Description
Villeneuvette
Vous voyez ici le mieux conservé de ces centres manufacturiers qui étaient nombreux en Languedoc aux XVIIe et XVIIIe siècles. De toutes les manufactures de drap qui ont reçu un privilège royal, c’est la seule à être restée en activité près de 280 années, la seule aussi dont l’ensemble subsiste, point trop défiguré par les ans.
Dès le XIVe siècle, Clermont de Lodève et sa région pratiquaient l’industrie du drap. Vers 1660, un certain nombre de petites entreprises y fabriquaient encore du drap de pays. Le fils d’un drapier de Clermont, Pierre Baille, eut l’idée, en 1673, d’établir l’industrie paternelle dans un site où il pourrait agrandir ses locaux suivant les besoins, ce qui n’était pas facile dans l’enchevêtrement de la petite ville. Il jeta ses vues sur un terroir appelé alors Dourbie ou la plaine de Dourbie, baigné par les eaux vives d’une rivière portant ce nom. A quelques centaines de mètres du lieu où nous sommes se trouvait un moulin à foulons que Baille acheta le 27 juin 1673 à un de ses coreligionnaires protestants. Puis il fit l’acquisition, successivement, d’un autre moulin et de deux métairies sises en la plaine de Dourbie. Le tout constitua un domaine d’un seul tenant.
1675-1683
Baille était au courant de la fondation, faite quelques années plus tôt, à Saptes, aux environs de Carcassonne, d’une manufacture de draps destinée à concurrencer le commerce des Anglais et des Hollandais dans l’empire ottoman. Guillaume de Varennes, marchand parisien, avait pris en charge cette manufacture, avec l’appui financier du trésorier de la Bourse des États de Languedoc, Reich de Pennautier. Baille comprit que c’était dans cette voie qu’il devait œuvrer. Il chercha et trouva des commanditaires dans la finance montpelliéraine, notamment en la personne d’André Pouget, greffier en chef de la Cour des Aides de Montpellier, qui était aussi fermier des gabelles de la province. En 1675, il fit construire à Dourbie les premiers bâtiments de la fabrique. Avant la fin de l’année, l’exécution de draps londrins destinés aux Echelles du Levant était commencée. Averti, Colbert chargea l’intendant Daguesseau de tenir la main à ce que les largeurs des draps et leur qualité fussent conformes aux Arrêts du Conseil qu’il avait fait prendre à ce sujet. Une lettre du ministre à l’intendant de Languedoc, du 29 mai 1676, est la première où il fasse allusion à la « manufacture de Clermont » : tel est le nom dont Colbert usait pour désigner la nouvelle fabrique, comme presque dans toute la correspondance qu’il entretint par la suite avec l’intendant.
Mais Baille, soit qu’il ait fait des acquisitions foncières disproportionnées à ses desseins — près de trois cents hectares — soit que sa religion lui ait nui en haut lieu, Pierre Baille, dès le 8 août 1676, dut remettre entre les mains de ses commanditaires tous les biens-fonds qu’il avait acquis et les bâtiments à peine achevés. Les financiers, qui se constituèrent en société, prirent l’affaire à leur compte et évincèrent Baille de l’entreprise. André Pouget, qui avait aussi des intérêts dans la création du port de Sète — Sète est exactement contemporaine de Villeneuvette — et dans la construction du canal du Midi, fut désormais le promoteur à Dourbie : il bâtit 66 logements pour les tisserands, dont bon nombre étaient des Hollandais que Baille avait fait venir de Carcassonne, où déjà ils avaient enseigné aux ouvriers du pays la façon des draps londrins il construisit une chapelle, établit un aqueduc pour amener l’eau d’une puissante source jusqu’à un réservoir de 1600 mètres carrés qu’il fit creuser dans le roc. A la fabrique et au nouveau village, il donna le nom de Villeneuve Villeneuve-lès-Clermont, tel allait être le nom officiel du lieu durant tout l’ancien régime : c’est seulement à partir de 1705 qu’apparaît dans les registres paroissiaux le nom de Villeneuvette qui devait prévaloir au XIXe siècle.
Un premier envoi de 255 pièces de draps londrins fut dirigé par Marseille vers Smyrne le 14 octobre 1676. Dans les six mois, quatre autres chargements eurent lieu pour Saida, pour Constantinople et pour Smyrne. Bien impressionné, Colbert fit accorder par Louis XIV, le 20 juillet 1677, des lettres patentes. Par ces lettres, le roi érigeait, sous le nom de « Manufacture de Villeneuve-lès-Clermont » une nouvelle communauté d’habitants, en ordonnant que le compoix de cette communauté fût distrait des compoix de Clermont et de Nébian qui, jusqu’alors, se partageaient son terroir ; en outre, le Roi exemptait les résidants, non seulement des droits d’équivalent sur le vin, le poisson, la viande et autres denrées, mais aussi de toutes charges personnelles : tutelles, curatelles, séquestres, logement des gens de guerre. C’est à partir de cette date, et non un demi-siècle plus tard, comme on l’a imprimé à tort, que la fabrique fut décorée, officieusement, mais bientôt de façon constante, du titre de manufacture royale. Le texte des lettres patentes, il est vrai, n’en dit mot. Mais j’ai trouvé l’appellation dès 1678 dans un procès-verbal de visite de la chapelle nouvellement construite et, de nouveau, dans une police de chargement de draps de 1679 et dans d’autres polices semblables des années suivantes. Au XVIIIe siècle, les inspecteurs des manufactures ne manquent pas, dans leurs rapports, de donner à la manufacture cette flatteuse qualité.
Je me suis un peu étendu sur les débuts de la manufacture. Permettez-moi de vous décrire une péripétie très significative de son histoire. Ensuite, je serai plus bref. […]
Informations complémentaires
Année de publication | 1984 |
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Nombre de pages | 4 |
Auteur(s) | Jean-Paul LAURENT |
Disponibilité | Produit téléchargeable au format pdf |