Un collège universitaire dans la lignée de son passé : Pézenas (1811-1863)

* Professeur honoraire d’Histoire.

Pour juger à sa juste valeur les événements qui ont marqué l’histoire du collège de Pézenas, dans la période que nous avons retenue dans cet article, il convient de bien les replacer dans le cadre général des établissements de ce type. Le contexte de vie en est difficile, car, à cette époque, l’enseignement secondaire ne constitue pas une préoccupation majeure de la société française. Il demeure relativement marginal, sauf pour les « élites » sociales et quelques élèves chanceux.

Nous allons donc retrouver dans cette histoire du collège de Pézenas plusieurs caractéristiques propres à ce type d’établissements qui, ignorées du lecteur, risquent de lui donner, de cette maison, une vision plus noire qu’il ne conviendrait. Quelles sont donc les principales difficultés qu’on y rencontre ?

La plupart de ces collèges municipaux – pour s’en tenir à l’Hérault, outre celui de Pézenas, ceux d’Agde, de Bédarieux, de Clermont, de Lodève et de Lunel – sont installés dans des villes qui n’ont que quelques milliers d’habitants, 5 à 10 000 au plus. Avec la zone d’attraction de ces cités souvent commerçantes, cela fait tout au plus dix à douze mille âmes. C’est alors, très peu pour le recrutement des collèges, au demeurant proches les uns des autres. N’oublions pas, pour en juger sainement, qu’il y a alors, pour une France de 35 millions d’habitants, moins de 100 000 élèves dans les lycées et collèges – ils ne seront encore que 180 000, en 1898, dont plus de la moitié dans le privé.

Leurs effectifs sont donc faibles et les problèmes de recrutement difficiles à régler, encore qu’une grosse partie des élèves – plus de la moitié souvent – soit constituée d’enfants qui fréquentent les classes primaires intégrées dans ces collèges. Les établissements publics voisins et les pensions privées, toutes médiocres qu’elles soient, rendent le recrutement encore plus aléatoire et fragile. L’équilibre financier est donc bien difficile à atteindre et les principaux qui ont ces collèges à leurs comptes ne s’y retrouvent que rarement. Aussi, lorsqu’ils ne font pas de bénéfices, voire s’endettent, ils quittent une maison pour aller chercher fortune ailleurs. Cela explique pourquoi les responsables de ces établissements y demeurent si peu de temps.

Il faut ajouter à cet élément que les principaux n’ont aucune formation, ni comme gestionnaires, ni comme pédagogues, et que cela arrange d’autant moins les choses qu’ils dépendent de conseils municipaux qui ne leur sont pas toujours d’un grand secours, ni même toujours favorables. Entre les maires et les chefs d’établissements, les conflits sont fréquents. Cela peut aller de divergences politiques aux querelles de personnes, en passant par les difficultés financières et les différences d’appréciations sur ce que devrait être ou faire le collège municipal. L’ambition de certains principaux se heurte souvent aux restrictions budgétaires, leur mauvaise gestion, à l’hostilité déclarée des conseils municipaux. L’entente entre les deux pouvoirs est loin d’être toujours bonne.

Nous retrouvons à Pézenas ces trois difficultés majeures : difficultés de recrutement, manque de formation des principaux et mauvaise entente entre eux et les maires en place. C’est pourquoi, les collèges fonctionnent souvent mal. Lorsque les circonstances sont favorables, lorsque le directeur est compétent et habile, lorsqu’il sait attirer une clientèle qui peut venir d’assez loin, grâce à l’internat, sur sa bonne renommée, lorsqu’il y aune entente avec les autorités municipales, lorsque enfin la conjoncture économique est bonne, alors le collège connaît une prospérité, sans lendemain souvent, attisant la jalousie des voisins et favorisant accusations et médisances. C’est ce qui arrivera à Pézenas, avec Lombard, dans les années 1840. Une embellie, passagère il est vrai.

Ce sombre tableau doit-il nous entraîner à nier l’utilité de tels établissements ? Ce serait abusif. Si ces collèges fonctionnent souvent mal, ils ont tout de même permis, même dans ce cas, la formation d’élèves qui ont pu, sur place, commencer des études qui les ont amenés à des carrières intéressantes, libérales surtout. Cette réussite est due au démarrage fait dans la localité. Le collège local n’est, pour les plus doués ou les plus chanceux, qu’un point de départ. Ils vont ensuite se former dans des établissements plus prestigieux et mieux notés – à Montpellier ou, mieux, à Paris, ou encore dans les grands établissements catholiques, ceux des Jésuites à Fribourg ou à Chambéry, ou, après la loi de 1850, à l’Assomption, à Nîmes. Les autres élèves, moins heureux, ont eu, tout au moins, l’occasion d’acquérir une certaine instruction, ce qui n’est pas sans importance dans un monde qui en manque encore cruellement – nous nous plaçons, rappelons-le, avant la fin du Second Empire.

Malgré leurs faiblesses et leurs lacunes, ces maisons ont donc bien leur utilité. Et c’est ce qui explique que, tant bien que mal, les habitants et les responsables communaux s’y accrochent. Ces collèges connaissent de vives tempêtes, qui semblent menacer leur vie, mais finalement bien peu sombrent réellement, comme le fait celui du Vigan, par deux fois.

L’on peut simplement regretter que ces collèges n’aient pas été plus utiles. Cela aurait été possible si l’enseignement donné avait mieux correspondu aux besoins d’une plus large fraction de la population locale. Les échecs de 1863 et 1867 sur lesquels nous terminerons notre article, le montrent bien pour Pézenas, comme nous l’avons aussi montré pour Sète en son temps : entre les désirs et les besoins des gens de la ville et les vues des responsables de l’Instruction Publique, il y a un fossé qui n’a pu être comblé. N’est-ce pas là un des aspects de la trop fréquente inadaptation de l’école à la mission qu’elle devrait remplir pour jouer son rôle social ? A chacun d’en juger, à travers cette histoire.

Des Oratoriens à l'Université la naissance du collège universitaire vue par le maire

Le 8 avril 1811, conseillers municipaux et notables de la ville sont rassemblés en l’Hôtel de Ville de Pézenas pour l’installation du principal et des régents du collège, sous la présidence du maire, M. Sales, entouré des membres du Bureau d’administration, MM. de Grave et Mérigeaux (M. de Grasset est absent). Le discours de ce magistrat, un rappel du passé, explique l’exceptionnelle survie du collège dans les temps révolutionnaires, tout en remontant aux origines de la maison. Il vaut la peine d’en citer de larges extraits

« Ce collège si florissant jusqu’au moment de la révolution, n’a pu qu’éprouver des vicissitudes inévitables durant ce temps de calamité. Cependant par un heureux concours de circonstances… il n’a pas cessé de conserver une forme d’enseignement Public ; il était à craindre sans doute qu’au milieu des troubles qui agitoient la france, il ne subit le sort commun à toutes nos anciennes institutions; mais il s’est soutenu contre toute attente, et, les amis des Lettres l’ont vu renaître en quelque sorte de ses cendres à la voix de celui qui mettant un terme, à nos dissentions, a su joindre au titre de restaurateur du throne et de l’autel celui de restaurateur des lettres.

C’est alors que nous avons vu cet utile établissement tendre chaque année à une amélioration sensible. Quand même chacun d’entre nous n’aurait pas été le témoin du succès qu’il a obtenu, il nous suffirait de rappeler ici les honorables témoignages de MMrs les Inspecteurs Généraux qui l’ont visité pour convaincre les plus incrédules que ce collège doit être compté dans le petit nombre de ceux, qui ont conservé en france la tradition des bonnes études.

Jaloux de concourir aux vues bienveillantes de S.M. Lempereur et Roi, le conseil municipal de cette ville s’est empressé de voter une somme suffisante pour faire cesser l’état précaire des Régens qui s’étaient voués à l’enseignement dans ce collège… »

Et le maire de louer les professeurs et les membres du bureau d’administration. Dans le cadre de la vaste organisation de l’Université Impériale, ce collège va « garder l’entière gradation des classes depuis les élémens jusqu’à la rhétorique inclusivement ». Ce n’est pas une faveur, mais « un témoignage d’estime qu’entraîne la considération du nombre de ceux qui en sont sortis et qui se sont distingués soit dans diverses écoles spéciales soit dans la plus fameuse de toutes les écoles du monde, l’école polythecnique (sic). Cela provient aussi des efforts que notre commune a fait pour conserver dans son sein ce foyer de lumière dont cette ville et les contrées voisines éprouvent depuis longtemps l’heureuse influence ».

« Vous tous qui m’écoutez et vous faites un devoir sacré de donner à vos enfans une éducation soignée, vous ne pouvez que considérer comme un avantage infiniment précieux d’avoir au sein de vos foyers toutes les branches d’instruction qui ouvrent à la jeunesse la carrière des sciences et lui présentent les moyens de figurer un jour dans les rangs les plus honorables de la société… Quel est celui d’entre vous qui n’a pas à se féliciter d’avoir trouvé dans le lieu de sa naissance tous les moyens d’instruction que la médiocre fortune de sa famille l’eut empêché d’aller chercher ailleurs ».

Et de rappeler encore ce vieil enracinement du collège au sein de la communauté piscénoise : « Nos pères durent ce grand bienfait au bon Roi Henri quatre et ce bienfait a failli nous échapper dans le temps anarchique de la révolution. Il ne nous en resterait à peine que le souvenir si la main puissante de celui qui n’est étranger à aucun genre de gloire n’eut voulu nous le conserver et en assurer la durée ». (P.V. de l’installation du principal et des régens, archives municipales).

En même temps, plongeant dans l’actualité immédiate, le maire fait l’éloge des maîtres en place qui, grâce à leur savoir et à leurs exemples ont obtenu les succès les plus honorables : MM. Donnet (ou Donné) et Séguier, régents des classes d’Humanités, Relin qui occupe la chaire de première année de grammaire et la classe élémentaire et M. Ortola, régent de mathématiques. Tous prêtent individuellement le serment requis à l’Empereur. C’est par cette cérémonie publique que le Collège de Pézenas entre dans l’Université. Il ne devait plus en sortir que pour une décennie, vers le milieu du siècle.

L'homme de la situation : Peitavi (de) Saint-Christol

Cet état de fait, prospère, si l’on en croit le maire, l’établissement le doit grandement à son principal, Peitavi (de) Saint-Christol qui exerce aussi les fonctions de régent de rhétorique. « Un zèle constant, des veilles et des travaux assidus, une expérience de plus de quarante années dans l’exercice de l’enseignement, la juste estime que lui ont acquise son instruction et son goût pour les lettres, la manière honorable avec laquelle il a toujours rempli sa tâche et les vertus précieuses qui distinguent un homme de bien » sont, à ses yeux, un heureux présage pour l’avenir du collège. A l’équipe ainsi constituée de « former la jeunesse à la discipline, aux bonnes moeurs, aux sciences, à la précieuse connaissance de la religion ».

Ainsi débute l’histoire contemporaine du collège de Pézenas. Trois choses frappent à la lecture de cet important discours : le sens aigü que l’on a alors de poursuivre l’oeuvre entreprise sous Henri IV – ce lien avec collège des Oratoriens est constamment évoqué au XIXe siècle -, la survie exceptionnelle de l’établissement sous la Révolution il n’a jamais cessé de fonctionner -, et la satisfaction que son état procure aux inspecteurs qui viennent de le visiter récemment.

Il faut dire que le principal assure parfaitement cette continuité et par ses origines et par ses fonctions antérieures. Né le 19 mars 1749, à Alignan-du-Vent, Christophe Benoît Peitavi a fait ses études au collège de Pézenas, à la suite de quoi il entre chez les Oratoriens, ses maîtres. Il va rester sept ans parmi eux, de 1768 à 1775. Il enseigne successivement à Boulogne-sur-Mer et à Juilly, puis revient à Pézenas comme régent de seconde. Des nécessités de famille, selon ses dires, l’amènent à quitter l’Oratoire. Il gardera une vive estime pour ce milieu, où, dit-il lui-même, « on n’avait pas de supérieur mais où tout le monde obéissait ». Il reste marqué par l’influence janséniste et rappelle, en 1822 encore, que le collège a été formé sur le modèle de Port-Royal.

Lorsqu’il quitte l’Oratoire, il se rend à Toulouse pour y étudier le droit et, après quelques années de barreau et de jurisprudence, matière pour laquelle il n’a aucun goût, il retourne à l’enseignement. De 1776 à 1779, il se voit chargé de l’éducation des enfants du premier président du Parlement de Toulouse. Pendant la Révolution, on le trouve un temps, employé à l’éphémère comité de législation de l’An II. Qu’a-t-il fait d’autre durant cette période ? On n’en saura pas plus sous sa plume.

Cependant, à la même époque, à Pézenas, le collège poursuit sa carrière. En 1793, il devient collège National. Ses maîtres sont d’anciens oratoriens : Desbois pour les mathématiques et la philosophie, Frédéric Moutier pour la rhétorique, Segond pour les Humanités, Raybaud pour la grammaire, Joseph de la Combe pour la 4e, Étienne F. Xavier Abeille pour la 5e, Simoneau pour la 6e (ADH L 2477). D’ailleurs, on cherche à lui donner une promotion nouvelle, puisque les responsables politiques du district réclament, en vertu d’une délibération municipale du 6 ventôse an IV, la création d’une école centrale supplémentaire qui serait installée dans ses propres locaux. Le 28 mars 1796, le ministre de l’Intérieur leur répond qu’il faut d’abord organiser l’instruction primaire et l’Ecole centrale du Département, mais que la proposition de Pézenas n’est pas à écarter pour plus tard : « La position de cette commune, écrit-il, l’amour de ses habitants pour les sciences et les arts me paraissent des titres qui doivent fixer en sa faveur l’attention du Corps Législatif » (ADH L 2478). La commune postule encore le 21 novembre 1800 pour obtenir l’école d’arrondissement communal. Le maire écrit : « Nous aurons à lutter contre Béziers… mais tout milite en notre faveur » (lettre 124, 30 brumaire an 9).

Peitavi Saint-Christol arrive dans le collège, comme directeur, en vendémiaire, an VI. Il y rétablit, nous dit-il, l’autorité des régents, ouvre, à ses frais, une école élémentaire, et, en pleine révolution, « même par les tems les plus orageux », maintient l’enseignement « secondaire ». En septembre 1797, le collège recevait 38 pensionnaires, 7 demi- pensionnaires et 62 externes soit 97 élèves contre 121 en 1789. Le 7 juin 1800, on dénombre 50 pensionnaires et 80 externes – il n’en aura, en tout, que 72, en 1822. Voilà l’activité de ce personnage, qui est officiellement nommé principal du collège, dans le cadre de l’Université, le 2 janvier 1811.

Deux autres professeurs font le lien avec l’Oratoire au titre d’anciens membres de cette congrégation : Jacques Donné, né à Sisteron en 1760, qui était resté dans l’institut d’octobre 1777 à septembre 1784 – il exerça les fonctions de greffier de justice de paix durant la Révolution – et celui qui va être nommé aumônier du collège, La Serre Fondouce, le seul qui soit prêtre en exercice à cette époque. Il appartient à une famille « des plus distinguées de la ville ». Ancien chanoine, il fut premier dignitaire du chapitre. En 1811, après la mort de l’abbé Valat, lorsque Peitavi propose sa nomination, il est jugé « comme un homme respectable par l’âge, les moeurs, le talent, la vertu, comme citoyen et prêtre ». Il avait été membre du précédent bureau d’administration du collège et avait fait preuve d’un vif intérêt pour cet établissement. Il est nommé le 30 mai 1811.

Le collège jouit alors d’une grande réputation. Il est favorisé par de nombreux atouts. L’on fait valoir sa situation, dans la ville la plus centrale du département, sur la grand-route, et le fait qu’elle est le centre commercial d’un pays réputé pour sa salubrité et l’excellence des produits variés de son terroir. Ses bâtiments, affirme-t-on alors, sont superbes, bien aérés, avec un grand jardin. On pourrait y recevoir 200 élèves – pour l’heure, en 1811, il compte 38 pensionnaires et 59 externes. Les locaux sont occupés par le collège en vertu de la loi du 10 vendémiaire an XII. La ville lui affecte des fonds importants : 6 150 francs. Pourquoi en ce cas ne pas le choisir comme lycée? C’est la démarche faite auprès du recteur Dumas, par les membres du Bureau d’administration, en novembre 1811. Mais que peut Pézenas face à Montpellier ? De plus, cette perspective ne sourit pas tellement au principal qui risque de perdre dans cette affaire une place à laquelle il tient beaucoup, ainsi que ses revenus, le pensionnat étant à son compte. La pension coûte alors 550 francs et la rétribution des externes s’élève à 7,50 F par mois. Mais la prospérité affichée ne va pas durer longtemps. Rapidement commencent pour le collège des temps difficiles.

Temps de doute et de décadence (1818-1839)

Après avoir maintenu son établissement dans une certaine prospérité, Peitavi vieillissant le voit s’effondrer. En 1818, il se plaint du tour que lui a joué son neveu, Crozals, qui faisait fonction de sous-principal au collège et qui lui a enlevé et des maîtres et des pensionnaires. La nullité du régent des Humanités, Donné, « dépeuple le collège depuis 1813. On évite la classe de seconde ». De plus, Peitavi accuse cet enseignant d’intriguer pour que Crozals, devenu principal du collège de Clermont-l’Hérault, le remplace à Pézenas (11 juillet 1818). Les écoles de latinité de la ville, tenues par Peys, Brunet et Segonzac et favorisées par plusieurs Piscénois influents qui voudraient voir le collège « aller à vau-l’eau », lui font une rude concurrence. « Heureusement, note Peitavi le 18 mai 1819, la meilleure part des bons esprits prend notre défense ». S’ajoute à cette difficulté une perspective bien sombre : celle de voir les fonds municipaux affectés au collège diminuer, car le maire, dans les années 1819-20, songe à les réduire pour pourvoir à l’installation des frères ignorantins.

Finalement, en 1822, Peitavi laisse la direction à son neveu Crozals, après un arrangement entre eux – l’ancien principal reste régent de rhétorique – mais cela ne règle pas la situation. En mai 1825, aigri et fatigué, Peitavi de Saint-Christol se retire à Alignan, avec une pension de 210 francs, suivi, trois ans plus tard, par l’un de ses fils qui était devenu régent et sous-principal du collège et qui laisse la place à l’abbé Arribat, en avril 1828, pour des raisons de santé.

Le successeur de Peitavi, Joseph Crozals, né lui aussi à Alignan, en 1769, se retire à son tour dès 1823. Le 20 octobre, il écrit au recteur cette lettre désabusée :

« Le collège de Pézenas est dans une telle défaveur, il est entouré de tant de petites rivalités plus ou moins tolérées, plus ou moins favorisées par une foule de personnes qui ne sont pas sans influence auprès et au loin, qu’il est presque humiliant d’en conserver la direction. Il ne faudrait pas avoir de pain à se mettre sous la dent pour consentir à se prêter plus longtemps à nos luttes aussi peu glorieuses qu’avantageuses, et j’ai révolu de laisser à d’autres le soin de guerroyer avec la foule d’antagonistes tous intéressés à la chute d’un bel établissement ». De plus, les bâtiments se délabrent.

L’abbé Canac le remplace (1823-28). S’il y reste un peu plus longtemps, il n’obtient pas de meilleurs résultats, comme le constate le maire, de Grasset, le 19 avril 1828 : « Il faut relever cet établissement qui depuis des années était tombé dans un état déplorable ». Entre le départ de M. Canac, en fin mars 1828, et l’arrivée de l’abbé Ricard, un curieux accord est passé : M. Segonzac, maître de pension en ville, accepte de fermer son pensionnat (1er avril 1828) pour s’appliquer à réorganiser le collège où on lui confie la chaire de 4e. Lorsque Ricard arrive, il constate que la situation est satisfaisante : « Tout ce que j’ai observé jusqu’ici dans ce précieux établissement me fait juger qu’il a été bien organisé… ordre, émulation y règnent ». Il doit donc impérativement s’entendre avec Segonzac à qui il est redevable de cet état de choses. Mais il ne reste qu’un an. Martin Cadas devient principal, en octobre 1829.

Ses trois années de présence à Pézenas sont semées d’embûches. Il dénonce les ambitions et les menées d’un des ses professeurs, « l’incapable Sicard » (sic). Il écrit à son sujet au recteur Gergonne : « Les élèves révoquent en doute ses capacités » (28 octobre). Il est « réprouvé par l’opinion » (8 novembre). Et encore : « Je vous préviens que la classe de rhétorique est sur le point de se dissoudre à la nouvelle que M. Sicard reprend sa classe lundi » (13 novembre 1830). A son tour, cet enseignant attaque M. Cadas et le décrit comme un principal « rempli d’avarice et d’orgueil, pour qui rien n’est sacré » (4 décembre 1830). La rentrée est, il est vrai, bien mauvaise : « Les parents des élèves bien convaincus qu’avec les meilleures intentions je ne puis rien faire si je ne suis pas secondé ont pris le parti d’envoyer leurs enfants dans des collèges plus favorisés. Ainsi nos classes se trouvent presque désertées ». Les événements politiques ne semblent pas être étrangers à cet état de choses.

Autre disgrâce, M. Segonzac a repris sa liberté et rouvert son pensionnat. En octobre 1830, il se vante de réunir 50 élèves « dès le début ». M. Cadas l’accuse de manquer d’instruction et de se faire le détracteur du collège par esprit de jalousie. La situation est d’ailleurs, selon le principal, intenable car on rencontre à Pézenas « une école dans chaque rue » (12 octobre 1830). En dehors des frères qui reçoivent alors plus de 400 enfants, on y trouve huit instituteurs dont plusieurs enseignent illégalement le latin. Il faut « prévenir la ruine entière du collège et (défendre) ses bonnes études » (18 novembre 1830). Il faut aussi changer l’aumônier qui ne convient pas, car « il est trop rigide pour des élèves ».

Devant tant de difficultés, M. Cadas a-t-il démissionné ? Le maire V. Puech affirme qu’il a renoncé à son poste « trouvant mieux son compte à exploiter sa campagne, qu’un collège déjà discrédité… Il vient de l’abandonner… Notre pauvre collège peut donc être considéré comme presque détruit » (lettre 183, 2 octobre 1831). Le principal prétend, lui, qu’il n’en est rien. Il est tout simplement « l’objet de cabale, d’envie, de haine, de jalousie ». En outre, selon lui, le collège est menacé de se voir supprimer les fonds qui lui sont attribués à ce jour. « Quelques membres du conseil municipal, écrit-il le 9 mai, épris d’un bel amour pour l’école des frères feignent de ne rien voir au-dessus de l’instruction primaire et seraient assez disposés à sacrifier un établissement qui fut un des plus beaux ornements de la ville et pour lequel rien ne leur coûtait tant qu’il était dirigé par des hommes de leur choix ». Il fait aussi valoir que, nommé principal « malgré l’administration locale et le recteur », il est sans cesse l’objet d’attaques « du recteur, du maire et de certains membres du conseil ». Le maire, V. Puech attribue « la ruine du collège » à M. de Bonald – l’ancien recteur – et à l’ancienne municipalité, d’une part, mais aussi à l’incurie de M. Cadas. Mais celui-ci généralise son cas et n’hésite pas à écrire : « quel est le principal de Pézenas qui a été épargné par la cabale depuis l’origine de l’Université ? »

Bref, les malheurs s’abattent sur cet établissement. La municipalité voit ses ressources diminuées de 6 000 francs par suite de la suppression des droits d’entrée sur les vins en 1831. La rentrée de cette année-là doit être faite par deux professeurs de la maison, Marty et Gallon, chargés provisoirement de l’administration. Ils annoncent de funestes perspectives : 24 élèves externes seulement sont inscrits, car de nombreuses intrigues sont dirigées contre le collège, et M. Cadas, l’ancien principal, essaie d’attirer les pensionnaires à sa campagne. Le collège va-t-il ouvrir ? On fait courir le bruit que non. Le nouveau principal, Méric, n’est en fait nommé que vers la fin novembre 1831, à la demande du maire de la ville qui l’a recommandé au recteur et demandé l’intervention d’un homme politique du cru auprès du ministre.

A peine arrivé, il fait le point : « Mal intérieur et extérieur, discipline faible, études plus faibles encore, confiance perdue ». Le maire, V. Puech, confirme ce diagnostic au recteur Gergonne, après avoir assisté aux exercices scolaires de 1831 : « Imaginez-vous des élèves de seconde qui peut-être n’auraient pas été des quatrièmes passables, des compositions ridicules, et un ensemble qui faisait hausser les épaules aux gens de bon sens » (27 octobre 1831). Méric ajoute encore des critiques sur le collège : on répand des commérages sur le compte des régents. L’un deux, Gallon, ose même afficher ses opinions politiques : « On le voit lecteur public de journaux, hanter les cafés, fréquenter une société politique rendez-vous de tout ce qu’il y a d’exalté dans l’opinion libérale. On l’accuse même de se livrer au jeu » (11 décembre 1831).

Alors que le collège semblait amorcer un redressement, Pézenas est l’objet de troubles, le 25 mars 1832, qui conduisent au changement de maire. Méric s’en dit affecté. A nouveau, la menace de perdre les fonds communaux se fait jour; on parle même de transformer le collège en caserne ou encore d’en confier la gestion aux jésuites « parce qu’il n’en coûterait rien et que disparaîtrait un établissement rattaché à cette université détestée qui offusque terriblement certains de nos libéraux ». Et M. Méric de demander, le 31 juillet 1833, que l’existence du collège ne soit pas remise en question à chaque retour du budget. « Que nous cessions d’être à la merci de quelques individus à prétention, qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, comme le bouc de la fable ».

Le collège va connaître à nouveau, dans les années 1835-36, une terrible crise. La position de M. Méric face à la municipalité devient intenable et le 27 juillet 1835, F. de Juvenel écrit au recteur : « M. Méric ne peut plus rester principal. Je vous déclare même, M. le Recteur, que je vais cesser de lui délivrer ses bons mensuaires comme ne remplissant pas les conditions en vertu desquelles il touche le montant de l’allocation votée par le conseil ». La municipalité dénonce l’incurie et la grande insouciance dans la gestion du collège de la part de M. Méric et des employés : « Les appartements sont malpropres, les toiles d’araignées couvrent les vitres du réfectoire et des dortoirs ; en dernier lieu, la commission sanitaire.., s’est fortement récriée sur le manque de soins qu’on apporte dans les différentes parties du bâtiment, surtout de ne pas enlever les balayures du corridor, puisqu’elle y a trouvé de la paille pourrie et que les odeurs fétides des latrines incommodent les élèves dans la salle d’études ». L’on a du mal à croire que la situation est, à ce point, dégradée. Mais ce n’est pas toujours mieux ailleurs, même à Montpellier (L.S. Histoire du lycée, p. 82). Le maire a pris le parti d’engager M. Thollard, le régent de mathématiques, pour qu’il se charge du personnel et de la direction intérieure du collège, ce à quoi ce dernier se refuse.

Le principalat est alors offert à l’abbé Fabre qui tergiverse, tant que le conseil municipal ne lui donne pas les assurances qu’il requiert et ne renonce pas à ses exigences – un régent par classe. On annonce même au collège que l’abbé a démissionné, avant de paraître (21 octobre 1835). Le 26 décembre, il n’est pas encore à son poste. C’est la veille seulement que le conseil municipal s’est décidé à voter les 4 000 francs alloués au collège pour 1836. En effet, un espoir semble se faire jour pour cet établissement. Depuis le mois précédent, l’assemblée municipale a été mise au courant d’un projet de l’évêque de Montpellier, Mgr Thibault, qui voudrait « établir une maison sur les bases les plus larges et les plus avantageuses à la jeunesse ». Il pense que, vu sa position centrale, Pézenas conviendrait pour la placer. Il ne demanderait à l’administration municipale aucune rétribution, se contentant d’un local assez spacieux pour recevoir un assez grand nombre de pensionnaires. Le Conseil approuve ce projet et nomme une commission chargée de rencontrer le Grand Vicaire pour discuter de cette affaire.

Dans la perspective d’un accord, il faut donc relancer le collège, d’où le vote de décembre. Ainsi rassuré, l’abbé Fabre peut gagner son poste. Le 17 janvier 1836, il dénonce « l’état pitoyable » de son nouvel établissement au recteur. Il n’y a qu’une trentaine d’élèves dont plusieurs ne payent rien (31 janvier 1836). Il annonce un déficit probable, car le pensionnat est inexistant : « Si les choses continuent d’aller sur le même pied, je ne pense pas que nous tenions jusqu’au bout de l’année ». Et de se gausser des espoirs suscités par le projet de l’évêque, « pour lequel on est tout de feu. On croit déjà voir ici 250 pensionnaires. On dresse des plans en bloc et en parcelles ». Mais « le collège va cahin-cahan ». Il s’aperçoit d’un énorme laisser-aller : les régents n’assistent pas aux offices le dimanche alors qu’ils sont, croit-il, tenus de surveiller leurs élèves pendant ce temps-là et doivent exiger d’eux qu’ils se confessent tous les mois. Les classes sont faibles : « que peut-on attendre d’élèves qui ignorent les règles les plus simples de la grammaire latine ? » Au bout de l’an, l’abbé s’esquive.

L’arrivée de M. Durfort, qui vient de Millau, ne change pas substantiellement les choses, malgré les termes de son prospectus (voir document p. 148). Il déclare que le principal de Pézenas n’a pas de traitement. Il est obligé, la première année, de faire un sacrifice de 2 000 francs, bien comptés. Le 10 octobre 1837, il déclare avoir eu un déficit sur l’année écoulée de 1 200 francs. Il s’est même offert à rétribuer l’aumônier, car dans le vote du budget, la commune a oublié « involontairement » de faire figurer ses 300 francs d’honoraires. D’ailleurs, il essaie d’en changer. M. Baraston lui paraît « un homme incapable s’il en fût, quoique recommandable par ses vertus » (30 novembre 1836). L’évêque s’y oppose d’autant plus vivement que le choix de Durfort s’est porté sur l’abbé Arribat, un jeune prêtre, « calomnié », selon, lui : « la religion de l’évêque a été surprise ». Devant ce refus, le principal s’offusque « L’autorité ne recule point, il faudra donner tort à ce digne père de l’Église qui aimait mieux que la vigne du Seigneur restât sans culture plutôt que d’être labourée par des ânes ». Le recteur Gergonne ironise à son tour : « Je crois d’ailleurs M. Durfort assez peu connaisseur en fait d’aumônier, si même je ne tenais pas comme un peu suspect un candidat de sa main ».

Bref, on le voit, le collège a des problèmes en tout genre. C’est alors que se présente le « sauveur » qui va transformer radicalement la maison. Comment va-t-il parvenir à ce résultat ?

Lombard à la barre : une phase de prospérité (1839-44)

Avec ce nouveau principal en effet va se produire le déclic tant attendu, un véritable renouveau, une sorte de résurrection. Le collège va parvenir alors à un étonnant apogée. Le nombre d’élèves se met à croître si vertigineusement qu’à Montpellier, au rectorat, on met en doute les chiffres que fournit Lombard. Le recteur Gergonne, qui n’aime guère l’homme et ses méthodes, l’accuse même, en 1841, de les avoir gonflés. Le principal lui rétorque avec la même vivacité : « J’ai 219 pensionnaires et je suis à la veille d’en avoir 225. Je suis loin de vouloir imiter la grenouille, ce collège est le boeuf et dès lors la fable ne peut plus m’être appliquée ». Ces étonnants résultats renforcent encore la causticité naturelle de Gergonne : « En quelque lieu qu’il plante son piquet, il saura toujours… faire venir l’eau au moulin, en jetant de la poudre aux yeux. Pour qui veut devenir riche, le savoir-faire vaut mieux que le savoir. Il attire les élèves autour de lui comme un pot de miel attire les mouches » (ADH, 1843). C’est un fait indubitable. On prétend même que le nombre des élèves grimpe jusqu’à 300.

Les chiffres officiels sont moindres, mais tout de même très importants au 1er janvier 1842 : 215 pensionnaires et 44 externes soit 259 élèves, au 1er janvier 1843 : 212 pensionnaires et 28 externes, soit 260 élèves. Ces données montrent que le principal recrute dans une zone vaste et, très peu à Pézenas, puisqu’il y a plus de 80 % d’internes au collège.

Il avance aussi beaucoup de succès : de 15 à 20 candidats par an au baccalauréat et une demi-douzaine à Saint-Cyr. Le Courrier du Midi annonce le 21 novembre 1843, treize réussites, en deux sessions, sur 17 candidats, soit 76,5 % de reçus. C’est beaucoup en nombre et en pourcentage pour l’époque. Sur quoi mise-t-il ? Sur le succès et l’ouverture à la vie. Maître de danse, professeur de dessin et de peinture, maître d’équitation donnent aux élèves une formation mondaine (Moulinas, p. 49). On a élargi l’éventail des classes en ouvrant une école primaire supérieure, un cours de mathématiques spéciales et un autre de mathématiques élémentaires. En ces années-là, par contre, le lycée de Montpellier connaît une crise très sérieuse. M. Dunglas, le proviseur, mis en accusation pour sa gestion, se justifie en faisant état de l’énorme succès des collèges de Pézenas et de Béziers qui porte préjudice à son établissement (L. Secondy, Histoire du Lycée de Montpellier, p. 90-94).

Mais Lombard se montre exigeant. Il donne à ses enseignants 17 500 francs. La commune refuse de souscrire à toutes ses demandes. Le maire adresse un appel au secours au recteur, le 24 juin 1844, en faveur de cet établissement « placé au milieu d’une population de 8 000 âmes et d’une foule de villages riches et industrieux pour lesquels son existence est indispensable » (lettre 381). Mais le 6 août, il constate, désabusé : « Le collège n’a plus de principal ». Pourquoi ne pas nommer Vidal-Lablache, professeur de 3e à Avignon ? Mais c’est Baget qui arrive, comme l’annonce le Courrier du Midi du 10 septembre 1844.

De la prospérité à la privatisation (1844-1852)

Durant ces années-là, le destin du collège oscille tantôt d’un côté tantôt de l’autre, mais finalement cette belle entreprise coule. Pour l’expliquer, Moulinas met en avant le coup d’État de 1851. Certes! Mais en fait, cette exceptionnelle prospérité a commencé à décliner bien avant, à partir de 1844. Le nouveau principal, Baget, arrivé en 1844, échoue. Le 17 février 1845, il n’a plus que 107 élèves. En juin, il parle de la conjoncture difficile ; en septembre, il déclare que « ses efforts tendent à éviter la décadence d’un établissement qui pourrait compter au nombre des plus importants du Midi de la France, dans l’avenir du moins, si la cité savait comprendre son propre intérêt et mieux ménager les chefs que l’université lui adresse ». Une fois de plus, la politique de la ville est mise en cause.

Les successeurs désignés, Ruch puis Ranc, ne semblent pas avoir pris le poste, puisque dès le 10 octobre 1845, c’est Marty, professeur de rhétorique au collège de Rodez, qui est nommé. Le 18, il fait part au recteur de ses impressions : « On avait fait circuler le bruit que je refusais la place. J’arrive seul dans un pays inconnu, dans un établissement dépourvu de meubles et de provisions ». Il demande que la rentrée soit retardée au 3 novembre, d’autant plus que les vendanges sont en retard et les parents occupés aux travaux agricoles.

Dans un de ses discours, publié par le Languedocien, le 30 août 1846, il fait état, « depuis un an », de l’amélioration de la nourriture, du travail et de la discipline en « accoutumant les enfants à la soumission ». Il annonce la création de cours de langues vivantes : anglais, allemand, italien et espagnol, au choix des parents. Le 25 avril 1847, l’inspecteur Delmas écrit, à propos du collège de Pézenas : « Tout ce que j’y ai vu m’a convaincu que ce modeste établissement était digne à tous égards d’une plus brillante fortune ». Il en fait des éloges « l’aumônier est écouté avec déférence et respect et les élèves mettent ses instructions en pratique ». Il est soutenu par le chef d’établissement, homme essentiellement religieux. L’inspecteur parle de « la gravité douce » de M. Marty, toujours accessible, qui plaît également aux enfants, aux fonctionnaires et au public. Aucune restriction à faire.

Prospectus collège de Pézenas 1836-37
Prospectus collège de Pézenas 1836-37

Mais ce collège, si brillant en 1841, n’a plus que 68 élèves secondaires et 19 élèves de français. Le 20 juillet 1849, on constate un nouveau progrès : « depuis deux ans le collège a repris faveur dans l’opinion générale ». Le pensionnat s’est accru sensiblement.

Reste que tout n’est pas positif dans l’administration de M. Marty. Les inspecteurs Généraux qui visitent le collège en mai 1848 se montrent critiques : « Le local est dans un état médiocre, les salles d’études et de classes ne sont pas assez propres, on ne les balaie qu’une fois par semaine ». Cependant, le reste est convenable. Les événements extérieurs n’ont pas trop touché la maison. Marty inspire de la confiance, il a de l’aplomb, de la tenue, de l’autorité mais manque de distinction. Le pensionnat s’est accru sensiblement. Cependant, il ne peut plus rester à Pézenas, car sa femme ne supporte plus d’y vivre, à la suite de la perte de deux de leurs enfants en 4 ans. Le principal se retire avec les éloges de la municipalité et des inspecteurs, tant pour son caractère que pour sa conduite.

Pour la deuxième fois, les autorités de la ville réclament la nomination, comme principal, de Vidal-Lablache qui, professeur de rhétorique à Bédarieux et à Pézenas durant 14 ans, a su nouer dans la région de solides amitiés auprès de nombreuses familles et des collègues. Mais c’est le principal de Bédarieux, Poujade, qui obtient le poste le 17 septembre 1849. S’il semble s’occuper avec sérieux de la discipline et des études il a contre lui une situation difficile que rend parfaitement un long rapport du recteur Godron, du 6 février 1852 (ANF 17, 8518). Les causes en sont multiples. Le pays connaît la gêne. Les événements politiques qui se sont accomplis depuis 1848 ont diminué l’aisance des familles. Une épidémie de suette miliaire, au début de l’été 1851, a nécessité un licenciement provisoire des élèves et un grand nombre d’internes ne sont pas revenus et se sont « disséminés » dans les collèges voisins.

Le principal a été mal accueilli par les personnes les plus influentes de la localité qui professent des opinions monarchistes. Or M. Poujade a manifesté, à Bédarieux, des opinions franchement républicaines. Le recteur suggère de le déplacer. Un autre enseignant, M. Blaquières, régent de 5e, a lui aussi fait montre d’opinions politiques républicaines très prononcées et on l’accuse de fréquenter les cafés, ce qu’il avoue avoir fait mais ne plus faire. Il inspire peu de confiance sous le rapport religieux. De plus, en décembre 1851, « parmi les personnes qui se sont fait inscrire à la mairie pour prendre les armes et défendre l’ordre, on a remarqué l’absence des fonctionnaires du collège. Cette circonstance a produit un mauvais effet ». Depuis deux ou trois ans, le nombre des personnes défavorables au collège et qui demandent sa transformation en École secondaire libre a augmenté. S’ajoute à cela, le mauvais état des finances de la ville. Et le recteur Godron de conclure : « J’ai tout lieu de redouter le licenciement prochain du collège ».

Il faut dire que l’occupation d’une partie de l’établissement, qui sert de prison après le coup d’état du 2 décembre, se poursuit, se prolonge et s’aggrave. En février 1852, selon le rapport du recteur, 496 prisonniers y sont incarcérés. Et leur nombre augmente tous les jours. La chapelle elle-même est réquisitionnée à cet usage. On en est réduit à faire les classes et les études dans la salle de l’école primaire, au vestiaire, à la lingerie, à l’extrémité d’un dortoir, à l’infirmerie, etc. La situation n’est donc pas facile. De plus, les effectifs sont médiocres : 44 pensionnaires, huit demi-pensionnaires, 35 externes, en tout seulement 87 élèves. Le recteur parle « d’état de décadence ».

Or le conseil municipal est bien décidé à céder l’établissement à une congrégation religieuse, ce qui, selon M. Godron, représente un grave danger :

« S’il est confié à des hommes capables, il peut prendre une grande extension dans les vastes bâtiments du collège actuel – il rappelle que, malgré le fait que l’établissement soit occupé par la mairie et l’école communale tenue par les frères, on a pu y loger 200 internes (sous Lombard) – et, comme Pézenas se trouve placé au centre de tous les collèges communaux de l’Académie (alors départementale), leur existence serait à la fois menacée ». Qu’allait-il advenir du collège !

L'expérience de privatisation : un échec (1853-1861)

Les multiples tentatives pour changer le statut de l’établissement universitaire – projet d’appeler les Jésuites, projet de Mgr Thibault – trouvent leur réalisation dans les années 1850, sous le double effet de la Loi Falloux de mars 1850 et des événements politiques qui agitent le pays en décembre 1851. Le coup d’État de L. N. Bonaparte provoque une mise en état de siège de Pézenas. Une colonne mobile rétablit l’ordre. Le changement de régime et de municipalité aboutissent à la disparition du collège municipal – il en va de même à Lunel. Le 3 avril 1852, M. de Vignemont propose son remplacement par ce que l’on appelle alors une Ecole secondaire libre, projet adopté à l’unanimité du Conseil municipal de l’époque, à une voix près. Le nouvel établissement met du temps à prendre corps car on a du mal à trouver la solution. Le maire écrit, le 12 février 1853, « le collège est actuellement fermé » (lettre N° 118). Finalement, on en offre la direction à deux professeurs de l’Assomption, l’établissement nîmois à qui le Père d’Alzon vient de donner un élan remarquable, Lethiellieux et Mazel, en leur offrant d’appréciables avantages que mentionne le projet de traité entre la ville et les preneurs. Le dossier d’ouverture, transmis au préfet de l’Hérault par le sous-préfet de Béziers, le 21 avril 1854, énumère les clauses suivantes : la ville se propose d’offrir à la nouvelle école le local et le mobilier et, pendant dix ans, une subvention : 10 000 francs pendant les trois premières années, 6 000 au cours des sept autres. S’il y avait plus de 150 élèves, la subvention serait réduite.

Le recteur Jourdain, consulté, se montre défavorable à ce projet pour deux raisons principales. Il y a, selon lui, trop d’établissements secondaires dans l’Hérault, et cette concurrence donne finalement peu de succès à tous. Mais aussi, par crainte de l’influence du Père d’Alzon sur cet établissement. Le préfet n’est pas moins réticent : il estime, le 22 juin, qu’il n’y a pas lieu d’autoriser cet établissement. Si on croit bon de le faire, il faudra se borner à céder le local et limiter la subvention à 5 000 francs, la loi du 19 mars 1850 n’autorisant pas les municipalités à attribuer des subventions qui excèdent le 1/10e des dépenses de l’établissement.

La nouvelle maison finit par ouvrir. Elle affiche des buts ambitieux: donner l’enseignement secondaire conformément aux programmes officiels pour le baccalauréat es-lettres et es-sciences et la préparation aux concours d’admission dans les écoles du gouvernement. Depuis toujours les notables de Pézenas avaient émis ce vœu, en réclamant, nous l’avons dit, l’ouverture d’une École centrale, puis d’un lycée. Le souvenir de l’époque des Oratoriens, considérée comme glorieuse, demeurait vivace en leur esprit.

En janvier 1855, le personnel enseignant se compose de sept professeurs, plus un aumônier. On compte alors 69 élèves présents, dont 42 secondaires et 27 primaires; parmi eux, 29 pensionnaires. Mais les directeurs gonflent le budget prévisionnel au point que le Conseil départemental, puis le Conseil impérial de l’Instruction Publique refusent la concession des bâtiments et la subvention (5 février 1856). Le recteur s’oppose à ce que la direction soit collégiale. Elle échoit d’abord à Lethiellieux qui cède, assez vite, la place à Mazel, autorisé à le remplacer en 1856 (certificat de non-opposition du 7 juin). Il s’était engagé, en avril, à ne pas admettre plus de 112 pensionnaires, chiffre fixé par le Conseil départemental, le 13 novembre 1854. Le 23 avril, il donne l’état de son personnel : l’aumônier est l’abbé J.-L. Affre; Louis Vedel et Barthélémy Segonzac, maîtres de pension en la ville, font partie des enseignants. Les effectifs, qui étaient au 6 juin 1856 de 127 élèves dont 45 pensionnaires et 65 secondaires, sont tombés à 65 le 19 janvier 1857 ; il n’y a d’élèves qu’en 3e 5e, 6e, 7e et 8e. Le nouvel établissement ne connaît donc pas le succès escompté. Il faut signaler que la base de recrutement antérieure a été modifiée : l’enseignement religieux est maintenant le fondement de cette école qui a désormais un caractère exclusivement catholique. On n’y admet aucun enfant du « culte dissident ». Dans l’enseignement, on fait une part plus large aux auteurs chrétiens. On veut établir un système paternel, où les rapports entre maîtres et élèves soient fréquents.

Mazel avait obtenu des subventions pour la période quinquennale 1856-1860. L’expérience de privatisation ne va pas excéder ce seuil. En octobre 1861, fut donné une autorisation de réouverture provisoire du collège communal que le maire avait demandée au préfet le 19 août. Dès la rentrée, il accueillit 106 élèves. Le succès de l’établissement universitaire allait-il enfin venir avec sa réouverture ?

Deux belles chances ratées (1861-1867)

« La municipalité fit peu de choses pour le collège » en 1861-62, selon Moulinas (p. 52). Grâce aux sources internes, nous comprenons pourquoi. L’inspecteur d’académie, Gaffarel, déclare, dans ses rapports, que le maire, Besson, affectionnait M. Mazel et protégeait son pensionnat. Il n’aurait pas voulu du collège, dont la création lui fut imposée par l’opinion publique et la majorité du Conseil municipal. D’où son « inertie ». Pour tout arranger, le nouveau principal, Bonnafous, qui arrive du Vigan, ne se montre guère prévenant envers ce magistrat. Présenté au conseil municipal, « il se livra avec trop de chaleur et d’abandon à des plaintes qui accusaient hautement l’incurie du maire ». C’était le 14 novembre 1861. Aucune affaire ne put être discutée ce jour-là au Conseil.

Il y a donc une vive antipathie entre le maire et Bonnafous qui manque de tact et de prudence et s’est jeté dans les bras des adversaires de M. Besson. L’installation du nouvel aumônier du collège, l’abbé Paulinier, ancien élève de la maison de 1826 à 1830, futur évêque de Grenoble, qui coïncide avec la bénédiction de la chapelle, fournit un exemple des rapports tendus entre ces deux personnages. Alors que toute la ville était invitée à la cérémonie, son premier magistrat n’en fut informé, prétend-on, que par un simple billet imprimé, ce qui fut pour lui un outrage. Le 9 décembre 1861, le principal se plaint à M. Gaffarel de l’indifférence et du mauvais vouloir du maire qui ne fait aucune réparation au collège. Le changement de maire, en janvier 1862, semble avoir arrangé les affaires. Selon les membres du Bureau d’administration du Collège, le nouveau promu, M. Mazel-Gazel, est l’un des plus riches propriétaires de Pézenas et l’un des plus honnêtes. Le nouveau magistrat municipal, lors de la distribution des prix du 10 août 1862, qui se fait ici un dimanche à cause des travaux des champs – ce qui montre l’origine rurale de nombreux élèves – s’estime satisfait de la prospérité du collège et de son digne principal. L’inspecteur général Filon n noté lors de son passage les 11 et 12 juin 1865 la présence de 112 pensionnaires et de 113 externes « grâce aux efforts persévérants du principal » (Messager du Midi, 25 juin 1865).

Mais cinq ans plus tard surgit une nouvelle affaire entre Bonnafous et la municipalité. Au mois d’octobre 1867, le maire lui envoie quatre lettres que le principal trouve impolies. D’où sa réaction : « J’ai dirigé pendant six ans le collège de Pézenas avec un dévouement jamais démenti. Je vois avec peine étant en butte aux attaques malveillantes d’une certaine coterie qui a fait de tout temps une guerre acharnée à l’Université ». « Depuis huit mois une coterie d’hommes fait tout pour porter préjudice au collège et créer dans la ville un établissement ecclésiastique. Certains sont membres du Bureau d’administration. La nouvelle administration municipale semble vouloir hâter l’accomplissement des voeux de nos ennemis ». Réapparaît une fois encore la querelle qui oppose les tenants d’un enseignement laïque aux partisans d’un enseignement clérical. La nomination d’un nouveau principal, M. Blusson, en octobre 1867, amène le maire Mazel à écrire : « Il aura beaucoup à faire pour détruire le mal causé par la mauvaise direction de son prédécesseur » (28 octobre 1867).

Cependant, d’importantes affaires furent conduites par M. Bonnafous. Durant son principalat, en effet, l’on envisagea, à plusieurs reprises, de transformer la destination du collège. Les projets trop ambitieux n’avaient jamais réussi à la ville. Ne fallait-il pas envisager autre chose qui conviendrait mieux aux besoins des habitants ? En novembre 1862, M. Bonnafous croit bon de présenter un tel projet il propose de créer un cours professionnel, avec des gens de métier : un agriculteur qui apprendrait aux élèves l’économie rurale, un mécanicien et un menuisier qui leur donneraient « la science des machines et l’emploi des forces chimiques », un commerçant qui leur expliquerait « le maniement des produits de notre globe ».

L’inspecteur d’Académie, Gaffarel, s’insurge à cette idée « M. Bonnafous n’a rien compris. Cette section n’a pas pour but de donner un métier aux élèves, mais d’insister sur l’étude sérieuse de la langue française, l’histoire nationale, la géographie et peut-être une langue vivante » (juillet 1863). Il pense que le collège ne doit pas chercher à faire des bacheliers, mais doit se circonscrire dans l’enseignement de la grammaire, en donnant de l’extension à ses cours de français, « car ce sont là les vrais besoins de cette contrée riche et agricole ».

Bonnafous persiste dans ses vues, en faisant parvenir à l’inspecteur, le 27 juillet 1863, le prospectus du collège de Castres qui annonce qu’il va préparer les jeunes gens à l’industrie, aux arts mécaniques et au service des chemins de fer. Pour cela, il faut « créer des ateliers et donner aux élèves des contremaîtres spéciaux, sous la direction desquels les enfants exécuteront des travaux à l’aide d’épures, qu’ils auront préalablement tracées ». Le recteur doit prendre position. Devant l’existence du précédent que constitue l’établissement de Castres, il croit devoir en référer au ministre. Il s’en explique ainsi, le 29 juillet : « J’ai cru devoir répondre que, pour le moment, il ne saurait être question d’annexer aux établissements publics qu’un enseignement professionnel purement théorique et que descendre à la pratique serait changer la destination légale de nos établissements qui deviendraient alors des succursales des écoles d’arts et métiers ». L’affaire n’ira pas plus loin. Elle montre le fossé qui sépare les conceptions des responsables de la base de celles de leurs supérieurs en matière d’adaptation de l’enseignement aux besoins réels du pays et au niveau des élèves.

En 1863, il est aussi question de transformer le collège de Pézenas en collège d’enseignement spécial (D.M. du 29 novembre). L’on sait que ce rôle sera finalement attribué à celui d’Alès, préféré à Pézenas. Lorsque la question revient sur le tapis, en octobre 1867 (D.M. du 4), la ville fait, une fois de plus, valoir ses atouts : la fertilité du sol, les riches et nombreuses populations, sa situation topographique qui en fait le point central des cinq départements du ressort académique, de vastes et magnifiques locaux. La municipalité de Pézenas est alors prête à déloger la Mairie, la justice de paix et l’École des frères (300 élèves), qui, rappelons-le, sont tous dans le même bâtiment, pour offrir la place nécessaire à un collège de ce type. Le rapporteur au Conseil académique y est tout acquis : « Créer un enseignement spécial à Pézenas, qui a tous les locaux et les qualités pour cela, c’est faire que le collège retrouve et sa prospérité et sa vie qui lui échappent de jour en jour ». Le principal, Blusson, en est bien d’accord : « Les conditions sont des plus favorables pour créer un collège spécial viticole » (7 mai 1868). Mais ce projet, comme tant d’autres, tombera dans les oubliettes.

Ainsi durant ce grand demi-siècle, de 1811 à 1868, le collège a connu des fortunes diverses, mais il n’a jamais su ou pu être durablement prospère. Les querelles et les désaccords en tous genres, y compris de nature politique, ont bloqué son développement ou causé sa régression. La privatisation, à laquelle certains avaient accordé une grande confiance, n’a pas donné des résultats plus heureux. Alors, inadaptation ou pléthore ? Comme les difficultés qu’a connu le collège de Pézenas se rencontrent fréquemment dans les collèges voisins, on s’est demandé si elles ne provenaient pas de leur trop grand nombre, en un espace si réduit : quatre collèges dans un rayon de vingt kilomètres : Agde, Béziers, Clermont-l’Hérault et Pézenas. Ils sont si proches que la concurrence est très forte entre eux, à une époque où l’internat est un procédé d’éducation très utilisé et permet aux établissements secondaires, souvent au compte de leur principal, de survivre. Pour attirer, il faut séduire. Ce n’est pas chose aisée. Tout le monde n’a pas l’art d’un Lombard.

L’organisation de cet enseignement, réservé à un nombre réduit de garçons, et de garçons seulement à cette époque, posait donc de gros problèmes aux villes et, indirectement à l’État, appelé à aider financièrement des établissements dits municipaux. Le cas de Pézenas que nous venons d’analyser durant cette période, s’il n’est pas unique, en est un bon exemple. La période 1868-1939 sera-t-elle plus favorable à cette maison et lui permettra-t-elle de mieux s’en sortir ? A suivre…

Sources

Sources d'archives

Archives municipales de Pézenas, dossiers divers, dont le « procès verbal de l’installation de M. le Principal et régens du Collège de la ville de Pézenas » d’où sont extraits les passages du discours 8 avril 1811 et les dossiers de Correspondance du maire (nombreux extraits communiqués par Claude Achard, à qui nous disons ici notre gratitude).

Extraits de journaux régionaux : Le Messager du Midi, Le Languedocien

Archives départementales de l’Hérault, série L, en particulier L 2477 et 2491, et la série T que nous avons consultée en son temps pour Pézenas, mais qui n’était pas classée. Au lieu des référencesclassiques, inexistantes, nous avons pris le parti de dater les actes cités, entre parenthèses dans le texte, faute de pouvoir préciser mieux.

Archives nationales, divers dossiers en F 17, en particulier le 8518.

Sources imprimées

Moulinas, le Collège de Pézenas, Imprimerie L. Pioch, Pézenas, 1901, préface d’Albert-Paul Allies.

Secondy Louis, thèses, nombreux articles sur l’enseignement et l’Histoire du Lycée de Montpellier, Presses du Languedoc, Montpellier, 1989.