De l'émission des monnaies « constitutionnelles » à la fermeture de l'atelier monétaire de Montpellier

Le 1er septembre 1791, Louis XVI accepte la nouvelle constitution civile et jure fidélité à la nation et à la loi. À la suite de ce serment, les ateliers monétaires émettent les premières monnaies dites « constitutionnelles ». L’Assemblée Nationale a décrété, le 9 avril 1791, une nouvelle émission à la légende : « LOUIS XVI ROI DES FRANÇOIS », décret qui fut sanctionné par le roi le 15 avril. Un autre décret, du 20 mai, ordonne ce que les flans 1 existant dans les hôtels des monnaies, seront monnayés aux anciens coins, jusqu’à ce que les nouveaux soient envoyés, ce qui provoque une émission simultanée d’espèces au type ancien, et d’autres au type constitutionnel 2.

Le problème de la circulation journalière, des petites transactions, se pose très vite, et le décret du 25 juin 1791 lance une nouvelle fabrication de monnaies en « métal de cloche », dont la confection des flans est confiée à des entrepreneurs particuliers. Parallèlement au ramassage des cloches, nécessaires à cette fabrication, la vaisselle d’or et d’argent provenant des saisies, ou les objets du culte des églises, sont, eux aussi, récupérés, conformément aux lois des 27 mars et 3 juin 1791.

L’Assemblée administrative du département de l’Hérault envoie des « citoyens zélés » à la recherche de ces matières précieuses. Ainsi, par exemple, le 17 août 1791, 285 marcs d’orfèvrerie religieuse 3 sont apportés à l’atelier de Montpellier ; une tournée à Saint-Geniès, Nîmes, Pont-Saint-Esprit, Millau, Romans, Dié, Montélimar, Sommières, Béziers et Montpellier rapporte 2 062 marcs 6 onces 12 grains d’orfèvrerie 4… L’action qui a été entreprise dans le département de l’Hérault en ce qui concerne les monnaies, est rapportée par le compte-rendu de l’Assemblée administrative du 16 novembre 1791. En voici la teneur.

« Le droit de faire battre monnaie est une prérogative, un attribut de la souveraineté ; il n’appartient qu’à la nation d’imprimer sur le métal le signe représentatif de tous les genres de richesse et de la garantie à la foi publique. Mais il est permis aux particuliers de fabriquer la matière des espèces et de les préparer à être monnoyées. En conséquence, nous avons admis tous ceux qui se sont présentés à jouir de cette faculté, sous la condition très prononcée que les flaons qu’ils porteraient à la Monnaie pour y être frappés seraient au titre et du poids requis par la loi du 19 janvier dernier.

Nous avons installé les nouveaux officiers de la Monnaie qui sont chargés de cette vérification, après avoir constaté par un inventaire préalable l’état des registres, la quantité des matières d’or et d’argent qui se trouvaient dans l’hôtel des monnaies de cette ville et la valeur des effets et ustensiles servant à la manufacture de Montpellier. Nous avons mis en usage tous les moyens que la loi nous avait confiés pour en augmenter la circulation. Nous avons fait remettre entre les mains du directeur toute l’argenterie, vases, meubles et ustensiles de toutes espèces de métaux provenant des églises supprimées à l’effet d’être convertis en petite monnaie ou pièces de 30 et 15 sous, de 1 sou et demi-sou. Nous avons fait apporter à cet effet les cloches qui étaient devenues inutiles pour le service du culte et qui ont été destinée à la même fabrication d’espèces par la loi du 6 Août. Des commissaires du directoire ont été présents à la fonte de l’argent et toutes les formalités prescrites par les lois des 27 Mars et 3 Juin y ont été scrupuleusement observées. Le produit de l’argenterie des églises et paroisses supprimées dans le département a été de 1 315 marcs 1 once 22 deniers en argent 5, 153 marcs 1 once en vermeil 6, et 4 onces 19 deniers 12 grains en or 7. Il est essentiel d’observer qu’aux termes de l’article 2, de la loi du 27 Mars, les matières d’or et de vermeil devront être envoyées par les districts à la Monnaie de Paris; nous les avons laissées en dépôt chez le directeur pour que cet envoi puisse s’effectuer. Plusieurs districts des départements de l’Aveyron, du Gard et de la Drôme ont aussi envoyé l’argenterie de leurs églises supprimées. Il a été procédé avec les mêmes formalités à la fonte de ces matières qui, réunies aux précédentes, forment le total de 2 199 marcs 6 onces 4 deniers 12 grains d’argent 8, de 173 marcs 4 onces 3 deniers de vermeil 9 et de la quantité d’or ci-dessus énoncée. De ces différentes matières, il a été fabriqué la quantité de 75 398 pièces de 15 sols, qui ont produit 56 548 livres 10 sols, indépendamment aux lingots qui n’ont pu être encore monnayés ; celle de 30 n’ont pu l’être à cause que les matières des poinçons n’ont point été envoyées par le ministre, quoique le directoire ait écrit plusieurs fois à ce sujet. Quand à la menue monnaie qui devait être fabriquée avec la matière des cloches, il n’a point été possible d’y travailler encore, attendu que cette matière ne peut être utilisée qu’en l’alliant avec une pareille quantité de cuivre, afin de le rendre malléable. Le directeur manquant absolument de cuivre, et le ministre n’ayant point fait encore l’envoi de ceux qu’il est chargé de procurer, on a été obligé de suspendre ce genre de fabrication pour le compte des divers départements qui doivent avoir part à la distribution des espèces qui en parviendront. Du reste, toutes les cloches portées à la monnaie ne donnent ensemble que la poids de 123 quintaux 98 livres 14 onces de poids de marc, et le vieux cuivre des églises supprimées, 331 livres 9 onces ; ce qui, joint à la quantité de cuivre nécessaire pour rendre la matière de cloche en état de fabrication, soit capable de grossir l’abondance du numéraire dans une proportion égale aux besoins ; nous avons cependant fait tout ce qui dépendait de nous et nous avons lieu de croire que l’envoi des cuivres annoncés par le ministre devant arriver incessamment, l’Administration sera à portée de faire fabriquer les matières des cloches et de satisfaire à cet égard l’empressement du public.

En attendant, nous avons prévenu les municipalités et les citoyens que, s’ils voulaient faire préparer les flaons à l’effet d’être convertis en monnaie, l’Administration leur donnera toutes les facilités qui sont en son pouvoir pour seconder leurs efforts patriotiques. Les villes de Montpellier, Béziers, Pézenas, Ganges et plusieurs compagnies de Lodève et de Saint-Pons se sont rendues à cette invitation, et nous leur avons permis de faire battre pour leur compte par les monnayeurs attachés au service public et sous l’inspection du commissaire du Roi, en se conformant aux lois du monnayage. La quantité de sols qui a été mise en circulation se porte à 37 921 livres 19 sols 10. Malgré ces secours, la pénurie des espèces de cuivre se faisait sentir au point qu’il y avait lieu de craindre l’interruption totale des travaux de la campagne et des manufactures ; le Directoire s’est hâté de nommer des commissaires à tous les moyens possibles de procurer une émission plus convenable de même monnaie, le directeur persistant à déclarer qu’il ne pouvait entreprendre la fabrication par défaut de matière. Au moment où les commissaires s’occupaient de leur mandat, de concert avec le sieur Rame, commissaire du Roi, le Sieur Jullien, fondeur, offrit au nom d’une compagnie, de fournir la quantité de flaons nécessaires pour faire fabriquer des sous à concurrence d’un million et même de 1 500 000 livres, si le Département le jugeait à propos; il fit sa soumission d’en délivrer pour 6 000 livres par jour. Le payement de la main d’oeuvre et fourniture des flaons devait lui être payés 200 livres par quintal de sous fabriqués, dont 1/4 payable en espèces et les 3/4 autres en assignats. Le sieur Jullien se chargerait en même temps de toutes les matières de cloche pour être employées à ladite fabrication ; il offrait d’en payer le prix sur le pied que lesdites cloches auraient été vendues dans les autres hôtels des monnaies du royaume. Cette voie était sans contredit la plus expéditive et la plus propre à faire disparaitre les dangers qui menaçaient la chose publique ; néanmoins, le Directoire, enchainé par l’art. 5 de la loi du 6 Août, qui veut que les cloches des églises et paroisses supprimées soient toutes tenues à la disposition du ministre, ne crut pas pouvoir, sans son agrément, en faire disposition contraire. Il délibéra de lui soumettre l’offre qui venait d’être proposée par le sieur Jullien ; mais ce dernier ne voulant pas courir l’incertitude des évènements, rétracta sa proposition et s’en dégouta d’autant plus qu’on voulut y prêter la couleur d’un privilège exclusif ».

 

Le bilan des activités de l’Assemblée en cette matière est loin d’être positif; si les particuliers et les communes ont su profiter des possibilités qui leurs étaient offertes, aucune action d’envergure départementale n’est effectuée afin de soulager la circulation de cette menue monnaie. Dès le lendemain de ce compte-rendu, le 17 novembre, cette Assemblée crée un comité destiné à travailler sur les problèmes des « assignats et monnaies » ; les membres en sont : Cadilhac, Renouvier, Andouve, Brun, Bousquet, Sales et Lambert.

Le problème de cette émission de monnaie en métal de cloche doit être considéré comme une priorité absolue. Du moins est-ce ce qui ressort de l’intervention du procureur général syndic, Dupin, du 26 novembre 1791

« Messieurs, vous connaissez tous les lois qui ont déterminé la fabrication de la menue monnaie avec le métal provenant de la fonte des cloches. L’article 2 de celle du 6 Août dernier a ordonné que ce métal soit allié à une partie égale de cuivre pur et que les flaons qui en parviendraient seraient frappés ; et par celle du 29 Août, les vases, meubles et ustensiles de cuivre et de bronze provenant des églises supprimées doivent être envoyés par les directeurs aux hôtels des monnaies pour servir également à la fabrication des flaons. La distribution de la monnaie provenant de cette fabrication est déterminée entre les départements par une autre loi du même jour, 6 Août : le département de l’Hérault est compris pour 8/20e sur le produit de la fabrication dont les directeurs des monnaies doivent fournir bordereau à chaque semaine aux Directoires.

En conséquence des différentes lois rendues à ce sujet, les Directoires des districts de l’arrondissement et plusieurs de ceux des départements voisins ont envoyé nombre de cloches et effets de cuivre provenant des églises supprimées ; néanmoins, la fabrication est restée dans l’inaction par le défaut de cuivre, le sieur Bernard 11, ci-devant directeur de la Monnaie, incertain s’il conserverait sa place, n’ayant pris aucune mesure pour s’en procurer, quelques instances que le Directoire ait faites auprès de lui ; et nous aurions totalement manqué de monnaies de billon sans le zèle de quelques sociétés patriotiques, qui ont construit à grands frais des ateliers pour la confection des flaons. Je suis instruit que le sieur Bazille, directeur actuel, est dans le dessein de pousser cette fabrication avec toute la célérité qu’elle exige ; il présume de remettre, le samedi trois du mois prochain, son premier bordereau.

Le ministre des contributions publiques, pour mettre promptement les districts à portée de jouir du bénéfice de la loi, propose par sa lettre au Directoire du quatre de ce mois, de choisir une personne pour retirer chaque semaine, du directeur de la Monnaie, la quote-part du département, et de la charger de faire, d’après un tableau proportionnel de distribution, arrêté et signé par le Directoire, le partage entre les districts des sommes revenant à chacun d’eux.

La proposition du ministre, pour ce qui concerne la personne à nommer, à plus de rapport aux départements voisins qu’à celui de l’Hérault, dont le siège est dans la ville où est situé l’hôtel des monnaies ; ou si je ne crois pas que ce soit le cas de s’occuper de cette nomination, le partage de la monnaie pouvant être fait entre les districts sous les yeux du Directoire ; mais il est urgent  d’arrêter  l’état  de  la  distribution entre les districts, afin de mettre le Directoire à couvert des réclamations qui pourraient être faites à cet égard. Je crois qu’il conviendrait, pour se fixer dans cette distribution, de prendre pour base la population des districts. En supposant que vous adoptiez ce parti, voici l’état de la population :

Vous connaissez aussi bien que moi toute l’étendue du bien qui doit résulter pour la chose publique de l’émission de la petite monnaie… Le ministre propose de charger des commissions de faire représenter tous les ustensiles de cuivre qui ont été ou seront envoyés à la Monnaie, et de faire mettre dans un lieu sûr, tous ceux qui seront reconnus être dorés d’or moulu, afin de faire travailler en leur présence à l’enlèvement de cet or.

La distribution de cette monnaie, qui doit donc commencer avec le premier bordereau de Bazille 12, le 3 décembre, sera faite de manière proportionnelle. L’échange ne sera fait, au niveau des communes, par les officiers municipaux, que contre les assignats de 5 livres, « aux ouvriers et travailleurs à la journée préférablement à tous autres ». Lors de la séance du 8 décembre 1791, il est décidé que, « dans le cas que, par défaut de matière ou tout autre cause momentanée, le directeur de la Monnaie aurait quelque balancier de libre, il pourra être employé pour le compte des particuliers, et le conseil arrête néanmoins que ceux qui auront fait frapper des flaons ne pourront sous aucun prétexte en faire eux-mêmes distribution ; le montant leur sera payé de suite en assignats, et la monnaie sera répartie de la même manière qu’il a déjà été réglé ». Cette décision est grave car elle ouvre la porte aux émissions particulières et plus ou moins contrôlées. En fait, si cela eut lieu dans d’autres villes (on connaît les « monnaies de confiance » des frères Monneron, de le Fevre-Le Sage,…) il ne semble pas avoir tenté qui que ce soit en ce sens à Montpellier.

Jullien, qui a fini par s’entendre avec l’Assemblée pour fournir 800 000 livres de flans, n’a toujours rien donné en dépit de plusieurs mises en demeure. Aussi, c’est à d’autres initiatives privées auxquelles on a recours. Le 9 décembre 1791, la commune de Clermont reçoit le droit provisoire de faire battre monnaie, pour un total de 10 à 12 000 livres de flaons, contre 6 000 livres par semaine qu’elle avait réclamé. Un des membres de l’Assemblée administrative propose même que, en attendant que le directeur de la Monnaie puisse occuper tous ses balanciers, il soit permis aux différentes municipalités qui se sont pourvues dans ce sens par devant le Directoire, de faire fabriquer les flans qu’elles se sont procurées. Cette demande, si elle avait été acceptée, aurait créé un précédent notable, du moins dans ce département ; car la frappe de la monnaie est un privilège de l’état, et le fait d’autoriser les communes à en user, pratiquement sans contrôle, eut pu s’avérer dangereux. La séance de l’Assemblée du 10 décembre repousse cette demande de Clermont, à laquelle s’étaient, entre temps, jointes plusieurs autres communes, et ce, pour ne pas porter préjudice à la fabrication. Le sieur Jullien (encore lui), qui leur a fourni leurs flaons, au détriment de la commande du département qui n’a toujours pas été honorée, est menacé de poursuites et de graves sanctions.

Cette séance, du 10 décembre, voit également le premier bordereau de délivrance du nouveau directeur : 1 715 livres 11 sols 4 deniers de pièces de 1 sol. Le sixième doit en être versé aux ouvriers de la Monnaie, par accord avec le directeur, mais cela est refusé par l’Assemblée qui, d’ailleurs, s’étonne de la faiblesse de l’émission, attendu qu’un seul balancier peut frapper 800 livres de billon 13 et 1 000 livres de cuivre par jour.

Lors de la séance du lendemain, 11 décembre, Bazille affirme disposer de 150 quintaux de cuivre. Il en attendait 200 autres, qui ont été « naufragés au Port de Bouc ». Le mélange de ces 150 quintaux au métal de cloche, peut lui permettre une première émission de 60 000 livres de sols. La fabrication devra durer tout le mois de janvier, attendu qu’à cause du manque de cuivre, il ne peut utiliser tout le potentiel de la Monnaie. Accusé de profiter de la situation pour spéculer sur les achats de métal, il déclare qu’il n’est pas entrepreneur mais directeur, « pour faire fabriquer d’après la loi, les flaons ou les matières qui lui seront présentées ». S’il a fait « quelques achats, ce n’est que par patriotisme et nullement dans l’intention de faire aucun bénéfice, qui ne lui appartenait en aucun cas ».

Jusqu’à maintenant, un seul balancier fonctionne, mais un second va être mis en service pour les sols, et celui qui servait à la frappe de l’argent est utilisé pour les 2 sols. L’Assemblée exige 140 000 livres de sols, immédiatement, mais Bazille repousse cette demande, et dit ne pouvoir en fournir que 800 livres par jour et par balancier. Tout est donc repris au sieur Jullien, qui frappait illégalement et à son compte des espèces de cuivre pour diverses communes, prélevant pour lui même le tiers ou la moitié des espèces ainsi frappées. Ainsi, jusqu’au 24 novembre, tous les flaons qu’il devait fournir au département ont été distribués. Seules les villes de Ganges et Pézenas n’ont pas eu recours à lui. Cette émission « pirate » ne peut être actuellement chiffrée, car ledit Jullien, s’il en a tenu comptabilité, ne nous l’a pas laissée.

À partir de ce 24 novembre, Bezaucelle 14, commissaire-adjoint, affirme que, lorsqu’il n’y a pas d’accident, les deux balanciers en fonctionnement fabriquent 1 600 à 1 800 livres de sols par jours, de 5 heures du matin à 8 heures du soir, tous les jours, y compris le dimanche ; si bien que Rame, commissaire du roi, peut présenter à la séance de 11 décembre des procès-verbaux de délivrance pour 10 000 livres de sols. Afin de limiter les dangers d’émissions particulières, l’Assemblée décide que les flaons, actuellement remis par les particuliers à la Monnaie, leurs seront frappés, mais que cela sera ensuite interdit.

Lors de la séance du 12 décembre 1791, un nouveau problème se pose : les départements voisins demandent que leurs flaons soient également frappés à Montpellier. L’autorisation leur est donnée, sous réserve que le volume ne dépasse pas la répartition 15, et qu’il soit vérifié qu’ils viennent bien des départements limitrophes, et non de particuliers.

Ces retards répétés n’inquiètent pas que l’administration locale ; le ministre des contributions s’étonne, par une lettre qui lui est adressée, de ces retards, ce à quoi l’Assemblée lui répond, le 13 décembre, qu’attendu qu’il n’a pas envoyé le cuivre nécessaire, il n’a pas à se plaindre qu’aucune distribution n’a encore eu lieu. Ce manque de cuivre, à allier aux métaux de cloche, a des effets importants sur le département. Le 22 décembre 1791, une délégation de la ville de Béziers se plaint de ne pas avoir été ravitaillée en monnaie. Le sieur Cambon, un des administrateurs, offre de fournir du cuivre au directeur de la Monnaie « pour lui être rendu en nature », ce qui est accepté.

Lors de cette même séance, la déclaration du roi, du 20 décembre, visant à accélérer l’envoi de métal de cloche et de cuivre est lue. Bazille en fait le point ; depuis son installation, il a reçu 11 cloches du district de Sommières, pesant 7 quintaux, qui viennent s’ajouter aux 195 quintaux déjà reçus avant son arrivée. La fabrication est cependant entravée par le manque endémique de cuivre, ainsi que par la disparition d’une partie du matériel dont Jullien s’est emparé. En dépit de cela, les bordereaux des pièces de 1 sol se succèdent régulièrement à partir du 3 décembre, semaine après semaine 16.

La journée du 10 août 1792 marque la chute de la monarchie. Le roi est arrêté et enfermé au Temple. Le 21 septembre 1792, la Convention proclame la République, et l’ordre est donné aux ateliers monétaires de cesser la fabrication des espèces au type royal. Du 10 août 1792 au 23 février 1793, aucune disposition législative ne fut prise par l’Assemblée Nationale en ce qui concerne les monnaies, excepté le décret du 3 septembre, interdisant « à tous particulier de fabriquer ou faire fabriquer, directement ou indirectement, d’introduire et de faire circuler dans le royaume des monnaies de métal de quelque forme ou dénomination que ce soit ».

À Montpellier, la rareté du numéraire provoque un agiotage sur les sols, dénoncé lors de la séance du 5 décembre de l’Assemblée administrative. Les propriétaires de monnaie n’acceptent pas de la changer contre des assignats, sinon contre un bénéfice de 35 % environ. La récupération des métaux se fait de plus en plus pressante, à cause des « dépenses extraordinaires que nécessitent les circonstances actuelles », et les 3 et 4 janvier, il est rappelé au district de Lodève que tous les objets d’or et d’argent des églises, excepté les vases sacrés, doivent être réquisitionnés afin de soutenir cet effort.

La Convention Nationale, par décret du 5 février 1793, crée de nouvelles espèces portant RÉPUBLIQUE FRANÇAISE, le faisceau, symbole de l’union, surmonté du bonnet de la Liberté, et le coq, symbole de la vigilance. Dans un premier temps, seules des pièces de 6 livres en argent, et de 24 livres en or, doivent être fabriquées. Puis, le 26 avril 1793, est créé la pièce de 1 sol dite « aux balances ».

5 onces 10 deniers d’or et 410 marcs 1 once 10 deniers d’argent doré sont expédiés de Montpellier à Paris. Les nécessités de la guerre donnent de nouveaux débouchés aux stocks de cloches non encore transformés en monnaie, et désormais destinés aux fabriques de canons. C’est ainsi que, le 9 novembre 1793, toutes les cloches supprimées et détenues à Montpellier, sont envoyées à Toulouse pour y être fondues. Certains districts profitèrent des difficultés pour freiner leurs envois d’argenterie religieuse, et ainsi, deux commissaires doivent être envoyés à Lodève afin d’y terminer le « ratissage » des églises du district. En revanche, le 23 novembre 1793, les conseillers généraux de Cournonterral et Saint-Jean-de-Védas décident la suppression de tout culte sur leurs communes, et l’apport de tous les objets religieux à la Monnaie. Le premier décembre, 50 quintaux de cuivre et autant de métal de cloche, sont à nouveau retirés pour être transformés cette fois en sabres. Le 6 décembre, Cambon et Fabreguette sont nommés pour aller contrôler l’utilisation qui a été faite des métaux précieux versés par les communes, et doivent en établir un tableau détaillé, comportant le montant de chaque remise et son emploi, tableau qui sera ensuite imprimé et affiché. Ils devront dorénavant contrôler toutes les entrées et sorties des métaux de l’atelier. Ils n’exerceront pas longtemps car celui-ci est définitivement fermé par la loi du 26 pluviose an II 17.

L’article V de l’arrêté du Comité de Salut public du 18 thermidor an II 18, supprime « les Maisons des Monnaies ». L’atelier monétaire de Montpellier est alors destiné à être vendu comme bien national, ainsi que tout l’outillage qui ne sert pas directement à la fabrication. Deux inventaires des biens sont dressés, l’un de l’outillage destiné à être vendu le 21 germinal an III 19, et l’autre, des locaux de l’atelier, dressé le 22 ventose an III 20 et vendu le 23 floréal.

Déduction faite des contributions, et dans l’état, l’ensemble est estimé par les experts à soixante-huit mille livres. Un premier affichage est fait le 8 floréal an III 21, par Caizergues, agent national.

Pour enchérir, un certain nombre de conditions doivent se trouver réunies. Il faut, tout d’abord, justifier que l’on est imposé au rôle des contributions ou, à défaut, verser le dixième de la somme de l’estimation, entre les mains du secrétaire du district, à titre de caution. Les mises à prix se font obligatoirement au-dessus de l’estimation, qui sert de base de départ, et par enchère de cent livres au moins.

La vente définitive a lieu le 23 floréal an III 22. Au premier feu, seul Marcel Dessalle se présente et offre 100 000 livres ; au second feu, c’est un certain Delorme qui offre 150 000 livres, et Bouis, 155 000 livres. Au troisième, la lutte est plus apre : Vassal propose 160 000 et Reboul, 180 000 livres, puis Bonfils surenchérit à 190 000, et Reboul, encore, à 195 000 livres. C’est finalement Bonfils qui restera le dernier avec 200 000 livres. Au quatrième feu, Bouis offre 215 000 et Dumoulin 229 000 livres. C’est finalement Pierre Bouis qui l’emporte avec 230 000 livres, personne n’ayant couvert son enchère lors du cinquième feu.

Plusieurs conditions sont contenues dans le contrat. Tout d’abord, le quart de la somme doit être versé le jour de l’adjudication, soit ici la somme de 57 500 livres; puis le dixième de l’ensemble chaque année, grevé d’un intérêt de 5 % du reste, à l’issue du payement précédent. L’adjudicataire ne peut entrer en possession de son bien que lorsque le versement initial du quart et les frais sont payés. Ces frais se composent des droits d’enregistrement, de timbre, de publication et d’inventaire. Aucun recours n’est possible ; cependant, le bien est vendu dans l’état et franc de toute dette. Une clause de « conditions particulières » est, de plus ajoutée. L’acquéreur doit laisser à la disposition du citoyen Bazille, ex-directeur de la Monnaie, les laboratoires de cet atelier afin qu’il puisse extraire des cendres des fourneaux les matières qui lui appartiennent, et ce pendant la durée de trois mois, en conformité avec la lettre de la commission des Revenus Nationaux en date du 14 floréal an III 23.

Le 11 brumaire an 4 24, machines et ustensiles nécessaires à la frappe sont déménagés, et déposés « au collège, dans un appartement du rez-de-chaussée, à main droite en entrant dans la basse cour ». Ils sont confiés aux citoyens Martin et Fabre, concierges de cet établissement.

Mais les Montpelliérains ne désemparent pas et adressent plusieurs lettres au ministre des Finances, afin que l’atelier soit rétabli ; témoin, cette lettre des Représentants du Peuple, Députés du département de l’Hérault Viennet, Crassous, Cambon, Cambacérès,… à l’Administration Centrale du département, lui assurant leur appui pour le rétablissement de l’atelier 25. Cet espoir est vain, car le démantèlement est poursuivi. Le 14 nivose an V 26, le ministre des Finances répond à une lettre de l’Administration Centrale du département, du 16 brumaire 27, lui demandant cette réouverture, par la négative.

Cette réponse est appuyée par un ordre de ce même ministre, du 4 fructidor an V 28, visant à faire estimer et remettre les creusets de l’atelier à Jean Sainte-Croix, directeur de la Monnaie de Perpignan. Le 26 messidor an VI 29, le ministre des Finances écrit au commissaire du Directoire, lui ordonnant de transférer le matériel restant, cinq balanciers, le « mouton » et onze creusets de fer, à Bordeaux, où ils seront pris en charge par le citoyen Bellagues, caissier de cette Monnaie ; les frais de pesée et de transport seront à sa charge. C’est le sieur Bongues, ex-graveur de l’atelier, qui est chargé, le 7 thermidor an VI 30, de remettre en état le matériel avant son expédition. Le 15 thermidor, c’est chose faite. On procède alors à la pesée des balanciers, soit, respectivement 1 772, 1 762, 1 800, 1 622 et 3 500 livres ; le « mouton » fait lui 1 280 livres. Soit, au total, y compris accessoires et creusets, 20 147 livres. Le coût estimé du transport de Montpellier à Bordeaux est de 5 livres 10 sols du marc. Les citoyens Coste, Caylus et Gevaudan se chargent de charroyage jusqu’au port Juvénal, près de la ville. Auparavant, neuf jours de travail furent nécessaires pour inventorier, emballer et ranger le matériel expédié, puis le porter à destination. L’ensemble de ce travail coûta 168 francs au caissier de l’atelier de Bordeaux. Au port Juvénal c’est « le patron Mignonnac, de Cette » à qui l’on confie le chargement, qui voyage par le canal des Deux-Mers, puis la Garonne. Expédié de Montpellier le 19 thermidor 31, l’ensemble arrive à Bordeaux le 13 brumaire an VII 32, soit après trois mois environ de navigation, comme l’atteste cette lettre du caissier de la Monnaie de Bordeaux au citoyen Rey, Commissaire du Directoire Exécutif du département de l’Hérault. Cet accusé de réception du matériel marque la fin des espoirs de voir rouvrir un jour l’atelier de Montpellier.

Sans locaux, sans matériel, sans personnel, qui a été dispersé, le démantèlement est bien achevé. Désormais, il faudrait trop de temps et d’argent pour en installer un nouveau et les circuits de ces métaux, si rares et si précieux, ont tôt fait de trouver de nouveaux débouchés, que ce soit vers Marseille, Toulouse ou Perpignan lieu de passage obligatoire des métaux espagnols.

À partir de 1793, la fermeture de l’atelier monétaire de Montpellier laisse le bas Languedoc sans approvisionnement proche en numéraire métallique. L’émission de nombreux bons communaux de petite valeur (papier) dut permettre de faire face aux dépenses journalières. Mais cette pénurie dura au moins jusqu’au Consulat et au rétablissement de la confiance qui entraîna symétriquement la disparition des assignats et le retour de la monnaie métallique. C’est sans nul doute la Monnaie de Perpignan, mieux placée sur le circuit des métaux, qui approvisionna à nouveau cette région en monnaie.

Bibliographie

B. Collin L’atelier monétaire royal de Montpellier et la circulation monétaire en Languedoc de Louis XIII à la Révolution, 1986, Éditions du Balancier. Procès-verbaux des séances de l’Assemblée Administrative du Département de l’Hérault pendant la Révolution, 3 vol., Montpellier 1889-1898.

Argent. Graveur : Dupré. Pièce émise à partir de 1792
Fig. 1 & 2Essai de l'écu de 6 livres « constitutionnel ». Argent. Graveur : Dupré. Pièce émise à partir de 1792. Avers : portrait de Louis XVI ; revers : le Génie de la France gravant la table de la Constitution.
5 francs à l'Hercule
Fig. 3 5 francs à l'Hercule. Graveur : Dupré. Première pièce libellée en francs, émise à partir de l'an IV.
Médaille de confiance de 5 sols
Fig. 4 Médaille de confiance de 5 sols « au pacte fédératif », 1791-1792. Graveur : Dupré. Frappée en Grande-Bretagne
Louis XVI. Sol de cuivre à légende latine
Fig. 5 Louis XVI. Sol de cuivre à légende latine. Pièce émise jusqu'en 1792
Pièce de un décime. Graveur : Dupré
Fig. 6 Pièce de un décime. Graveur : Dupré. Porte la première effigie monétaire de la République
Le change des assignats, par Lesueur
Fig. 7 Le change des assignats, par Lesueur (Paris, Musée Carnavalet)
Valeur des assignats et autres papiers monnaies
Fig. 8 Valeur des assignats et autres papiers monnaies. Gravure aquarellée (Paris, Musée Carnavalet)

Notes

   1. Flan : disque de métal avant la frappe.

   2. L’atelier monétaire de Montpellier n’échappe pas à cette règle. Il émet simultanément au millésime de 1791 des écus d’argent à légende latine et des pièces d’argent de 30 sols à légende française.

   3. 70 kgs.

   4. 505 kgs.

   5. 323 kgs.

   6. 37,5 kgs.

   7. 125 Kgs.

   8. 538 kgs.

   9. 42,5 kgs.

   10.   Soit 910 123 pièces.

   11.   Étienne Bernard, directeur de la Monnaie de Montpellier du 31 mars 1766 au 27 mai 1791, date à laquelle son office est supprimé.

   12.   Paul-David Bazille nommé directeur de la Monnaie de Montpellier le 12 décembre 1791. Ardent révolutionnaire, il est « membre régénérateur de la Commission Municipale du Suffrage Universel ». C’est sans doute son zèle à inventorier et faire saisir l’orfèvrerie religieuse qui l’a fait nommer à ce poste. Il meurt le 22 décembre 1793.

   13.   Alliage de cuivre et d’argent ou cuivre trempé dans de l’argent.

   14.   Pierre Bezaucelle : substitut du procureur général en la Monnaie de Montpellier depuis le 11 mars 1778, son office est supprimé par la loi du 27 mai 1791. Mais il profite de la création des « commissaires-adjoints à la Monnaie » pour s’y faire recevoir le 20 septembre 1791.

   15.   La répartition des monnaies de métal de cloche a été fixée département par département par la loi du 6 août 1791. Pour l’atelier monétaire de Montpellier, les pièces de ce type doivent être réparties comme suit 8/20e pour l’Hérault, 4/20e pour le Gard, 4/20e pour l’Ardèche, 3/20e pour la Drôme et 1/20e pour les Hautes-Alpes.

   16.   Archives Départementales de l’Hérault, L 1476.

   17.   14 février 1794.

   18.   5 août 1794.

   19.   10 avril 1795.

   20.   11 mars 1795.

   21.   27 avril 1795, Archives Départementales de l’Hérault Q 1106.

   22.   12 mai 1795.

   23.   3 mai 1795.

   24.   2 novembre 1795, Archives Départementales de l’Hérault Q 454.

   25.   Archives Départementales de l’Hérault, Q 454, lettre du 9 frimaire an 5.

   26.   3 janvier 1797.

   27.   6 novembre 1797.

   28.   21 août 1797.

   29.   14 juillet 1798.

   30.   24 août 1798.

   31.   6 juillet 1798.

   32.   4 octobre 1798.