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Description

Sud, Midi, du discours anthropologique des Lumières
au discours politique de la Révolution

L’anthropologie apparaît comme une vision de l’autre dans ses ressemblances avec Moi : ce sens du mot est relativement récent et la paternité en est attribuée à un pasteur de Neufchatel, Charvane, en 1788. La chose, en revanche, est plus ancienne comme science générale de l’homme et s’observe dès les débuts de l’époque moderne. L’ethnologie est la vision de l’autre dans ses différences avec Moi ou dans la vision de Moi par l’autre dans nos différences réciproques. Ces deux approches de l’homme en situation sociale sont complémentaires : elles reposent toutes deux sur une recherche menée par un observateur se mettant lui-même en situation. La vision anthropologique mène à la recherche des ressemblances et même à l’idée d’identité, tandis que la vision ethnologique s’appuie sur la recherche des différences et fonde l’identité sur la différence.

La vie sociale est liée à un territoire ou, si l’on préfère, à un espace dont la caractéristique est généralement d’être le lieu d’application des pouvoirs d’une souveraineté ou d’un état : le discours anthropologique et le discours ethnologique sont appelés à s’enraciner dans un espace qu’il est possible de qualifier de politique. Dès lors, la démarche historique d’analyse des discours se développe dans le sens d’une confrontation des discours anthropologiques, ethnologiques et politiques. Dans le royaume de France, précocement unifié, il devient important d’établir quand, derrière le discours politique s’appliquant aux sujets du Roi de France, se dévoile un autre discours politique exaltant les libertés et franchises des provinces et débouchant sur l’exaltation des différences. Ce discours politique peut se trouver renforcé par le discours anthropologique et surtout, par le discours ethnologique défini comme fondateur des différences.

Un des points d’appui de la notion de différence est le territoire dès lors, il devient indispensable de localiser ce territoire par rapport à un ensemble plus vaste, voire du monde : de cette recherche de. position relative naissent les concepts de Nord, de Sud, d’Ouest ou d’Est, déterminés au départ d’un centre. Il y a, un de nos témoins à venir le dit, des southern countries en Angleterre, il y a aux États-Unis un deep south qui est au Nord du Mexique. L’homme a pris l’habitude, surtout depuis qu’il y a une vision cartographique et cartographiée du monde, de se situer par rapport à des points cardinaux. Ces repères ne sont pourtant utilisés que par rapport à un point central et c’est généralement la politique qui définit ce centre.

Au moment où le royaume d’abord, puis la république ensuite, sont déclarés « une et indivisible », la froideur des discours anthropologiques et ethnologiques, discours d’observation et de constat, cède le pas à la chaleur du discours politique, discours de volonté et d’action. Les députés de la Nation, réunis à Paris, engagés dans une rude bataille de défense nationale, exaltent l’unité et condamnent tout ce qui peut diviser. Je pense que c’est dans l’exaltation du patriotisme et de l’idée de nation que se dégage un discours politique qui veut fondre les différences provinciales au creuset de la nation et transforme en opposant potentiel celui qui manifeste une différence. Il faut d’ailleurs remarquer qu’au même moment les idées contre-révolutionnaires s’appuient précisément sur les différences qui existent en fait entre les citoyens français. Ce discours politique de la révolution connaît deux étapes : le projet fédératif unissant par la fraternité des citoyens restés différents, le projet unitaire fondant dans l’égalité tous les « enfants de la Patrie ».

En passant du discours géographique au discours anthropologique et ethnologique des Lumières, je vous propose d’examiner comment le discours politique de la révolution française cristallise des traits auparavant épars autour d’un concept global de Midi et de méridional. Ce concept est la version française du concept de Sud qui me paraît en revanche une version originale typiquement américaine. On notera qu’en français l’adjectif formé sur Sud, Sudiste, ne peut se référer qu’à la guerre de Sécession, à Autant en emporte le vent et au rock’n roll. D’après les dictionnaires étymologiques de la langue française, les mots servant à désigner les points cardinaux apparaissent au XIIe siècle. Il faut noter l’emploi conjoint de mots d’origines différentes : Sud, Nord, Est, Ouest nous viennent de l’ancien anglais Midi, Septentrion, Orient, Occident nous viennent du latin ce sont eux qui donnent naissance à des adjectifs : Méridional, Septentrional, Oriental, Occidental, pouvant eux-mêmes donner naissance à des substantifs. Dans l’usage français. on en est arrivé à employer les mots d’origine anglaise pour désigner les points cardinaux et ainsi se repérer sur des cartes ou sur le terrain, et à réserver les adjectifs ou les substantifs à la définition d’espace ou à la caractérisation des hommes qui vivent dans ces espaces. Le dictionnaire de l’Académie est parfaitement clair sur cet usage : « Sud un des quatre points cardinaux… Midi opposé au Nord… Méridional du côté du Midi par rapport au lieu dont on parle : régions méridionales, peuples méridionaux ». […]

Informations complémentaires

Année de publication

1985

Nombre de pages

6

Auteur(s)

Michel PERONNET

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf