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Description

Une « hérésie » en Bas-Languedoc L’affaire des Béguins (1299-1329)

La chronique des chanoines de Saint-Paul de Narbonne nous dit : « En l’an 1322, le premier dimanche de Carême, veille des kalendes de mars (28 février 1322), furent brûlés à Narbonne, à la porte royale de la Cité de Narbonne, seize hommes et cinq femmes qui avaient été condamnés comme hérétiques. »

C’est-là la seule source narrative d’une tragédie qui, bien au-delà de Narbonne, devait marquer cruellement toute la population du Bas-Languedoc, dans les diocèses de Béziers, Lodève, Agde et Maguelonne, plus encore que la métropole. L’histoire de France, et même l’histoire locale évitent, par on ne sait quelle honte, d’en parler, et il a fallu attendre 1959, et un érudit italien, Raoul Manselli, pour que soient exhumés, et partiellement publiés en latin, les actes de l’impitoyable inquisition qui s’abattit sur le pays de 1318 à 1328. Les victimes en étaient des Franciscains, et des béguins et béguines, c’est-à-dire des tierciaires de leur Ordre.

Pour en arriver là, il fallut un itinéraire spirituel d’un siècle, ou plutôt la confluence de diverses inspirations, dont la principale fut naturellement l’exemple de saint François d’Assise, le Poverello, le « petit pauvre ». Il avait pu voir, avant de mourir, lorsqu’il quittait l’ermitage qu’il partageait avec quelques compagnons, la masse de ceux qui se réclamaient de sa règle former un Ordre, tenir des chapitres généraux, avoir un ministre général. En vain avait-il, par l’exemple, la plume (son « Testament ») et ses dernières paroles, tenté de les maintenir dans la pauvreté et la mendicité, l’humilité et la simplicité. Rien n’avait pu empêcher l’Ordre nouveau de bâtir de grands couvents, de compter des prélats pris dans son sein, de pousser ses membres les plus riches et les plus doués à étudier la scolastique (de préférence à Paris), à devenir docteurs et à posséder d’opulentes bibliothèques. Toutes ces infractions à la Règle et la pensée du saint fondateur étaient, symboliquement, représentées par l’habit. Il n’était plus question de se contenter d’une seule tunique rapiécée au besoin en toile de sac, ni d’aller pieds nus ou en sandales découvertes.

En vain, le général Jean de Parme avait-il tenté de faire respecter la Règle il fut déposé en 1257. En 1277 était élu le premier pape franciscain, Nicolas III. Il voulut sauver les apparences de la pauvreté en déclarant que les biens de l’Ordre étaient la propriété de l’Église, et que les Frères n’en avaient que l’usage. Le parti resté fidèle à S. François ne fut pas dupe, et s’il s’inclina, il exigea que cet usage fût lui-même conforme à la pauvreté intégrale, que ce fût un « usage pauvre (usus pauper). Fortement représenté dans la Province de Saint-François et celle de Toscane, c’est sans doute dans la Province de Provence (qui comprenait les couvents du Bas-Languedoc) qu’il eut le plus d’adeptes, et les plus marquants, dès la première moitié du XIIIe siècle, tels qu’Hugues de Digne. Une chanson fit connaître dans tout le domaine occitan les miracles de sa sœur Douceline, dont la maison de Roubaud, à Marseille, servit de modèle pour les « maisons de la pauvreté » que devaient tenir les tierciaires.

Mais un autre courant venait de l’œuvre d’un ermite, puis moine calabrais, Joachim de Flore (mort en 1202), qui avait prédit l’arrivée d’un troisième âge, celui de l’Esprit, venant après ceux du Père (l’Ancien Testament) et du Fils (Nouveau Testament). En 1252 un Franciscain, Gérard de Borgo San Donnino, faisait connaître à Paris son « Introduction à l’Évangile éternel », qui n’était que l’introduction à trois des livres de Joachim, mais qui annonçait l’avènement de l’âge de l’Esprit sous le signe de saint François, le nouveau Christ.., pour 1260.

La date, qui était d’ailleurs dans l’air, fut retenue en Italie et déclencha un incroyable mouvement de « pénitence » dans les populations, qui conduisit à des défilés de flagellants, mais aussi au gonflement et à l’officialisation dès tiers Ordres dominicain et franciscain.

Le mouvement ne tarda pas à se propager dans le Midi. Un concile tenu à Arles en 1260-1261 condamnait déjà les Joachimites. L’âge nouveau devait être précédé par la décadence et la défaillance de l’Église née du Nouveau Testament, l’« Église charnelle », à travers des vicissitudes apocalyptiques et l’apparition de l’Antéchrist, et voir l’instauration d’une paix universelle dans une « Église spirituelle ». Les Franciscains fidèles à la Règle, que l’on appela dès lors les « Spirituels », en virent le proche avènement dans les persécutions qu’ils commencèrent à subir de la part des autres, les « Conventuels », et dans l’échec de la tentative de placer sur le trône de saint Pierre un homme vraiment apostolique (Pierre Célestin, 1294), que l’on fit démissionner. Tout au plus quelques Spirituels, comme un de leurs chefs Angelo Clareno, purent-ils entrer dans l’Ordre qu’il avait fondé, et acquérir ainsi une relative liberté de parole. […]

Informations complémentaires

Année de publication

1988

Nombre de pages

6

Auteur(s)

Jean DUVERNOY

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf