Pays d’art et d’histoire transfrontalier : les vallées catalanes du Tech et du Ter
Pays d’art et d’histoire transfrontalier :
les vallées catalanes du Tech et du Ter
* Conservatrice honoraire des Musées de France à Perpignan
[ Texte intégral ]
« Les fresques de Saint-Martin de Fenollar et de l’église de L’Écluse, ainsi que le linteau de Saint-Génis des Fontaines ou la fenêtre de la façade de l’abbaye d’Arles-sur-Tech, sont parmi…… les plus anciens…… premier art roman… Roussillon… Vous lirez les ouvrages de Folch i Torrès et de Puig i Cadafalch…oui, ils sont en catalan…… non ils ne sont pas traduits……… »
Cela pourrait commencer par ces mots de nos « bons maîtres », André Dupont et Robert Saint-Jean, qui nous enseignaient l’histoire de l’art roman en Roussillon dans un vieil amphi, au troisième étage de la faculté des Lettres de Montpellier, blottie entre la faculté de Médecine et la tour d’Aragon. Il y avait Francine, Henri, Annick, Michel, Marie-Odile et moi… Tu régnais sur le musée des Moulages qui devenait notre refuge, où on savait trouver le meilleur accueil, l’humour le plus fin. Il y a peu, Francine a évoqué cette « petite troupe d’étudiants ». C’était dans une église de Montpellier, tu venais de nous précéder sur un autre chemin.
Quelques mois plus tôt, tu avais conduit un groupe d’amis à Perpignan, puis à Céret, Collioure et Banyuls. Nous avions ensemble arpenté les rues de Perpignan, marché dans les pas de Picasso, Matisse, Maillol et George-Daniel de Monfreid, et je t’avais parlé d’un projet : celui d’un Pays d’Art et d’Histoire Transfrontalier (PAHT) en Vallespir. Tu avais dit « Vuii, c’est passionnant », et la malice que je lisais dans tes yeux disait : « Si tu savais comme ce sera compliqué ! » Nos amis sont revenus seuls, plus tard. Le PAHT fonctionnait… et cela avait été compliqué !
Alors, maintenant, laisse-toi conter 1 cette aventure.
Nous serons accompagnés par Aurélia, animatrice de l’Architecture et du Patrimoine, par Julie, Christelle, Marie, Christine, Stéphanie et Montserrat, guides-conférencières, et par Aurélie, secrétaire ; François, enseignant, nous rejoindra chemin faisant. (fig. 1)
En novembre 2009, le ministère de la Culture donne un avis favorable, avec les félicitations du jury, à la création de ce qui est alors le premier Pays d’Art et d’Histoire Transfrontalier de France. Le ministre de la Culture félicite personnellement les porteurs du dossier. Les Catalans du Nord (France) et du Sud (Espagne) venaient de prouver aux plus hautes instances culturelles françaises qu’ils savaient travailler ensemble avec pugnacité, pour l’obtention d’un label français qui serait adopté par l’Espagne.
Outre les membres institutionnels, la délégation « montée » à Paris était composée d’élus catalans, venus du Vallespir (département des Pyrénées-Orientales), et de la Comarca del Ripollès (Province de Gérone, au sein de la Generalitat de Catalunya), du directeur de la Casa de la Generalitat de Catalunya à Paris et du sous-préfet de Céret. Tous ne parlaient pas français ; la « soutenance » a été bilingue, français et catalan, un maire assurant la traduction.
Une grande aventure commençait : personne n’ignorait que la mise en place serait longue, semée d’embûches, mais la volonté de tous les acteurs du projet n’a jamais faibli jusqu’à la signature de la convention avec l’État en 2010. En 2016, l’enthousiasme reste le même, porté par des réalisations exemplaires 2.
Laisse-toi conter… le Vallespir
Connais-tu bien cette « Vallée âpre » qui, le long d’un petit fleuve, le Tech, rejoint la frontière avec l’Espagne, au col d’Ares ? Connais-tu le Ter ? Les vallées de deux fleuves, le Tech, versant français, et le Ter, versant espagnol, sont les colonnes vertébrales du Pays. Tous deux prennent leur source au pic de Costabonne culminant à 2 400 mètres 3 (fig. 2). On voit bien sur la carte l’étendue de ce territoire qui recouvre des zones très différentes, allant des plaines méditerranéennes, de très faible altitude (Le Boulou, 85 m), à des sommets dépassant 2 000 mètres.
Le massif du pic du Canigou (2 785 m) est la limite nord. À l’ouest, la vallée du Ribes adossée à la Cerdagne, rejoint la vallée de Camprodon et, plus au sud, la vallée du Ter. À l’est, le PAHT s’appuie sur les Albères jusqu’au col du Perthus. Au sud, sa limite correspond à la frontière avant de rejoindre le territoire de la commune de Sant Joan de les Abadesses. Quelques petites villes le jalonnent ; Le Boulou, au croisement de grandes voies de circulation et de transit international ; Céret, sous-préfecture, au cœur d’un bassin d’emploi, accueille des administrations et des services décentralisés ; Camprodon et Sant Joan de les Abadesses possèdent de petites activités artisanales, agricoles et agro-alimentaires.
Les entrées dans le PAHT sont celles qu’impose la géographie ; sur la plaine, Le Boulou ; à la frontière, Le Perthus et le Fort de Bellegarde ; à l’autre extrémité, Prats-de-Mollo-la-Preste sur la route conduisant au col d’Ares. Cette route descend ensuite dans la plaine de Mollo et de Camprodon, pour rejoindre Sant Joan de les Abadesses. Une autoroute relie Camprodon au Perthus, ou à Gérone, par Olot. Depuis Coustouges, une belle route permet de rejoindre Le Perthus en très peu de temps. Zone rurale, le PAHT est d’un accès très facile à partir des grands axes de circulation et à proximité des aéroports de Gérone et Perpignan.
Laisse-toi conter… les habitants du Vallespir
Jusqu’au milieu du XXe siècle, la montagne est bruissante de vie : les sabots des mulets qui sonnent sur les roches des sentiers, l’odeur âcre des fours à griller, le bruit des haches et des scies de bûcherons, les cris des hommes, des femmes, des enfants. On extrait le minerai de fer dans les mines de Batère au pied du Canigou, on le transporte à l’aide de mulets. Femmes et enfants en portent aussi de lourdes charges. Sur les sentiers, on peut encore voir les pierres qu’ils ont disposées pour pouvoir poser leur fardeau sans pour autant le décharger, afin de soulager leur dos meurtri. Les charbonniers grillent le minerai dans des fours à bois, avant qu’il ne soit descendu en Arles-sur-Tech au moyen de wagonnets aériens.
Le travail du fer occupe toute la région : des petites forges, dites catalanes, sont installées le long des rivières. Le minerai du Canigou donne un fer particulièrement résistant qui se travaille bien et ne se corrode pas : les pentures des portes des églises romanes en témoignent. On forge naturellement tous les outils nécessaires à la vie quotidienne, depuis les clous en passant par les fers des mulets et des ânes, indispensables à la vie économique : eux seuls peuvent passer partout dans les montagnes, lourdement chargés de tout ce qui peut s’échanger de part et d’autre de la frontière… légalement ou non ! Brutalement coupés de leurs sources d’approvisionnement au sud des Pyrénées par le traité des Pyrénées (1659), les habitants du Vallespir se sont trouvés bien démunis et ont poursuivi ces échanges immémoriaux, avec bien souvent l’indulgence des maires locaux qui savaient aller plaider, auprès du maire de Figueres, la cause de l’un de leurs administrés emprisonné pour contrebande 4.
On exploite le châtaignier pour faire des tonneaux, des piquets de vigne. La sirène des usines de tissage retentit dans la vallée de Saint-Laurent-de-Cerdans, mais aussi en Arles, à Camprodon, à Mollo, à Llanars. Les usines tournent à plein régime alimentées par l’électricité fournie par l’énergie hydraulique. On confectionne également des espadrilles qui se vendent dans le monde entier. Le pastoralisme est important. L’arrivée du train, au début du XXe siècle, facilite grandement les échanges commerciaux. Villes et villages sont prospères.
La douceur du climat de Céret attire, au début du XXe siècle, pléiade d’artistes venus à la suite de Manolo Hugué, Picasso étant le plus célèbre. Les stations thermales du Boulou, d’Amélie-les-Bains (avec un hôpital thermal des armées 5, à côté des installations « civiles » où Dufy fera quelques séjours), de La Preste, une chocolaterie en Arlessur-Tech et la station climatique de Camprodon sont très fréquentées. Les pèlerinages et les fêtes réunissent cousins « du Nord et du Sud » ; on danse ensemble la sardane au son des coblas 6 ; on chante et surtout, dans toutes les familles, on parle la langue maternelle, celle que ni la francisation ni le franquisme n’ont pu faire oublier : le catalan.
Peu à peu, ces activités artisanales et agricoles traditionnelles disparaissent. Une catastrophe naturelle d’une ampleur sans précédent va précipiter leur déclin, c’est l’Aiguat d’octobre 1940. Une très importante crue du Tech, accompagnée d’énormes glissements de terrains, emporte une partie des usines hydro-électriques, la chocolaterie et la voie de chemin de fer qui ne sera pas reconstruite ; le transport routier prendra le relais. La chocolaterie s’installe à Perpignan. Le châtaignier, qui n’est plus exploité, recouvre peu à peu les montagnes. Les habitants se ressaisissent : ils font le choix de l’excellence dans les domaines de l’industrie (fabrication de papier à Amélie-les-Bains, bouchons de liège à Céret, plateforme routière internationale au Boulou), du savoir-faire (textile et espadrilles à Saint-Laurent-de-Cerdans, tissage et travail du fer en Arles-sur-Tech), tandis que l’activité thermale est relancée et que le tourisme s’accroît.
Fiers d’une langue, d’une histoire et d’un patrimoine culturel qu’ils partagent avec leurs « amis du Sud », les élus du Vallespir comprennent qu’une collaboration transfrontalière s’impose. Le label Pays d’Art et d’Histoire, qui permet de mettre en œuvre cet ambitieux projet destiné à la fois aux populations locales et aux nombreux visiteurs, est choisi. Forts de la pratique d’une réflexion territoriale commune appuyée sur des structures existantes, les élus choisissent de calquer le territoire du PAHT sur celui des communautés de communes, et de la Mancomunitat de Camprodon.
« Le Pays d’Art et d’Histoire […] concerne le Vallespir, le Haut Vallespir et la partie Catalogne Sud donc espagnole, soit 31 communes, 24 françaises et 7 espagnoles (environ 38 500 habitants) […]. Les acteurs ont choisi comme structure porteuse le Conseil de Développement du Pays Pyrénées-Méditerranée qui a eu en gestion le portage de ce PAHT sur le plan administratif et financier, avec l’accord de nos amis espagnols, pour répondre à l’objectif conjoint d’un seul budget, une seule structure 7. »
Antoine André insiste sur la mémoire collective fondée sur l’histoire et la géographie. « Cette mémoire va s’approfondir et se partager 8. » Le périmètre de ce PAHT est évolutif et répond à l’impératif d’une gestion unique : Français et Catalans à égalité. Un élément, s’il n’a pas été déterminant, a cependant été important. L’euro a simplifié l’octroi, puis la gestion des subventions et des diverses participations financières ainsi que la billetterie commune. L’État français n’avait pas prévu que ce label deviendrait transfrontalier 9.
« Vuii », tu avais raison, cela a été long et compliqué…
Laisse-toi conter… une longue histoire,
… au cours de laquelle le Vallespir (comme le Roussillon et la Cerdagne) a été balloté entre différents royaumes. Les Romains exploitaient déjà le fer et les sources thermales ; bien plus tard, après la déroute de Charlemagne à Roncevaux en 778, est créée la Marca Hispanica ; plus tard encore, Guifred el Pelut (Guifred le Velu, né à Ria, en Conflent) crée à partir de 879 les premiers des grands monastères : Ripoll et Sant Joan de les Abadesses (fig. 3). En 991, Borell II, comte de Barcelone et de Besalú, rompt avec la France ; il fonde un monastère dépendant de Besalú, Sainte-Marie, aux Bains d’Arles (actuellement Amélieles-Bains), sur les ruines de thermes romains. Plus tard, le traité de Corbeil (1258), signé entre Louis IX et Jacques Ier d’Aragon, fixe la frontière au niveau des Corbières. Malgré les luttes entre les rois d’Aragon et de Majorque, les activités liées à l’exploitation du fer se poursuivent, tandis qu’on érige des fortifications. À la mort de Jacques II de Majorque en 1349, Pierre IV d’Aragon annexe ses possessions, excepté Montpellier qui revient à la France. Les pays catalans, dont le Vallespir, restent sous domination espagnole. En 1640, les Catalans prennent les armes contre Philippe IV, roi d’Espagne (c’est la révolte des Segadors, les moissonneurs) et font appel à Louis XIII en lui donnant le titre de « Comte de Barcelone ».
En 1642, Collioure, Perpignan et Salses tombent aux mains des Français qui occupent une bonne partie de la Catalogne dont Barcelone et le Ripollès. En 1659, le traité des Pyrénées rattache le Roussillon, une partie de la Cerdagne et le Vallespir à la France, qui brise avec violence toute résistance. L’épisode des Angelets de la Terra 10, révoltés contre la gabelle, reste encore vivant dans la mémoire collective. La frontière coupe la Catalogne en deux.
Pendant la Révolution, les Roussillonnais sont fidèles au roi et hostiles à la Constitution civile du clergé. Avec le Premier Empire, la centralisation s’accentue, dans ce qui est devenu le département des Pyrénées-Orientales. En Vallespir, la contrebande se développe. En Espagne, éclatent les guerres civiles carlistes. Les Carlistes reçoivent l’aide des populations du Vallespir et la frontière devient le lieu de toutes sortes de brigandages 11. La France renforce son autorité ; l’école obligatoire accélère le processus de francisation.
En 1936, nouvelle guerre civile espagnole (fig. 4). Janvier 1939 : la chute de Barcelone provoque un exode massif des populations. C’est la Retirada. La France ouvre ses frontières, aux civils comme aux soldats républicains qui sont désarmés à leur arrivée. Du 27 janvier au 10 février, environ 400 000 réfugiés arrivent dans un département de 230 000 personnes. La population les accueille fraternellement, avant leur regroupement et leur départ pour des camps. Les maisons, les églises, les colonies de vacances catholiques sont ouvertes ; la coopérative d’espadrilles de Saint-Laurent-de-Cerdans est transformée en infirmerie. Pendant quinze jours, la totalité des toiles tissées dans les usines sert à fabriquer des tentes.
Avant leur départ vers les camps, des réfugiés espagnols écrivent au maire de Saint-Laurent-de-Cerdans pour le remercier de l’accueil reçu. Certains rejoindront les camps un peu plus tard pour… nettoyer et repeindre les locaux mis à leur disposition. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les sentiers de la contrebande permettront de faire passer des juifs ou des résistants.
Des catastrophes naturelles jalonnent également la vie des populations. Le jour de la Chandeleur 1428, un tremblement de terre de très forte amplitude, ressenti jusqu’à Perpignan, provoque des destructions importantes à l’église de Prats-de-Mollo et à l’abbaye de Ripoll, qu’il faudra en partie reconstruire. Rappelons l’Aiguat de 1940.
Cette histoire a laissé un riche patrimoine : voie romaine à Sant Pau de Segúries, site du col de Panissars et trophée d’Auguste au Perthus, thermes romains d’Amélie. Patrimoine roman : fresques de Saint-Martin de Fenollar, de L’Écluse, abbaye et cloître d’Arles-sur-Tech, portail de l’église du Boulou, abbaye de Sant Joan de les Abadesses (fig. 5) et une multitude de petits ermitages. Patrimoine militaire : Fort de Bellegarde au Perthus (Vauban), Fort Lagarde à Prats-de-Mollo (remanié par Vauban), hôpital militaire d’Amélie, tours à signaux. Patrimoine industriel : carreau de la mine d’Arles-sur-Tech, locaux d’une ancienne coopérative ouvrière à Saint-Laurent. Des randonnées accompagnées par des guides de montagne, spécialement formés, permettent de faire connaître un riche patrimoine naturel.
Laisse-toi conter… la mise en place du Label
Le projet doit devenir celui des élus afin d’améliorer l’offre touristique, sensibiliser le public adulte et jeune à l’architecture, au patrimoine et au paysage et mettre en place des actions dans ce but : visites guidées, jeux, livrets explicatifs, actions auprès des scolaires, participation à des opérations nationales (les Portes du Temps, Journées européennes du patrimoine) ou régionales (action auprès de personnes handicapées, déficientes mentales, interventions d’artistes).
Dès la signature de la convention avec l’État, une animatrice de l’architecture et du patrimoine a été recrutée par concours, Aurélia Greiveldinger, bientôt assistée de guides-conférencières nanties du diplôme national. Tout le personnel devra obligatoirement parler français et espagnol, ainsi que le catalan qui est la langue commune. Le siège administratif est Prats-de-Mollo-la-Preste, point central du territoire. Puis un service éducatif a été créé ; le ministère de l’Éducation Nationale met à la disposition du PAHT un enseignant d’histoire d’Arles-sur-Tech, François Gorré.
Pour assurer le fonctionnement du PAHT avec deux États différents, il fallait un cadre juridique spécifique. Le GECT (Groupement Européen de Coopération Territoriale) a été choisi. L’adaptation nécessaire pour le mettre en adéquation avec une action patrimoniale sans but lucratif ni commercial a demandé cinq ans, du fait de nombreuses allées et venues entre les ministères français et espagnols, chaque modification devant faire l’objet d’une délibération des 31 communes adhérentes. Grâce à la pugnacité des élus et de l’animatrice, l’appui de la DRAC du Languedoc-Roussillon et du Pays Pyrénées-Méditerranée, porteur provisoire du PAHT, le fonctionnement a été assuré pendant ce temps. Le GECT a enfin été signé au printemps 2015.
« Ce PAHT […] c’est un état d’esprit partagé entre les élus de cet espace territorial transfrontalier avec son histoire, ses épisodes tragiques (la Retirada), une vie commune, comme si la frontière entre les deux États relevait plus d’un découpage administratif que d’une réalité politique, sociale et culturelle […]. Le défi permanent […] est de dépasser les cadres nationaux […]. Il est relevé en déployant les dispositifs par-delà la frontière à l’exemple du Service Éducatif transfrontalier qui coordonne un réseau de professionnels […] en partenariat avec l’Éducation Nationale et le Departament d’Ensanyament del Ripollès… [pour collaborer] sur les mêmes projets ; les services sociaux pour les enfants éloignés de la culture […] en partenariat avec les Francas 66, ou […] pour des personnes en situation de handicap mental, avec APAEI 66 et Fundació MAP 12. »
En cinq ans, le PAHT a réussi à mettre en place « l’égalité d’accessibilité aux prestations pour l’ensemble des habitants du territoire et la diffusion des actions sur l’ensemble des communes même les plus modestes dans un souci de développement territorial […] à partir du patrimoine 13 ».
Afin de faciliter l’accès du public scolaire aux activités conçues pour lui, le PAHT a négocié la gratuité du transport auprès du Conseil départemental des Pyrénées-Orientales et auprès de l’agglomération de Perpignan. Des négociations sont en cours avec la Generalitat de Catalunya. Dans le cadre de l’opération « Les Portes du Temps » (132 enfants) à l’abbaye d’Arles-sur-Tech, la commune a assuré l’hébergement des enfants. Les ateliers pour adultes handicapés ont touché 60 personnes et se sont déroulés à Camprodon, Sant Joan de les Abadesses, Arlessur-Tech, Le Perthus, Prats-de-Mollo.
Le matériel de communication (dépliants, affiches, programmes, bâches), édité en français et en catalan, est distribué dans toutes les communes adhérentes et plus largement à tous les offices de tourisme du département et du Ripollès. Le site internet est mis régulièrement à jour. Plus de 24 communes sont concernées par les visites guidées. Chaque année de nouvelles visites s’ajoutent. Des visites ludiques, libres, à destination des enfants en famille ont été imaginées, « les petits détectives » ; il suffit de venir retirer un dépliant dans les offices de tourisme. Le succès a été tel qu’il a fallu mettre au point des dépliants permettant aux adultes de faire des visites librement !
Dans ce territoire rural, le PAHT est à l’origine du recrutement de personnel de haut niveau universitaire : le concours d’animateur de l’architecture et du patrimoine n’est accessible qu’à partir d’un master 2 d’histoire de l’art ou d’histoire. L’examen de guide-conférencier est accessible avec un master pro de patrimoine, un master 2 de recherche en histoire de l’art ou de tourisme et communication 14. Les guides déjà en fonction auprès des offices de tourisme, qui avaient les diplômes requis, ont passé avec succès cet examen. Le diplôme de Guia de Catalunya a été reconnu équivalent. Cela permet aux municipalités de requalifier les postes existants, et de répondre aux exigences du label. Afin d’avoir l’agrément de l’Éducation Nationale pour intervenir dans les écoles dans le cadre des activités périscolaires toutes les guides-conférencières ont accepté de passer (avec succès) l’examen du BAFA d’un niveau inférieur à celui qu’elles avaient déjà. Pour résumer, dans cette zone rurale peuplée de 38 500 habitants, dont les communes ont de petits budgets, ont été créés :
au PAHT : un poste d’animateur de l’architecture et du patrimoine qui dirige le PAHT ; deux postes de guides-conférencières à mi-temps : elles interviennent en tous lieux du PAHT ; une secrétaire à mi-temps,
des guides-conférencières salariées d’offices du tourisme à Arles-sur-Tech, Le Boulou, Camprodon, Le Perthus, Pratsde-Mollo. Il s’agit de la requalification, grâce à l’examen, d’emplois existant déjà,
deux guides-conférencières prestataires auprès de municipalités : Céret, Saint-Laurent-de-Cerdans et Sant Joan de les Abadesses. Ce qui assure aux guides employées à mi-temps par le PAHT un complément horaire appréciable.
Les langues proposées sont français, espagnol, catalan, anglais. Le PAHT est en relation avec les universités de Gérone, Barcelone, Montpellier, Perpignan et Toulouse qui envoient en stage des étudiants du niveau d’un master 1 ou 2. Le PAHT participe à des colloques universitaires et en a même organisé un en Arles-sur-Tech, sous la direction d’un professeur d’art roman de l’Université Paul-Valéry de Montpellier.
Laisse-toi conter… un bilan provisoire
Tous les stagiaires sont frappés par la solidarité des élus, de quelque bord politique qu’ils soient, par leur grande volonté d’aller de l’avant, par l’amour qu’ils portent à leur territoire, par leurs réelles connaissances de son histoire, par leur pratique personnelle d’une culture ancrée dans cette histoire et ce territoire, qu’ils soient « du Nord ou du Sud ». Ils sont enthousiastes, sans pour autant se cacher les difficultés qu’ils savent affronter et résoudre. L’observateur extérieur est admiratif devant la gestion très rigoureuse du PAHT, l’immense capacité de travail de tout le personnel, sa compétence, et sa grande motivation.
Ceci avec peu de moyens financiers (subventions de l’État et de quelques collectivités territoriales, adhésion des communes, billetterie) mais des réalisations nombreuses et de grande qualité.
Les guides remarquent l’accroissement du nombre de touristes, des visiteurs locaux très fidèles qui reviennent régulièrement et une sorte de « personnalisation » des visites ; les touristes suivent une guide et l’accompagnent dans toutes ses visites. Il y a ainsi, par exemple, « les visiteurs de Montserrat » ou « les visiteurs de Julie » qui arpentent le PAHT à la suite de leur guide préférée (fig. 6). Les retombées économiques sont encore peu étudiées mais on peut déjà noter de nombreux achats à la suite des visites, l’implication de partenaires privés (Bistrots de Pays, manufacture d’espadrilles par exemple) étant un élément important pour que le touriste prolonge sa promenade, et s’arrête un moment. Et pour tous, une foi inébranlable dans l’avenir de ce PAHT.
Hélas, Jean, tu ne peux te réjouir avec nous des 800 actions réalisées depuis 2010…
NOTES
1. La charte graphique et technique des PAH impose que tous les documents de communication soient titrés : « Laissez-vous conter… »
2. Sur les enjeux du label voir : Deveza, Céline et Copin-Merlet, Laëtitia, « Le patrimoine comme outil de valorisation et de développement ; rôle et mission d’un territoire labellisé Ville ou Pays d’Art et d’Histoire » dans Ferréol, Gilles (dir.), Tourisme et Patrimoine, Bruxelles, EME & Intercommunications, 2010.
3. Pour une étude détaillée de la situation géographique, économique et historique de ce Pays, nous renvoyons au site internet du PAHT : htpp://www.valleescatalanes.org/fr. (Site fermé)
4. Voir Sala, Raymond, Trabucaires et frontières, de Barcelone à Perpignan par le Vallespir, Perpignan, éd. du Trabucaire, 2010, 158 p.
5. Au sujet de l’hôpital thermal, et des séjours de Dufy, voir Belmas, Claude, « Hôpital militaire d’Amélie-les-Bains » dans Bulletin de la Société Agricole Scientifique et Littéraire des Pyrénées-Orientales (SASL des PO), 119e volume, 2012, p. 107-112 ; Valaison, Marie-Claude, « L’itinéraire d’un grand peintre, Raoul Dufy, du Havre à Forcalquier en passant par Perpignan », Bull. de la SASL des PO, 116e volume, 2009, p. 141-150.
6. La cobla est l’orchestre traditionnel qui accompagne les sardanes.
7. Intervention d’Antoine André, Président du Pays Pyrénées-Méditerranée, à l’occasion du congrès national de l’Association des Villes et Pays d’Art et d’Histoire, Besançon, 28-29 avril 2015.
8. Ibid.
9. Greiveldinger, Aurélia, « Le Pays d’Art et d’Histoire Transfrontalier les Vallées Catalanes du Tech et du Ter, un projet à l’échelle territoriale transfrontalière » dans Camiade, Martine (dir.), Recueil de conférences 2010-2012, Recull de ponenciès, Euroinstitut catalan transfrontalier, Université de Perpignan, Balzac éditeur, 2013, p. 38-52.
10. Les Angelots de la terre, ainsi nommés pour leur vivacité à se perdre dans la nature et à échapper aux troupes. Leur chef sera pris, et la répression terrible.
11. Les Trabucaires, anciens soldats carlistes devenus bandits, guillotinés à Céret et Perpignan en 1846, sont encore très présents dans la mémoire collective.
12. Extrait du dossier de presse de la présentation officielle du PAHT à la Préfecture de Perpignan, 4 mai 2015.
13. Ibid.
14. Depuis, cet examen a été supprimé au profit d’une simple licence professionnelle.