Une gravure inédite de Montpellier publiée en 1821 dans le Journal de Zittau
Une gravure inédite de Montpellier
publiée en 1821 dans le Journal de Zittau
* Directeur de recherche (er) CNRS,
ancien membre du Conseil national de l’Inventaire général (Paris). 34jcr@orange.fr.
[ Texte intégral ]
Dès sa création, le Service régional de l’Inventaire général des monuments et des richesses artistiques Languedoc-Roussillon s’est attaché à réunir les gravures de Montpellier qui ont été systématiquement utilisées dans de nombreuses publications. Jean Nougaret était particulièrement attentif à cette source documentaire pour une ville dont les transformations du XVIe au XXe siècle ont été considérables 1. Nous avons eu connaissance en 1988 et en 2013 de l’existence d’un dessin référencé « Zittavisches Tagebuch, vers 1780 » ou « Anonyme Montpellier, ca. 1821 » sur un papier jauni, avec rousseurs, qui offre deux registres : une vue partielle de Montpellier et de ses monuments et, au-dessous, une scène de ferme accostée d’un blason au nom de Kornfall von Weinfelden. Quatre vers, en allemand, accompagnent cet ensemble titré : MONTPELLIER 2 (fig. 1).
La feuille de papier, sans filigrane, a 15,5 cm de largeur et 18,7 cm de hauteur. Le cadre délimité par un trait noir a 12,4 cm x 14 cm, le dessin supérieur 12,4 cm x 6 cm et le dessin inférieur 12,4 cm x 8 cm. La vue de Montpellier, de gauche à droite, montre une succession de clochers et tours avec, au centre, la façade occidentale de l’église Notre-Dame des Tables et, à droite, les tours de la cathédrale. À gauche, en bas, les fortifications de la Citadelle et, hors les murs, des édifices isolés dont une église. Au-dessous, le dessin représente un édifice rural avec un four et, devant, une scène avec six personnages et un cochon tenu en laisse par sa patte arrière gauche. Dans un cartouche, des armoiries, avec « Kornfall von Weinfelden ».
La scène du haut est titrée : « Montpellier ». Celle du bas, sous les armoiries, indique en allemand : « Chute des blés des Champs de vignes ». Et, en dehors de la gravure : « Celui qui fait du mal aux pauvres animaux comme un tyran, et qui se réjouit, n’a certainement pas un bon cœur ». L’image représente les préparatifs de la fin d’un cochon, tenu en laisse, les outils au sol, l’eau en cours de chauffe dans l’appentis : scène traditionnelle du milieu rural où l’animal tout entier sera débité et utilisé pour un usage immédiat ou différé, qui se termine par un repas rituel réunissant tous les participants.
Une longue recherche en Allemagne nous a permis d’identifier la publication dans laquelle se trouvait cette gravure qui avait donc été distraite du volume. De Zittau nous est parvenue une photocopie du numéro de septembre 1821 du Zittavisches monatliches Tagebuch édité dans cette ville 3. C’est dans le « Journal de Zittau » qu’ont été publiées, entre 1820 et 1825, 34 illustrations de villes françaises, de façon irrégulière, accompagnées d’une rapide notice sur les villes concernées, et donc dans le numéro de septembre 1821 celle concernant Montpellier, avec la gravure entre les pages 128 et 129, et aux pages 137-138 le chapitre III, Propos historiques, curieux et politiques :
« Montpellier, en latin Mons Pessulanus, aussi Mons Puellarum est le chef-lieu du département de l’Hérault en France, non loin du Mardanson [pour Verdanson] avec 8 000 maisons et environ 33 000 habitants. Un évêché y a son siège. L’Université qui s’y trouve, déjà fondée en 1196, particulièrement sa Faculté de médecine, a toujours été renommée. Le jardin botanique qui s’y trouve également mérite une citation élogieuse. Depuis 1706 existe aussi dans cette ville une Société Royale des Arts et Lettres. Les fabriques de parfumerie, essences, tabac, cuir et verdet donnent beaucoup d’activité à la ville. Il s’y trouve aussi de nombreuses fabriques à base de cire. Les habitants de Montpellier jouissent d’une réputation d’amabilité ainsi que les femmes de chambre du lieu, d’une particulière beauté. »
Le texte se poursuit et concerne les armoiries de la famille Kornfall von Weinfelden (dont le blason est au bas, à droite, de la gravure), les pertes en hommes et en francs causées à la France par Napoléon, la création du Duché de Coburg-Saalfeld et la visite à Dublin du roi d’Angleterre ! La gravure du bas n’est pas commentée à cet endroit.
« Weinfelden fut jusqu’en 1798 une des 132 seigneuries formant alors la Thurgovie, baillage commun des anciens confédérés… Le 10 janvier 1466, cette seigneurie fut vendue par Simon Potel à son cousin Christian Kornfail, originaire de Vienne (les relations entre la Thurgovie et les Habsbourgs étaient très étroites). En 1466, ce dernier obtint le droit de bourgeoisie de la ville de Zürich et nous connaissons ses armoiries : une gerbe de blé d’or sur fond noir, que l’on trouve sur la gravure. À la mort de Christian en 1466, son frère Andreas reprend la seigneurie, devient bourgeois de Zürich en 1484 et épouse la fille du bourgmestre de Vienne. À sa mort en 1496, il est enterré, comme son frère, dans la chartreuse d’Ittingen, à quelques kilomètres de Frauenfeld dont il fut un bienfaiteur. En 1496, la veuve d’Andréas vendit la seigneurie à la famille des Muntprat, de Constance. Les Kornfail obtinrent divers titres de noblesse en 1663 et 1705 dont celui de Comte du Saint-Empire. Après 1731, les Kornfail émigrent en Saxonie à Pirna/Rochlmitz, non loin de Dresde, qui se trouve à 60 km à l’est de Zittau 4. »
La gravure de Montpellier n’est pas une œuvre totalement originale. En effet, il était alors possible d’utiliser pour illustrer une ville l’un de ces nombreux ouvrages qui, depuis le XVIe siècle, réunissaient des monographies illustrées ou bien de faire appel à une œuvre isolée. L’examen de ce document montre une inspiration des dessins de Belleforest (1574) 5 (fig. 2) et surtout de Mathieu Mérian dans sa Topographie de la Gaule de 1657 6. Les graveurs en Europe ne manquaient d’encyclopédies consacrées à des villes avec une notice et une représentation et qui étaient publiées en français ou en allemand. Il ne s’agissait pas de détails mais de vues cavalières depuis les célèbres « Pourtraict de la ville de Montpellier » (1574) et « Die Statt Montpellier mit ihrer gelegenheit » avec, dès 1564, le bois gravé de 1552 publié par Antoine du Pinet en 1564 7. Ces gravures, même répétitives, sont de premier intérêt pour l’histoire urbaine 8, d’autant plus qu’à Montpellier les guerres de Religion ont entraîné de nombreuses disparitions d’édifices religieux 9. Le prestige de cette ville lui a donc permis de figurer au « Tableau d’honneur » des villes françaises illustrées par les grands graveurs de l’Ancien Régime.
Zusammenfassung : Unter den alten Gravuren der Stadt Montpellier (Frankreich, Herault) des 16. bis 18. Jahrhunderts, besitzen wir dank der Arbeit grosser Künstler zahlreiche Beispiele, welche diese zur Illustration der europäischen Enzyklopädien der Städte beigesteuert haben. Im Jahre 1821 wurden im “Zittavisches monatliches Tagebuch”, herausgegeben in Zittau (Sachsen, Deutschland), eine Gravur und ein Beitrag über Montpellier veröffentlicht. Der Autor ist unbekannt, hat sich jedoch maßgeblich von den alten Gravuren beeinflussen lassen, ohne das Bild der Stadt im 19. Jahrhundert zu berücksichtigen, welches sich im Zuge der Systematischen Zerstörung Religiöser Bauten während der Religionskriege und späteren Wiederaufbauarbeiten vor der Französischen Revolution erheblich verändert hatte.
Schlagwoerter : Montpellier, Gravuren, Religionskriege.
NOTES
1. Lochard, Thierry et Nougaret, Jean, « Note sur une représentation de Montpellier en 1593 », Bulletin historique de la Ville de Montpellier, 18, 1994, p. 23-26 ; une synthèse sur le sujet des gravures a été publiée par Fabre, Ghislaine, « L’image et l’idée de Montpellier à la Renaissance d’après une estampe inédite », ibid., 19, 1994, p. 4-37 ; Montpellier 985-1985, paysages d’architectures, Montpellier, 1985. Voir aussi Pellicer, Françoise, Cartes, plans, paysages et jardins du Languedoc Méditerranéen, XVe-XIXe siècles, Catalogue illustré, Études historiques et notices détaillées, Exposition, octobre 2003-mars 2004, Musée Languedocien, Société archéologique de Montpellier.
2. Cette gravure appartient maintenant aux Archives municipales de Montpellier (AM 3 Fe 73).
3. Cette recherche, entreprise depuis 1988, n’aurait pas été possible sans notre regretté ami P. Ucla qui avait utilisé son temps, dans un Stalag entre 1940 et 1945, pour perfectionner ses connaissances de la langue de Goethe. À la Bibliothèque de Zittau, nous remercions F. Jahne, et pour Kornfall von Weinfelden, M. Guisolan du Staatsarchiv, Kanton Thurgau.
4. Nous avons utilisé ici l’excellente notice du Dr. Michel Guisolan qui ajoute que le dernier représentant mâle de cette famille mourut en 1778 et portait toujours son titre de comte de Kornfail et Weinfelden. Nous n’avons pas poursuivi de recherche dans la revue en question car cela ne concerne pas la gravure de Montpellier.
5. L’étude de Ghislaine Fabre a fait le point sur ces encyclopédies dont elle a donné plusieurs représentations.
6. Il est probable, comme l’avait confirmé J. Nougaret, que le modèle est la gravure sur cuivre publiée par Matthäus Merian (1621-1687) dans sa Cosmographia Galliae de 1657.
7. Du Pinet de Noroy, Antoine, Plantz, pourtraitz et description de plusieurs villes et forteresses…, Lyon, 1564 (fig. 3). Cf. Pastoureau, Mireille, Les Atlas français XVIe-XVIIe siècles, répertoire bibliographique et étude, Paris, Bibliothèque nationale, 1984, p. 131, qui (par son courrier du 6 février 1998, dont nous la remercions), avant du Pinet, évoque Rafaello Maffei dit Volterranus, auteur de Commentarium urbanorum…, Bâle et Lyon, 1530, 1544 et 1552. La notice sur Montpellier de du Pinet est traduite dans l’étude de Gh. Fabre, op. cit., p. 35-37. Il faut citer aussi le rôle de Guillaume Guéroult (cf. Fabre, Ghislaine, art. cit., p. 32, notes 13 et 14) qui, dans ses ouvrages de 1552 et 1553, apporte des illustrations des villes qui seront connues et utilisées par les graveurs postérieurs. La plupart des lieux religieux, marqués par leurs clochers, qui sont représentés et listés dans les légendes des gravures, auront disparu au XVIIe siècle.
8. La question des origines de Montpellier traverse toute l’historiographie moderne et contemporaine d’autant plus que la prétendue « fondation » en 985 ne semble pas pouvoir expliquer comment on serait passé d’une simple « ferme » à une ville qui, un siècle plus tard, possède un château, des fortifications et une importance méditerranéenne de plus en plus reconnue, cf. Richard Ralite, Jean-Claude et Combès, Robert, « Les origines de Montpellier et Lambert Daneau (1530-1595), pasteur et professeur en théologie », Études héraultaises, 40, 2010, p. 41-53.
9. Les destructions considérables au XVIe siècle de la quasi-totalité des édifices religieux ont donné une vue différente de la ville. Les constructions ou reconstructions vont commencer au XVIIe siècle, après le siège de Montpellier, jusqu’à la Révolution en donnant une nouvelle « parure » d’hôtels particuliers et de nouveaux lieux de culte (Sournia, Bernard et Vayssettes, Jean-Louis, Montpellier : la demeure classique, Paris, Imprimerie nationale, coll. « Cahiers du Patrimoine », 1994, et Nougaret, Jean, collab. Grandjouan, Marie-Sylvie, Montpellier monumental, Paris, Monum, Éditions du patrimoine, 2005, 2 volumes). La révocation de l’Édit de Nantes en 1685 confirma, à la fois, une aristocratie dirigeante soumise au Roi et au catholicisme et un clergé totalement engagé dans la Contre-Réforme.