Un Groupe Franc de Combat durant la Seconde Guerre mondiale

* Historien
** Directeur de recherche (er) CNRS, 34jcr@orange.fr

Dans le cadre de nos recherches sur la période de 1939-1945 1 et au cours d’entretiens, il nous a été remis un document, pour exploitation et avec autorisation de le publier, comme un témoignage pour l’histoire. Ces six pages dactylographiées ont été écrites en août 1955 par quatre des acteurs du Groupe Franc de Combat de Sète, qui ont voulu leur conférer un caractère solennel en les faisant valider par la gendarmerie de Sète.

François Chafes qui nous a remis la copie de ce récit, vient en quelque sorte ajouter sa signature à celles de ses camarades de Combat. Aujourd’hui, à 89 ans, il continue de témoigner dans les collèges et les lycées pour que sa parole ajoute la touche humaine indispensable à la véracité des écrits 2.

Ce document offre, avec ces témoignages, un point de vue de l’intérieur sur l’activité et les difficultés du Groupe Franc. Il est ici intégralement transcrit depuis l’original dactylographié.

Historique 1 (Coll. Privée)
Fig. 1 - Historique 1 (Coll. Privée)

Historique du « Groupe Franc de Combat » de Sète

« L’on peut dire quinze ans après que s’est spontanément que le Mouvement « Combat » s’est constitué à SETE. A l’origine se sont des jeunes qui se sont réunis, un peu par esprit de fronde contre le gouvernement du vieillard de Vichy, qui ne sera jamais que subi. Leur action n’est encore ni cohérente, ni bien organisée. Mais un point est déjà dégagé : ces jeunes, dans leur patriotisme sincère, n’acceptent ni la défaite temporaire, ni le régime asservi de Vichy. La vraie France est celle qui résiste ! Son seul chef : le Général de Gaulle !

En 1941, un petit noyau existe déjà. Maurice Roche, André Portes et Jean-Marie Barrat ont groupé autour d’eux des camarades d’étude ou de travail, leur âge moyen varie de 17 à 21 ans. Grâce à eux les mots d’ordre anti-gouvernementaux circulent dans la jeunesse sétoise. Le jour de la fête de Jeanne d’Arc une manifestation est organisée à dix-sept heures, rue Alsace-Lorraine. A l’heure dite, une foule dense, qui a été avertie se presse, la boutonnière fleurie de tricolore ou du bleuet. M. Roche, J.-M Barrat, Maurice et Roger Fournier sont appréhendés par la police. Les deux premiers seront condamnés à une amende par le Tribunal de Montpellier.

Le Mouvement « Combat » est réellement né ce jour là. Il comprend une cinquantaine de jeunes, groupés par quartier et dirigés par M. Roche et ses deux adjoints Porte et Barrat. Sa principale activité est la diffusion des tracts et journaux clandestins, et cette activité et cet état d’esprit prépareront aux taches futures. Les journaux, après avoir été réceptionnés par Roche, sont entreposés chez ses seconds, qui convoquent les responsables de quartier la veille de la date prévue pour la distribution, et chacun emporte sa part. Le jour dit, tous les membres de l’organisation se répandent en ville, vers vingt et une heures, par groupes de deux à six, dans un secteur bien déterminé. Et le lendemain, nombre de nos concitoyens trouvent dans leur boite aux lettres la parole de la vraie France, celle qui espère et combat. Colère des partisans de « l’ordre nouveau ». Sourire des autres.

A l’usage il apparaît que l’organisation existante correspond mal à la situation, et surtout aux tâches militaires futures, qui nécessitent un cloisonnement plus strict et une discipline plus sévère. Il faut également se débarrasser des tièdes et des amateurs. En Février 1942, Molinier, Cauvet, Bouzat et Jacques Renouvin, Chef national, prennent contact à Montpellier, avec M. Roche, en vue de constituer un « Groupe-Franc de Combat » à Sète. Les éléments en seront choisis parmi les jeunes plus ou moins affiliés à l’organisation primitive.

En Mai 1942, le G.F compte une quarantaine de membres, organisés par groupes de huit à dix et par quartier, sous la direction de M. Roche secondé par Portes et Barrat. Mais déjà d’autres services annexes ont des embryons d’organisation : quelques agents de renseignements, choisis en raison de leur activité légale, travaillent isolément ; Léon Magurno ; plus âgé, a constitué un petit groupe d’ex-démobilisés, presque tous fonctionnaires (E.D.F., P. & C., S.N.C.F.) ; un groupe s’organise dans la police urbaine avec le brigadier Louis Oulhiou, Antoine Fassou et Robert Valette.

Cette réorganisation ne tardera pas à porter ses fruits. A côté des déclarations enflammées des partisans du régime et du clinquant des cérémonies officielles, on sent une opposition sourde, mais nette ; une activité occulte mais intense. Ces symptômes se manifestent sous diverses formes : affiches de propagande gouvernementale lacérées ; inscriptions injurieuses pour les maîtres de l’heure multipliées ; chahuts dans les cinémas lors des « actualités » ; bonnes histoires dont Vichy fait les frais colportées de bouche à oreille ; communiqués de la France Libre commentés et diffusés. Petites choses peut-être, mais qui stigmatisent l’état d’esprit d’une population. Le 14 Juillet, une manifestation est organisée avec succès quai de la République, que l’on a omis de débaptiser.

Suivant les consignes générales du mouvement, des actions sont entreprises contre les collaborateurs les plus notoires. Des lettres d’avertissement sont envoyées. Puis l’action directe commence : les vitrines des magasins de Frias (deux fois) et Florenzano, membres du groupe Collaboration, sont brisées par des pavés. La vitrine de l’Office de Placement Allemand, installée au centre de la Ville, subit le même sort. Réaction des vichyssois : A. Portes et M. Delmas sont arrêtés et internés à Montpellier. Maurice Tarbouriech, qui fait partie des services de liaisons est arrêté à Narbonne.

Mais, renforçant l’espoir, les alliés débarquent en Afrique du Nord. Le 11 Novembre 1942, triste anniversaire d’une victoire que nos aînés n’ont pas su conserver à leur fils, la ville est occupée par l’armée allemande. Le G.M.R « Languedoc-Roussillon », assure l’ordre principalement au tour du Monument aux Morts de la Grande Guerre. Il ne faudrait pas peiner « ces messieurs » qui sont « si corrects », ni qu’une manifestation intempestive vienne compromettre « le nouvel ordre européen ». Sète est maintenant devenu l’un des bastions du mur de la Méditerranée, un poste avancé de la « forteresse Europe ».

Une page de la Résistance de la France-Sud est tournée, en cette soirée traditionnellement brumeuse de Novembre. Mais pour les esprits forts elle ne fera que renforcer la détermination de lutter jusqu’au bout contre l’occupant, et affermir la haine contre ceux qui pactisent avec lui.

La Résistance de la zone « libre » va maintenant avoir à se mesurer avec son principal adversaire : l’allemand. L’époque des actes désordonnés, parfois insouciants, mais combien sympathiques parce que spontanés, généreux et sans calculs est bien révolue. Ce n’est plus seulement le gouvernement fantoche de Vichy qu’il s’agit de brocarder, mais d’entrer en lutte sournoise mais implacable, contre la machine de guerre et d’oppression allemande. Ce n’est plus la police plus ou moins dévouée de l’État Français que nous aurons à déjouer, mais la redoutable Gestapo qui puisera largement parmi les nazis français des organisations de Vichy pour s’assurer de nombreux et précieux auxiliaires, puis fera appel aux gangsters professionnels pour assurer l’exécution de ses basses œuvres. D’autres dangers se révèlent : de la paternelle Légion des Combattants, on a d’abord extrait le S.O.L, légion brune, et tout dernièrement la Milice, légion noire, qui s’emploiera avec succès à imiter ses émules les S.S. allemands. D’autres organisations annexes ont été créées, Amis de la Légion, Volontaires de la Révolution Nationale. Et aussi le Groupe Collaboration, les Jeunesses de l’Europe Nouvelle, Francistes, P.P.F., etc.

Autant de délateurs en puissance. Le Groupe Collaboration de Sète comptera environ 120 membres. La Milice formera une « Centaine » de la Cohorte de l’Hérault, en fait environ une soixantaine de membres sous les ordres du chef Bouteille.

En 1943, malgré les difficultés accrues, l’action de désorganisation, le sapage de la propagande vichyssoise et allemande ne faiblit pas. Les diffusions de journaux clandestins continuent à apporter l’espoir ; l’action contre le S.T.O. s’organise aussi.

La Gestapo se manifeste : François Maillol, qui s’occupait des filières d’évasion par l’Espagne, est arrêté et sera déporté en Allemagne d’où il ne reviendra pas. Coup plus sensible encore pour l’organisation, Maurice Roche, chef de secteur, est arrêté par la police française le 3 avril 1943, en compagnie de plusieurs résistants montpelliérains. Il en résultera quelques semaines de flottement.

Au début du mois de mai, Tarbouriech qui a été entre temps relâché et qui travaille à cette époque avec la résistance lyonnaise, revient à Sète et prend contact avec Magurno et Millet. A la suite de ces entrevues, Portes, Millet et Delrieu effectuent plusieurs liaisons avec Molignié, chef départemental de « Combat » à Montpellier.

Fin mai, le G.F. de Sète est organisé sous sa forme définitive. Léon Magurno devient chef de secteur, les membres du G.F. sont répartis par groupes de huit sous la direction de Portes. Millet a la charge de la section « renseignements » et d’assurer la liaison avec le « groupe police » dirigé par Oulhiou. De plus de solides contacts sont établis avec les autres mouvements locaux de résistance. Le G.F. était déjà en relation avec le réseau « Cotre » par Maurice Roche. Il sera également branché avec « Tartane » par Etienne Maillol, « N.A.P. » par Louis Oulhiou, « Mithridate » par Léon Magurno. De plus avec le C.L.L. clandestin (Cambon, Dr Ibáñez et Jean Catanzano) avec Magurno et le S.R de l’A.S (Lt Lagane) avec Millet.

Cette utile refonte ne manquera pas de se révéler productive. Bien organisée, les diffusions massives de la presse clandestine se multiplieront. Les requis du STO qui veulent bien être réfractaires sont dirigés vers des retraites sûres ou même des maquis, grâce a différentes filières. Les recherchés raciaux ou politiques, les réfractaires sont prévenus, des pièces d’identité fournies.

Un gros travail de renseignement est également effectué. Chaque secteur de la ville et du port est soigneusement prospecté ; les installations militaires relevées ; les déplacements de navires, de trains d’unités, notés ; les camarades en liaison, en mission ou de passage, pris en charge et hébergés. Un bureau de travail, où les informations sont centralisées, est installé chez H. Laffont qui loge également la plupart des passagers. Les liaisons extérieures, les transmissions du courrier, fonctionnement d’une matière satisfaisante. En septembre des agents de l’extérieur procèdent en compagnie de Millet, Delrieu et Laffont au relevé des défenses de la ville et des environs, toutes les installations importantes font l’objet d’un croquis particulier, certaines sont photographiées.

Mais les services adverses s’agitent aussi. L’Hérault à le triste privilège d’être doté du sinistre intendant Marty, qui peu confiant en ses services, tentera de les épurer, puis créera la trop célèbre « Brigade sanglante ». La Milice, sous l’impulsion de son chef départemental Hoareau, devient une véritable branche de la police allemande. A plusieurs reprises la Gestapo fera appel aux gangsters du P.P.F. de Marseille qui effectueront des rafles en ville. Sur le plan local, le chef de la Gestapo, Rollef, essayera, avec l’aide du chef de trentaine de la Milice Léon Mazaury, président du groupe Collaboration, et de Lapporte, officier traitre à son pays, devenu capitaine des Waffen S.S. et soit disant employé de bureau de la TOD, de créer un service efficient, avec des agents non connus, pour contrer la résistance. De mauvaises nouvelles nous parviennent hélas. Maurice Tarbouriech est à nouveau arrêté en gare de Montpellier, alors qu’il venait d’effectuer une liaison avec Magurno.

Ce dernier échappe de justesse, mais Tarbouriech livré aux allemands, sera déporté. J.-M. Barrat, qui travaillait dans la région lyonnaise depuis sa mise en liberté, est aussi arrêté et sera également déporté.

A Sète, des figures louches tournent autour de nos lieux de réunion, on essaye de faire parler des camarades, dont plusieurs sont filés. Le « groupe police » signale une recrudescence alarmante de rapports inquiétants.

Il faut réagir vite et dur. Le magasin Pottier, l’un des plus virulents membres du Groupe Collaboration, saute ; d’autres engins malheureusement défectueux ne fonctionneront pas. Le siège de la P.J. saute également peu après. Le 18 Décembre 1943, Léon Mazaury, principal collaborateur du chef de la gestapo, est exécuté à son domicile par une équipe spéciale venue de l’extérieur, et qui repartit sans encombre. La consternation et la peur règnent chez les collabos, dont plusieurs viennent de recevoir un petit cercueil. En représailles le vétérinaire Adrien Fouillé, membre du G.F., dénoncé comme gaulliste est enlevé et abattu par des membres du Groupe Collaboration du Gard.

Au début de l’année 1944, le G.F. donne son maximum d’efficience. Mais sa fin est proche. Du 15 au 18 Janvier, l’Intendant de Police Marty prend lui-même la tête d’une vaste opération policière, discrètement préparée, à laquelle ne participe que la « Brigade sanglante », car il se méfie à juste titre de la police locale, qui ne sera d’ailleurs avisée qu’après coup. Magurno, Portes, Macone, Baudassé sont arrêtés. Millet et Ladet, également recherchés pourront heureusement fuir. Parallèlement la Gestapo arrêté Roch Bosco, François Chaffes, Armand Valette et René Llopis. Yves Delrieu, Georges Laurent et Damien Nardone, aussi recherchés réussissent à fuir, mais les deux derniers seront appréhendés dans d’autres localités.

Tous les camarades arrêtés seront internés et torturés à Montpellier, puis livrés aux allemands et déportés. Plus heureux que leurs camarades, Macone et Nardonne réussiront à s’évader en cours de transfert en Août 1944. Tout ceci est le résultat de plusieurs dénonciations, mais principalement de la trahison de Robert dit « Rivoire », l’un des responsables départementaux de notre mouvement.

Privé de direction et de liaison, désorganisé, le G.F. Combat de Sète a désormais vécu. L’évacuation forcée de la majorité de la population de la ville achèvera de le disperser. Mais son action et le sacrifice de trop de ses membres n’aura pas été inutile, son esprit subsistera. Car même séparés, les survivants se rattacheront selon les circonstances et le lieu, à d’autres groupements et continueront farouchement la lutte jusqu’à la Victoire.

Tout d’abord sur le plan local, le « Groupe police », ignoré de la plus part des autres membres, et qui n’a pas été éprouvé, continuera à fonctionner grâce aux liaisons de son chef Oulhiou avec le « N.A.P. » et l’A.S. Il pourra apporter à nos malheureux camarades détenus à l’Intendance de police, quelques adoucissements. Fassou, en liaison avec les résistants montpelliérains, organisera même une tentative d’évasion qui avortera à la suite d’une nouvelle trahison de « Rivoire », qui interné avec nos amis, poursuit sa malfaisante besogne. Par la suite ses membres, tous soupçonnés de tiédeur envers le régime et que l’on juge dangereux de laisser groupés, seront dispersés dans toute la région, jusqu’à Toulouse. Ironie du sort pour les promoteurs de ces mutations, ils constitueront lors de la période insurrectionnelle une très utile chaîne de liaisons, qui rendra les plus grands services.

D’autre part, H. Laffont, les frères Robert et Edmond Farret, Simon Caporiccion, se rattacheront aux services de l’A.S.

Mais ce sont les maquis de la région, qui formeront en Juin les F.F.I., qui en recueilleront le plus grand nombre. Dans le Tarn : Maurice Roche (Chef de détachement) et Yves Delrieu :
– Dans l’Hérault : Guy Llanos et les frères André et Noël Turini,
– Dans le Vaucluse : Paul Sablé (Chef de groupe),
– dans la Haute-Garonne : Raymond Aubert – Dans le Gard : René Casc
– et surtout dans l’Aveyron : Marcel Ladet, Roger Toustou,
Henri Estève, Edmond Millet (Chef de détachement), Etienne Maillol (Chef de détachement), Jean Corraze, les frères Yves et Francis Llanos (tous deux chef de détachement), René Maillol. Tous combattront avec une égale ardeur, beaucoup seront des cadres de valeur, plusieurs se distingueront dans les combats de la Libération et seront cités (M. Roche, A. Turini, E. Millet, F. Llanos, R. Toustou, E. Maillol). Rançon de tant d’obscures et héroïques actions, déjà oubliées ; André Turini et René Gasc, tomberont dans nos garrigues languedociennes ; M. Roche, E. Maillol et J. Corraze seront blessés. Lors de la Libération plusieurs seront choisis pour former les E.M.D./F.F.I. (E. Millet, Yet F. Llanos) ou passer dans les services régionaux (M. Roche), la plupart des autres suivront nos armées victorieuses pour chasser les derniers occupants des poches de l’atlantique et porter nos drapeaux sur le sol ennemi. Le caporal Paul Baudassé, de la Brigade Légère du Languedoc, tombera le jour de Noël au bord du Rhin. Si l’Armistice nous procure la joie de voir revenir cinq de nos déportés, la liste de nos morts n’est pas encore close ; le 2 Décembre 1949, René Llopis, miné par sa déportation, s’éteindra à son tour.

Comparée à son effectif moyen (40), la liste des pertes du G.F. Combat de Sète, dégagera éloquemment la part que prirent ses membres à la lutte pour l’indépendance nationale :
– 5 Morts en déportation : André Portes, François Maillol, Maurice Tarbouriech, Roch Bosco, Jean-Marie Barrat.
– 1 Mort des suites de déportation : René Llopis.
– 2 Tués au maquis : André Turini, René Gasc.
– 1 Exécuté par la Milice : André Fouillé.
– 1 Tué à la Ire Armée : Paul Baudassé.

Total : 10 Tués.
– 4 Déportés rapatriés : Léon Magurno, François Chaffes, Armand Valette, Georges Laurens.
– 3 Internés : Maurice Roche, Damien Macone, Damien Nardonne.

Voici en chiffres secs le lourd tribut qu’a payé le G.F. Combat de Sète à la Libération de la France. Près d’un quart de son effectif. Ces quelques pages et cette tragique énumération résument sobrement l’histoire et les vicissitudes d’un groupe de patriotes pendant l’occupation. D’un groupe comme il y en eu tant sur tout le territoire. Mais à part ceux qui en furent les acteurs, qui se souviendra du climat de la lutte clandestine, qui sentira surgir entre ces lignes l’atmosphère trouble des années sombres ?

Il est maintenant nécessaire de dresser le bilan de l’activité de ce groupement.

Son but apparent : combattre le climat défaitiste de l’occupant et des vichyssois, préparer la Libération, fut pleinement atteint. Jusqu’au début 1944, la presse résistance fut méthodiquement et largement diffusée, apportant avec la voie de la France Libre : l’Espoir.

L’autorité de fait fut constamment battue en brèche. L’esprit de résistance nationale exalté. En parallèle, l’action de la collaboration fut considérablement freinée, et le zèle de ses adeptes refroidi.

Les services spéciaux : section renseignements et groupe police, remplirent avec succès toutes les missions qui leur furent confiées : Une volumineuse et utile documentation militaire fut recueillie. De nombreux agents ennemis détectés et identifiés. Grâce à la diligence des liaisons presque tous ces renseignements purent être transmis aux services compétents, et servant de recoupement avec ceux recueillis par les Réseaux F.F.C., être utilisés avec efficacité.

Son but primordial, la lutte ouverte contre l’occupant ne put être réalisé sur place. Mais la participation active d’une vingtaine de ses membres aux opérations des maquis de la région et à la libération des départements où ils se trouvaient, prouve qu’il a été atteint.

Tous, que ce soit dans leur ville, dans les régions où les hasards de la lutte clandestine les avaient dispersés, dans les prisons et les camps de la mort, dans nos armées victorieuses, se montrèrent toujours fidèles à l’idéal qu’ils avaient librement choisi : la lutte à outrance contre l’occupant et ses valets, la libération totale de notre territoire.

Tous pouvaient être également fiers d’avoir, très jeunes, fait acte d’homme dans une époque d’égoïsme et de renoncement généralisés, et du double jeu élevé à la hauteur d’une institution.

Tous, le jour de la Victoire, pouvaient ressentir une légitime satisfaction d’y avoir apporté leur modeste contribution et d’avoir bien travaillé pour la Patrie. Sète – Août 1955 »

— Maurice ROCHE
Ancien Chef de Secteur

— Edmond MILLET
Ancien Chef de la Section
Renseignements

— Léon MAGURNO
Ancien Chef de Secteur

— Louis OULHIOU
Ancien Chef du
Groupe « Police »

Historique 2 (Coll. Privée)
Fig. 2 - Historique 2 (Coll. Privée)

Commentaires

Les premiers Groupes Francs ont été créés par le mouvement Liberté, si présent à Montpellier 3, par Jacques Renouvin dès la fin de l’année 40 avec de nombreuses et diverses actions qui vont des distributions de tracts ou d’affiches, à la destruction de publications du gouvernement, avec même l’utilisation d’explosifs. Ils sont essentiellement constitués par des hommes jeunes, souvent étudiants, dont l’origine sociale ou politique est très diverse 4.

A partir de 1943, après l’invasion de la zone Sud et la formation des Mouvements Unis de la Résistance, les actions vont se multiplier en même temps que les Groupes issus de divers Mouvements. Les conduites héroïques de ces patriotes entraînent une répression de toutes les autorités : certains échappent aux poursuites en gagnant l’Angleterre ou l’Afrique du Nord mais un grand nombre paie de la vie cet engagement.

Le Mouvement Combat qui naît en 1941 de la fusion des groupes Liberté et Libération Nationale devient très connu car il publie un journal, Combat, dont le premier des 59 numéros sort en décembre 1941. C’est Henri Frenay qui en est la personnalité dominante et qui a comme représentant dans la Région R3 (Montpellier) Pierre-Henri Teitgen puis René Courtin. Le service des affaires militaires agit sur le terrain avec force et les Groupes Francs en sont la meilleure illustration. Depuis Lyon, les décentralisations de Combat permettent à ce mouvement et son journal d’irriguer la zone libre puis occupée et de maintenir et développer l’action de « résistance » face à la soumission prônée par les autorités françaises 5.

Dans l’Hérault, si Combat tient la première place, il existe de nombreux autres mouvements, parfois concurrents, qui vont, surtout en milieu urbain, agir contre les autorités et la collaboration mais, aussi, apporter de nombreux renseignements sur les troupes d’occupation, leurs installations, leur importance. L’accumulation de renseignements sera l’apport majeur, au niveau national, pour l’action des alliés avant et après le débarquement de juin 1944. Avant le choix de la Normandie comme plage de débarquement, la côte languedocienne avait été envisagée en raison de sa facilité d’accès depuis la mer. Elle avait été renforcée et équipée en défense par les Allemands : les installations eurent même la visite du Maréchal Rommel venu en inspection pour contrôler les travaux 6.

Dans la population, privée d’informations sérieuses avec une presse départementale asservie à la censure, les messages, affiches, journaux, actions… des Groupes Francs ont largement contribué à maintenir un certain moral et à démontrer qu’il était possible de ne pas tout subir. A partir de 1943, le S.T.O. et la Milice vont « tomber » sur la jeunesse : si un certain nombre « succombèrent » en pensant qu’il n’y avait pas d’autre solution, certains relevèrent en quelque sorte le défi, s’agrégèrent aux mouvements existants, ou bien gagnèrent les maquis de l’arrière-pays. Cet afflux massif constituait un espoir pour les luttes à venir mais aussi une énorme charge car il fallait trouver les moyens de nourrir, équiper, former, tous ces jeunes. De plus, les concentrations d’hommes posaient des problèmes aux villages ruraux dont les populations n’étaient pas nécessairement favorables à ces « maquisards ». Par ailleurs, le danger était réel de voir les troupes de répression, françaises ou allemandes, renseignées par de « bons citoyens » se porter sur ces concentrations et leur porter des coups redoutables. Sans évoquer le Vercors, on rappellera seulement les opérations conduites contre le maquis Bir Hakeim à La Parade où une centaine de ses membres furent tués 7.

Le Groupe Franc de Sète a donc bien mérité : le sacrifice ultime de dix de ses membres valait d’être rappelé et son apport à la Libération de la France illustré car il a aussi écrit une page glorieuse dans la ville qui l’a vu naître.

NOTES

1. Blin, Jacques, 1936-1945, Sète solidaire et antifasciste, Sète, 2014.

2. Il partit de Compiègne, film réalisé en mai 2014 par Hélène Morsly en partenariat avec le Lycée professionnel Joliot-Curie de Sète, la Région Languedoc-Roussillon et la Direction régionale des Affaires Culturelles. Le voyage de F. Chafes et des élèves à Mathausen a été financé par le Conseiller général François Liberti.

3. Ouvrage collectif : Une première Résistance, Liberté : Le groupe Montpellier, Paris, 1991.

4. Guillon J.-M., « Groupes francs », dans Dictionnaire historique de la Résistance, résistance intérieure et France Libre, Paris, 2006, p. 191-192.

5. L. Douzou et D. Veillon, « Combat », dans Dictionnaire historique de la Résistance, résistance intérieure et France Libre, Paris, 2006, p. 117-119. H. Frenay lui-même a décrit la période : Volontaires de la Nuit, Paris, 1975 et La Nuit finira, Mémoires de Résistance, 1940-1945, Paris, 1973. L’ouvrage de G. Chauvy, Aubrac, Lyon 1943, Paris, 1997, contient entre autres la traduction en français du rapport Kal-tenbrunner à Ribbentrop du 27 mai 1943. A. Bonifas, Les protestants nîmois durant les années noires 1940-1944, Montpellier, 1993, p. 74-77, évoque les activités dans le Gard.

6. Bouladou Gérard, L’Hérault dans la Résistance : 1940-1944, Nîmes, 1992 ; Les maquis du Massif Central méridional, 1942-1944, Montpellier, 1974-2001. Les éditions de ces ouvrages contiennent une bibliographie étendue.

7. Les Libérations d’août 1944, Montpellier, 2014, textes de D. Magnant, D. Hamson, A. Croft, J.-C. Richard Ralite, P. Mazier, contributions accompagnées de bibliographies.