Régine Lacroix-Neuberth – Le mot dit du corps et la corde sensible de l’être
Régine Lacroix-Neuberth :
Le mot dit du corps et la corde sensible de l’être
Christian GUIRAUD * et Jean-Louis BASTIDE **
* Professeur agrégé, Docteur en sociologie. chguiraud@orange.fr Remerciements posthumes à Régine LACROIX-NEUBERTH qui m’avait confié, de son vivant, de nombreux témoignages de son exceptionnel parcours de vie. Remerciements également à Guy LAURANS pour sa relecture bienveillante de l’article.
** Expert-comptable, exécuteur testamentaire et parent de RLN. jeanlouis.bastide@neuf.fr
Régine Lacroix-Neuberth, née en 1912 à Montpellier et décédée en 2010 à Castelnau-le-Lez, est dans la longue tradition d’une famille au sein de laquelle l’expression 1 de l’être n’est pas un vain mot. Dire par le corps exposé à une difficulté, à une souffrance, à une joie, à un amour, semble être le moment nécessaire d’une reconnaissance par autrui, passage obligé d’un combat qui mène à l’espérance de soi. Elle a trouvé sa voie dans, la (re)construction de la parole 2, source d’épanouissement, voire de libération, de l’homme dans son identité vocale et physique. S’appuyant sur les fondamentaux de l’expérience vécue et d’une expérimentation collective, elle met en pratique et théorise la technesthésie, « discipline consacrée au développement de la personne dans et par la parole 3 ». Les racines de sa vie personnelle et sa formation de comédienne participent totalement à l’émergence de ce qu’elle appelle « une singulière et joyeuse science humaine 4 ». Cette activité créatrice, voire fondatrice, est-elle le produit d’une confrontation à un environnement contraignant qui lui permettait d’en intégrer les aspects antinomiques de la réalité humaine 5 ? Cette mise en parallèle d’événements d’une vie et la construction d’une discipline de formation de l’Homme peut surprendre, mais nous formulons l’hypothèse de leur forte interdépendance.
Une généalogie de l’expression contrainte
Son arrière grand-père, Silla 6 Lacroix, trace la voie d’une résistance au bâillonnement de l’expression du peuple en s’opposant au coup d’État de Napoléon III du 2 décembre 1851. Maire de Mèze, village situé au bord de l’étang de Thau dans l’Hérault, il n’hésite pas à prendre fait et cause pour les révoltés qui se réunissent dans la maison commune. Il est rapidement arrêté, interrogé et condamné au bagne en Algérie (classé « Algérie + ») 7. Accusé de « complot, mouvement insurrectionnel », il apparaît comme un « chef dangereux et influent ». Son très jeune fils, selon la légende familiale, s’est jeté en vain, bouquet de fleurs en main, « aux pieds de l’empereur » à l’occasion de sa visite à Montpellier 8, pour implorer une amnistie espérée par tous 9. Le Prince a répondu à ceux qui sollicitaient sa clémence : « J’entends des voix qui crient : vive l’amnistie (…) Il y a plus d’amnistie dans mon cœur que vous même en avez dans votre bouche (…) Mais pour l’obtenir, il faut vous en rendre dignes par votre sagesse et votre patriotisme ». Ce qui en dit long sur la liberté de parole accordée à chaque « citoyen »… Régine Lacroix en a conservé l’image du nécessaire combat pour exister.
Son grand-père, Joseph Lacroix, journaliste, est co-gérant du journal républicain 10 Le Petit Méridional et s’affirme dans l’écriture de pièces de théâtre 11 ou de partitions originales. C’est un excellent violoniste. Il est également un critique d’art reconnu 12 au plan régional. Pour l’anecdote, rappelons qu’il est co-auteur de la chanson du traditionnel « bœuf de Mèze 13 » avec Joseph Petit. Cela illustre bien l’inscription de Joseph Lacroix dans l’observation des faits et gestes de la vie quotidienne et des sentiments qu’ils inspirent, ainsi que l’énoncé des titres de ses pièces en témoigne 14. Cet homme cultivé a gravé une image insolite dans l’esprit de sa petite fille. C’est celle de la brouette ! Après avoir dessiné une femme qui traverse un pont en portant un gros ballot retiré d’une brouette 15, le grand-père lui dit : « Regarde bien : la brouette, le pont, la femme… c’est pareil. Le pont unit une rive à l’autre, la brouette transporte, la femme est un pont, elle unit et elle transporte la vie d’une génération à l’autre ». Régine Lacroix en construit une représentation de la vie de femme, libre dans l’esclavage, mais surtout esclave dans la liberté… Bien plus tard, elle constate l’aspect positif de la métaphore en comprenant que son grand-père pratiquait avec elle « le penser par formes ». Cet homme de théâtre lui avait appris « à voir, à toucher ce que l’on dit 16 ».
Son père, dans la tradition des « enfants de Montpellier », est baron de Caravettes et participe à la vie culturelle de la ville 17. Avant de consacrer toute son énergie aux affaires, il a joué dans un théâtre amateur. Indécis, il a hésité à faire une carrière de comédien. Mais, son amour de l’argent et sa vocation d’acteur lui permettent de réussir dans le monde des affaires où son élégance et son tact séduisent « ceux et celles » qui l’approchent. Dans les faits, il apparaît comme un acteur en représentation permanente, y compris au domicile conjugal, ce qui n’est pas supportable pour son épouse qui se réfugie dans le monde clos d’une maladie dite de « langueur ». Elle manque s’y perdre et, grâce à sa fille en difficulté de vie dans les premières années de son existence, retrouve goût à sa propre existence en se consacrant à l’éducation et la protection de l’enfant fragile. Régine pense encore, à 97 ans, à la totale abnégation de sa mère, trop tôt disparue : « j’étais mal constituée pour tenir sur mes jambes et marcher, son destin s’était laissé oblitérer par le mien ! ». Pour illustrer la trace profonde laissée par ses ascendants masculins, elle note brièvement, sur un bout de papier : « Grand père gourou et père gourou 18 ». Elle ajoute : « tout père devrait (…) être le gourou de ses filles, les défauts du gourou sont nécessaires pour ouvrir les yeux ! ». Régine se nourrit de mots et les utilise pour traduire la place sociale accordée à son corps de femme : « l’ascétisme : rien n’est à toi ; le maître de musique : la mesure ; Don Juan : la femme est la proie de l’homme, les femmes sont des chiennes 19 ». Elle retient aussi cette remarque : « Tu as tout d’un têtard ! » qui alimente un grand rêve noté sur une feuille intitulée « les bébés de Papa… les enfants que Papa ne pouvait pas me faire ». Elle se représente « Sur les genoux (de Papa) répulsion, mais enfin c’était mon inconscient qui avait inventé cela. Aucun geste, aucun regard de sa part, jamais. Tendresse, ironie : tu as tout du têtard à la dernière métamorphose (j’ai 15 ans) ». N’était-ce pas le regard d’un père qui observe la construction de l’autonomie de pensée de sa fille et une opposition difficile à supporter ? Est-ce une manière de lui dire qu’elle n’est pas encore prête à affronter les épreuves de la vie ? Cette violence symbolique envers sa fille a pour effet de somatiser la loi selon l’analyse sociologique de Pierre Bourdieu. Les propos paternels ont un effet magique de constitution, de nomination créatrice parce qu’ils parlent directement au corps, qui comme Freud le rappelle, prend à la lettre les métaphores 20.
Son plus ancien souvenir, parmi ceux qui imprègnent la mémoire de l’être, est « une moustache grillée par un feu de la Saint-Jean, une bordée d’injures dans un escalier, jurons dont je suis le prétexte (…) Au travers de la gorge d’un militaire qui part pour la mitraille, une arête de poisson. Dans ma représentation d’enfant, je vois le squelette entier, fiché, planté droit par la queue dans les profondeurs de la chair. Un petit bout d’arête ? Non, pour tousser si fort, il fallait que ce soit le système entier ». C’est une méta-représentation de l’homme dominant qui envahit son espace physique et sonore au point d’en réduire l’expression possible de sa sensibilité de femme encore enfant ! Plus tard, elle utilisera le juron pour exorciser la pression d’un événement. Elle en justifie l’usage « comme ci, comme ça » en évoquant la valeur cathartique du mot grossier. Ce serait un affranchissement du surmoi ! En effet, le juron a, selon ses recherches, des racines acoustiques et une valeur heuristique 21 !
Régine Lacroix, dans une note manuscrite 22, fait un bilan du patrimoine comportemental dont elle a hérité : « Étrange, l’action maternelle et paternelle. Je n’ai eu qu’une mère. Incomparable. Une sainte. Un ange. Elle m’accompagne dans ma vie intérieure, ma chair, mon intelligence de la nature (…) Mon père aussi vit en moi. Mais, j’ai eu d’autres pères. Louis-Charles Eymar 23 d’abord. Quel transfert j’ai fait sur lui ! Puis Alphonse Dupron 24, Henri-Jean Closon 25, Robert Berthoumieu 26 aussi. Et les « frères » Pierre Tisset 27 Etiemble 28, Henri Tracol 29. Neuf influences ! ». Ce tissage d’influences, majoritairement masculines, constitue la trame d’une construction intellectuelle profondément ancrée dans l’approche philosophique, historique, psychologique et artistique.
Le regard d'une jeune fille
Il y a peu de traces de la vie de Régine Lacroix au cours de son enfance. Considérons son parcours à partir des plus anciens documents disponibles. Le besoin d’expression personnelle est cultivé par Régine dès son adolescence dans un journal intime intitulé « Le journal d’une jeune fille ou mon journal ». Quelques phrases, puisées dans le flot d’une écriture délicate et précise, annoncent déjà le cheminement d’une histoire de vie « banale d’abord et plus tard peut-être plus intéressante, qui sait… » :
« J’habite une très grande maison avec un immense jardin. Je n’ai ni frère ni sœur ; j’ai mon père et ma mère, un chat, une bonne, Madeleine, et une grand-mère qui ne m’aime pas. Je me nomme Régine Lacroix et j’ai 15 ans et 4 mois (…). Corps mince et musclé, poitrine insuffisante, hanches passables (…), démarche disgracieuse, balancement désagréable 30 (…), le tout passable (…), du point de vue moral : esprit large, cœur aimant, âme passionnée (…), cœur sensible, tendre à tous les maux, grande pitié pour les amours malheureux (…), j’aime tous les arts (…), les lettres sont ce que je préfère (…). J’écris, je vérifie et je me grise de mots, de pensées et d’amour (…). J’ai appris en gravissant le sentier aride d’un amour malheureux que le corps souffre dans la vie et que l’âme ne peut y connaître la paix et le bonheur ».
Ce regard, au crépuscule d’une vie proche de « cent ans », se précise,
« Je me demande bien ce que je pouvais, toute petite représenter pour mon père. Chétive, boiteuse, je ne flattais guère son orgueil, les attendrissements n’étaient pas de son fait, férocement préoccupé qu’il était alors par ses affaires et ses aventures amoureuses. Même en des temps moins remplis, je ne l’ai jamais vu s’intéresser à des jeunes enfants que de manière distraite. Pourquoi seulement avec moi a-t-il pris tant de goût à mon éducation ? Ma faiblesse physique, le besoin de m’aider à compenser ? Avait-il l’exigence d’une admiration toujours offerte dans le constat de « papa sait tout » ?
… et retient quelques traces mémorielles fortes :
« Entre mes six ans et mes quinze ans, j’en verrai de toutes les couleurs sur la voiture automobile. Là nous sommes dans la voiture chocolat Matte (…) Dans l’euphorie de l’après- guerre mon père a appris à conduire profitant de tout ce qui s’offrait, il a acquis des connaissances. Notre Ford haute sur pattes qui étonne tout le monde n’a pas de secret pour lui. Je le verrai d’autres fois souffler dans des tubes, faire je ne sais quoi avec des bougies, agiter un cric, dépanner (…). Un carrefour, rue Aristide Olivier, on a tout juste parcouru 25 mètres, les gens se précipitent sur les trottoirs à notre arrivée. Dans une embardée, pareille peut-être et toute autre, 15 ans plus tard 31, ma divine mère trouvera la mort – elle le sait d’avance, moi aussi, nous sommes plusieurs à le savoir ».
De cette jeunesse elle conserve le souvenir d’une « malheureuse créature ». Elle a été mal préparée à la vie. Un hasard, une malchance. Elle était un « drôle d’oiseau » comme le constatait son père (dans les faits elle s’identifie à une buse !). Mais elle n’avait pas conscience à cette époque que c’était son père qui avait fait d’elle ce drôle d’oiseau. Il ne savait pas que c’était lui qui l’avait fait. En effet, comme dans les contes où l’on change un prince en animal ou une sorcière en rosier, simplement en articulant des paroles appropriées, il ignorait qu’il était magicien. « Parler lui avait suffi » pour qu’à jamais soient les choses. Cette toute puissance supposée de la parole va marquer le restant de sa vie.
Elle sentait encore « qu’une petite fille » d’une taille réduite à si peu de surface qu’elle se percevait dans ces sortes de dimensions dont on ne saurait dire si ce sont celles du mobilier de poupée ou celles d’un mobilier d’enfant. « Son minuscule cul » posé sur un banc au ras du sol, elle se tenait dans une attitude de méditation devant une petite table. Une petite table qu’elle aimait parce qu’elle lui permettait de poser ses coudes dessus et de rester là longtemps, « l’œil perdu dans les dessins de la toile cirée à carreaux encadrés de guirlande, mais ne les voyant pas et méditant ». Un soir son père rentra plus tôt que d’habitude. Il vit son enfant, crût qu’elle rêvait, et la regarda avec insistance. La petite fille demeurait dans la méditation, immobile. Son père en ressentit une grande inquiétude, et il posa sur la table de poupée ou d’enfant, un dossier qu’il tenait à la main. C’était un homme sérieux qui gagnait bien sa vie et celle des siens et qui ramenait souvent à la maison des dossiers lourds d’événements et de conséquences, qu’il consultait le soir. Elle avait une vénération fervente pour ce père dont elle savait qu’il accomplissait, à l’extérieur de la maison, des exploits auxquels elle ne comprenait rien et qu’elle savait admirables. Mais ce soir là, surprise par cette arrivée inopinée, ne parvenant pas à se déprendre de sa méditation, elle eut un geste impatient et poussa le dossier déposé sur sa table, l’écarta du centre où portait, dans le vide, son regard qui communiquait, par-delà les dessins de la toile cirée avec, peut-être, d’autres univers. Elle ne donnait pas de nom à ces incursions dans un ailleurs qui n’avait aucune figure et où elle se sentait seulement bien. Le geste qu’elle eut pour pousser le dossier était si entier que son père le trouva intolérable. Il ramena avec autorité le dossier au centre de la table. Forcée de s’arracher à ses profondeurs, elle releva son regard « sur l’homme debout devant elle » et montrant de ses mains ouvertes son espace dit : « c’est ma table ! ». « Comment ? » dit le père en laissant résonner ce comment énorme dans l’air tranquille de la pièce. Puis, il répéta, en appuyant : « Comment ?… ta table ? ». Il avait une si ample respiration que celle de la petite Régine en était suspendue et qu’elle l’écoutait bouche ouverte. « Ta table ! », il ricana doucement. Régine, la bouche toujours ouverte écarquillait maintenant les yeux, entendant en écho en elle les deux intonations différentes qu’il avait empruntées pour dire « ta table ». La première montait, la deuxième descendait, les deux faisaient mal à entendre encore, et le ricanement aussi. C’était comme un écho que l’on a du mal à suivre et qui provoque un vertige. La grande présence paternelle, ses deux mains immenses, énormes, se rapprochent et saisissent la table pour la soulever. Régine entendit ce que disait alors son père : « Cette table n’est pas à toi. Sache que dans ce monde rien n’est à toi et même ton corps n’est pas à toi ». Il pesait lourdement, à ce moment là, chaque mot ! D’un geste désinvolte le père reprit son dossier. Régine ne le voyait plus… elle écoutait, elle écoutait intensément. Elle recevait « dans ses fibres » ce qui venait d’être dit et qui entrait partout « comme une multitude de couteaux indolores changeant en pierre » ce qu’ils rencontraient !
Cet endurcissement, engendré par les épreuves de la vie et la difficulté à faire sa place a déterminé une posture d’une grande fermeté dans le développement d’une maïeutique personnelle et sociale.
Une femme de caractère
Un premier mariage en 1931, à l’âge de 19 ans, avec Gaston Grasset, agent d’assurances, et la naissance d’une fille en 1933 organisent sa vie de famille. Elle consacre son temps à l’éducation de son enfant et à la profession d’agent d’assurances. Peu de traces de cette période dans les archives, si ce n’est quelques relevés de contrats professionnels. Elle occupe ses loisirs à la lecture et la connaissance des arts. Son éducation musicale lui permet de passer de nombreuses heures au piano 32 et de goûter au plaisir de la danse, dont elle précise : « la danse de caractère surtout ».
De cette époque elle dira qu’elle était la jeune fille à laquelle on disait « vite » et notera, que son engagement dans la vie familiale n’a pas été sans conflits 33 ! Ce mariage ne tient pas et le couple divorce en 1938…, et se retrouve en 1941 ! Malheureusement, la fin tragique de son ex-mari en 1942 met un terme à ce retour. Elle aura une autre vie de couple après la guerre, avec le décorateur de théâtre et peintre « de l’abstraction lyrique » Jean Neuberth dont elle se séparera, à regret semble-t-il, en 1975. Elle conservera toutefois des liens, au-delà de la simple amitié, avec ce dernier jusqu’à sa disparition en 1996.
Ses expériences, parfois compliquées, avec les hommes dont elle dira plus tard « mes hommes » en indiquant le lien de « compagnonnage 34 » qu’elle a eu avec eux, lui donnent l’énergie nécessaire pour de nouveaux défis professionnels dans lesquels elle s’engage totalement. Toutefois, sa forte personnalité l’oriente vers des partenaires dont la fragilité psychologique assombrit de nombreux épisodes de vie. Sont-ce ces rencontres qui forgent en elle ce désir de mieux connaître les rouages d’un équilibre de vie ? Elle s’interroge longuement sur le comportement, la nature des sentiments et la personnalité de ceux qui l’entourent, ainsi que sur ses propres affects. Passionnée de psychologie et d’anthropologie, elle s’investit dans l’astrologie et tente d’y lire les lignes du destin. Les analogies entre ses perceptions et le « langage des astres » l’interrogent d’une manière permanente, au point de la conduire à transcrire ses rêves les plus marquants et d’en tenter une analyse. À chaque fois, le lien entre les événements vécus la veille et l’activité onirique de la nuit est signifié par des explications écrites concrètes. Cette connaissance anthropologique s’enrichit de lectures sur l’apport des différentes cultures sur ce thème. Elle se spécialise dans la « lecture du ciel » de ses proches et théorise un rapprochement avec le « Jeu de l’Oie » dont la symbolique semble représenter une histoire prédictive de l’homme. La progression sur les cases du jeu donnerait à la succession des coups de dés une logique interprétative qui écarterait tout hasard. Régine Lacroix-Neuberth (RLN) sera, dans ce champ de recherche, une des meilleures spécialistes de l’hexagone 35. Cette soif de compréhension du monde est renforcée par la rencontre de plusieurs universitaires 36 et par la soutenance d’un diplôme de Psycho-pédagogie-médico-sociale 37. Ce choix entre dans la suite de son travail sur les problèmes psychiques de son entourage et des siens. Elle s’interroge toutefois sur la pertinence de ses choix. Elle y répond en soulignant qu’il faut finir le travail commencé et qu’elle est particulièrement motivée par l’approche de cette science humaine… mais, est-ce sûr ?, s’interroge-t-elle, soulignant ainsi le doute permanent qui l’habite dans ses actions.
Cette boulimie de savoirs nouveaux, propre à sa culture d’autodidacte 38, la conduit à rencontrer l’élite intellectuelle 39 montpelliéraine dans le domaine de la littérature comme dans celui des sciences humaines ou de la vie sociale. Parmi ces personnalités, sa première rencontre avec Joseph Delteil est une révélation, tant le travail rigoureux de l’écrivain l’impressionne. Dans les heures mêmes qui succèdent à cet événement, elle en rédige une rapide analyse : « Visite à Joseph Delteil, le 17 mai 1946, Quelle journée ! J’ai vu Delteil ! Ce n’est peut-être que cette visite qui me redonne l’envie d’écrire. Peut-être cette visite et ce qui l’a suivie, me fait-elle éprouver le besoin de saisir les morceaux épars de moi-même (…) par la discipline que Delteil s’est imposée sans doute appelle-t-il à moi la nécessité d’une autre discipline pour les confronter… Peut-être un simple phénomène de fécondation comme le produit l’œuvre d’art : le livre qu’on lit fait surgir une idée qui n’a rien à voir avec les phrases, les mots qu’on a sous les yeux (…). Delteil pense que l’œuvre d’art est inutile. Est-ce sage de penser cela ? Trouverais-je le calme quelquefois dans certaines phrases que j’ai lues et dont je me souviens ? Est-ce que l’amitié des arbres n’est pas plus forte que ces phrases ? Est-ce que l’amitié des arbres ne dépasse pas l’amitié des hommes, est-ce que leur présence n’est pas plus efficace ? Est-ce que Delteil ne voudrait pas être un arbre ? Il faudra que je le lui demande ». D’autres rencontres suivent et l’engagent dans un travail de secrétariat au service de l’écrivain.
Dans sa relation aux autres, elle recherche l’étonnement, celui qu’elle provoque par sa manière d’être, de faire ou de dire. Elle a en conscience que les périodes les plus heureuses de sa vie sont celles où elle s’est intéressée aux problèmes de l’individu. Elle cite un de ses essais philosophiques, vers 13-14 ans, « les preuves de l’inexistence de Dieu », mais conservera sa référence au dogme catholique au cours de ses recherches. Ce souci de l’Autre l’incite-t-elle à chercher des savoirs et pouvoirs « surnaturels 40 » dans un désir avoué, à l’âge de 24 ans, d’exercer une activité de guérisseuse ?
Une artiste et l'émergence d'un « chercheur-amateur 41 » aux talents multiples
Elle exerce ses talents de dessinatrice et de portraitiste au cours de la période d’occupation allemande. La qualité du trait est évidente et marque une ligne directrice tournée vers la recherche d’une expression juste construite à partir du regard du sujet.
En effet, cette recherche d’une expression « centrale », en référence à la note centrale de la voix qu’elle explorera plus tard, donne à l’histoire de vie de RLN une cohérence Jusqu’alors peu identifiée. Toujours assoiffée de connaissances, elle enrichit sa formation en suivant des cours de comédienne professionnelle.
Dès l’été 1944, au lendemain de la libération de Montpellier, à 32 ans, elle participe étroitement à la renaissance de la radio régionale. Puis, elle fait partie du personnel de la radiodiffusion française (RDF) nouvellement créée 42 et anime une émission intitulée « les voix de Montpellier 43 ». C’est André Var qui l’a orientée vers le théâtre radiophonique. Ses premières expériences de journaliste à la radio sont cependant très diversifiées car elle est chargée d’entretiens avec des personnalités des milieux culturels, mais aussi de reportages sur l’actualité ou les faits divers, comme celui du mariage de la comédienne Madeleine Attal 44 au mois de juin 1945.
Au mois d’octobre 1945, elle fonde la Compagnie du Peyrou, avec l’appui de Jacques Bounin, Commissaire de la République, en qui elle trouve un « homme convaincu et décidé à aider de tout son pouvoir toute tentative artistique ». Elle est accompagnée dans cette démarche par le « groupement intellectuel local (…) et la municipalité de Montpellier 45 ». Elle reçoit également une aide financière du Duc de Castries et de diverses personnalités montpelliéraines. Les premières pièces montées sont 46 :
— L’école des maris de Molière ;
— Les sœurs siamoises de Gabriel Bertin ;
— Le cantique des cantiques de Jean Giraudoux.
Elle dit, à propos de la pièce de Gabriel Bertin, qui lui en a confié la création, qu’il s’agit, dans une période de reconstruction culturelle, de donner toute sa place à la région du Languedoc-Roussillon : « le public de province (étant) appelé à se prononcer avant Paris ». Cette remarque témoigne du souci d’implanter la création théâtrale dans cette région en présentant des réalisations d’avant-garde : « Cette pièce (…) par son décor étrange, son interprétation de qualité, son action mystérieuse, saisit le public et l’entraine dans un domaine inquiétant et merveilleux (…) l’œuvre (qui) engage le théâtre dans une voie inhabituelle 47 ne manque pas de faire date dans l’esprit du spectateur (…) Cette pièce frappe à la porte de l’inconnu humain dont tout homme, quelle que soit sa condition, son éducation, sa culture et son intelligence, cherche depuis toujours le secret ». Le but de la compagnie est bien de donner naissance à une activité théâtrale nouvelle dans le cadre d’une décentralisation ouverte à l’éducation populaire. Le critique Jacques Ferran reconnaît à ces amateurs une qualité proche de professionnels du spectacle, même si quelques imperfections sont à relever : « Or, tout dans ce spectacle, son luxe, son fini, sa diversité, montre sa prétention de n’être pas une entreprise sans lendemain d’amateurs intelligents. Il s’agit bien pour ces comédiens et leur animatrice de s’imposer à la province comme d’autres troupes professionnelles s’imposent à Paris ». Madeleine Attal, citée plus haut, témoigne, selon cet expert, dans son interprétation de l’étrangère des sœurs siamoises, « d’une vérité et d’une habileté étonnantes, quoique un peu tendue ». Cette même comédienne sera jugée « pleine de sensibilité et de pathétique » par un autre critique d’art. La qualité d’interprétation des comédiens et de la mise en scène est rapidement récompensée.
En 1946, un 3ème prix au concours des jeunes compagnies, sur 80 sélectionnées, sanctionne ce parcours étonnant. La Compagnie du Peyrou devient un jeune centre dramatique subventionné par le Ministère chargé des Arts et des Lettres. Le succès aidant, une tournée est organisée dans le Midi de la France et en Algérie. La position de journaliste de RLN facilite la diffusion de l’information et elle n’hésite pas à demander au délégué régional à la radiodiffusion, Emmanuel Gambardella, de l’aider dans son travail. En effet, dans un courrier du 17 février 1946, elle le prie de louer « le choix judicieux des pièces ». Elle a même cette liberté surprenante en fin de lettre : « … félicitations, encouragements, à votre choix. Vous pouvez me tresser des lauriers, je n’y vois qu’avantages. Grand merci, à ce soir ». Cette position de journaliste sera mise en avant dans ses propositions de tournées : « La presse de la région qui nous a fait déjà une bonne propagande nous servira beaucoup. D’autre part, étant moi-même journaliste à la radiodiffusion, la radio nous fera le plus de réclame possible 48 ».
Le 18 avril 1947, la Compagnie présente « les nuits de la colère ». C’est une pièce d’Armand Salacrou interprétée par Sylvain Dhomme, Marcel Moussy, Claude Pontuse, Robert Soulat, Paul Chevalier, Alain Mac Moy, Régine Lacroix et Arlette Galli. Jean Neuberth est le décorateur 49 et Simone Julienne 50, la créatrice des costumes. L’action de cette pièce se déroule en 1944 à Chartres et constitue un véritable témoignage des années noires de l’occupation allemande. Cette histoire d’une trahison et d’un sacrifice est dans l’esprit de reconstruction des liens sociaux d’une société qui a été durement éprouvée par la guerre. Cet engagement de la compagnie du Peyrou témoigne du militantisme des acteurs dans l’action d’une éducation populaire chère à Régine Lacroix, mais aussi de leur plaisir à jouer des pièces novatrices. Cette volonté de changer l’homme en usant du registre des émotions ne la quittera pas tout au long de sa vie. Cette pièce est présentée à l’opéra d’Alger où l’on reconnaît le merveilleux sens théâtral de l’auteur qui contrevient « au précepte racinien de ne pas prendre un sujet moderne, ni d’y mettre des héros que nous avions (aurions ?) connus 51 ».
Cette expérience de la mise en scène conforte ses recherches dans le champ de l’art dramatique et de la psychologie. Son travail avec les acteurs « fait apparaître (…) la nécessité d’une connaissance et d’un approfondissement de l’esthétique des proportions (…). Avec une remontée aux sources de la mythologie (…) par une confrontation aux données récentes des neurosciences (…) par la jeu qui fut loi (l’oie) et les lois de l’action (au regard) d’une astrologie dramatique 52 ».
En 1948, la compagnie disparaît avec les autres jeunes centres d’art dramatique. Cet échec lui fait dire : « j’ai l’impression que j’ai vécu pour rien ces deux années (…). Que reste-t-il ? Qu’y a-t-il aujourd’hui ? Un certain silence autour de moi rend possible l’écriture est-ce pour faire le point. Le point même est-il possible ? Ne suis-je pas arrivée à savoir que même lorsque je suis seule et devant un papier, je joue avec les idées et les mots… De quoi me sert de savoir tout ce que je sais ? Il y a plus de vingt ans que je cherche, que je souris et crève (…) Trop d’idées, trop de richesses. Trop de possibilités. Trop de tout. Pas assez d’idées aussi, pas assez de richesses en moi, des limites à toutes mes possibilités, ma paresse aussi. Rien au bout du compte. Et je suis aussi pauvre qu’à quinze ans. »
Après un séjour à Paris, où elle suit son mari Jean Neuberth 53, elle revient en 1949 à Montpellier et se remet à l’écriture. Sa réflexion s’appuie sur les exemples de Pierre Torreilles 54 et d’Élisabeth Barbier 55 : « Parce qu’il ne se satisfait pas de ce qu’il fait, Torreilles ne fait rien. Élisabeth, elle, donne d’elle ce qui vient sans s’interroger, les uns savourent, les autres dénigrent en vain. Elle accomplit sa destinée à la manière simple des végétaux (…) sans doute nous est-il possible de nous transcender, mais cela ne s’obtient pas par l’effort. Vouloir dépasser les autres ? Vouloir trouver Dieu qui se cache ? Orgueil qui veut s’évader du commun où sont plantées nos racines ? (…) de ce commun sortent des fruits où notre volonté n’est pour rien 56 ». L’entreprise est difficile et elle se sent « molle au travail ». Toutefois, ces instants de doute passent rapidement en sachant qu’il faut, selon l’expression tirer sur sa propre corde car si elle ne se rompt pas, une nouvelle étape sera franchie. Elle se lance dans la réalisation de pièces radiophoniques. C’est la reprise de ce qu’elle connaît bien et qu’elle doit adapter. En préparant le découpage de la pièce « les sœurs siamoises », elle souligne que l’arrangement des émissions radiophoniques est bien plus compliqué qu’au cinéma puisqu’il n’y a pas la partie visuelle. Elle s’inquiète de ses tâtonnements, fonce puisqu’il le faut, mais doute toujours du bien fondé de ses choix : dialogue et découpage sont-ils deux choses très distinctes ? Vue et son ? Comment correspondent-ils l’un avec l’autre ?
Le travail réalisé lui permet de mieux formaliser ses choix et, par petites touches, elle se rapproche d’un nouveau domaine. C’est désormais un autre objet d’investigation dont elle dit : « j’ai pied sur ce terrain mieux encore que sur n’importe quel autre. Tout devrait m’amener à ce travail de synthèse qu’est le cinéma ». Elle justifie cet engagement en relevant les aspects de son expérience de vie qu’elle décrit dans l’œil du journaliste, la vision du peintre, l’oreille des gens de radio, la souplesse de l’acteur et enfin la connaissance de l’humain, du metteur en scène. Elle est enfin prête à se lancer « avec jubilation » dans un nouveau challenge malgré ses difficultés matérielles.
« De 1953 à 1963, il exista à Montpellier en pleine ville, derrière la gare, une expérience savoureuse, un cinéma pour enfants. Mais quel cinéma! (…) C’est à partir de la psycho-pédagogie-médico-sociale (…) qu’un homme génial, doublé d’un réalisateur exceptionnel, Robert Lafon, neuropsychiatre et professeur à la faculté de médecine, eût l’idée de ce cinéma 57 ».
C’est en ces termes que Régine Lacroix-Neuberth présente la naissance d’une expérience unique en France et dont elle est l’élément moteur essentiel. En effet, à 43 ans, elle est étudiante 58 auprès du professeur Robert Lafon qui la conseille dans le choix de son mémoire de recherche orienté vers l’observation du comportement des enfants. C’est dans la maison familiale 59, au 27, rue des deux ponts, dans l’ancien hall d’exposition des ateliers d’Édouard Lefèvre que cette implantation se réalise. Elle apprécie les possibilités offertes par ce vaste volume : « Très haut de murs, n’ayant pour garniture qu’une scène en demi-lune, il pouvait devenir une jolie salle de spectacle ». Cet espace avait été utilisé, du temps de la compagnie du Peyrou, comme laboratoire d’art dramatique.
Ce lieu prend pour nom « Plateau 53 » en raison de l’année d’ouverture 60 de ses portes. Une association, Spectacle et enfant, présidée par Jessie Laborde-Rouquette avait précédé la naissance de cet espace d’action. Les premiers statuts déposés le 19 novembre 1951 61 définissaient le rôle social de l’entreprise : « L’association (…) a pour but de procurer à l’enfance, à un tarif réduit, des représentations cinématographiques et théâtrales à caractère éducatif, instructif et moral ». Parmi les moyens utilisés, les spectacles de marionnettes complètent harmonieusement l’intérêt du lieu pour les différentes catégories d’âges de l’enfant. Lorsque Plateau 53 s’installe 62 dans l’immeuble, l’association peut enfin organiser, grâce à l’aide des services de la Jeunesse et des Sports qui fournissent un appareil de projection, les premières séances de présentation des films loués à Marseille 63. Le local est artistiquement décoré par Jean Neuberth qui maintient la forme semi-circulaire de la scène et place l’écran à la bonne distance des spectateurs. Des rideaux vert pâle et un éclairage par appliques donnent à la salle un aspect chaleureux que les cent dix places sur tabourets n’amoindrissent point :
« Deux sortes de guitounes latérales, discrètes, donnant sur un vestibule permettaient aux surveillants d’entrer et de sortir sans être vus ».
Au cours de ces séances, Régine Lacroix-Neuberth observe le comportement des enfants et réalise un mémoire de psycho-pédagogie-médico-sociale, qui est soutenu à l’université de Montpellier au mois de juin 1953. Le contenu témoigne de sa volonté d’assurer une organisation collective qui mette en synergie l’action et la parole des « moniteurs » et celle des enfants : « Les premières émotions de cinéphiles (enfants) qui se vivaient à Plateau 53 étaient celles d’acteurs et non de simples spectateurs… ». Elle met en pratique les résultats de cette recherche-action au cours des dix années qui suivent. Au cours de cette période, Plateau 53 fait fonction de « de foyer de réadaptation ». Elle y instaure un rapport novateur à l’enfant en veillant à : « Guetter chez l’enfant toute manifestation de curiosité. En n’oubliant pas qu’il est un chercheur-né. Encourager la pensée par forme. Associer les mains…, et les pieds ! (…). Le tutoiement était rare. L’empathie est de rigueur (…). Souvent je vais m’asseoir parmi eux. Avec un programme que je sais leur plaire, le plus souvent je choisis le premier rang, recroquevillant mes années jusqu’à n’occuper pas plus de place que les enfants assis sur leurs tabourets. Ils ne font jamais attention à ma présence ». Cette entreprise offre à l’enfant ce qu’il n’a jamais : le pouvoir, entre 7 et 14 ans, « de diriger sa vie par un choix délibéré parmi les choses et parmi ses semblables ». Ce fonctionnement est complété, en 1956, par la création d’un ciné-club d’adolescents (15 à 18 ans), indépendant, affilié à la fédération française des ciné-clubs. L’universitaire Guy Laurans, qui a fréquenté ce cinéma à l’âge de 10 ans, a conservé en mémoire la trace d’un parfum de femme qui flottait dans l’atmosphère confinée de la salle et le brouhaha des enfants qui participaient du geste et de la voix à l’action du film. C’était au cours des premières séances.
Après avoir permis la projection de plus de six cents films et dialogué avec des centaines d’enfants, Plateau 53 ferme ses portes au mois de novembre 1963 64, emporté par l’impact social d’un nouveau média, la télévision. Mais RLN a déjà mis en place les bases d’un nouveau projet en créant en 1962 le Centre de Recherches de Psychologie Collective (CERPC) et publié en 1963 « le jeu qui fait loi », qui est la prise en compte du jeu de l’Oie comme élément central d’une réflexion sur les liens entre l’astrologie et ce jeu, véritable universel culturel de l’histoire de l’homme.
Penser collectivement
RLN, qui est entrée en 1956 65 à la direction régionale de la Jeunesse et des Sports comme conseillère de « culture populaire » et dont la fonction prendra quelques années plus tard le titre de conseiller technique et pédagogique 66, cherche à appuyer son action sur un socle de connaissances suffisamment solide. Le CERPC, constitué à sa seule initiative, lui permet de réunir des hommes et des femmes passionnés d’éducation populaire. Pour elle, ce terme de populaire ne veut pas dire la foule, mais « c’est ce qui est dans le mouvement du monde ». Ainsi, elle oriente les séances de réflexion collective sur ce qui construit l’homme dans sa recherche d’un équilibre personnel. Il importe de donner du sens aux choses de la vie. L’observation et l’analyse des gestes de parole deviennent la problématique principale du groupe de chercheurs amateurs qui se réunit dans un premier temps au « 27, rue des deux ponts 67 » à Montpellier, puis, plus tard, au « domaine des Pins » à Castelnau-le-Lez 68.
En 1967, âgée de 55 ans, elle organise le premier stage national de technesthésie 69, à Saint-Jean-du-Gard, sous l’égide du Ministère chargé de la Jeunesse et des Sports. La technesthésie, mot savant qui contracte les concepts de technique et d’esthésie, c’est-à-dire l’ensemble des sensations, s’appuie sur la pédagogie du comédien. La construction des contenus s’élabore lentement, au fil des expériences menées dans le domaine du théâtre et de la formation des adultes. RLN en rappelle le mécanisme :
« Si le combiné de base est celui du bruit et du silence, il est aussi celui du resserrement à soi pour l’ouverture à l’autre (…) Dès son premier exercice notre discipline amène chacun à se percevoir et se sentir avec acuité. C’est ça l’esthésie ».
Toute recherche s’appuie sur un corpus scientifique interprétatif. C’est à partir des travaux de Georges Gurdjieff que sa démarche va prendre tout son sens :
« Si l’enseignement de Gurdjieff n’avait pas été publié en 1949, il n’existerait ni Le jeu qui fait loi, ni Technesthésie, les deux pôles de l’action que j’ai menée depuis 1945 70 (…). La technesthésie a commencé à s’élaborer à partir de 1946, dans la rencontre de gens de théâtre, de journalisme, d’affaire, des enseignants, des médecins 71 ».
Dans les faits, c’est au hasard d’une rencontre, en 1948, avec le critique littéraire Pierre Carmes que cette mise en relation avec la pensée philosophique de Gurdjieff se réalise. Cet ami de Régine Lacroix a dans sa valise le tapuscrit en français de l’ouvrage d ‘Ouspensky, Fragments d’un enseignement inconnu, qui sera édité l’année suivante. L’auteur est un élève de Gurdjieff. RLN est profondément marquée par le contenu du livre et en retient les aspects antinomiques des conduites humaines :
« L’homme tel que nous le connaissons, l’homme-machine, l’homme qui ne peut pas « faire », l’homme avec qui « tout arrive », ne peut pas avoir un « moi » permanent et unique. Son « moi » change aussi vite que ses pensées, ses sentiments, ses humeurs, et il fait une erreur profonde lorsqu’il se considère comme étant toujours une seule et même personne ; en réalité, il est toujours une personne différente, il n’est jamais ce qu’il était un moment plus tôt à l’instant c’était une pensée, maintenant c’est un désir, puis une sensation, puis une autre pensée, et ainsi de suite, sans fin. L’homme est une pluralité. Le nom de l’homme est légion 72 ».
La lecture de l’ouvrage, par des exemples concrets, éclaire la compréhension de cet enseignement au point d’en citer la sensation profonde ressentie par RLN : « j’y étais comme chez moi ! ». Fidèle à sa pensée par formes, elle décrypte cette philosophie au caractère étonnant qui répond symboliquement à cette aporie musicale : « pourquoi pas de touches noires au piano entre mi et fa et si et do ? 73 ». Plus tard, cet intérêt pour les recherches de Gurdjieff s’affirme dans sa rencontre avec un de ses traducteurs, Henri Tracol. Elle en déduit et expérimente une logique de la parole qui s’articule en trois points : la loi d’octave (action de la discontinuité), le 3ème tiers, le son final.
« La fréquentation de la loi d’octave nous ouvre à cette musique que nous employons dans la parole quotidienne à laquelle d’ordinaire aucune attention n’est prêtée. Exemple: le simple exercice exigeant la note dominante à l’attaque et à la finale nous réinstalle dans notre ordre naturel perdu depuis la petite enfance, le notre (et elle y ajoute) la vertu de l’arrêt et la lenteur, les variations du temps, la mélodie intérieure 74 ».
De l’attaque à la finale, du début à la fin, les règles de rappel à la présence d’une parole sont précisées. Elles sont destinées à provoquer l’écoute par des silences, le penser par formes et autres points d’appui telle la vitesse ou la lenteur. Elle met en lumière la distinction entre la perception qui découvre et la proprioception qui restitue. C’est ce dernier aspect qu’elle travaille au travers de la note centrale qui est la dominante dans notre registre vocal, celle qui revient le plus souvent dans nos propos, pareille à la dominante d’un morceau de musique.
Cette « loi d’octave 75 », selon Gurdjieff, s’appuie sur la représentation de vibrations qui s’effectuent dans toutes sortes de matières, y compris dans notre corps et notre esprit, et qui se développent de manière non uniforme avec des périodes d’accélération et de ralentissement, voire d’arrêts. « Cette loi démontre pourquoi rien ne va jamais en ligne droite dans nos activités (…) et qu’ayant commencé à faire une chose, nous en faisons ensuite une autre entièrement différente qui est souvent tout le contraire de la première 76 ». Un entretien, en 1962, avec Pierre Bérard 77, à propos de l’irrégularité et des inégalités mises en jeu dans la loi d’octave lui permet de mieux saisir ce qui est, en définitive, la mécanicité ! Ce qui est juste, relativement au son, et qui semble à propos de toutes les activités humaines « apparemment équitable ». Cet entretien porte sur le bruit et le son.
Au sujet de la loi du 3ème tiers, nous en trouvons une description et en même temps son interprétation dans « Le théatricule et le caleçon d’écailles ». Cet ouvrage 78, consacré à l’art dramatique « considéré comme clé de connaissance de l’homme et de l’univers », nous convie à penser par formes pour mieux saisir le sens de cette loi :
« Considérons à titre d’exemple que le poème (…) fait douze vers (…) obéissant à la pulsion créatrice qui n’est pas forcément un jet continu, qui se reprend, se recompose, mais procède en définitive conformément aux lois de la mécanique universelle, son essentiel se trouve aux deux tiers de sa durée, entre le huitième et le neuvième vers pour celui de douze ».
Ainsi ce troisième tiers est le lieu où se décrypte tout l’intérêt d’un texte, d’un discours, d’une démonstration. C’est le lieu fondamental sur lequel nous sommes invités à porter notre attention.
Enfin, le son final donne son âme à la parole. C’est la technique de rappel du comédien pour focaliser l’attention du spectateur. Les finales doivent être sonores et pleines, à l’image donnée par l’acteur Louis Jouvet dont on relève les trois exigences de la note juste, du son fort et de la présence volontaire.
« Attaques et finales préoccupent tous les interprètes… (En effet) à mesure que l’on avance dans la phrase, les sons étant effectués avec l’air, pression et quantité d’air diminuent, et si le comédien ne s’en méfie, toutes ses fins de phrases sont faibles, dépourvues de sonorité 79 ».
Pour mieux comprendre ce travail sur soi, la recherche collective du CERPC a théorisé les 17 points qui sont occultés lorsqu’on aborde le problème de la parole, ce qui est différent, précise-t-elle, du langage ou de la langue. Cette classification, de ce que l’évidence commune de la parole cache à nos yeux, permet de souligner la complexité de ce domaine de recherche en constant développement. La technesthésie n’est pas le lieu fermé d’une simple technique, mais le lieu de rencontre des processus d’apprentissage de l’homme à la vie et leur adaptation aux contraintes d’un monde en évolution. Le moteur principal en est le système d’information dit de la proprioception qui régit notre rapport corporel au monde et interagit avec lui, d’une manière constante, dans nos attitudes ou nos postures. Ces points sont décrits dans une hiérarchie d’expertise propre à RLN. L’identité vocale, celle qui nous personnifie et correspond à notre équilibre d’être, apparaît comme le résultat intangible de ce rapport au corps décrit ci-dessus. Il est la conséquence de notre activité proprioceptive, qui constitue le second point de l’observation. Sont ensuite nommés, la sensation dont la composante affective ou psychologique est première, la motricité qui conduit le mouvement ou le geste, la fonction de vie de relation qui serait « une rivalité de l’affectivité, de la motricité et de l’intellect », les liens selon les travaux de Gurdjieff avec le temps, l’espace et l’énergie, le résultat de son « assise » dans le corps – observable dans la respiration et les vibrations – la conception d’une approche différente entre la voix parlée et la voix chantée, l’originalité de son « toucher », l’association des mains révélant « le penser par formes ». Enfin, l’exponentialité de son énergie qui s’affirme dans l’équilibre et la puissance maîtrisée de la voix, et la référence aux lois de « l’écoulement » par un appel aux récentes données de la physique des fluides…
Ces éléments constructeurs d’une explication rationnelle du « fait » de parole constituent un champ d’observation déjà bien construit. Ils sont complétés par l’identification de « points d’appui » qui sont l’articulation et le geste. N’est-ce pas là un point important à relever, car nous sommes bien dans le troisième tiers de la description ! La prise en compte des humeurs dans leur diversité et leurs effets sur le timbre, le registre… Une place importante est également consacrée au fonctionnement de l’écoute dans la conversation et pour soi-même. Plus récemment, la question du lien entre la dégradation de la parole et la montée de la violence s’est posée, ainsi que celle du rapport entre « le style » écrit et parlé. Enfin, en dernière analyse, cette approche originale de la parole contribue à l’élargissement du champ perceptif… Cette dernière partie n’est elle pas l’incitation à une exploration de nouveaux concepts ?
Si la parole humaine était en perdition, la démarche mise en œuvre ne peut que la sauver La parole est un geste qu’il convient d’adapter à sa mécanicité en lui donnant sens par l’exercice : « La technique réveille le toucher buccal ». Les travaux de Marcel Jousse 80 permettent d’en clarifier l’action et de « donner corps » aux situations d’apprentissage. La question principale est alors de savoir comment faire passer la sensation qui est à l’origine de la prise de conscience ?
En 1967, RLN expérimente avec succès la technesthésie au sein de l’IUT de Montpellier et développe, par l’action coordonnée d’une équipe de formateurs, une discipline à caractère universitaire. En 1969, cette expérimentation pédagogique est présentée à un colloque national organisé à Nancy par l’Institut National pour la formation des adultes. L’intérêt ressenti par les enseignants présents débouche sur une formation des professeurs d’IUT de l’hexagone à l’IUT de Montpellier. Plus d’une centaine y seront formés, ainsi qu’à l’IUT de Tours, au sein duquel un proche collaborateur de RLN, Pierre Le Roux, est enseignant-chercheur.
En 1972, le rayonnement de cette action s’élargit au vaste mouvement national de la formation continue et de l’éducation des adultes. Plusieurs rapports ministériels 81 font état de ce regard neuf sur les outils de formation dont l’important rapport « André de Peretti 82 ». À la demande des pouvoirs publics, RLN effectuera diverses missions à l’étranger et valorisera sa démarche technique et pédagogique. Le Brésil, le Québec, la Hongrie, le Luxembourg ou la Belgique l’accueillent avec un intérêt évident. Toutefois, les aléas des politiques publiques, liés aux économies budgétaires, ne permettront pas à cet enseignement de s’implanter durablement dans tous les lieux initialement investis. C’est surtout dans les IUT, le domaine privé de l’entreprise et celui de la communication que cette formation est aujourd’hui enseignée, en donnant à ceux qui la portent l’occasion d’en développer la connaissance par la diffusion de nombreux ouvrages.
Jusqu’à ce jour, l’action pédagogique, soutenue par l’Association Française de Technesthésie, fondée en 1975, s’est démultipliée sur le réseau national et à l’étranger. Fabrice Lucchini 83, président élu en 1993, a contribué, à la demande de RLN, au rayonnement de cette technique. Le célèbre comédien s’inscrit dans « une manière de s’emparer de la voix, de dire des textes à la lumière 84 » des enseignements de Jean-Laurent Cochet, Louis Jouvet, Odette Laure et RLN. Il regrette que la complexité d’approche de la technesthésie ne permette pas toujours sa diffusion dans les milieux où elle serait une ressource de formation d’une grande efficacité. En effet, Fabrice Lucchini en rappelle le but qui est de « retrouver l’origine d’une vérité intérieure » et précise que le texte est un mouvement, avec ses alternances de rythme et d’intensité, ses temps d’arrêt. Pour l’acteur, il s’agit, d’une manière métaphorique, de « bouroufler 85 le phénomène de ses intensités personnelles », à la manière d’un Louis Jouvet. C’est une façon de « restituer l’énergie vitale d’un texte ». Rappelons qu’Odette Laure est à l’origine de sa rencontre avec RLN et de ses premiers stages de technesthésie 86. Ses visites à Montpellier, ou « dans la petite maison de Palavas-les-Flots », construisent une relation d’amitié profonde. Ces moments sont qualifiés « d’intenses (et) parfois comiques ! » et il en retient l’image de RLN : « séductrice et grande comédienne ».
Au cours de son histoire, la technesthésie s’est ouverte à de nombreux milieux professionnels. Toutefois, il ne faut pas occulter le fait qu’elle est accompagnée, dans « la manière de penser » de RLN, par d’autres champs de connaissances induits par la philosophie de Georges Gurdjieff.
Le jeu et les connaissances étranges venues d'ailleurs
La publication de l’opuscule « le jeu qui fait loi 87 » marque le début d’une recherche originale sur un jeu « reflétant la vie politique, sociale, littéraire » dont la trame contient « le même balancement alterné de marche en avant, de retour en arrière, de stop et de dépassement définitif ». L’objectif de cette recherche sur le jeu est de savoir en quoi il permet de servir de canevas à un enseignement « dont notre propre temps est en train de redécouvrir le fondé ». Le jeu y est présenté dans sa forme traditionnelle, telle qu’au XVIème siècle. Toutefois, comme nous l’avons précisé ci-dessus, la technesthésie, qui fonctionne comme recherche parallèle, « prend le pas » sur l’intérêt du jeu. L’implication de RLN dans la recherche sur la parole est alors totale sur plusieurs années. Le jeu de l’Oie reste dans l’ombre. Ceci, malgré le fait que le « Jeu de l’Oie » et la « technesthésie » ne fassent qu’un dans son système de pensée. Il faut attendre 1972, pour que ce lien émerge à nouveau et l’incite à reprendre « le grand courant directeur » de ses recherches. La technesthésie vient de vivre de cinq ans d’exotérisme. Il est alors temps, pour elle, d’entrer dans l’ésotérisme
Le travail sur le jeu de l’Oie recommence, mais ce n’est pas une recherche isolée « sur l’épure du monde » selon son expression. Il doit aider à la compréhension de la mécanicité, au sens de Gurdjieff, de tout comportement. Comment l’utiliser. Comment en comprendre les rouages ? Ce jeu se joue en 63 casiers. RLN appréhende l’image qui s’offre à elle : « J’ai devant moi un jeu aux dessins atroces, mais je sens que beaucoup de symboles sont là ». Elle remarque rapidement que les oies marquent des intervalles d’octaves. Au troisième tiers on tombe sur « le labyrinthe » qui renvoie au casier de « la victime » ! Elle y projette le regard d’une femme de 49 ans pour laquelle « le jeu de la vie » semble fini ! Mais l’intérêt du jeu est prenant et elle en décrypte le mystère « du va et vient d’octave et des conciliations apparemment impossibles » pour le sauver de l’oubli 88. Après avoir trouvé un équilibre explicatif dans « la clé des 14 oies et du nombre d’or 5 (ou bien) dans le triangle que propose le jeu de l’oie dans sa base », elle réalise un article pour le journal « Elle ». Le 21 juin 1962, cet article est envoyé à la rédaction du périodique. RLN l’estime « bon, magique, bien propre, bien honnête, sans mic-mac de bonne aventure ou de tarots 89 ». Le premier objectif est ainsi atteint. Le jeu est relancé vers le grand public et le lien avec la loi d’octave, reconstruite et énoncée par Gurdjieff, bien établi. La tâche n’est pas pour autant terminée, les racines et les significations du jeu restent encore à préciser.
Cette loi des alternances et des variations illustre bien la manière de penser de RLN et le lien avec d’autres centres d’intérêt comme l’astrologie.
À la question de savoir s’il est bon d’enseigner l’astrologie, elle répond par l’affirmative en soulignant que « l’homme est ainsi fait qu’il ne se sert pas de la connaissance pour comprendre… ». Mais quel lien avec les recherches sur la parole ? Est-il à percevoir, comme dans le jeu de l’Oie, dans cette mécanicité de la loi d’octave ? Dans les aspects antinomiques de toute situation de vie, de tout comportement, voire de toute croyance ? Lorsque RLN communique ses premiers travaux d’astrologue amateur à Henri Tracol, en 1963, elle les accompagne d’une lettre dont nous citons, ci- dessous, un extrait :
« Si le savoir astrologique ne peut-être d’aucune utilité pour l’homme ordinaire, il est un soutien puissant pour l’homme en marche vers la connaissance, d’une part parce qu’il appartient, par ses signes et sa symbolique au langage universel, d’autre part parce qu’il permettra, à condition qu’elle soit lente et patiente, une approche de la science des types ».
Elle présente son travail en cinq « planches » interprétatives. La première s’intitule « Involution-Évolution ». Faisant le lien avec le jeu de l’Oie, elle se demande comment le jeu contient le zodiaque 90 ? Celui-ci comporte normalement sept octaves à raison d’une octave par signe, mais cinq signes restent dans ce cas « hors-jeu ». Elle trouve une solution à ce problème en créant une spirale 91 à double circulation : un courant involutif et l’autre évolutif. Fidèle à sa pensée par formes et à l’interdépendance des plans du zodiaque, elle considère ce dernier comme un tout inséparable dans lequel
les deux courants ascendants et descendants fonctionnent ensemble. Bien entendu, Il n’est pas dans notre intention de faire de l’interprétation astrologique dans cet article, mais bien d’illustrer l’originalité de la pensée de RLN dans ses aspects holistiques. Les planches suivantes interprètent les signes en fonction de leur dominante physique, émotionnelle ou intellectuelle. Ainsi, la seconde concerne le corps physique sans lequel rien ne peut se faire, c’est la force neutre. La troisième concerne le corps émotionnel et décrit la complexité de la puissance affective dans un quadrillage simpliste, « mais il faut s’en sortir » dit-elle, de l’amour maternel, des amours, de l’amour de soi et de l’amour universel. Ce sont là les pôles d’accords et de désaccords de nos vies comme le souligne Gurdjieff « en tant qu’intonation pleinement manifestée ». La quatrième aborde l’approche du corps intellectuel et ses aspects ordinaires ou supérieurs, ainsi que la raison. Une cinquième planche présente une explication concrète de l’usage de l’astrologie dans le jeu, car c’est seulement par la mise en place des signes dans le jeu que l’on fait éclater une évidence : « chaque corps comprend quatre signes opposés entre eux deux à deux réunissant quatre éléments. Ainsi ressort la nécessité de la résolution des contraires et l’identité foncière des trois corps entre eux ». L’approche astrologique entre donc en résonance avec la pédagogie du jeu et de la parole qui s’inspire de la loi d’octave.
Les interrogations de RLN n’ont pas de limite et chaque champ de connaissances mérite d’être exploré dans une vision globale de l’homme et de l’univers. C’est donc sans surprise qu’elle met en parallèle le théâtre et l’alchimie, la psychologie individuelle et collective, l’astrologie et la typologie. Cet article est trop court pour y placer un inventaire exhaustif de toutes les explorations scientifiques, sociales 92, artistiques ou tout simplement anthropologiques de cette « boulimique » de savoirs et de connaissances. Ce qui précède pourra inciter, nous l’espérons, tout lecteur curieux à puiser dans les publications du CERPC qui ouvrent largement la voie à des recherches complémentaires et originales.
Une philosophie de la vieillesse et de la pérennité de l'œuvre
En 2008 93, à 96 ans, RLN participe à l’élaboration d’une exposition de photographies de Richard Bruston sur des textes de l’écrivaine Régine Detambel 94. Il s’agit de témoignages de personnes âgées sur leur vieillesse. Les plus forts souvenirs, les événements importants sont rappelés. Mais ce qui compte aussi, c’est ce qui est vécu aujourd’hui.
Cet auteur pose la question suivante : « Quand on est vieux, que fait-on de sa vie passée ? »
Pour RLN, vieillir est la suprême conquête. Celle qui coûte le plus cher car elle est douloureuse. Toutefois, si on la transpose, cela aide à vivre. Fidèle à son mécanisme de pensée elle avance que l’âge est la pire punition. Mais, comme toute chose porte en elle son contraire, c’est aussi une grâce « …qu’il n’est pas souhaitable de (…) connaître ! ». Elle s’interroge sur le sens de sa vie et le moment venu de la quitter :
« Puis-je disparaître après avoir tout essayé, tout appris de ce qui se fait avec les mains des hommes, de ce qui se touche, de ce qui se contemple après quand c’est fini, de tout ce qui naît dans la tête de l’homme, de ce qui se comprend, de ce qui se découvre, à la mesure et l’équilibre du simple et du quotidien 95 ? ».
Dans un entretien avec la comédienne Odette Laure 96 en 1995, elle utilise une expression originale. C’est celle de la légende personnelle : « il n’est pas une vie qui ne possède comme un ciel, quelque tranche à raconter ». Cette légende personnelle nous est contée rapidement, dans un ordre différent de notre article :
Un plan de vie : le jeu ;
Des données étranges venues d’ailleurs : l’astrologie ;
La mise en scène : première des sciences humaines, c’est une traduction de la vie ;
La technesthésie : l’entrée dans le mécanisme personnel de la proprioception ;
A-t-elle fait de sa vie une œuvre d’art ? La formule est séduisante et mérite d’en comprendre la sensibilité, voire la sensualité de l’expression, car RLN nous parle d’un art dont l’homme est l’objet et la parole l’outil principal 97. Elle en définit les contraintes d’un cheminement parfois laborieux, mais toujours empreint de désir d’être dans une recherche permanente de l’autre soi. C’est en premier lieu une « relance perpétuelle » de sa curiosité, ce qu’elle appelle « une culture de l’étonnement ». Cette œuvre magnifique est exigeante et dévorante au point d’en nécessiter une véritable foi dans l’action quotidienne. RLN parle même d’une « ferveur » indispensable à l’accomplissement de soi. C’est aussi accepter une réalité aux aspects antinomiques car c’est ainsi que se traite la réalité du monde et de l’homme. Prendre en compte la réalité changeante, retenir les impressions fugitives et ne pas se figer sur une stabilité hypothétique des choses. Enfin, jouer le jeu de sa sensibilité et de ses capacités expressives dans les domaines les plus divers, le jeu du jeu (ou du je ?) permettant selon la loi d’Octave d’alterner le « non-faire » et l’action créatrice.
La spirale de sa vie, telle que nous l’avons découverte en écrivant cet article, retient l’enjeu de l’étonnement et de l’émerveillement, mais aussi, parfois, l’incompréhension ou le scepticisme engendrés par ses questionnements et sa relation à une proprioception parfois fugace. Cette dernière est une source de vie pour l’être qui se sent agir. À la fin des casiers, les dès ayant roulé pour placer le joueur au bout de la spirale du jeu, il y a l’Éternité… cette dernière, en finale de parole, n’est-elle pas la belle et forte définition d’une vie faite « œuvre d’art » ?
La simple parole comme épitaphe
Au mois de juillet 2010, une phrase entendue à la radio accroche une attention toujours soutenue malgré le poids des années : « l’ultramoderne solitude des contemporains ». RLN se sent directement concernée et relève ce dramatique constat : « il est des cas où, privés de contacts, de nombreux individus, dans une année, n’ont eu que trois lignes à écrire et pas toujours ! ». Ce chercheur infatigable mordait à nouveau dans la chair de nos questionnements sociétaux. Le temps ne lui a pas laissé la possibilité d’apporter un nouveau témoignage de sa sensibilité au monde par une nouvelle vibration de l’être.
Régine Lacroix-Neuberth s’éteint au mois d’août 2010. Une chute dans son appartement la blesse grièvement à la tête. Son agonie dure plusieurs jours.
Ses nombreux amis participent à un dernier hommage au crématorium de Montpellier. Une ultime parole l’accompagne par la voix de Madeleine Attal sur un texte de Marguerite Duras 98 dont on retient l’émotion provoquée par les temps d’arrêt, voire les espaces de silence. C’est un retour aux sources d’une vie exceptionnelle :
« La voix, c’est plus que la présence du corps. C’est autant que le visage, que le regard, le sourire… »
Quelques mois après le décès de Régine Lacroix-Neuberth, ce patrimoine matériel et symbolique risque de sombrer dans l’oubli en raison du déni d’une parole politique 99 qui avait initialement accepté la générosité d’un legs en faveur d’une éducation populaire rénovée. Est-ce à considérer comme l’équilibre nécessaire à une réalité aux aspects plus que jamais antinomiques ?
Bibliographie du CERPC
Régine LACROIX-NEUBERTH, Le jeu qui fait loi, reconstitution du jeu traditionnel de l’Oie, Montpellier, CERPC, 1963.
Régine LACROIX-NEUBERTH, Le théâtricule et le Caleçon d’Écailles, Montpellier, CERPC, 1966.
Guy MONNIER, Les écrivains inattendus, CERPC, 1970.
Robert BERTHOUMIEU, À la recherche des sentiers perdus, CERPC, 1972.
Régine LACROIX-NEUBERTH, Technesthésie illusion-réalité, CERPC, Castelnau-le-Lez, 1979.
Marguerite FREMONT, La vie de René ALLENDY, CERPC, Climats, 1994.
Régine LACROIX-NEUBERTH, Christian ROCHE et all, Pour un Art de l’Homme, pérégrinations des chercheurs amateurs, CERPC, Castelnau-le-Lez, 1998.
Régine LACROIX-NEUBERTH, À la Crypte du Crâne, le Trésor de Perfection, Montpellier, CERPC, 2000.
Notes
1. Régine LACROIX-NEUBERTH se définit elle-même comme une spécialiste de l’expression. Elle imposait une démarche inductive au sein du travail collectif. En hommage à son œuvre, cet article est le fruit d’une reconstruction contextualisée de notes brèves et éparses, d’entretiens… ainsi que d’une confrontation aux ouvrages produits par le Centre Expérimental de Recherches de Psychologie Collective dont elle est la fondatrice.
2. Régine LACROIX-NEUBERTH, Technesthésie illusion-réalité, Montpellier, Centre expérimental de recherches de psychologie collective, 1979. C’est une « Technique (qui) conduit à la plénitude de l’état de sensation, dans et par la parole ».
3. Dictionnaire des termes nouveaux des sciences et des techniques, Paris, Conseil International de la Langue Française, 1983. Une attestation manuscrite d’Hubert JOLY, secrétaire général du CILF, datée du 23 février 1996, précise que le mot technesthésie a été reconnu antérieurement dans la revue « La clé des mots » en 1976. Il y est mentionné que ce mot « appartient bien au langage général du fut de sa morphologie et de ses racines et ne saurait en aucun cas faire l’objet d’une appropriation privée et notamment d’une marque commerciale ».
4. Dont elle disait à propos d’un article du journal Midi Libre : « Je n’aime pas le dire, mais l’article l’a fait, et c’est vrai : j’ai inventé la technesthésie, une brave technique pour patrouiller à l’aise dans la nature humaine, puis l’Art de l’homme, un pauvre petit art, et le chercheur amateur, à peine né, qui tête encore, encore, encore les deux mamelles de la connaissance (sensation et motricité). Cà me plait bien. »
5. Pierre BOURDIEU, Sur l’État, cours au collège de France, 1989-1992, Paris, Raisons d’agir/Seuil, 2012, p. 351.
6. Pas de « y »
7. ADH, 7 U 5 35. Dossier n° 986.
8. Claude Alberge, Les fous de la République, Bez et Esparon, Études et communication, 2001, p. 160. « Le 1er octobre, il arrive enfin il (…) du 15 septembre au 16 octobre, durant un mois, Louis-Napoléon fait son tour de France, comme jadis le faisaient les rois (…). Et le voilà, à 11 h 30, qui descend du wagon, et traverse en voiture découverte la ville pavoisée… ».
9. Près 1 500 héraultais sont déportés en Algérie!
10. Journal héraultais radical et radical-socialiste publié entre 1876 et 1944.
11. Une pièce jouée au théâtre de Montpellier le 3 février 1882 : « Les enfants trouvés ». Dédiée à M. Cuxac, fondateur de la société de secours aux enfants trouvés de la ville de Montpellier. Ses œuvres sont présentées au public à partir des années 1870 (Toulouse, Montpellier). L’inventaire et l’analyse des créations de cet auteur restent à faire.
12. Le Midi Mondain du 15 juillet 1900 : « M. Lacroix est chargé, depuis 23 ans au Petit Méridional, de délicates fonctions (…) Les chroniques théâtrales et artistiques qu’il écrit (…) sont très goûtées par leur précision, leur compétence et leur bonne écriture ».
13. Animal jupon emblématique de la ville de Mèze. Cette chanson est remaniée à partir d’un texte occitan du XVIIIe siècle, On en retient une phrase clé : « Un biôou qu’auprès padaoullo », c’est à dire : un bœuf qui a pris parole. Cela ne s’invente pas !
14. Par exemple, Sous le volcan, pièce qui relate l’épisode tragique de l’éruption du volcan de la Montagne Pelée à la Martinique en 1902.
15. Le fardeau est porté « à l’africaine », sur la tête, et la brouette n’a pas de roue ! Est-ce la marque d’une difficulté à assumer ce lien intergénérationnel ? Ou bien encore le reflet de son handicap ?
16. Note manuscrite du 24 septembre 2002.
17. Amicale des enfants de Montpellier, Barons de Caravettes, Montpellier. Ch. Vidal, 1937, p- 14 : « Poussés par le désir de faire le bien, en même temps que profondément animés de l’amour de la ville natale, quelques Montpelliérains avaient pensé qu’un groupement de leurs citoyens pourrait rendre de grands services tant aux sociétaires qui là la ville elle-même ».
18. Régine LACROIX-NEUBERTH ajoute : « D’ordinaire un gourou s’efforce de détruire la personnalité (…) Mon gourou (est tout à la fois) maître et comédien ».
19. Note manuscrite non datée.
20. Nancy BERTHIER et all., Le cinéma de Bigas Luna, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2001. p. 68.
21. Didier ANZIEU, Nouvelle Revue Psychanalytique, N° 21, 1980.
22. Note manuscrite du 15 novembre 2000.
23. Il fait partie des artistes peintres du Groupe Frédéric Bazille, crée dans les années 30, qui expose pour la première fois à Montpellier pour témoigner de la vitalité de la peinture languedocienne indépendante.
24. Alphonse DUPRONT (1905-1990). Historien du sacré dont on retient la magistrale thèse « le mythe de croisade » soutenue à la Sorbonne en 1956 et publiée aux éditions Gallimard en 1997.
25. Henri-Jean CLOSON (1888-1975). Artiste peintre. RLN écrit à son sujet, en 1951 : « Certes il y a des lumières dans les trouvailles de Closon, mais elles ne servent qu’à éblouir et non à éclairer ». CLOSON peut être considéré comme un des plus grands peintres de notre temps. Cf. Dans une série d’entretiens avec Jacques BILLOT (Entretiens avec Closon, sur l’art, l’homme et la vie, Paris, SFP, 1964.), CLOSON estime qu’il ne peut y avoir de culture sans recours à la tradition : « mais ce sont des choses que la civilisation nous fait oublier. À oublier à côté de l’enseignement du livre, l’enseignement des faits sensibles que nous intussusceptionnons ( !), à chercher la source des mots dans leurs racines étymologiques et non pas d’abord dans le verbe dont ils sont issus par le geste, nous négligeons l’originelle sémantique du langage, nous créons un monde de concepts sans images, nés de l’imagination et sans relation avec la vie ».
26. Robert BERTHOUMIEU, À la recherche des sentiers perdus. Essai sur la nature et le sens de l’évolution, CERPC, Germaine BERTHOUMIEU, 1972.
27. Professeur d’histoire à la faculté de droit de Montpellier (1898 – ϯ 1968).
28. Professeur à l’université de Montpellier de 1948 à 1955. René Etiemble dit Etiemble est né le 26 janvier 1909 à Mayenne et décède le 7 janvier 2002 à Digny (Eure-et-Loir). Il est écrivain, linguiste et universitaire. Il est reconnu comme un éminent sinisant, un défenseur des littératures extra-européennes et l’un des initiateurs de la littérature comparée. (cf. Wikipédia)
29. Un des traducteurs en français de l’œuvre du philosophe russe G. GURDJIEFF, dont un des thèmes centraux porte sur l’éducation en occident. Voir : Henri TRACOL, Georges Ivanovitch GURDJIEFF : l’éveil et la pratique du « rappel de soi », conférence prononcée le 6 mars 1967 au musée de l’Homme à Paris.
30. Régine Lacroix est handicapée par une luxation congénitale de la hanche.
31. Le Petit Méridional, 25 juillet 1933. « Sur la route de Brignoles- Cannes une automobile conduite par Pol Lacroix de Montpellier s’est jetée contre un arbre. Mme Lacroix a été tuée sur le coup. Le conducteur grièvement blessé a été transporté dans une clinique de Toulon ».
32. Elle prend des « leçons de piano » à domicile.
33. Enceinte de deux mois, elle annonce à son père qu’elle attend un bébé et reçoit une gifle ! Sur une note manuscrite intitulée « les bébés de papa » elle écrit : « J’avais réservé ma date anniversaire pour lui annoncer que j’étais enceinte. Mariée depuis presque un an et enceinte depuis presque deux mois. La gifle. La seule fois qu’il m’ait giflée ».
34. Elle se considère comme « un jardinier d’hommes ! »
35. Cf. musée du jeu de l’Oie (voir site internet).
36. Jean SARRAILH, Recteur de l’Université de Montpellier ; M. MATHIAS, Doyen de la faculté de Droit ; M. FLICHE, membre de l’Institut, Doyen de la faculté des Lettres ; M. TALADOIRE, Professeur à la faculté de Lettres ; Ferdinand ALQUIE, Professeur de philosophie à la Sorbonne ; Jean SERVIER, Professeur d’ethnologie à la faculté de Lettres ; etc.
37. Au mois de juin 1953, sous la direction du professeur Robert LAFON.
38. Aucune note disponible ne nous indique son parcours scolaire. Nous formulons l’hypothèse d’un suivi de cours particuliers au domicile familial en raison de son handicap physique, comme en témoignent les leçons de piano qu’elle cite.
39. Outre DELTEIL, M. WEISS, Préfet de l’Hérault. M. BOULET, maire de la ville de Montpellier ; M. Le BOUCHER, Directeur du conservatoire ; M. DECOSSY, Directeur de l’École des Beaux-Arts ; M. BOUVIER Président de l’Union des Intellectuels ; M. GAMBARDELLA, Délégué Régional à la Radio-diffusion ; M. MALET, Président de la chambre de commerce de Montpellier ; M. le Duc et la Duchesse de CASTRIES ; Elie COHEN, notable de la communauté juive de Montpellier (RLN a hébergé trois familles juives au cours de la guerre) ; Henri PRADES, archéologue inventeur du site de Lattes ; Max ROUQUETTE, écrivain en langue d’Oc, Jean-Marc LANDIER. Guy MONNIER, Marguerite FREMONT, Albert GLEIZES, etc.
40. Elle pratique des exercices de communication avec les « esprits ». Le célèbre astronome Camille FLAMMARION avait cette même passion Sciences et croyances « anthropologiques » vont parfois de pair…
41. Madeleine ATTAL dit que c’est une femme à la « curiosité forcenée ». Elle se jette sur toute connaissance nouvelle comme le fait « un crocodile » avec sa proie !
42. Ordonnance du 26 mars 1945 qui met fin à la radio privée sur le territoire national et accorde le monopole à RDF.
43. Une interview de Mme RICHARME-BOISSEAU, artiste peintre, figure dans les archives personnelles de RLN. Elle est datée du 26 février 1945 et c’est, peut-être, la première interview de Régine LACROIX.
44. Entretien avec Madeleine ATTAL du 18 janvier 2012. Elle conserve l’image d’une femme « pleine de clarté et d’ombre » dont les rapports à l’autre sont comparables à celle d’une Mante Religieuse. C’est la métaphore d’un comportement en recherche d’une extraction de la sensibilité, du pouvoir créateur et de l’attachement du partenaire.
45. Dont le maire Paul BOULET – Professeur à la faculté de Médecine – a compris l’importance qu’il y avait à redonner au théâtre ses possibilités éducatives, à donner à ses administrés l’occasion d’exercer leur sens critique. Il a pu ainsi convaincre les membres du conseil municipal les plus réfractaires au projet.
46. Madeleine ATTAL fait partie des membres fondateurs de la compagnie et participe aux différentes représentations avant de s’engager dans un parcours exemplaire à la radio, suite à la sollicitation, en 1947, d’André VAR responsable de la diffusion de pièces de théâtre à la radio de Montpellier. Ce choix est en partie dicté par une mésentente avec Régine Lacroix au sujet de la distribution de rôles concernant Elisabeth BARBIER (proche de la famille des comédiens PITOËFF). Madeleine ATTAL est, aussi, au-delà des pièces de théâtre radiodiffusées en direct, la speakerine de la station de Montpellier placée sous la direction de d’Emmanuel GAMBARDELLA. Pour l’anecdote, cette entrée à la radio se réalise à la suite de son audition par un jury… dont Régine Lacroix est membre !
47. Cette pièce aborde une problématique centrée sur le surréalisme et la psychanalyse.
48. Lettre circulaire de la compagnie du Peyrou du mois de janvier 1946.
49. Source : Programme de la soirée au grand théâtre de Montpellier patronnée par la section du parti communiste Français sous la présidence d’honneur de Maurice Thorez, secrétaire général du parti communiste français, député de la Seine, vice-président du Conseil.
50. Elle aura une carrière d’artiste peintre et sera centenaire.
51. L’Écho d’Alger, 27 avril 1947.
52. Cahiers dit jeu de l’Oie, p. 287.
53. Il est devenu un artiste peintre reconnu.
54. Pierre TORREILLES, Corps dispersé d’Orphée, À la baconnière, 1963.
55. Serge ROUX, Élisabeth BARBIER, La dernière des gens de Mogador, Pont-Saint-Esprit, La Mirandole, 1995. En page 151, RLN annote au crayon : « mon portrait » pour signifier sa proximité de pensée avec l’écrivaine, son ancienne partenaire de la Compagnie du Peyrou. Cet épisode n’est pas mentionné dans l’ouvrage. Élisabeth BARBIER a participé à la mise en place du festival d’Avignon aux côtés de Jean VILAR.
56. Notes du 14 juin 1949.
57. Feuille manuscrite de Régine LACROIX-NEUBERTH.
58. Étudiante à l’Institut de psycho-pédagogie-médico-sociale à Montpellier.
59. Acquise par son père au mois de février 1926.
60. 10 mars 1953.
61. Ce décalage dans le temps, entre le projet et sa réalisation, illustre la difficulté de trouver une salle de spectacle uniquement consacrée à l’enfance, malgré l’appui de M. PONS, inspecteur d’Académie, de M. DECOSSY, directeur de l’École des Beaux-Arts, de la municipalité de Montpellier, de la direction générale des Arts et des Lettres et de la direction régionale de la Jeunesse et des Sports. Le professeur Robert LAFON avait transmis une demande d’aide au Ministère de la Santé et de la Population.
62. Le local est occupé provisoirement à titre gratuit : « M. Pol LACROIX, propriétaire de l’immeuble comprenant l’intérêt exceptionnel présenté par l’association consent à ce prêt, étant entendu que l’association effectuera le paiement du loyer dès qu’elle sera en mesure de le faire ».
63. Plateau 53 est équipé par des sièges empruntés à un service social et, divers matériels sont fournis par l’association régionale de Sauvegarde de l’Enfance. Afin d’obtenir les films diffusés par le Centre National du Cinéma, une carte professionnelle est prise… en se gardant du risque de devenir une entreprise commerciale.
64. L’association est transformée. Elle laisse le matériel à la disposition des jeunes animateurs formés par Plateau 53 (cf. différents prix remportés dans les festivals de jeunes réalisateurs) et facilitera la recherche en ce qui concerne le cinéma pour enfants, la réalisation, la distribution, et l’organisation de spectacles. Elle permettra aux groupes d’études théâtrales de s’installer près d’elle. Un groupe de radio-amateurs s’installe dans le sous-sol, mais disparaît après une année de fonctionnement. Plusieurs associations d’éducation populaire sont créées à partir de l’association « mère » et reçoivent l’aide de la direction départementale de la Jeunesse et des Sports.
65. Ce qui l’oblige à abandonner la direction de Plateau 53 et à la confier Jean Neuberth.
66. Elle exercera cette fonction jusqu’en 1977, soit au cours d’une période de 21 ans.
67. En 1982, Régine LACROIX-NEUBERTH contribue à la sauvegarde de ce patrimoine architectural (Hôtel Lefèvre), par la demande de son inscription à l’inventaire régional. Cette sauvegarde s’effectue sous la responsabilité de Jean NOUGARET, Conservateur Régional de l’Inventaire Général des Monuments. Des moulages d’Édouard LEFEVRE et une verrière avec, au centre, une représentation du Printemps ont été sauvegardés.
68. À partir de 1974.
69. Le titre du stage est : « Technique de l’art dramatique et action pédagogique ». Il se déroule du 23 au 31 juillet 1967 dans les locaux du collège Marie Curie et réunit 24 personnes issues, pour la plupart, de l’enseignement secondaire. Le rapport écrit par RLN insiste sur le fait qu’il s’agit du premier stage de ce type et qu’il « présentait les risques d’une expérience (…) et dont la matière devait être la technique de l’art dramatique envisagée dans son utilisation pour l’action pédagogique ». « Le centre » de ce travail est : « I – une étude et un réapprentissage de la fonction sensorielle et motrice dans l’expression ordinaire, l’interprétation et la création. 2 – Une étude et la mise en application sur les textes, des lois de l’action et de l’évolution telles que la science contemporaine permet de les connaître ». En conclusion. RLN précise : « Nous sommes parvenus (…) au commencement de la redécouverte du langage qui était notre préoccupation première (…) et à l’utilisation de l’art dramatique (…) dans son rapport (légitimé) avec la pédagogie ». La copie de ce rapport est transmise en 2002, pour mémoire, à RLN par Denise BARRIOLADE, Inspectrice Principale de la Jeunesse et des Sports.
70. Note manuscrite de RLN.
71. Régine LACROIX, Technesthésie illusion-réalité, Montpellier, CERPC, 1963, p. 133.
72. OUSPENSKY, Fragments d’un enseignement inconnu, Paris, Stock, 1949, 1950, 1961, 1974, 1989, l991, 2003, pp. 176-177.
73. Nicolas TERESHCHENKO, Gurdjieff et la quatrième voie, Paris, Guy TREDANIEL, 1991, p. 174 : « Loi d’octave ou loi de sept – Il y a deux intervalles où une force venant de l’extérieur est nécessaire pour permettre au processus de continuer dans la même direction voulue. (On) compare ces intervalles à l’endroit où, dans une gamme musicale, se produit un ralentissement dans la progression – l’accélération – des vibrations sonores (…) ces intervalles sont toujours situés entre MI et FA et entre le SI et le DO de l’octave suivante ou bien de l’octave précédente ».
74. Notes manuscrites de RLN.
75. Ainsi nommée car elle part d’une échelle de mesure en 7 espaces inégaux ou loi de sept : « C’est la période à l’issue de laquelle les vibrations sont doublées. Elle est divisée en huit échelons inégaux, correspondant au taux de progression des vibrations. Cette période, c’est-à-dire la ligne de développement des vibrations, mesurée à partir d’un nombre donné de vibrations jusqu’au moment où ce nombre est doublé, est appelée octave ou huitaine ».
76. OUSPENSKY, op. cit. pp. 173-204
77. Président fondateur du CERPC en 1962. Il exerce cette fonction jusqu’en 1972, puis occupe celle de président honoraire jusqu’en 1988. Pierre Bérard a soutenu une thèse de géologie sur les trilobites de l’Ordovicien inférieur des monts de Cabrières (Montagne Noire, France).
78. Régine LACROIX-NEUBERTH, Le théatricule et le caleçon d’écailles, Castelnau-le-Lez, CERPC, 1966.
79. Régine LACROIX-NEUBERTH, Le théatricule….p. 74.
80. Marcel JOUSSE, Anthropologie du geste, Resma, 1969. « Le geste de la bouche, de la langue, des lèvres… ».
81. Ministère de l’Éducation Nationale, Premier répertoire des organismes contribuant à la recherche dans les domaines de l’Éducation, Études et Documents, n° 7, 1968. En page 18, la fiche de présentation du CERPC indique que son président est Pierre BERARD et que l’objet du centre est de « promouvoir l’étude des problèmes des relations humaines dans la société contemporaine ». Dans la citation des publications du CERPC, le film de Claude Maurin, Le coupable, est mentionné.
82. André de PERETTI, La formation des personnels de l’Éducation Nationale, Paris, La Documentation Française, 1982, p. 116 « exercices relatifs à l’expression orale, si nécessaire aux enseignants et éducateurs et qui se sont notamment constitués en disciplines professées dans (les IUT (Montpellier et Tours) depuis 1967 sous le vocable « technesthésie » : p. 287, texte de présentation de la technesthésie par Régine LACROIX-NEUBERTH.
83. Comédien, né en 1951.
84. Entretien téléphonique du 13 février 2012. Nous ne retranscrivons pas la totalité d’un entretien riche d’expressions sensibles et fortes. Fabrice LUCCHINI explique que la technesthésie entre dans « sa technique globale de professionnel » et permet d’aborder le texte dans « son mystère et non dans son interprétation intellectuelle ».
85. Paul MARTELLIERE, Glossaire du Vendômois, 1893 – Bouroufler : « gronder, murmurer, parler avec colère… ».
86. Au début des années 1970.
87. Le jeu qui fait loi.
88. Elle en parle au célèbre ethnologue Jean SERVIER, professeur à l’Université de Montpellier. Ce dernier est agréablement étonné par les recherches de RLN et l’encourage à poursuivre son travail, car les interprétations sont encore incomplètes.
89. Le professeur Jean SERVIER l’a trouvé : « parfait, très joli et très juste ».
90. Petit Larousse, Grand Format, 1992 : « Zone de la sphère céleste qui s’étend sur 8°5 de part et d’autre de l’écliptique et dans laquelle on voit se déplacer le soleil ; la Lune et les planètes principales du système solaire, sauf Pluton ».
91. Le parcours du jeu de l’Oie se présente sous la forme d’une spirale qui part de l’extérieur vers l’intérieur du jeu.
92. Il nous semble nécessaire de relever l’action de l’association ATELIER 63 dont les résultats obtenus dans la réalisation de « laques », d’une manière collective, par des personnes handicapées mentales, ont abouti à la présentation d’une exposition à la Grande- Motte en 1983. Mais ce qu’il faut en retenir, pour RLN, c’est la pédagogie et non la technique. Toutefois « la technique » a eu son importance, car il s’agissait de travailler la laque en faisant appel davantage à la sensorialité qu’à l’intellect.
93. Premier entretien du 18 septembre 2008 : « Je me sens plus enfant que quand j’étais femme – Elle est assise au bureau de son père. Fillette de la grande guerre, elle dormait avec un fusil et une épée. Épée est aussi le premier mot qu’elle a su vocaliser. Bonheur des sensations buccales et linguales, de la colonne d’air au plus profond du ventre – j’aime respirer, je respire à ma façon – Chaque jour nouveau est un jeu, chaque matin un émerveillement, à conquérir par la discipline – Je me condamne, je m’adore »
94. Régine DETAMBEL, Le syndrome de Diogène, Éloge des vieillesses, Actes Sud, 2007.
95. Note manuscrite non datée.
96. Comédienne, amie de Régine LACROIX-NEUBERTH. Née en 1917 et décédée en 2004 à Paris. De son vrai nom Odette DHOMMEE.
97. Régine LACROIX-NEUBERTH et All., Pour un art de l’Homme, CERPC, Castelnau-le-Lez, 1998, p.53.
98. Marguerite DURAS, La vie matérielle, Paris, Gallimard, 1994, p. 142.
99. Le président de l’Agglomération de Montpellier avait accepté ce legs devant un notaire (un vaste domaine situé à Castelnau-le-Lez avec un parc classé, des archives, des œuvres d’art, etc.) en intégrant les associations prêtes à pérenniser une œuvre artistique et culturelle remarquable. Au décès de Georges FRÊCHE, quelques mois plus tard, la parole politique donnée s’envole vers d’autres cieux… désormais chargés de valeurs incertaines.