Quand l’ économie amène à penser régional :
retour aux sources de la région

* Conservatrice en chef du Patrimoine

L’administration française doit résoudre dans l’après-guerre le problème le plus fondamental qui se soit posé depuis l’An VIII : le passage de l’ère de l’économie libérale à celle de l’économie planifiée.

Conçue par Bonaparte, l’organisation administrative française est demeurée, malgré l’évolution politique, profondément imprégnée de centralisme : larges pouvoirs de gestion accordés aux administrations centrales, tutelle étroite des collectivités locales, rigidité des procédures juridiques, financières et comptables.

Mais les tâches imparties à l’administration, à l’époque où son domaine se limitait au maintien de l’ordre public, à la justice, aux finances, aux travaux publics et au recrutement de l’armée, ont depuis subi une transformation, dont les prémisses apparaissent avec la révolution industrielle du XIXe siècle.

De la loi Le Chapelier sur la « liberté du commerce et l’industrie » au plan de modernisation et d’équipement, un siècle est demi s’est écoulé : la révolution industrielle s’est faite sous un régime d’économie libérale. Celle-ci implique cependant une certaine intervention de l’État dans le domaine économique : protectionnisme douanier, recherche de débouchés extérieurs, construction des chemins de fer et d’un réseau routier, grands programmes de travaux publics. En 1936, à l’époque où l’Anglais Keynes a dégagé les lois fondamentales de l’équilibre économique, la France entre dans une phase d’économie semi-dirigée où budget, fiscalité et crédit sont utilisés à des fins économiques. C’est la guerre de 1939-1945 et ses conséquences qui la conduisent dans la voie d’une économie planifiée, puis de l’expansion économique.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il s’agit d’adapter l’organisation administrative territoriale aux impératifs de l’État industriel.

Du décret Pflimlin du 30 juillet 1955 posant le principe des programmes des actions régionales aux importants décrets de 1964 qui voient la naissance du préfet de région et de la CODER, en passant par le décret du 21 juin 1960 créant 21 circonscriptions d’action régionale, la IVe et la Ve Républiques ont suivi la voie d’un régionalisme autant économique qu’administratif.

Un certain nombre de faits nouveaux sont apparus dans le domaine politique, économique et social, dont les répercussions ne pouvaient qu’être profondes sur la structure, les pouvoirs et les méthodes de l’administration française :

— les plans de modernisation et d’équipement et la politique d’expansion économique,

— la politique d’action économique régionale,

— la régionalisation – au sens de déconcentration des budgets – et la naissance des régions,

— le marché commun et les exigences de l’économie mondiale.

La régionalisation des actions met en relief les volontés politiques d’établir des courroies de transmission au plus près des territoires.

C’est l’histoire d’un long processus, souvent pragmatique, au cours duquel les réflexions sur l’économie, l’aménagement du territoire, le découpage des circonscriptions administratives et les pouvoirs des élus locaux trouvent encore écho aujourd’hui.

Les représentants de l’État dans la région

L’ordonnance du « Gouvernement d’Alger » du 10 janvier 1944 divise le territoire de la métropole en commissariats de la République et crée les commissaires régionaux de la République. L’ordonnance du 3 juin 1944 supprime les préfectures régionales et organise ces mêmes commissariats régionaux de la République. Leur organisation correspond de fait aux anciennes préfectures régionales. Le commissaire régional de la République de Montpellier, nommé par décret rendu sur la proposition du commissaire de l’Intérieur est le représentant du pouvoir central à l’échelle de la région (qui couvre le Languedoc et le Roussillon : Aveyron, Gard, Hérault, Lozère, Pyrénées-Orientales). Il est chargé, sous réserve des pouvoirs dévolus à l’autorité militaire, de prendre toute mesure propre à assurer la sécurité des armées françaises et alliées, à pourvoir à l’administration du territoire, à rétablir la légalité républicaine et à satisfaire aux besoins de la population (ordonnance du 10 janvier 1944, art. 3).

Il lui est également confié des pouvoirs exceptionnels, comme celui de suspendre l’application des textes législatifs ou réglementaires qui se trouvent de fait en vigueur ; d’ordonner toutes mesures nécessaires pour assurer le maintien de l’ordre, le fonctionnement des administrations et des services publics, la sécurité des armées ; de suspendre de leurs fonctions les élus et fonctionnaires et de leur désigner des intérimaires ; de suspendre l’application des sanctions pénales et des poursuites judiciaires ; de bloquer tous les comptes privés ; de réquisitionner les biens et services ; il peut déléguer ses pouvoirs aux préfets départementaux, sauf pour ce qui est de la suspension des textes législatifs et réglementaires.

Les préfets de département sont placés sous son autorité directe, ainsi que les services relevant de l’ex-préfecture de région. Ses décisions prennent la forme d’arrêtés.

Dans l’appareil administratif du commissaire de la République (Jacques Bounin à Montpellier) 1, notons en particulier la présence d’un secrétariat général aux Affaires économiques. Avec à sa tête Alfred Demangeot, il assiste le commissaire régional, en substitution à l’Intendant des affaires économiques créé par la loi du 19 avril 1941. Le commissaire de la République lui délègue tout ou partie de ses pouvoirs en matière d’économie. Il applique les directives et instructions du ministre de l’Économie nationale, à charge de transmettre directement au commissaire régional tous éléments d’informations sur la situation économique des départements de la région. Son activité s’exerce donc sur toutes les questions agricoles et viticoles, sur l’industrie (textiles, industrie du soufre, sulfate de cuivre, cuirs, distilleries), le commerce, le ravitaillement, le travail, la main-d’œuvre, la reconstruction, l’équipement, l’exploitation des ports et canaux, les prix. Il préside un certain nombre de commissions à caractère économique (commission régionale des transports, commission régionale d’équipement rural, comité régional des prix). Il se substitue au commissaire régional en ce qui concerne les ordres et directives à donner en matière économique aux fonctionnaires régionaux ou départementaux. Il ne dispose pas de services départementaux, son autorité étant répercutée localement par les préfets. Il a acquis une certaine autonomie administrative depuis le 1er janvier 1945, en gérant son propre budget que lui octroie le Ministère de l’Économie nationale.

Le commissariat de la République de la région de Montpellier est dissous le 31 mars 1946 (en application de la loi du 26 mars 1946 portant suppression des commissariats régionaux).

Les débats et les discussions relatifs à la nouvelle constitution de 1946 ne peuvent évacuer la question de la décentralisation et du régionalisme.

Peu de temps après, au cours des derniers mois de 1947, des grèves généralisées, de graves menaces révolutionnaires provoquent de la part du pouvoir central une réforme destinée à concentrer et à élargir l’action des autorités régionales. Par le décret du 18 mars 1948, de vastes circonscriptions régionales, groupant chacune un certain nombre de départements sont créées avec des limites calquées sur celles des régions militaires établies lors de la réorganisation de l’armée au lendemain de la guerre 1939-1945, le chef-lieu étant celui de la région militaire. Son préfet est mis à la tête de la région sous le titre « d’inspecteur général de l’administration en mission extraordinaire » (IGAME). Il ne s’agit alors que de déconcentration, mais la création des nouvelles régions, désignées par des numéros, vont habituer à « penser régional ».

La région de programme

Le mouvement régional se renforce vers les années 1950 au sein des comités d’expansion. Des hommes appartenant aux horizons les plus divers se sont rassemblés et ont imaginé l’avenir des régions à partir des réalités les plus urgentes comme la reconstruction du patrimoine détruit par la guerre et la reconversion des activités traditionnelles emportées par une technique galopante.

L’État n’est pas resté insensible à ce phénomène. Sa politique d’action économique régionale naît de la loi du 14 août 1954, du décret du 11 décembre 1954, et des décrets du 30 juin 1955, et poursuit les objectifs suivants :

— « En vue de préparer les mesures destinées à favoriser l’essor économique des diverses régions, il est apparu nécessaire de coordonner, dans un cadre régional, l’activité des diverses administrations et l’utilisation des moyens financiers dont elles disposent avec les mesures à prendre pour encourager les initiatives privées propres à exploiter les possibilités économiques et les ressources du territoire ».

En 1955, les comités d’expansion sont agréés et élaborent les premiers Programmes d’Action Régionale (PAR). La région de programme Languedoc a bénéficié très tôt de l’établissement d’un programme d’action régionale et de l’entreprise d’une grande œuvre d’aménagement conçue comme le moteur de l’évolution et comme le principal moyen d’action de ce programme : le canal du Bas-Rhône-Languedoc 2. Un arrêté du 13 novembre 1951 avait créé au Commissariat du plan une « Commission de modernisation et d’équipement de la Région du Bas-Rhône et du Languedoc ». A la mission purement technique d’exécuter et exploiter un vaste réseau d’irrigation, s’ajoute celle de la mise en valeur aussi bien dans les zones de plaines que dans celles de garrigues et de montagnes 3.

Un décret du 2 juin 1960 permet de supprimer de nombreux chevauchements de ressorts territoriaux des services extérieurs de l’État : les limites géographiques de ces services d’une trentaine d’administrations coïncident désormais avec les 22 circonscriptions d’action régionale (21 régions de programme plus la région parisienne).

Quelles sont les conséquences pour la région du Languedoc ? L’Aude et l’Hérault, départements centraux, ne sont affectés par aucune modification ; les Pyrénées-Orientales sont rattachées à la région de programme Languedoc, alors qu’elles faisaient partie de la région Midi-Pyrénées. L’Aveyron voit quant à lui son rattachement à la région Midi-Pyrénées. Peu de changements donc, la région de programme étant déjà nettement dessinée dans la carte administrative française ; une certaine solidarité unissant par ailleurs les départements viticoles du Languedoc et du Roussillon.

Dans chacune de ces 22 circonscriptions, la conférence interdépartementale constitue l’instance permanente d’étude et de coordination des programmes d’investissements publics, et de mise en œuvre des plans régionaux. Elle est présidée à titre permanent par l’un des préfets de la région dit « préfet coordonnateur ».

Le comité régional d’expansion, groupant les différentes catégories professionnelles et sociales de la région, est essentiellement l’organe consultatif à l’échelle de la région.

La réforme de 1964

C’est surtout le IVe plan (1962-1965) qui a mis en vedette la notion de « région ». A la prévision horizontale des différents secteurs de l’économie, il a ajouté une dimension verticale dont sont chargés les comités régionaux d’expansion. Pour la première fois, les régions déterminent elles-mêmes les opérations qui leur semblent les plus urgentes à réaliser. Elles se prononcent sur leur propre devenir avant la décision du pouvoir central.

La mise en œuvre des plans appelle une adaptation des structures administratives. Le décret du 14 mars 1964, relatif aux pouvoirs des préfets, à l’organisation des services de l’État dans les départements, et à la déconcentration administrative, et le décret du même jour relatif à l’organisation des services de l’État dans la région apportent de profonds changements pour l’administration départementale et régionale. La simplification des structures et des procédures administratives constitue un des aspects essentiels de cette réforme.

Le décret confie au préfet de la région la mission de mettre en œuvre la politique du gouvernement concernant le développement économique et l’aménagement du territoire de sa circonscription. Ce qui signifie qu’il a à la fois :

— des missions administratives : il anime et contrôle à cette fin l’activité des préfets des départements de la région ainsi que celle des chefs de service, des présidents et directeurs d’établissements publics et des sociétés d’économie mixte à caractère non national, dont l’action s’étend sur plusieurs départements de la circonscription. Il est en outre chargé de contrôler et de coordonner l’activité administrative des services civils de l’État et des établissements publics, n’ayant pas un caractère national dont l’action est sur plusieurs départements ;

— des missions d’ordre économique et social : il joue en particulier un rôle en matière de préparation et d’exécution de la tranche régionale du plan, dans la réalisation des investissements publics et dans l’aide à la décentralisation industrielle.

Pour l’aider dans cette mission, il dispose :

— d’un cabinet, dont les attributions classiques sont étendues au niveau de la région, notamment en ce qui concerne le secrétariat particulier du préfet, l’action d’information générale et les synthèses proprement politiques ;

— d’un bureau de la défense : pour l’exercice des pouvoirs dévolus en matière de défense aux inspecteurs généraux de l’administration en mission extraordinaire (IGAME).

Le préfet est secondé par une Mission économique et assisté par la Conférence Administrative régionale (CAR) et la Commission de Développement Économique Régionale (CODER).

Le service de la mission, est créé le 1er juillet 1964, avec deux sections, l’une chargée de la planification, l’autre des affaires administratives régionales.

Par la création des CODER, le gouvernement veut que la consultation des instances régionales soit effective pour le Ve plan (1966-1970).

La commission ne peut avoir moins de vingt membres, ni plus de cinquante. Elle comprend : pour un quart de ses membres au moins un ou plusieurs conseillers généraux désignés, un ou plusieurs maires désignés ; pour la moitié, des membres désignés par les chambres de commerce et d’industrie, d’agriculture et des métiers et par des organisations professionnelles et syndicales d’employeurs et de salariés, de l’industrie, de l’agriculture et du commerce ; pour le surplus, des personnalités désignées par arrêté du Premier ministre, en raison de leurs compétences. La commission siège pour cinq ans, dans la ville où réside le Préfet de région et en présence de celui-ci.

Le projet de réforme régionale en 1968

— « Il faut qu’un conseil régional réunisse lui aussi des représentants des collectivités locales et des représentants des diverses activités économiques, sociales et universitaires. Il faut que ce conseil soit saisi de tous les projets qui concernent l’équipement et le développement de la région, notamment quand il s’agit du Plan. Il faut qu’il reçoive certaines responsabilités financières quant à l’emploi des ressources, que celles-ci soient fournies par l’État ou par des impositions particulières à la région, ou par l’emprunt. Il faut qu’il soit impliqué en premier chef dans l’élection de ceux des sénateurs qui représenteront à Paris les collectivités locales et qu’ainsi la participation économique et sociale que nous entendons organiser à l’échelon national soit liée à celle que nous voulons créer à l’échelon régional », ainsi s’exprime le Général de Gaulle, le 9 septembre 1968. (Fig. 1)

Mais le référendum du 27 avril 1969 repousse en bloc les réformes du Sénat et de la Région, la première question occultant probablement l’importance de la seconde.

La presse et l’organisation de la région, 1968. Arch. Dep. Hérault, 701 W 206
Fig. 1 - La presse et l’organisation de la région, 1968.
Arch. Dep. Hérault, 701 W 206. (Cliché Christophe Cordier)

Il est aussi révélateur de la défiance des élus locaux, et commande pour la suite de la réflexion le maintien du découpage administratif, et des circonscriptions électorales existants. Ériger la région en collectivité territoriale, dont les représentants seraient élus au suffrage universel, risque de constituer une menace pour les départements en réduisant le Conseil général à un rôle secondaire.

La réforme régionale est donc reprise dans une nouvelle perspective, celle de la déconcentration administrative ; la notion de tranche régionale est abandonnée au profit de celle de programme régional de développement et d’équipement (PRDE). Le 30 octobre 1970, à Lyon, le Président Pompidou définit sa conception de la région :

—«  Il s’agit dans tous les domaines de créer, sans détruire, de rénover en partant de ce qui est, en commençant par la base, au lieu de prétendre imposer des superstructures technocratiques à nos structures traditionnelles. La région doit être conçue comme un échelon administratif se superposant à ceux qui existent, mais avant tout comme l’union des départements permettant de réaliser la gestion rationnelle des grands équipements collectifs. Elle est, pour les départements, ce que sont les syndicats intercommunaux pour les communes. Elle permet à l’État de concentrer les responsabilités en évitant un écran supplémentaire […] ».

1972, naissance de l’établissement public régional

L’article 1er de la loi du 5 juillet 1972 stipule qu’il « est créé dans chaque circonscription d’action régionale qui prend le nom de « région », un établissement public qui reçoit la même dénomination ».

— « L’établissement public a pour mission, dans le respect des attributions des départements et des communes, de contribuer au développement économique et social de la région ».

Il ne s’agit encore ni de gérer, ni de diriger. Les compétences sont limitées. La Région peut sur ses ressources propres commander et financer toutes études relatives au développement régional, participer au financement d’équipements collectifs d’intérêt régional, réaliser elle-même de tels équipements, dans le cadre d’une convention qu’elle passerait avec les collectivités locales intéressées, ou bien avec une autre région ou encore avec l’État.

La loi prévoit deux institutions : le conseil régional, et le comité économique et social qui doit assurer la représentation des organismes et activités à caractère économique, social, professionnel, éducatif, scientifique et sportif.

La circonscription d’action régionale Languedoc-Roussillon comprend la Lozère et les quatre départements du littoral méditerranéen situés à l’ouest du Rhône, le Gard, l’Hérault, l’Aude et les Pyrénées-Orientales. Ces départements côtiers se caractérisent alors par une plaine vinicole, riche, peuplée et active, contrastant avec un arrière-pays en régression, avec un réseau urbain dense où pratiquement aucun point du territoire n’est à plus de 50 kms d’une des cinq villes les plus importantes (Carcassonne, Béziers, Perpignan, Montpellier et Nîmes).

Vu de l’extérieur, le tableau économique n’est pas réjouissant. Lors d’une question orale, le 8 juillet 1972, M. Léon Feix, député communiste, appelle l’attention de M. le ministre de l’équipement, du logement et de l’aménagement du territoire sur les problèmes de l’aménagement de la région Languedoc-Roussillon. Au cours d’une mission d’études parlementaire du 18 au 23 juin dans les quatre départements du Gard, de l’Hérault, des Pyrénées-Orientales et de l’Aude, la délégation dont il était membre a pu constater les insuffisances du développement économique de cette région en dépit des richesses naturelles existantes et de la présence d’une main-d’œuvre nombreuse et qualifiée. Les agriculteurs ont fait des efforts pour sortir de la monoculture du vin et élargi leur production vers les fruits et légumes. Pourtant le pouvoir d’achat des exploitants familiaux diminue d’année en année. Au nom du développement touristique prioritaire du littoral, le Gouvernement a permis la liquidation de nombreuses entreprises. La fermeture du bassin minier des Cévennes en 1975 entraînerait pour les travailleurs licenciés, notamment les jeunes et les cadres, des difficultés pour trouver un emploi. Des menaces pèsent également sur l’avenir de Marcoule. Le niveau des salaires est inférieur à la moyenne nationale. Les étudiants diplômés de l’université de Montpellier ne peuvent trouver des emplois dans la région même. De l’avis des syndicats et des organisations professionnelles, des chambres de commerce et d’industrie, l’opération du grand delta, dans sa conception actuelle, ne saurait constituer une solution générale et rapide à ces difficultés. Un aménagement équilibré de cette région commande que soit assuré un développement simultané de l’industrie et de l’agriculture. II implique à la fois le maintien (les industries existantes), et l’implantation d’industries de transformation…

Les responsables politiques locaux soulèvent quant à eux deux problèmes :

— La taille de la région, qui apparaît comme trop exiguë, dans la perspective européenne. Si le conseil général du Gard est plutôt favorable à une région type « Grand delta », tournée vers l’est, regroupant les régions Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon, les faveurs du celui de l’Aude vont plutôt vers l’ouest et une grande région englobant l’Ariège, la région Midi-Pyrénées, les Pyrénées-Orientales, afin de se ménager une ouverture vers l’Espagne, et d’offrir à la région Midi-Pyrénées un accès à la Méditerranée.

La région trop petite laisse subsister des antagonismes locaux qui auraient pu être dilués dans une région de plus grande dimension.

« Ainsi Monsieur Bène, Président du conseil général de l’Hérault, nous a-t-il affirmé que les « hommes du Gard n’appréhendent pas les problèmes de la même manière que ceux de l’Hérault ». Monsieur Capdeville, Président du conseil général de l’Aude, est plus catégorique : des antagonismes marqués existeraient entre Montpellier et Nîmes ; de même qu’entre les Pyrénées-Orientales et l’Aude (les Perpignanais parlant volontiers des Audois comme des « gavachs »). Mais au-delà de ces querelles, une sainte-alliance se réaliserait entre toutes les villes de la région contre Montpellier… » 4.

— Le choix de Montpellier comme capitale régionale ne s’impose pas à tous, craignant de voir un préfet de région avant tout préfet de l’Hérault, ou encore craignant de voir Montpellier se comporter en capitale « autoritaire ».

Cependant, bien que la configuration géographique ne satisfasse pas tout le monde, il apparaît peu réaliste aux conseillers généraux de faire de la modification du découpage une condition préalable et absolue à la réforme, et ils le considèrent comme devant être maintenu au moins dans un premier temps.

La composition du Conseil régional du Languedoc-Roussillon, répartit un effectif de 56 conseillers en députés et sénateurs élus dans la région (26), représentants désignés par les conseils généraux (18, dont 11 au moins doivent être maires d’une commune autre que Montpellier, Béziers, Sète, Nîmes, Alès, Perpignan, Carcassonne, Narbonne et Mende), représentants désignés par les conseillers municipaux (12, soit les maires des communes ci-dessus plus un représentant pour Montpellier, Nîmes et Perpignan) 5. Le Conseil régional pourra recevoir pour son premier exercice budgétaire une somme maximale de 15 francs par habitant (soit 25 750 000 F pour le Languedoc-Roussillon).

Organisme de conception, d’animation et de coordination, l’EPR est dépourvu de moyens et de règles de fonctionnement propres. Il doit donc appliquer les dispositions financières et comptables adoptées pour d’autres entités et utiliser les services de ces dernières. Elle ne prévoit pas de services pour l’exercice des attributions. Un rapport de l’inspection générale de l’administration de juin 1974 sur la mise en application de la réforme régionale fait état des différentes situations en régions. En Languedoc-Roussillon, après des débuts difficiles et une location de salles du Conseil général à un prix exorbitant, « la commission permanente […] pense avoir trouvé l’immeuble idéal, susceptible d’abriter les deux assemblées. C’est un immeuble ancien, du début du siècle, situé sur un grand boulevard, à proximité de la gare (ce qui sera fort apprécié par les Conseillers) […] ». Envisageant l’achat et de grands travaux, en attendant l’inauguration, on prévoit de tenir les sessions dans les différents départements de la région.

1982, la région, collectivité à part entière

La décentralisation est au tout premier rang des préoccupations du Gouvernement de Pierre Mauroy, Premier ministre et maire de Lille, et de son ministre de l’Intérieur et de la décentralisation, Gaston Defferre, maire de Marseille. L’article 72 de la Constitution énumère les catégories de collectivités territoriales existantes (communes, départements, territoires d’outre-mer) et précise que « toute autre catégorie de collectivité territoriale est créée par la loi ». Les lois de décentralisation vont avoir pour effet de créer une nouvelle catégorie de collectivité locale : la Région.

Votée en première lecture à l’Assemblée nationale dès le mois d’août 1981, la loi promulguée en mars 1982 a pour titre « loi relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions ».

Au terme d’une période de transition, jusqu’à l’élection au suffrage universel direct des conseils régionaux, prévue en 1986, la région devient une collectivité locale de plein exercice. Le pouvoir exécutif départemental ou régional est transféré du préfet, fonctionnaire de l’État, aux présidents des conseils général ou régional, élus territoriaux.

L’article 1er de la loi dispose que « les communes, les départements et les régions s’administrent librement par des conseils élus » et prévoit que « des lois détermineront la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État, ainsi que la répartition des ressources publiques résultant de nouvelles règles de la fiscalité locale et de transferts de crédits de l’État aux collectivités locales, l’organisation des régions, les garanties statutaires accordées aux personnels des collectivités locales, le mode d’élection et le statut des élus, ainsi que les modalités de la coopération entre communes, départements et régions, et le développement de la participation des citoyens à la vie locale. »

Les tutelles administratives et financières de l’État sur les actes des collectivités territoriales sont supprimées au profit d’un contrôle de légalité a posteriori, exercé par les préfets et les tribunaux administratifs. Les actes des collectivités territoriales sont exécutoires de plein droit. En ce qui concerne le contrôle financier, la loi du 10 juillet 1982 charge les Chambres régionales des comptes, nouvelle catégorie de juridiction, du jugement des comptes, du contrôle des actes budgétaires et de l’examen de la gestion des collectivités et des établissements publics locaux.

La loi de décentralisation du 2 mars 1982 donne donc naissance à une collectivité locale de plein exercice, le conseil régional qui se voit accorder des compétences propres.

Toutefois l’action de l’État dans la région se maintient et le préfet de région est le garant de sa cohérence. Cette mission régionale est poursuivie par le secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR).

Placé sous l’autorité du préfet de région et dirigé par un secrétaire général, le SGAR est une administration de l’État en région au service de l’aménagement du territoire et du développement économique et social.

Le SGAR est une administration de mission puisqu’il anime, coordonne et évalue les politiques publiques conduites au nom de l’État (aménagement du territoire, économie et emploi, programmes européens, etc.). Il prépare également les stratégies de l’État en matière de planification et de développement économique et social (contrat de plan État-région, PASER).

C’est aussi une administration de coordination, de programmation, d’études, de gestion et de contrôle. En effet, il coordonne l’action des 22 services de l’État en région regroupés en 8 pôles régionaux. Il assure le secrétariat du comité de l’administration régionale (CAR), précédemment appelé conférence administrative régionale, la programmation et la cogestion des crédits de l’État et de l’Union européenne en région. Il réalise des études d’aménagement du territoire, des diagnostics territoriaux et évalue les politiques publiques.

Enfin, le SGAR assure également le contrôle des actes administratifs du conseil régional et des établissements publics depuis les lois de décentralisation de 1982 qui ont supprimé la tutelle préfectorale.

Aux sources de l’histoire de la région

Outre les sources citées en notes, les archives de la Mission régionale puis du Secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR) font l’objet aux Archives départementales de l’Hérault d’un inventaire thématique regroupant les différents versements de dossiers de gestion de la préfecture, de 1946 à 2009, soit un ensemble de 1280 mètres linéaires ! Reflet de la présence de l’État en région, ce fonds représente l’ensemble des politiques publiques en matière d’aménagement du territoire (planification) et de développement économique et social. Par ailleurs, il montre le rôle de l’Europe dans le développement régional par le biais de la programmation, du suivi et du contrôle de l’utilisation des fonds européens exercés par le SGAR.

Collectivité territoriale de plein exercice, la Région de par la loi du 22 juillet 1983 est propriétaire de ses propres archives, et responsable de leur conservation. On peut donc trouver également dans les services d’archives régionales des sources sur de multiples sujets tels que : l’histoire de l’institution régionale, l’identité des Régions, le plan État-Région, les finances locales, l’enseignement, la formation professionnelle et l’apprentissage, l’environnement, le cadre de vie, la culture, le sport, la coopération européenne et internationale, l’aménagement du territoire, la recherche et le développement, etc.

Enfin, pour compléter l’histoire de cette évolution administrative, politique et économique, on peut également consulter aux Archives départementales de l’Hérault, les archives de celui que certains considèrent comme le père de l’aménagement du territoire en France 6, Philippe Lamour 7. Déjà adjoint du commissaire de la République de Montpellier, Bounin, à la Libération, on le retrouve en 1955, président de la Compagnie nationale d’aménagement du Bas-Rhône et du Languedoc, où il entreprend une œuvre d’envergure dans le domaine de l’irrigation, le canal du Bas-Rhône Languedoc, amenant l’eau du Rhône vers le sud du département du Gard et l’est du département de l’Hérault. C’est à la suite d’un projet élaboré par lui en 1962, alors qu’il présidait le Conseil supérieur de la Construction qu’est engagée la politique d’aménagement du territoire de la Ve République. À la présidence de la Commission nationale de l’aménagement du territoire, il joue un rôle déterminant dans la mise en œuvre du plan d’aménagement du territoire de 1962 et dans la création de la DATAR en 1963. (Fig. 2 à 5)

Consultation sur l’organisation de la région :
cartes fournies, parmi la documentation officielle, 1968.
Arch. Dep. Hérault, 701 W 206.

Les provinces en 1789
Fig. 2 - Les provinces
en 1789
Fig. 3 - Les Commissaires
de la République en 1945-46
Les 21 régions de programme en 1960
Fig. 4 - Les 21 régions
de programme en 1960
Zones d’étude pour la préparation du VI° Plan en 1968
Fig. 5 - Zones d’étude pour la préparation du VI° Plan en 1968

NOTES

1. Les archives du Commissariat régional (1939-1946), 20 mètres linéaires, sont regroupées sous la cote Arch. Dep. Hérault, 999W.

2. Aménagement du Bas-Rhône Languedoc, 1947-1955, dans les archives de Philippe Lamour, Arch. Dep. Hérault, 92 J 62

3. Joxe, Pierre, Le cadre administratif de l’action économique régionale : de la dispersion des pouvoirs à la coordination des organes, Préfecture de l’Hérault, mémoire de stage, décembre 1960. Arch. Dep. Hérault, BRA 2360.

4. Sudre, Frédéric, Le Conseil Régional du Languedoc-Roussillon. La mise en place des nouvelles institutions régionales à Montpellier, 1974. Arch. Dep. Hérault, CRC 65.

5. Arch. Dep. Hérault, 1084W 64

6. Pitte, Jean-Robert, Philippe Lamour, père de l’aménagement du territoire en France (1903-1992), Fayard, 2002.

7. Fonds Philippe Lamour, Arch. Dep. Hérault, 92 J.