année de publication

2018

Nombre de pages

13

Auteur(s)

Sylvie DESACHY

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf