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Description

Une maison des champs à Pézenas : le domaine de Saint-Julien

Jacques PEYRON & Annick ROBERT (article complet)

La découverte d’une importante nécropole du VIe siècle a rendu le nom de Saint-Julien familier aux Piscénois. Cependant ce cimetière antique ne constitue pas le seul centre d’intérêt de ce lieu, que dire de la maison elle-même ?

Élément d'arcade conservé (Photo : M. Peyron)

Élément d'arcade conservé
(Photo : M. Peyron)

Blottie au centre de son parc et au creux d’un virage de la route de Pézenas à Roujan, elle se dérobe à la vue et si le passant lui jette un coup d’œil rapide et furtif, il n’aperçoit qu’une maison de la fin du siècle dernier. Pourtant un indice éveille les soupçons et toute cette banalité pourrait bien receler autre chose, il est vrai que la banlieue piscénoise est riche(1) en « maisons des champs », comme disait Du Cerceau. Une modeste grille en ferronnerie interrompt le mur qui longe la route et, encadrée entre deux cyprès dont le vert foncé met en valeur la blondeur de son calcaire aquitanien, se dresse une porte d’ordonnance classique.

Détail de l'élévation supérieure de l’arcade (Photo : Y. Peyron)

Détail de l'élévation supérieure de l’arcade (Photo : Y. Peyron)

Un examen plus attentif du bâtiment montrera que cette porte ne constitue pas le seul vestige de l’ancienne construction. L’édifice s’adosse au rebord d’une terrasse calcaire que le cours de la Peyne a creusé. Il semble donc que, dès l’origine, l’habitation possédait deux niveaux au sol : le premier correspondait à la porte aperçue de la route et le second à un corps de logis auquel donnait accès l’escalier situé en arrière de cette porte, c’est-à-dire de niveau avec le jardin et la cour actuels. Il est difficile de retrouver la distribution originelle des lieux car de nombreuses modifications sont venues l’altérer. Cependant le bâtiment abrite, au niveau de la route des caves peut-être, autrefois, aménagée partiellement en « grotte » et en salle fraiche à l’image de la disposition que l’on retrouve au Château-Neuf de Poussan où des appartements d’été sont installés dans un niveau partiellement enterré, disposition commode pour garder un peu de fraicheur pendant les étés torrides du Languedoc(2). Le rez-de-chaussée que l’on peut qualifier de surélevé conserve, encore, un vaste salon qu’éclairent deux portes-fenêtres donnant sur une terrasse vraisemblablement construite au XIXe siècle. Une grande cheminée, pourvue d’un vaste manteau, permet de chauffer cette salle. A droite de cette cheminée s’ouvre une porte qui donne accès à l’escalier intérieur mettant en relation le rez-de-chaussée et son sous-sol décrit plus haut. Cet escalier dont subsiste une volée droite parait construit sur le modèle des degrés à mur d’échiffre ajouré(3) ; dans l’état actuel, ses marches s’appuient d’un coté sur le mur de la cage et de l’autre sur un mur percé d’une vaste ouverture en arc plein cintre. Il semble qu’à l’origine, cet escalier ne s’arrêtait pas au rez-de-chaussée mais conduisait aux étages. Une seconde porte disposée symétriquement par rapport à la première fait communiquer cette salle et l’entrée ou se trouve l’escalier actuel, ce dernier est disposé juste au-dessus de l’escalier du sous-sol. Une troisième porte, en coin, donne sur une petite pièce, voutée d’arête, contemporaine de la grande salle dont les murs débarrassés de leur-crépis conservent les traces de son plancher. Lors des réfections du siècle dernier, l’on a percé une porte-fenêtre qui fait communiquer la petite pièce et la cour. Dans le prolongement de cette chambre, on peut voir à l’extérieur, les vestiges conservés d’une arcade et d’un étage. Cet élément présente le départ d’un arc plein cintre reposant sur un piédroit en saillie (fig. 1 et 2). Un bandeau mouluré comprenant un talon droit, une plate-bande surmontée d’un congé et un réglet en légère saillie couronne le soubassement aujourd’hui enterré d’environ 50 cm. Sur ce bandeau reposent les quatre assises du piédroit qui reçoit l’imposte où se distinguent de bas en haut les moulures suivantes : un listel sur congé, une baguette puis le rappel vertical du piédroit amorti en congé pour amorcer un listel surmonté d’un talon droit suivi d’un second listel. L’imposte supporte le sommier, départ de l’arc dont le profil se compose de deux faces que relie un congé. Si l’arc lui-même a disparu, l’écoinçon décoré d’une table unie est encore en place. Sur la gauche, un pilastre toscan appuyé sur un dosseret de même ordre cantonne l’arc. Ce pilastre et son dosseret reposent sur le bandeau mouluré qui se décroche à leur niveau, par l’intermédiaire d’un dé supportant le tore, le listel et le congé traditionnels. Le pilastre complet comprend onze assises de la base au chapiteau d’une hauteur moyenne d’un pied sauf la sixième qui est plus mince. Quant au chapiteau, il comprend un listel sur congé, surmonté d’une baguette ; enfin un second listel et l’échine droite couronnée par un réglet terminent le chapiteau en se superposant au rappel du fût. Deux assises séparent ce chapiteau du premier étage qui n’a conservé que la moitié environ de son ordonnance. Au-dessus des deux assises formant frise, la corniche qui supporte l’ordonnance supérieure, se décompose en un listel, une baguette, un réglet, un listel décroché et une doucine sur laquelle se retrouve un listel. Cette corniche régnait sur toute la façade et supportait la base attique du pilastre supérieur qui ne conserve que les cinq premières assises de son fût.

Il ne nous est pas possible de déterminer le nombre des arcs qui ajouraient cette composition ni son rôle exact. Dans la mesure où cette aile comportait un étage, ceci nous semble éliminer la possibilité d’une orangerie évoquée par Pillement(4) et J. Mahoudeau ; les orangeries ne comportent généralement pas d’étage et l’on recherche pour elles une situation abritée avec une bonne exposition solaire or cette aile est orientée à l’Ouest ce qui n’assurerait pas un ensoleillement suffisant. Ces auteurs se sont laissé influencer par un texte qui vante les nombreux et beaux orangers que possédait ce domaine en 1581(5). La présence d’un anneau scellé au revers de la façade de cette galerie donne à penser que nous avons affaire à une galerie de circulation, ouverte et planchéiée, ce rôle paraît d’ailleurs logique car c’était à elle que menait le degré qui prend naissance au niveau de la route derrière la porte dorique mutulaire (fig. 3). D’ordonnance classique, elle comporte une ouverture en arc plein cintre qu’encadrent deux pilastres doriques supportant un entablement correspondant où les triglyphes classiques alternent avec des métopes dépourvues de décor, l’élégante simplicité du parti adopté trahit l’influence antique, codifiée par Vignole(6).

La maison de Philibert de l'Orme (tiré de A. Blunt Philibert de l'Orme : fig. 24 Photo : M. Descossy)
La maison de Philibert de l'Orme
(tiré de A. Blunt Philibert de l'Orme : fig. 24
Photo : M. Descossy)
Porte au niveau de la route (Photo : M. Peyron)
Porte au niveau de la route
(Photo : M. Peyron)

Que dire de l’aspect général de la maison ? Il est très difficile de le représenter car nous ne possédons que très peu d’éléments et nous ne pourrons qu’hasarder une hypothèse de travail que seules des fouilles conduites dans ce qui est aujourd’hui le parc pourraient soit confirmer soit infirmer. Nous savons en effet que les architectes des XVIe et XVIIe siècles utilisaient un petit nombre de partis, tirés des grands ouvrages d’architectures et qu’ils se risquaient très rarement à faire œuvre de création personnelle ; ils préféraient adapter un parti bien connu à la situation présente. Or la maison que Philibert de Lorme(7). dessina et fit construire pour lui présente bien des similitudes avec celle de Saint-Julien. Il faut tenir compte du fait que la maison de Ph. de Lorme (fig. 4) est une maison de ville et qu’elle devait être édifiée en terrain plat. Saint-Julien, au contraire, est une demeure rurale et le terrain possède une forte déclivité, admirablement mise à profit par l’architecte anonyme, auteur de l’édifice, Mais nous retrouvons dans la seconde le corps de logis, flanqué de deux pavillons de calage qu’encadrent deux ailes symétriques dont l’élévation comprend des arcades ouvertes au rez-de-chaussée et un étage; l’ensemble encadre et délimite une cour ce qui devait être le cas à Saint-Julien. Malheureusement, un problème se pose à nous : nous avons l’amorce de l’aile droite de cette galerie mais nous ignorons s’il existait vraiment une aile en retour, symétrique, à gauche de la façade mais la construction de la fin du XIXe siècle en édifiant également un pavillon à gauche semble avoir conservé les dispositions originelles. Il est certes difficile de se représenter aujourd’hui le Saint-Julien d’alors mais un grand charme devait se dégager des bâtiments édifiés dans un calcaire qui est la roche mère du site et qui, s’il ne provient pas de l’emplacement même de l’édifice (dans ce cas c’est l’enlèvement du matériau de construction qui aurait libéré l’emplacement des fondations et des caves), vient assurément des carrières dont on voit les traces sur les limites mêmes du domaine. Il est possible de penser que l’édifice se mariait admirablement avec son site, réalisant ainsi une harmonie rare.

Il faut enfin aborder le problème de la datation de cette demeure rurale. Nous ne tiendrons pas compte de la date de 1581 mentionnée dans le texte cité plus haut(8). Nous ne pouvons, en effet, rien déduire de cette anecdote si ce n’est qu’il existait déjà un domaine de Saint-Julien à cette époque. Par contre l’influence visible de Vignole et de Ph. de Lorme nous autorise à parler de la fin du XVIe siècle ou du tout début du XVIIe siècle. Les écrits de Vignole furent en effet publiés à Venise en 1562(9) et la maison de Ph. de Lorme fut construite entre 1554 et 1558(10). Dans la mesure où notre maison a été influencée par ces deux architectes, elle est postérieure et malheureusement, il n’existe aucun document d’archive(11) relatif à cette construction. Elle ne saurait être postérieure à 1630 car la mode a changé et l’on adopte des partis plus élaborés qui accordent une part plus grande à la décoration sculptée.

Jacques PEYRON et Annick ROBERT

Informations complémentaires

Année de publication

1970

Nombre de pages

7

Auteur(s)

Annick ROBERT, Jacques PEYRON

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf