Montpellier au temps des troubles de Religion :
un modèle de confessionnalisation à la française

Introduction

Avec environ 15 000 à 20 000 âmes à la fin du XVIe siècle 1, Montpellier fait partie des quelque deux douzaines de villes du royaume de second rang, derrière les géantes provinciales comme Marseille, Toulouse ou Lyon. Abritant la cour des comptes, elle est la seconde capitale administrative du Languedoc et sans demeurer le grand noeud du trafic méditerranéen qu’elle était au XVe siècle, elle reste un centre économique majeur entre garrigue et Méditerranée. Surtout, dans le midi du royaume, la ville est à la veille des guerres de Religion un lieu de passage obligé du croissant huguenot qui court de Bordeaux à Genève.

« À Montpellier […] la Réforme ne représente pas, ainsi qu’en d’autres lieux, un point de vue de l’histoire ; elle est, pendant cent ans et plus, toute l’histoire il n’est rien qui n’en procède ou ne s’y rapporte ou n’y aboutisse 2. »

Et dans cette capitale du Bas-Languedoc, les troubles de Religion sont d’autant plus violents que la ville est un nœud névralgique de premier plan dans la répartition des forces protestantes et catholiques de la province.

Mais tandis que dans les rues de la cité languedocienne les guerres civiles font des ravages, la ville semble le creuset d’un phénomène de confessionnalisation 3 qui, au seuil de la mort, rapproche parfois les habitants autant qu’il les oppose. Cette assertion est issue de certains des acquis d’une étude menée à partir d’un corpus de 1 556 testaments passés devant les notaires de la ville de Montpellier entre 1554 et 1622 4. Le testament nuncupatit 5, très répandu en pays de droit écrit, est en effet considéré par les historiens comme une source majeure par sa représentativité sociale. Dans la ville de Montpellier, c’est près du tiers de la population adulte qui fait testament dans la seconde moitié du XVIe siècle et c’est plus de la moitié dans les premières décennies du siècle suivant 6. En outre, la capitale du Bas-Languedoc est partagée presque également, ce qui est rare, entre populations catholique et protestante mais aussi peuplée de chrétiens aux marges des confessions établies 7.

Ainsi, alors que la confessionnalisation sociale et religieuse a surtout fait l’objet de travaux macro-historiques démontrant son rôle dans la « croissance de l’État moderne » 8, les testaments montpelliérains sont porteurs d’un phénomène micro-historique dont la cité languedocienne est le creuset 9. Ces actes notariés révèlent à quel point les représentations et les comportements des individus, dans l’intimité de leur face à face avec la mort, recouvrent à la fois des discordances et des concordances avec les orthodoxies, démontrant que les cheminements individuels sont eux aussi constitutifs de l’évolution du phénomène. Cette confessionnalisation est d’autant plus curieuse que dans les rues de Montpellier et dans la religion civique, tout oppose ces mêmes individus.

Parce que la période envisagée voit se succéder alternativement temps de paix et temps de guerres, parce que la cité de Montpellier est pluriconfessionnelle, l’objectif du présent article est d’exposer un paradoxe, celui d’une ville particulièrement touchée par les guerres de Religion qui voient deux communautés s’entretuer au nom de Dieu, alors que seules face à leurs fins dernières, au moment justement de l’adresse à Dieu, elles sont souvent proches.

Dans la tempête des guerres de Religion

L’implantation de la Réforme et les premières guerres civiles

Dans la cité de Montpellier, les troubles civils n’auraient sans doute pas été aussi violents sans un passé religieux tumultueux depuis déjà plusieurs décennies.

C’est en 1536 que l’évêque Guillaume Pellicier réussit le transfert de l’évêché de Maguelone à Montpellier. Mais la grande affaire du XVIe siècle montpelliérain reste l’implantation de la Réforme. Les idées de Luther puis de Calvin pénètrent tôt la cité languedocienne, sans doute un peu avant les années 1530. Et autour des années 1550, ce sont surtout celles du réformateur genevois qui se répandent dans la cité, encore réduites à l’état d’hérésie, condamnées par les pouvoirs politiques et religieux en place. Pourtant en 1560 et malgré la répression, les protestants se sentent suffisamment forts pour « planter » une Église réformée et rapidement un consistoire s’ébauche comptant un ministre, deux diacres et deux surveillants. Dès lors, les huguenots n’ont de cesse de rallier les habitants à leur cause et, surtout, d’atteindre et de dominer les organes dirigeants de la cité. Et tout va très vite en 1561, cinq des six consuls sont calvinistes, le Conseil des Vingt-Quatre 10 majoritairement acquis aux idées réformées. La même année, la cathédrale Saint-Pierre, est assiégée et prise d’assaut par les huguenots, tandis que d’autres bâtiments religieux sont pillés et dévastés.

Au tout début de l’année 1562, avant même que n’éclatent les guerres civiles dans le royaume, la ville a déjà perdu sa splendeur de la première moitié du siècle et l’ensemble des cadres sociaux vacille : le clergé catholique est en déroute (évêque chassé, chapitre partiellement émigré, clergé paroissial impuissant, religieux apostats ou en fuite, édifices en partie dévastés, dîme usurpée). Toutes les institutions et structures urbaines (autorité civile,justice, écoles, universités) sont désorganisées, fonctionnent mal ou plus du tout. La situation est désastreuse : Montpellier vit déjà dans l’insécurité générale, souffre de la perte de sa réputation intellectuelle et de la crise de son commerce. Tandis que le 1er mars 1562 s’orchestre le massacre de Wassy qui sonne, ailleurs dans le royaume, le véritable départ des guerres civiles, la cité de Montpellier est déjà entrée de plein fouet dans un conflit qui va la déchirer près de quarante ans durant.

En 1562, le gouvernement du Languedoc est partagé entre le vicomte de Joyeuse 11, lieutenant général qui tient de Toulouse à Narbonne, tandis que le seigneur de Crussol 12, nommé par le prince de Condé, tient illégalement la zone de Béziers au Rhône. Apprenant que Joyeuse voudrait reprendre le point névralgique que constitue Montpellier, Crussol organise la défense de la ville, faisant fondre les cloches pour les canons, pillant les trésors d’Église pour financer les troupes, organisant la police, fortifiant les remparts, murant les portes… Le siège mené par Joyeuse en septembre 1562 ne vient pas à bout de la résistance des troupes protestantes. Bien au contraire, les protestants ayant tenu à l’intérieur des murs, les instances municipales passent totalement sous la coupe huguenote. Et au lendemain de la paix d’Amboise du 19 mars 1563 stipulant l’obligation de restituer les églises, les religionnaires montpelliérains préfèrent brûler les édifices qu’ils ont investis plutôt que de se plier aux ordres royaux. Dès lors, la ville compte ses ruines et la confusion urbaine va croissant.

Mais en septembre 1563, la nomination du nouveau gouverneur de Languedoc, Henri de Montmorency-Damville, assure un sursis à la communauté catholique de la cité 13. En novembre, il instaure un régime mi-parti au conseil de ville (12 catholiques et 12 protestants) et en mars 1564, tous les consuls nommés sont à nouveau catholiques. Cette paix, bien qu’imposée par la force – les gens d’armes de Montmorency contrôlant la ville – tient néanmoins trois ans. Mais en 1567 les violences reprennent et les destructions s’intensifient : la cathédrale est à nouveau assiégée, pillée, saccagée et abandonnée par les chanoines et les prieurs aux fureurs huguenotes – elle devait rester inutilisée 67 ans – tandis que les protestants reprennent le contrôle de la municipalité. Au cours de l’année 1568, « les quelque neuf ou dix églises encore debout furent démolies en quelques jours 14 » avant que le 30 juillet, le comte de Joyeuse investisse Montpellier à la tête d’une troupe importante, ramenant dans la cité les ecclésiastiques et les habitants catholiques exilés, et rétablissant le consulat catholique. Joyeuse a réussi à rétablir la paix sans combat, mais les huguenots désormais exilés ne veulent pas de cette paix et préparent une nouvelle offensive, débouchant sur la troisième guerre civile. Dans la cité, celle-ci se traduit par une vive répression judiciaire à l’encontre des militants calvinistes : les procès et les exécutions capitales s’enchaînent, la cour des aides est épurée de ses éléments huguenots, les protestants en fuite voient leurs biens confisqués et leur imposition augmenter, tandis que le temple protestant est donné au culte catholique. Dans le plat pays alentour, les protestants se rendent maîtres des routes vers Sommières et vers Lunel, prenant la ville de Mauguio aux portes de Montpellier, où se fait désormais le culte réformé. En outre, les troupes en présence détruisent réciproquement les cultures entre Mauguio et Montpellier, provoquant partout disette et misère extrême. C’est donc avec soulagement que, dans les deux camps, on accueille la nouvelle de la paix de Saint-Germain.

Les tensions au lendemain de l'édit de Saint-Germain

Le nouvel édit de pacification proclamé à Montpellier le 19 août 1570 prévoit l’exercice du culte protestant dans les lieux que les réformés tenaient au 1er août, dans les faubourgs de deux villes par gouvernement et chez les seigneurs hauts justiciers. Montpellier ne réunissant aucune de ces conditions, le culte y est interdit. Une autre clause prévoyant l’amnistie des personnes et la réintégration des biens, MontmorencyDamville, après avoir pacifié la cité, autorise en septembre le retour de tous les protestants exilés depuis deux ans, dont la moitié environ revient. Pourtant, et malgré le retour au calme, deux aspects demeurent insupportables aux huguenots : l’impossibilité du culte en ville et la partialité des magistrats qui favorisent le camp catholique en encourageant notamment l’installation de confréries de pénitents. Ils en appellent au roi et obtiennent de lui deux mesures rapportées dans la chronique de la ville :

« Celle année [1572], pour entretenir davantaige les habitantz de ladite ville dez deux relligions en amytie et concorde, le Roy envoya audit Montpellier, pour la main forte et commander a son nom, sans garnison toutesfoys, le seigneur des Urcieres, chevallier de son ordre, natif de la ville, de la mayson dez Urcieres ou de Gaudete, seigneur de La Vaulsiere, et, pour sur intendant a la justice, le seigneur de Bellievre, l’ung dez presidantz au Parlement de Grenoble, et, a mesmes fins, par ses lettres, commandea quelques ungz de chesque relligion, et dez principaulx, s’absenter de la ville par quelque temps, induysant par ceste maniere en ladite ville l’ostracisme dez Atheniens 15. »

La seconde mesure, à savoir le bannissement de la cité des chefs de file les plus zélés de chaque camp et de ceux qui se montrent trop partiaux dans le règlement des affaires en particulier judiciaires, ne suffit pourtant pas à apaiser les rancoeurs. Les deux surintendants ont une mission très malaisée : les catholiques montpelliérains n’ont aucune confiance en François des Ursières qui, même s’il dispose du pouvoir militaire, est en butte aux autorités locales et doit s’éloigner un temps de la cité. Au début du mois d’août 1572, Jean de Bellièvre, détenteur du pouvoir judiciaire, envoie un courrier à Charles IX dans lequel il lui fait part des tensions urbaines et des mesures des deux surintendants depuis leur prise de fonction.

« Nous trouvasmes les habitans de ladite ville d’assez mauvais accord, voulans les catholicques retenir l’advantaige auquel ilz se trouvoient, et les aultres estans impatiens de telle subjection, avec une animeuse poursuytte des injures passées. Laquelle nous leur avons petit a petit faict delaisser, non par peynes ou procédures criminelles, qui n’eussent servy qu’a aigrir davantaige les parties, mais plus tost en faisant cesser aulcunes choses que nous voyons se continuer contre vostredit edict […] 16. »

C’est donc dans un climat latent d’hostilité et de suspicion réciproque que le 30 août 1572 parviennent à Montpellier les nouvelles de la Saint-Barthélemy. Mais alors que les trois premières guerres de Religion avaient vu se multiplier les fureurs iconoclastes et les violences en tout genre, tandis que chaque camp confessionnel avait pris par la force et tour à tour les instances municipales, la conjoncture de crise consécutive à l’édit de Saint-Germain est cependant exempte de débordements majeurs grâce à l’action des deux surintendants qui, depuis leur nomination, ont à cœur de faire respecter l’ordre. Des Usrières et Bellièvre ont en effet connaissance le 30 août à trois heures du matin, et avant le comte de Joyeuse, d’un courrier royal qui lui est destiné. Avant même que le lieutenant-général ne soit informé des nouvelles parisiennes, les deux surintendants prennent les mesures nécessaires au maintien du calme dans la cité, envoyant les ministres réformés et les membres du consistoire à Mauguio, emprisonnant certains autres huguenots, et enjoignant l’ensemble de la population montpelliéraine à se tenir tranquille. D’ailleurs Joyeuse, informé le lendemain, ordonne à son tour aux deux surintendants de tout faire pour maintenir le calme. Ce n’est que le 8 septembre 1572 qu’est publiée à Montpellier la « Déclaration ou Ordonnance » royale du 28 août :

« Le VIII de VIIbre suyvant, fut publié selemnement a Montpelier ung mandement ou ordonnance du roy, datté du XXVIII du mois précédent, par lequel ledit seigneur declairoit le meurtre susdit dudit Admiral et aultres ses consortz estre advenu par son mandement, pour avoir descovert qu’ilz voloint attenter de rechef contre son Estat, voire contre sa persone, de la roine, sa mere, messieurs ses frères et du roy de Navarre ; volant au surplus que ses subiectz de ladite religion, tant de la noblesse que aultres, fussent et vequissent en toute seurté juxte ses editz de pacification, sauf que, pour eviter troble et suspection, ledit seigneur leur prohiboit les preches et toutes assemblées jusques il eut proveu aultrement a la tranquilité de son royaulme 17. »

Montpellier passe ainsi au travers de cet épisode tragique des Saint-Barthélemy provinciales et on doit savoir gré à la population catholique de la ville de n’avoir pas sombré dans une violence fanatique à l’image, ailleurs en Languedoc, de Toulouse ou Gaillac 18.

Des crises à l'apaisement définitif

Au contraire du reste du royaume où consécutivement à la Saint-Barthélemy la quatrième guerre de Religion éclate, celle-ci n’a pratiquement pas d’effet à Montpellier et dans les alentours puisque la Saint-Barthélemy n’a pas existé. C’est par conséquent l’édit de Boulogne, reçu à Montpellier le 13 septembre 1573, qui met fin dans le royaume à la quatrième guerre civile, qui suscite ici un danger bien plus grand. De fait, les violences resurgissent entre les deux camps confessionnels jusqu’à l’apaisement mis en place à nouveau par Montmorency-Damville. Celui-ci prend l’initiative d’instaurer la mixité religieuse dans toutes les instances politiques locales, à commencer par le consulat. Cette originalité montpelliéraine correspond à un régime de tolérance instauré en octobre 1574, dit régime de l’Union, d’autant mieux accueilli que les populations supportent de plus en plus mal la misère et la guerre. Pourtant l’Union échoue en 1577 sous l’activisme des fanatiques zélés des deux bords. La même année, par la paix de Bergerac du 17 septembre 1577, Montpellier est déclarée ville de sûreté protestante et, dès lors, les catholiques sont pour longtemps exclus de toute instance politique, même si une seconde tentative d’Union intervient en 1584, qui à son tour échoue au bout de deux ans. Les affrontements ne cessent, comme du reste dans tout le royaume, qu’avec la proclamation de l’édit de Nantes. Rédigé en avril 1598, celui-ci n’est accepté officiellement à Montpellier que le 12 février 1600 après son enregistrement par le parlement de Toulouse.

Au lendemain de l’édit et confortés dans leur statut de ville de sûreté, les dirigeants huguenots ont obtenu, après des années de guerre, des avantages assez considérables pour envisager l’avenir sous des cieux plus cléments. Leur situation est largement réglée, mais pour les catholiques, ils restent des hérétiques à qui il convient de faire abjurer les erreurs de Calvin avant de les ramener dans le giron de l’Église : le XVIIe siècle montpelliérain s’ouvre sur ce face à face 19. Pendant les deux décennies qui suivent, la domination réformée est réellement significative dans les instances politiques de la ville, comme en témoignent les délibérations consulaires 20. Les catholiques peuvent seulement siéger au sein d’institutions de second rang et partager avec les huguenots des tâches subalternes dans la gestion municipale, en matière notamment de santé publique. Maîtres du consulat, du conseil des Vingt- Quatre, assurés de tenir les postes-clefs de l’administration urbaine, les dirigeants protestants évitent toute ingérence catholique dans les affaires municipales de premier ordre, composent avec les catholiques pour celles de moindre importance, de façon arbitraire et autoritaire souvent, mais assurant néanmoins par leur gestion de la ville un calme relatif dans la cité pendant la première décennie du XVIIe siècle, bienvenu et souhaité des deux camps après tant d’années de conflit.

En 1610, l’assassinat d’Henri IV jette la consternation chez tous les protestants du royaume, à Montpellier comme ailleurs, mais la cohabitation entre les deux communautés perdure cependant durant les premières années du règne de Louis XIII. Des événements nationaux mettent pourtant le feu aux poudres. En 1620, la venue de Louis XIII en Béarn, les combats qui éclatent en Saintonge et Poitou, l’investissement de La Rochelle et de Montauban précipitent la prise d’armes dans l’ensemble des villes de sûreté protestantes. Dès 1621, les dirigeants huguenots de la cité montpelliéraine prennent toutes les mesures nécessaires à sa défense, et la ville vit désormais dans un climat de fièvre obsidionale devant la menace de plus en plus prégnante d’un siège royal qu’on pense ne plus pouvoir éviter. Et il a lieu, effectivement, conduit par Louis XIII en personne, du 1er septembre au 11 octobre 1622. Aucun des deux camps confessionnels n’en tire un réel avantage. Pourtant, la « Déclaration de Paix » que signe le monarque au lendemain du siège modèle l’avenir des villes de sûreté en général, de Montpellier en particulier 21. Deux régiments sont laissés sur place (Normandie et Picardie) dont les soldats logent chez l’habitant, les remparts doivent être démantelés. Bien avant la paix de grâce d’Alès, le siège royal signe véritablement la fin de la domination réformée dans la ville. Dans les années qui suivent, les huguenots perdent peu à peu la maîtrise du consulat et des différentes instances municipales. En outre, la citadelle royale nouvellement construite dès 1624 les surveille étroitement Jusqu’à ce que la paix de grâce d’Alès en 1629 signe définitivement, non seulement la fin des guerres de Religion, mais n’accorde plus aux huguenots que le droit d’être les membres d’une Église réformée, tandis que disparaît à jamais le parti politique qu’ils avaient fait vivre pendant près d’un demi-siècle.

Pendant ces quelque soixante-dix ans, de la veille des guerres de Religion aux lendemains du siège royal, des milliers d’hommes et de femmes ont été témoins de ces événements, soit qu’ils les aient subis, soit qu’ils aient contribué à les façonner. Dans cette foule d’anonymes, certains ont fait appel aux notaires pour régler en ces temps troublés leurs affaires terrestres et célestes. Le testament ancien a en effet pour vocation aussi bien la dévolution du patrimoine que le salut de l’âme du testateur. En prenant les mesures nécessaires au devenir de sa dépouille mortelle et celles nécessaires à son salut, le testateur, devant notaire, met tout en œuvre pour atteindre le paradis céleste. Et c’est parmi les dispositions religieuses prises par ces chrétiens qu’apparaissent avec le plus d’acuité les gradations d’un processus de construction identitaire qui peut tendre, parfois, à un phénomène de confessionnalisation, dont l’intensité varie selon que les requêtes testamentaires s’inscrivent dans la sphère publique ou dans la sphère privée.

Tester au temps des troubles civils : les moyens du devenir du corps et de l'âme

Le corps, la sépulture et les funérailles

Parmi les clauses les mieux connues des actes testamentaires, les dispositions pour le corps prises par les individus correspondent à des pratiques de piété et traduisent des sentiments religieux de degrés divers, étant entendu que se manifestent ici des attitudes qui, pour autant qu’elles découlent d’une foi, n’en sont pas moins inscrites et exprimées dans la sphère publique 22.

Lié intrinsèquement au devenir de l’âme, le corps revêt une place centrale dans l’eschatologie chrétienne mais l’obsession du corps mort, récurrente dans le discours testamentaire, s’infléchit à Montpellier du fait des troubles de Religion. « Et quand son ame sera séparée du corps veult sondit corps estre ensepvelly… » disent les testaments, « en la forme catholique apostolique et romaine… » ou « en la forme réformée… », « dont il faict profession… ». L’insistance que les testateurs montpelliérains manifestent pour préciser la forme confessionnelle dans laquelle ils désirent être enterrés traduit une angoisse, celle d’être enterré autrement, et donc de courir le risque de ne pas avoir un corps placé dans un lieu béni qui leur permettra de ressusciter. Cette requête testamentaire s’adresse aux hommes (ceux qui auront la charge d’organiser les funérailles), pas à Dieu. À Montpellier, alors qu’éclatent les troubles de Religion et jusqu’à l’édit de Nantes, cette demande est, logiquement, le fait des protestants près des trois-quarts d’entre eux précisent vouloir « être enterré en la forme réformée ». La précision est bien moins instante chez les catholiques tant les gestes funéraires sont anciens et codifiés, à peine un quart d’entre eux précisant vouloir « être enterré en la forme catholique apostolique et romaine » 23 Il faut attendre les années 1600 pour que désormais chacun dans la ville – de ceux qui font testament – juge indispensable cette précision. C’est alors, mais alors seulement, que la revendication d’une sépulture dans la forme confessionnelle que l’on considère comme la seule à même de sauver, préoccupe l’immense majorité des testateurs, catholiques ou protestants ; il aura fallu quarante ans de troubles et de destructions pour en arriver là. Si catholiques et protestants sont, à l’orée du Grand Siècle, si attachés à cette requête, c’est qu’ils se raidissent autour de leur propre confession. Préciser, c’est exprimer le danger qu’il y aurait à être enterré autrement ou ailleurs. Face à la mort, face à leur intérêt pour leur mise en terre, ils clament presque unanimement leur ancrage dans une profession de foi, marqueur social jusque dans la tombe. Et à l’intérieur de chaque groupe confessionnel, le processus est désormais en tout point semblable, que l’on soit catholique ou protestant.

L’élection précise du lieu de sépulture (désignation du cimetière, du couvent…), en revanche, est loin d’intéresser l’ensemble des testateurs montpelliérains, même dans le camp catholique ; qui plus est, le temps passant, la demande ne cesse de décroître 24. Par ailleurs, tout au long de la période, il existe toujours une zone mouvante dans laquelle chaque camp confessionnel emprunte aux rites de l’autre Église, et les comportements strictement identitaires ne sont jamais totaux. À Montpellier, certains testateurs réformés, même s’ils sont minoritaires, n’ont pas encore rompu avec des formes de piété catholique traditionnelles, réclamant le cimetière paroissial (terre consacrée par l’Église romaine) parce qu’il reste celui du tombeau familial ou de la terre natale 25. En parallèle, certains catholiques ont sacrifié brutalement aux pratiques ancestrales de l’élection de sépulture ou de l’organisation des funérailles à cause des guerres mais, pour autant, ne renouent pas avec ces pratiques une fois la paix revenue au début du XVIIe siècle.

Tandis que baissent les demandes d’élection de sépulture chez les testateurs montpelliérains, s’effondrent carrément les demandes d’enterrement dans le tombeau familial de la part de la communauté catholique alors que les trois-quarts des testateurs catholiques élisant sépulture précisaient le tombeau dans lequel ils désiraient être ensevelis avant les guerres de Religion, ils ne sont plus qu’un tiers en moyenne tout au long des troubles, et moins de 20 % dans les deux premières décennies du XVIIe siècle. Alors que la chute est logique sous l’effet du traumatisme des guerres et des destructions des édifices, la demande ne renaît pas, pour autant, une fois la paix revenue, continuant même de décroître. Quand la pratique perdure après les années 1600, elle est socialement identifiable. C’est surtout le monde de l’office qui y reste attaché, le monde de ceux qui connaissent la plus forte ascension au tournant des deux siècles et qui manifestent des gestes ostentatoires jusque dans la tombe. Car la tombe, c’est bien sûr l’attache familiale, mais c’est aussi la mémoire d’un individu soumis au regard de tous, de tous ceux en tout cas qui pénètrent la sphère sacrale dans laquelle se trouve le tombeau. La demande du tombeau suit donc l’élection de sépulture pour la majorité des testateurs catholiques, ces formes extérieures de religiosité, sous l’effet des guerres, ont rompu avec la tradition, et elles ne renaissent pas véritablement une fois la paix revenue.

Quant aux funérailles proprement dites, leur évocation dans le dispositif testamentaire, tout au long des guerres, arrive loin derrière les autres temps du discours religieux, après l’invocation ou les autres dispositions pour le corps. De même, on trouve très rarement dans les testaments catholiques des demandes d’accompagnement d’hommes d’Église, qu’ils soient séculiers ou réguliers, même quand ces derniers sont revenus dans la cité après l’édit de Nantes. « Laissant ses funérailles à la discrétion de ses héritiers… » lit-on le plus souvent. Sans doute, le peu de prolixité dans les rites funéraires prévus dans les testaments est la conséquence, dans la communauté catholique, de la pression et des violences exercées par les huguenots, qui empêchent à bon nombre d’individus toute manifestation exubérante qui les désignerait au courroux de leurs adversaires. Bien compréhensible pendant les guerres, le phénomène, au début du siècle suivant, devient symptomatique de cette ville pluriconfessionnelle dans laquelle les catholiques ont éradiqué certaines formes de piété de leurs ancêtres et avec lesquelles ils seront longs à renouer. Il faudra tout le poids de la Contre-Réforme pour que le catholicisme montpelliérain, dans ses attitudes collectives et extérieures devant la mort, ait quelque analogie avec celui d’autres villes du royaume. Et à Montpellier, ce n’est qu’à partir des années 1630 consécutives à la paix d’Alès et à la défaite du protestantisme politique dans la cité que se déploie véritablement la réforme tridentine à l’égard des funérailles, dont une des manifestations réside dans des rites funéraires ostentatoires que l’on a dits propres aux pompes baroques 26.

Les legs pies

Ils sont une autre de ces dispositions testamentaires prévues cette fois pour le devenir de l’âme. Sur l’ensemble de la période, un peu plus de la moitié des testateurs ont effectué un ou plusieurs legs pies avec, cependant, une différence confessionnelle nette puisque 81 % des testateurs protestants y songent, contre à peine 38 % des catholiques. Ces legs, même s’ils restent disposition religieuse, sont un geste de piété visible, constituant d’un comportement socioculturel que chaque donateur veut adopter, qu’il soit catholique ou réformé, homme ou femme, membre de l’élite ou du menu peuple. Dans le second XVIe siècle, les hommes et les femmes réformés sont aussi nombreux à donner (respectivement 85 % et 86 %). Mais après les années 1600, on assiste à une inflexion de la pratique puisque, dans le camp huguenot, les hommes continuent à donner dans les mêmes proportions tandis que les femmes ne sont plus que 67 % à effectuer un legs pie. Voir dans ce recul du geste féminin une baisse de piété n’aurait pas de sens, il semble plutôt que l’on soit en présence d’un phénomène de confessionnalisation et qu’au XVIe siècle, au temps de l’implantation de la Réforme à Montpellier et des guerres civiles, le legs pie inscrit dans le discours religieux et amené à devenir public après la mort du testateur soit un outil parmi d’autres de reconnaissance identitaire. Faire un legs pie, c’est perpétuer le message du Christ, bien sûr, mais c’est aussi se démarquer, en s’opposant, des pratiques de la confession que l’on vient d’abjurer ou que l’on combat. Au-delà du geste de piété, il y a affirmation publique de l’activité de l’Église. Mais au début du XVIIe siècle, les conditions de vie des réformés montpelliérains ont changé ce sont eux qui tiennent la cité. Et désormais, seuls les testateurs masculins sont toujours aussi nombreux à donner, parce que le geste garde la même signification, expression de piété mais aussi marqueur social. Pour les femmes, en revanche, la dialectique est différente. La moindre fréquence des legs pies féminins est peut-être, tout simplement, la traduction d’une foi plus intériorisée et d’une piété qui n’est, paradoxalement, que le reflet d’une profonde spiritualité.

L’hypothèse, d’une certaine façon, est confirmée par les comportements des catholiques. On sait bien que les deux réformes se nourrissent l’une l’autre, or quel est le phénomène en matière de legs pies ? Au temps des guerres civiles, le geste catholique est faible, il a plus que doublé dans les premières décennies du Grand Siècle et désormais ce sont 44 % des catholiques qui songent à donner. Deux raisons expliquent cette hausse assez spectaculaire : d’abord, la pédagogie tridentine qui commence à porter ses fruits, ensuite, l’attitude du camp catholique qui, dans la cité, combat pied à pied les différentes actions du consistoire. Or, ce sont les hommes qui ont le mieux entendu le message la moitié des testateurs masculins pense à effectuer un legs pie après les années 1600 tandis que les femmes, même si elles sont proportionnellement plus nombreuses qu’au siècle précédent, ne sont que 34 %. Même si la charité reste une marque de piété au cœur du christianisme, on ne peut dénier qu’elle est aussi un geste public et social qui individualise les différentes communautés confessionnelles montpelliéraines et qu’expriment d’abord, logiquement, les hommes, plus impliqués que les femmes dans la sphère publique.

Dans la théologie médiévale, les pauvres sont des intercesseurs privilégiés dans leur réalité physique et symbolique « Et le Roi leur fit cette réponse : en vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » 27. Grands gagnants de la charité, ces pauvres au cœur du message évangélique sont aussi au cœur des legs testamentaires.

Mais en avançant dans le XVIe siècle, cette charité devient outil de reconnaissance identitaire car les donataires sont ciblés, sélectionnés en fonction de ce qui les lie aux donateurs. Ce lien réside dans le partage d’une même profession de foi qui vient supplanter le mérite traditionnellement recherché au Moyen-âge et dans le premier XVIe siècle. Désormais, les « pauvres nécessiteux » s’effacent, dans les visées des donateurs, au profit des « pauvres catholiques » ou des « pauvres réformés ». Le legs pie participe par conséquent de ce mouvement de confessionnalisation sociale que l’on retrouve à l’identique chez les catholiques et les protestants, même si ce sont ces derniers qui, pour s’affirmer dans la sphère publique, ont instauré les premiers ce mouvement dès les années 1560 avant que, au tournant des deux siècles, les catholiques fassent de même 28. Dans ce domaine, l’exemple montpelliérain vient confirmer ce que l’historiographie traditionnelle avait déjà révélé 29.

Les demandes de messes

Avec les demandes de messes (qui ne concernent que la seule communauté catholique), nous devrions quitter peu à peu la sphère publique et voir le geste religieux se replier à l’intérieur de l’église. Ce serait faire fi du contexte et oublier qu’à Montpellier durant les guerres civiles, les réformés exècrent la messe et poursuivent régulièrement leurs adversaires jusque dans les églises. Les demandes de messe concernent donc le tiers des testateurs catholiques 30. La faiblesse des demandes s’explique aisément pendant les troubles compte tenu du contexte de crise et des difficultés d’expression liturgique pour les catholiques. On peut s’étonner, en revanche, qu’elles baissent de façon continue tout au long du premier XVIIe siècle, dans toutes les formes que l’on retrouve ailleurs dans le royaume. À Montpellier, les messes de fondation, les trentains, les messes centenaires restent exceptionnelles, les sommes allouées sont, la plupart du temps, de pure convention, geste beaucoup plus notarial que relevant d’une volonté réelle du seul testateur. Quand les demandes de messes sont multiples ou riches, lorsqu’elles se déclinent par dizaines ou par centaines, lorsque est exprimé un fort besoin d’encadrement liturgique lors des messes funéraires (présence du clergé séculier et/ou régulier, confréries), on a toujours affaire à des testateurs étrangers à la cité montpelliéraine ou à des individus installés de fraîche date qui importent, somme toute, les modèles catholiques traditionnels 31. Lorsque les testateurs sont montpelliérains, la plupart des demandes se réduisent au stéréotype « funérailles, neuvaine et cap d’an », ou bien « prières et oraisons » pas de dévotions exubérantes, pas de surenchères superflues, un discours testamentaire suffisamment dépouillé pour qu’on y voit le résultat de l’évolution conjoncturelle urbaine. On ne saurait sous-estimer le contact des habitants catholiques avec la communauté réformée et l’influence de ses prêches, même s’ils leurs font horreur, est indéniable. Bien sûr, le fidèle catholique demeure dans sa foi, mieux, il se raidit autour de sa profession de foi, qui devient signe de reconnaissance et de cohésion de la communauté à laquelle il appartient. Mais bien des catholiques, qu’ils soient testateurs ou notaires, ont oublié (sans doute contraints) ou rayé de leur religiosité les expressions trop visibles et exubérantes, trop comptables et matérielles.

La préoccupation du corps et les moyens du devenir de l’âme s’inscrivent bien sûr dans des visées eschatologiques mais lient aussi le testateur à d’autres hommes, ceux qui auront la charge de ces dispositions après sa mort (exécuteurs testamentaires, clergé…). Et parce que les testateurs savent vivre et mourir en des temps troublés, il est compréhensible que l’ensemble de ces demandes soient plus ou moins infléchies par le contexte de guerre. Il n’en va pas de même, en revanche, au moment de prononcer l’invocation à Dieu.

Tester au temps des troubles civils : l'espérance du salut

Avec l’invocation, voici le temps fort de l’expression religieuse, celui dans lequel se déclinent avec le plus de profondeur et de sincérité les croyances et les attentes individuelles ou collectives au devant de la mort. L’invocation est un face à face, ou presque. À cet instant, le seul qui puisse interférer sur la sensibilité religieuse du testateur, c’est le notaire. Mais plus que l’officier royal, il est, à ce moment du discours testamentaire, un croyant, et ce sont ses propres convictions religieuses qui parfois peuvent infléchir le discours du requérant. Mais, au fond, ce n’est pas très important. Car une fois démêlé ce qui ressort véritablement des paroles du testateur ou de celles du notaire, nous voici dans les deux cas en présence d’une manière de croire qui s’exprime dans un discours adressé à Dieu seul et non plus à la communauté des hommes, et, au-delà, symptomatique du temps et du lieu.

Les divergences confessionnelles dans l'invocation à Dieu

« Et premièrement comme bon chrétien… », « et premièrement comme chrétien et catholique… », « a recommandé son âme à Dieu… ». Dans les invocations montpelliéraines, la première différence entre les deux confessions tient dans le besoin instant de certains testateurs de se présenter à Dieu, incontestablement plus fort chez les réformés 32. De la sorte, le croyant affirme son appartenance à l’Église qu’il juge la seule véritable, besoin que les catholiques éprouvent beaucoup moins, sans doute du fait de l’ancienneté de leur religion. En outre, le passage constant de l’idée à l’objet, spécifique du catholicisme, a provoqué chez les protestants une répugnance dont les invocations se font l’écho. « … Et prend pour intercesseur la glorieuse vierge marie et tous les sainctz et sainctes de paradis… » dit la catholique Jeanne Vibal 33. La Vierge Marie et les saints, dont les images sont partout sur les murs des églises, que les huguenots bannissent et honnissent dans la vie sociale, sont bien sûr exclus des invocations de leurs testaments. Mais même chez les notaires réformés, il y a répulsion à invoquer les intercesseurs pour leur clientèle catholique. En effet, lorsqu’on considère les prières adressées à Marie, la première impression globale et assez étrange est celle d’une présence relativement timide de la Vierge dans les actes, puisque moins de la moitié des invocations catholiques s’y réfère sur l’ensemble de la période. Si l’on s’en tient au seul second XVIe siècle, c’est à peine plus du tiers. Dans le même temps, à Paris, les testateurs sont près de 90 % à invoquer Marie 34. Proportionnellement, la différence est assez considérable et ce sont les notaires réformés qui infléchissent la pratique d’ensemble. Les rencontres interconfessionnelles entre notaires et testateurs sont pourtant courantes et pour la grande majorité de leurs clients catholiques, les notaires réformés indiquent volontiers lieu de sépulture en terre romaine, messes, legs pies. Mais ils répugnent, semble-t-il, à mentionner au moment de l’invocation les intercesseurs que Calvin a vivement condamnés, au premier rang desquels la Vierge Marie. Et les testateurs catholiques s’en accommodent…

Par ailleurs, les testateurs protestants éprouvent une difficulté à évoquer la Trinité, pourtant point central du calvinisme. « A recommandé son âme à Dieu, le père, le fils et le Saint Esprit… ». Alors que plus de la moitié des testateurs catholiques évoque la Trinité (en ajoutant ou non « s’est muni du signe de la croix… », à peine 7 % des testateurs réformés font de même. Peut-être a-t-on ici la conséquence de la perception des harangues répétées des prédicateurs qui, au quotidien, échauffent les esprits avec des thèmes concrets, multipliant les preuves visibles des erreurs papistes. La violence des crises iconoclastes, à Montpellier comme ailleurs, montre à quel point les fureurs se déchaînent contre les signes extérieurs et matériels de l’Église catholique. La croix, qu’on abhorre et qu’on piétine, est au centre des haines et des violences. « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » est d’abord, depuis des siècles, entendu et placé sous le signe de la croix. Serait-ce cet amalgame entre la croix objet et la croix symbole trinitaire qui aurait détaché les testateurs protestants d’une invocation qui n’est pourtant, dans sa substance, que la doctrine profonde de tous les chrétiens ? Calvin n’a jamais rejeté la Trinité, bien au contraire 35.

Enfin, la conception même que l’on se fait de Dieu diffère selon l’une ou l’autre confession. Dans le second XVIe siècle, chez les protestants, Dieu est surtout perçu comme un tout (« a recommandé son âme à Dieu… »), sans autre qualificatif et s’il est qualifié, il est d’abord le Bon Dieu (« a recommandé son âme à notre Bon Dieu… »), reflet d’une foi confiante dans le message d’amour délivré aux hommes. Chez les catholiques, Dieu a plusieurs épithètes véhiculées depuis le Moyen Âge et encore largement présentes à la fin du XVIe siècle, tout à la fois Père, Bon, Puissant, Créateur… Mais le début du XVIIe siècle voit le triomphe du Dieu tout Puissant, du Très Haut, celui qui du haut du ciel règne sans partage sur ses enfants. Dieu tout Puissant (« recommande son âme à Dieu le Père tout Puissant… », disent les testaments) est une appellation davantage chargée de crainte révérencieuse. Désormais, pour des catholiques proportionnellement deux fois plus nombreux que leurs adversaires religieux, c’en est fini du rapport familier qu’entretenaient les hommes avec Lui tout au long du siècle précédent.

La christologie dans les discours testamentaires

Mais là s’arrêtent les divergences nettes. La grande majorité des invocations reflète l’adhésion à une théologie christologique que développent les deux réformes et d’autant mieux intégrée qu’on avance dans le temps. Première manifestation de cette christologie la présence de la Rédemption, « a recommandé son âme à Dieu et notre Seigneur Jésus-Christ rédempteur de l’humanité pécheresse… ». Son évocation, beaucoup plus forte dans les testaments réformés au temps des troubles de Religion, progresse ensuite quelle que soit la confession des testateurs, jusqu’à emplir davantage les invocations catholiques dans le premier XVIIe siècle 36. De fait, de plus en plus de catholiques ont fait leurs des invocations christocentriques construites, au départ, par et pour les réformés. Dans ce phénomène, les notaires ont leur part de responsabilité. Offrant leurs services à la clientèle sans préjugé confessionnel strict, ils sont une passerelle entre les professions de foi, modulant peu à peu les invocations des uns et des autres en un modèle commun accepté par la majorité des testateurs.

On est là devant un processus original, un processus tout en douceur, passant par l’intermédiaire d’hommes de loi qui, consciemment ou non, suggèrent aux catholiques montpelliérains d’autres façons de recommander leur âme au ciel et chez lesquels il n’y a pas, a priori, de résistance. De fait, l’affirmation confessionnelle, loin de définir clairement les discours spirituels des uns et des autres, a tendu, au contraire, à les rapprocher.

Le Christ peut apparaître à deux moments différents de l’invocation, car celle-ci s’articule en deux temps. Soit, dans la première partie du discours, la commendatio, quand le testateur recommande son âme à Jésus-Christ : il est alors désigné comme le Christ rédempteur, entendez le Christ dans sa nature divine, comme procédant du Père. La Passion, en revanche, est action humaine, et c’est bien plus le Christ en tant qu’homme qu’on évoque dans le second temps de l’invocation, la supplicatio. En 1572, après s’être recommandé à Dieu, Jacques Chamborg, boulanger de son état, supplie Dieu de lui pardonner ses péchés et de le recevoir au paradis au nom du « merite de la mort et passion de notre seigneur Jesus Christ leffusion de son sang précieux quil a espandu en larbre de la croix… » 37. L’évocation de la Passion n’a d’autre but que de justifier, pour le pécheur qu’est le requérant, le pardon divin et l’entrée au paradis, et sa remarquable stabilité tout au long de la période prouve que l’on est en présence d’un message évangélique bien connu. Les protestants y sont toujours un peu plus attachés que les catholiques, 57 % des premiers (parmi ceux faisant une invocation) contre 42 % des seconds. La théologie calvinienne fait donc la différence, mais pas à la hauteur qu’on serait en droit d’attendre puisque selon Calvin, l’intercession du Christ est indispensable dans tout dialogue entre le croyant et son Créateur 38. Or, au moment de la requête du pardon et du séjour céleste, près de la moitié des testateurs protestants fait sienne cette demande en s’adressant au Père sans évoquer la Passion de son Fils, un silence qu’elle partage ainsi avec bon nombre de catholiques.

Les différents thèmes de l'invocation

Et dans la supplicatio, moment véritable des prières du requérant, les différences se gomment peu à peu entre chaque camp confessionnel. Les invocations catholiques continuent à influencer les discours religieux de leurs adversaires ou, plus justement, les réformés mettent bien du temps à abandonner certaines formulations en creux de leurs ancêtres catholiques. Dans le second XVIe siècle, la confession des fautes – « et lui prie [Dieu] de lui pardonner ses fautes et péchés » disent les testaments – est absente d’un peu plus d’une invocation catholique sur deux. Calvin, en revanche, la pense indispensable à toute prière 39. Pourtant, malgré les prescriptions calviniennes, voici que près de la moitié des testateurs réformés sont réticents à évoquer la faute originelle, le péché d’Adam qui pourrait rappeler à Dieu leur misérable condition et mettre en péril leur avenir céleste 40. Il y a donc décalage au temps des troubles civils du second XVIe siècle, autrement dit au temps des conversions et des premiers baptêmes massifs : dans les rues et les assemblées, les réformés de fraîche date affichent publiquement leur nouvelle foi mais dans le secret du testament, ils hésitent, pour beaucoup d’entre eux, à évoquer le pardon divin qui renvoie inexorablement à la faute, partageant avec des catholiques qu’ils détestent la même angoisse et, surtout, la même façon de l’exprimer. Il faut attendre le XVIIe siècle pour qu’enfin la quasi-totalité des invocations réformées aient intégré le message calvinien sur l’obligation de demander pardon à Dieu. Pour autant, l’évolution n’est pas constitutive du camp réformé, mais de l’ensemble des discours testamentaires, qu’ils soient catholiques ou protestants 41. Cette homogénéisation du discours est sans doute à mettre au compte des notaires qui agissent de même pour l’ensemble de leurs clients, lissant les invocations pour qu’elles deviennent plus aisément reproductibles. Et les clients adhèrent…

Dans le même temps, il arrive que les testateurs demandent à Dieu que « par sa grâce et sa miséricorde », il pardonne toutes leurs fautes et péchés. Son évocation accolée au pardon n’est pas une simple formule de style, sa différence de fréquence au cours de la période en témoigne : dans le second XVIe siècle, le tiers des testateurs demandant à Dieu le pardon de leurs péchés en appelle à la miséricorde divine pour obtenir sa clémence ; au siècle suivant, ils ne sont plus que 2 %. En appeler à sa miséricorde, c’est reconnaître en Dieu, d’abord un Dieu d’amour. Mais cette image de Dieu s’est effacée au fil du temps au profit de Dieu tout Puissant il est alors au plus haut des cieux, le premier, et encourir son jugement devient d’autant plus redoutable. Au fur et à mesure que la crainte emplit les cœurs et les invocations, alors que, de plus en plus, devant l’angoisse du tribunal de Dieu on demande pardon pour ses fautes, dans le même temps, on n’ose plus en appeler à sa miséricorde pour infléchir son jugement. Un fossé s’est creusé entre Dieu et les hommes. Qu’ils soient hommes ou femmes, catholiques ou protestants, tous les testateurs se reconnaissant pécheurs ont suivi, à peu de choses près, la même évolution. Devant l’éternité, les barrières confessionnelles s’effacent.

Prier Dieu de colloquer son âme en paradis… C’est la requête la plus fortement exprimée dans l’ensemble des invocations. En quelque soixante-dix ans, l’importance qu’y attachent les testateurs résulte d’une évolution dans laquelle les comportements collectifs des catholiques et des protestants semblent très proches bien que, dans les années 1560 – et comme pour la Rédemption-, les demandes de paradis dans les invocations réformées ont un léger temps d’avance sur celles des catholiques 42. Globalement, on a toujours le passage d’un discours implicite à un discours explicite, le passage d’un vieux discours médiéval à celui d’un temps baroque plus riche et plus dense dans lequel la demande de séjourner au paradis, but eschatologique ultime, devient logiquement prépondérante. « … Et lorsque son ame sera separee du corps la vouloir recevoir et colloquer en son paradis… » dit un procureur en 1597 43. Cette dialectique, impulsée par la reprise en main des clergés et des fidèles, n’est pas spécificité montpelliéraine mais semblable d’un bout à l’autre du royaume, même si, dans la cité méridionale, la demande globale plus soutenue est le résultat d’une demande réformée plus instante 44.

Mais le paradis évoqué seul reste une vision englobante et peut-être abstraite. Il arrive qu’il se meuble des âmes des défunts, « colloquer son âme au paradis en la compagnie des bienheureux », peut-on lire, ou bien « en la compagnie des élus ». D’un bout à l’autre du royaume, le paradis se meuble souvent de « la compagnie des saints et saintes ». Mais à Montpellier, la compagnie des saints, déjà évoquée moins d’une fois sur deux avec le paradis dans la seconde moitié du XVIe siècle, devient une rareté au siècle suivant 45. C’est qu’une autre formule l’a largement supplantée avoir son âme colloquée au paradis « en la compagnie des siens ». Il y a glissement dans le génitif. On est passé de la sphère sacrée, les saints et saintes, à la sphère privée, les membres de la famille ou de l’entourage, les ancêtres, les connaissances… Ce glissement est d’abord à mettre au compte de la forte présence réformée dans la ville. Les notaires ont dû s’adapter. Le premier d’entre eux est Nicolas Talard, bien connu dans les années 1560 pour son engagement dans la Réforme. En 1562, il a mis au point pour ses clients réformés une belle et riche invocation de plusieurs lignes finissant en ces termes : « …recommande son ame a notre bon dieu et […] quant il la vouldra retirer du corps luy plaise la recevoir en sa misericorde et la conserver en la compaignie des siens jusques au jour de la resurrection bienheureuse… » 46 Ce notaire a visiblement mûri longuement une invocation qu’il répète au mot près tout au long des testaments, non pas en homme de loi et pour gagner du temps, mais en y mettant son cœur et sa propre spiritualité. Et pourtant, la « compagnie des siens », la manière même dont est construite la proposition, rappelle une autre compagnie, celle que maître Talard et ses coreligionnaires abhorrent… Les notaires sans doute communiquent et peu à peu, cette « compagnie des siens » franchit l’étude de maître Talard ; on la retrouve, d’abord, chez ses confrères réformés, puis dans les études catholiques. À l’orée du XVIIe siècle, elle est employée indifféremment pour des testateurs des deux confessions. Et si elle semble bien plus dictée notariale que requête des clients, ceux-ci pour autant s’en accommodent voici pour preuve l’invocation d’Anthoine Baret en 1612. Fervent catholique, rien ne manque dans les mots qu’il dicte au notaire de l’évocation de la croix, de la demande d’intercession de la Vierge et des saints, de la demande du pardon divin et finissant en ces mots : « …le recevoir au royaume celeste de paradis en la compagnie des siens jusques au jour de la résurrection bien heureuse 47 ». Anthoine Baret est prêtre…

Conclusion

Les guerres de Religion, si violentes partout dans le royaume, prennent dans la ville de Montpellier une tournure d’autant plus dramatique que la ville est partagée presque également entre communautés catholique et protestante. La deuxième l’emporte dans la capitale du Bas-Languedoc bien avant l’édit de Nantes en obtenant que Montpellier devienne ville de sûreté. Tandis que dans les rues des hommes s’affrontent et meurent au nom de leur foi, la cité au visage encore médiéval traverse ces décennies en subissant les destructions innombrables du paysage urbain en général et du bâti religieux en particulier, objet de concentration des haines et des assauts huguenots et papistes. Montpellier voit ainsi disparaître un à un les édifices que l’Église avait patiemment édifiés tout au long du Moyen Âge. La reconstruction catholique des premières décennies du XVIIe siècle et l’édification de nouveaux lieux de culte protestants sont éphémères. En effet le siège royal, lorsqu’il survient, encourage les huguenots montpelliérains à mettre à nouveau à terre la majorité visible de l’Église romaine tandis qu’en ses lendemains, ce sont les protestants qui désormais reculent en leurs possessions. Si l’on pouvait, par une simple vue de l’esprit, voir la ville à travers les yeux de ses contemporains, le spectacle serait sans doute celui très triste d’une ville en proie aux guerres civiles, divisant et déchirant les hommes parce qu’ils ne croient plus tout à fait dans le même Dieu. Et l’on entendrait sans doute deux communautés que la foi – c’est-à-dire en ce temps tout ou presque – sépare. Mais les choses se compliqueraient si on quittait l’agitation des rues et que, dans le calme d’une étude ou au chevet d’un lit, on écoutait les hommes dicter leurs dernières volontés au notaire.

Les dispositions religieuses contenues dans les testaments permettent d’entrevoir ces attitudes individuelles et collectives devant la mort, de mesurer, autant que faire se peut, les barrières religieuses qui s’élèvent entre les croyants. Mais dans le domaine religieux, mieux vaut être prudent avec la notion de frontières confessionnelles. Elles existent, en effet, mais chercher à les définir nécessite de considérer avec attention différents niveaux d’échelle induisant divers degrés de visibilité. Frontières visibles, oui, assurément, et l’exemple montpelliérain vient confirmer l’historiographie : au temps des troubles civils et dans les années qui suivent, pensons à toutes les barrières inscrites dans l’espace, cimetières, lieux et objets de culte, apparences vestimentaires qui distinguent dans les rues le huguenot du papiste… Au moment des dispositions testamentaires, le passage de l’objet à l’idée – la croix en est sans doute le meilleur exemple – creuse un fossé entre les différents discours et consolide les frontières confessionnelles. Mais lorsque les expressions spirituelles touchent à l’invisible et en particulier aux représentations divines, les constructions confessionnellement identitaires sont beaucoup moins remarquables. Et si les notaires ont largement participé à cette homogénéisation du discours testamentaire, il n’empêche que la plupart des testateurs s’en sont accommodés à tel point qu’à l’orée du XVIIe siècle, jamais les prières testamentaires des catholiques et des protestants, dans ce qu’elles recouvrent de plus « invisible », ne se sont autant ressemblées.

Dans les clauses religieuses des testaments montpelliérains, le renforcement de deux sensibilités religieuses est donc inversement proportionnel à l’importance et à la visibilité de l’objet auquel il renvoie. Gestes extérieurs de piété et de pratiques cultuelles, les rites identifient sans détour la majorité des croyants l’expression des legs pies en est le meilleur exemple. Préoccupation des corps, à la fois dépouilles prises en charge par les hommes et supports du devenir de l’âme dans l’attente de la résurrection, et déjà se gomment les différences majeures de représentations. Préoccupation des seules âmes contenues dans l’invocation à Dieu, moment essentiel des dispositions religieuses, et jamais tant d’hommes et de femmes n’ont partagé les mêmes expressions de foi.

Entre le second XVIe et le premier XVIIe siècle, l’invocation s’est enrichie, est devenue plus dense, mais ne suffit plus à identifier à coup sûr un fidèle de l’une ou l’autre confession. Les divergences nettes tiennent dans tous les aspects doctrinaires, par ailleurs visibles, du catholicisme, dans tout ce qui est l’expression de l’objet à l’idée (la croix, la Vierge Marie, les saints du paradis). Mais pour le reste, la formulation des invocations est tout en nuances, à peine esquissées parfois, bien plus qu’en ruptures brutales. Au fond, quand arrive le XVIIe siècle, quand chaque Église se consolide et que les discours pédagogiques se précisent et sont mieux entendus, il n’y a plus, dans les invocations testamentaires, de franches différences.

« Premierement a recommande son ame a dieu le pere tout puissant le suppliant au nom et faveur de notre seigneur Jesus Christ luy pardonner ses faultes et peches et lhors quelle sera sepparee de son corps la recepvoir au royaulme celleste de paradis jusques au jour de la rezurrection bien heureuse » 48.

Ainsi s’exprime, en 1607, la volonté de Pierre Quatrefages. L’homme est catholique, il pourrait tout aussi bien être réformé. L’invocation qu’il prononce est celle de l’immense majorité des testateurs montpelliérains… On sort ici d’un modèle classique de confessionnalisation dans lequel une orthodoxie se raidit autour d’expressions spirituelles clairement définies, sous la menace de courants extérieurs. Ce modèle n’a pas lieu d’être au moment de recommander son âme au Seigneur. À cet instant précis, la plupart des testateurs, quelle que soit leur spiritualité, se ressemblent. Une expression spirituelle si souvent en tout point semblable incite à penser que l’épître de saint Paul, bien avant que la chrétienté occidentale ne soit irréversiblement divisée, aurait pu s’adresser aux croyants montpelliérains du tournant des XVIe et XVIIe siècles : « Il y a certes, diversité de dons spirituels, mais c’est le même Esprit ; diversité de ministères, mais c’est le même Seigneur ; diversité d’opérations, mais c’est le même Dieu… » 49.

Il faudra toute la force de la Contre-réforme pour qu’à nouveau le fossé confessionnel se creuse véritablement au moment des invocations testamentaires des Montpelliérains. Mais le XVIIe siècle sera alors bien avancé.

Notes

 1.  Selon Gérard CHOLVY (dir.), Histoire de Montpellier, Toulouse, Éditions Privat, 1989 (réimp.), p. 138.

 2.  Louise GUIRAUD, « La Réforme à Montpellier. Études ». Mémoires de la Société Archéologique de Montpellier, 2e sér., t. 6, Montpellier, 1918, P. 3.

 3.  La notion de confessionnalisation trouve ses racines en Allemagne dans le développement d’un concept, dès la fin du XIXe siècle, reposant sur la similitude qui peut exister dans les trois réformes, luthérienne, calviniste et catholique. Depuis, la communauté historienne a largement utilisé ce concept, soit en tant que paradigme, soit en tant que processus. Schématiquement, il s’agit de tenir compte de la confession d’individus ou de groupes d’individus pour étudier les liens qui existent entre le religieux et le politique, l’économique, le social, le culturel. Pour un point historiographique sur la confessionnalisation, voir : Valérie LECLERC LAFAGE, Montpellier au temps des troubles de Religion : pratiques testamentaires et confessionnalisation (1554-1622), Paris, Honoré Champion, 2010, p. 38-51.

 4.  Cet article s’appuie sur la thèse de doctorat que nous avons soutenue en octobre 2004 et publiée depuis : Valérie LECLERC LAFAGE, Montpellier au temps des troubles de Religion, op. cit.

 5.  Parmi les différentes formes testamentaires, le testament nuncupatif est le plus répandu depuis la renaissance du droit romain il s’agit d’une déclaration verbale faite par un testateur devant des témoins et un notaire qui la met par écrit, conférant ainsi à l’acte son caractère authentique et public et prouvant les volontés du testateur.

 6.  Selon les calculs que nous avons effectués, la part de ceux qui testent est respectivement de 28 % dans la seconde moitié du XVIe siècle et de 55 % dans les trois premières décennies du XVIIe siècle Valérie LECLERC LAFAGE, op. cit., p. 107.

 7.  Il est bien difficile, pourtant, d’évaluer précisément ces attachements confessionnels de la population tant les sources sont éparses. On sait que « le 24 septembre 1560, le premier consul [estime] à trois ou quatre mille le nombre de personnes qui [assistent] aux prêches » Gérard CHOLVY (dir.), op. cit., p. 149. Deux mois plus tard, la liste établie par le comte de Villars donne le nom de 817 personnes ayant participé à une assemblée : « Commission du comte de Villars aux consuls de Montpellier pour faire taxer les habitants ayant assisté aux assemblées calvinistes le 21 novembre 1560 », lettre du comte suivie de la liste des 817 noms, citée par Louise GUIRAUD, « La Réforme à Montpellier : preuves, chroniques, documents ». Mémoires de la Société Archéologique de Montpellier, 2e sér., t. 7, Montpellier, 1918, p. 345-378. À la fin des années 1590, le Bâlois Thomas Platter parle de « quatre à six mille personnes [communiant] le même jour » : Félix et Thomas Platter à Montpellier 1552-1559 – 1595-1599. Notes de voyage de deux étudiants bâlois, Montpellier, Édisud, 1991 (rééd.), p. 195. Au début du XVIIe siècle, la population huguenote de la cité représenterait 57 à 60 % de l’ensemble des habitants selon Philip BENEDICT, The Faith and Fortunes of France’s Huguenots, 1600-85, Aldershot, Ashgate, 2001, p. 127. Selon nos propres calculs et pour l’ensemble de la période 1554-1622, les testateurs protestants sont 53 %, les testateurs catholiques sont 36 %, et ceux incapables d’un engagement confessionnel strict sont 8 % (les 3 % restant de testaments ne comportant aucune clause religieuse) Valérie LECLERC LAFAGE, ibid. p. 143.

 8.  Parmi les travaux les plus remarquables, citons ceux de Wolfgang REINHARD et Heinz SCHILLING (éd.), Die katolische Konfessionnalisierung. Wissenchaftliches Symposion der Gesellschaft zur Herausgabe des Corpus Catholicorum und des Vereins für Reformationsgeschichte, Heildelberg, Güttersloher Verlagshaus, 1995 ; et ceux de Heinz SCHILLING (dir.), Die reformierte Konfèssionalisierung in Deutschland. Das Problem der "Zweiten Reformation", Düsseldorf, 1986.

 9.  Gérald Chaix a montré toute la nécessité d’avoir une approche à la fois « par le haut » et « par le bas » pour saisir en profondeur la confessionnalisation : cité par Christophe DUHAMELLE, « La confessionnalisation : coercition, sollicitation ou interaction ? ». Études Germaniques, « La confessionnalisation dans le Saint Empire XVIe-XVIIIe siècles », juil.-sept. 2002, n° 3, p. 553.

10. Conseil de vingt-quatre membres assistant les consuls.

11. Sur le vicomte de Joyeuse, voir Arlette Jouanna (et alii), Histoire et dictionnaire des guerres de Religion, Paris, Robert Laffont, 1998, p. 1000-1003.

12. Sur le seigneur de Crussol, Ibidem, p. 834-835.

13. Sur Henri de Montmorency-Damville, Ibidem, p. 1122-1128.

14. Le Harlan ou pillage et desmolissement des églises de la ville de Montpellier fàicts par quelques rebelles, à Béziers, par Jean Pech, 1622, in 8°, 28 p.

15. Chronique du Petit Thalamus, citée par Louise GUIRAUD, op. cit., t. 7, p. 24 1.

16. Lettre de Bellièvre au roi du 8 août 1572 citée par Louise GUIRAUD, op. cit., t. 6. p. 372.

17. Mémoires de Jean Philippi touchant les choses advenües pour le faict de la religion à Montpellier et dans le Bas-Languedoc (1560-1600), cités par Louise GUIRAUD, op. cit., t. 7, p. 155.

18. Pour plus d’informations sur l’absence de Saint-Barthélemy provinciale à Montpellier, voir notre article : « Les Saint-Barthélemy provinciales : le contre-exemple montpelliérain ». Provinciales. Hommage à Anne-Marie Cocula, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2009, Tome II, pp. 931-942.

19. Pour ce qui suit, concernant l’évolution politique de la cité dans le premier tiers du XVIIe siècle, voir notre article : « Montpellier ville de sûreté protestante 1598-1629 ». Bibliothèque de l’École des Chartes, t. 160, jui1.-déc. 2002, Paris-Genève, Droz, 2003, p. 575-590.

20. Un exemple en est donné en avril 1601 lorsque les consuls, après que les catholiques ont réclamé de désigner eux-mêmes ceux qui devaient siéger au sein de l’assemblée des Quatorze de la Chapelle, répondent en affirmant que « de toute anciennete cest a la ville [comprenons aux consuls protestants] de nommer lesdits Quatorze et non a autrement » : Arch. com. Montpellier, Joffre BB 394, fol. 477-v.

21. Articles de la paix générale accordée par le roy à ses subjets le 19 octobre 1622, Bibliothèque municipale de Carpentras, et reproduit par Henri BOSC, Les grandes Heures du protestantisme à Montpellier, Montpellier, Imprimerie Reschly, 1957, p. 51.

22. Pour cette partie et les suivantes, nous renvoyons en notes les bases de calcul. Mais pour avoir une vue d’ensemble précise des valeurs absolues et relatives qui fondent l’analyse, on peut consulter : Valérie LECLERC LAFAGE, op. cit.

23. Parmi les réformés faisant testament entre les années 1550 et 1600, 154 précisent la forme confessionnelle de leur ensevelissement sur un total de 205 prenant des dispositions pour leur corps. Chez les catholiques les chiffres sont respectivement de 46 sur un total de 187 testateurs.

24. En cela, la pratique montpelliéraine se différencie nettement d’autres villes du royaume. Pour la ville de Paris dans la seconde moitié du XVIe siècle, Pierre Chaunu affirme, « concluons sans crainte : le souci de la sépulture est bien unanime » : Pierre CHAUNU, La mort à Paris, 16e, 17e, 18e siècles, Paris, Fayard, 1978, p. 321. De même, « le testament ne passe jamais sous silence l’endroit où le testateur souhaite être enterré », dit Claire Dolan du second XVIe siècle aixois : Claire DOLAN, Entre tours et clochers : les gens d’Église à Aix-en-Provence au XVIe siècle, Aix-en-Provence, Edisud, 1981, p. 116. À Montpellier dans la seconde moitié du XVIe siècle, 62 % des testateurs prenant des dispositions pour leur corps précisent le lieu où ils veulent être enterrés ; ils ne sont plus que 50 % au siècle suivant. Si l’on ne retient que les seuls catholiques, ils sont respectivement 78 % et 73 %, ce qui ne fait pas l’unanimité comme dans les villes foncièrement catholiques.

25. Le réformé Pierre Melet, laboureur de son état, est de ceux-là. Originaire de Saint-Maurice de Sorgues au diocèse de Lodève, il teste en 1567 et veut « sondit corps estre ensepvely au cimetiere dudit lieu de Saint Maurice », resté catholique. Mais immergé dans les guerres, il précise que s’il « nestre loysible dans ledit cimetiere encepvelir les personnes faisant profession de la religion refformee […] a volu et veult estre encepvely dans ung sien champ scitue auprès dudit lieu de Saint Maurice… ». Pour ce réformé, le champ est un pis-aller, le mieux qu’il puisse espérer est le cimetière paroissial de ses ancêtres : Arch. dép. Hérault, 2 E 95/1570, fol. 174.

26. Voici la demande de Monsieur maistre Francois Ranchin conseiller et medecin du Roy professeur et chancellier de luniversite de médecine dudit Montpellier », membre d’une famille les plus éminentes de la ville : « et que lors de son enterrement sondit corps soyt seullement accompaigne du cure de leglise et porte a la sépulture par deux escolliers de médecine sans aulcune aultre pompe ny apparat. Bien veult quil y ayt quarante cinq paouvres catholiques habilhes comme on a acoustume de fere lesquels acompaigneront ladite sépulture portant chacung ung cierge de cire le tout audit despens de son heritaige… ». Mais le testament date du 23 octobre 1632 et jamais, au cours des 80 ans qui précèdent, une telle demande n’a été enregistrée: Arch. dép. Hérault, 2 E 61/37, fol. 355.

27. Évangile selon Matthieu, 25-40.

28. Pendant le second XVIe siècle, plus des trois-quarts des testateurs réformés donnent en priorité aux pauvres de leur Église, tandis que les catholiques donnent aux pauvres méritants pour lesquels n’intervient pas le critère confessionnel. Au début du siècle suivant, la quasi-totalité des donateurs huguenots donnent aux pauvres réformés, tandis que près de 50 % des donateurs catholiques donnent aux pauvres catholiques.

29. On pense en particulier aux travaux de Marc VÉNARD, « Les legs charitables dans les testaments du XVIe siècle à L’Isle-sur-Sorgue et à Courthézon (Vaucluse) ». Provence historique, 1984, tome 34, fasc. 138, pp. 441-450.

30. Dans sa thèse sur le Montpellier de la fin du XVIIe et du XVIIIe siècle, Guy Penot précise que « tout testament contient des legs à l’intention des messes » : Guy PENOT, Des clauses restrictives, extensives et religieuses contenues dans les testaments aux XVIIe et XVIIIe siècles à Montpellier, Thèse de doctorat de l’Université Montpellier I, Montpellier, éditions de 1’A.G.E.M., 1952, p. 137.

31. Voici par exemple la demande de « damoiselle Charlotte de Carselles veuve du sieur de la Chesne en France » (diocèse d’Évreux) qui en 1607 teste à Montpellier et demande « que après son deces soit fait trois services solempnels et a chacun service douze petites messes et trois grandes avec vieilles et a célébrer pendant huict jours en commencant le jour de son deces chaque jour une messe et ensuite durant un an de huict en huict jours une messe » : Arch. dép. Hérault, 2 E 57/29, fol. 323.

32. Parmi les 1 400 invocations du corpus, 170 sont précédées d’une mention qui précise la qualité du fidèle, « comme chrétien », « comme bon chrétien », « comme chrétien et catholique »… Parmi ces testateurs éprouvant le besoin de se présenter à Dieu avant de le prier, 68 % sont réformés.

33. Invocation contenue dans son testament du 1er juillet 1577 Arch. dép. Hérault, 2 E 62/23, fol. 389.

34. Pour étudier les sensibilités religieuses du XVIe siècle parisien, Pierre Chaunu a pris en compte un échantillon comportant 190 invocations testamentaires, dont 168 mentionnent la Vierge Marie Pierre CHAUNU, op. cit., Paris, Fayard, 1978, p. 309.

35. « Tout en affirmant qu’il est un, Dieu se donne à connaître à nous en trois Personnes distinctes. Si nous ne considérons attentivement chacune d’elles, Dieu ne sera qu’un nom vide de substance ». Il faudrait que « tous les hommes [aient la] certitude que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont un seul Dieu… » : Jean CALVIN, L’Institution chrétienne, Genève, Presses Bibliques Universitaires, 1994 (édition abrégée en français moderne), p. 34-35.

36. Les testateurs protestants sont 77 % (parmi ceux qui font une invocation), à évoquer le Christ rédempteur dans la seconde moitié du XVIe siècle, ils sont 90 % au siècle suivant ; les catholiques sont, respectivement, 46 % et 98 %.

37. Testament du 20 octobre 1572 : Arch. dép. Hérault, 2 E 56/33, fol. 461.

38. « Mais puisque tout homme est indigne de s’adresser à Dieu et de se présenter devant sa face, notre Père céleste, afin de nous arracher à la honte que nous avons […] nous adonné son Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, pour être auprès de lui notre médiateur et intercesseur. Sous sa conduite, nous pouvons approcher de Dieu avec confiance, assurés que puisque le Père ne peut rien refuser à un tel intercesseur, tout ce que nous demanderons en son nom nous sera accordé… » Jean CALVIN, op. cit., p. 136.

39. Jean Calvin a longuement insisté dans ses différents écrits sur l’énormité du péché originel : « Nous devons garder en mémoire l’état misérable où nous a fait tomber la chute d’Adam […] Nous tous, qui sommes d’une race impure, sommes pécheurs de naissance […] : Jean CALVIN, ibid, p. 53 et suivantes. Mais le réformateur a également indiqué le modèle à suivre pour avoir quelque chance d’être sauvé, celui, en particulier, de la prière : « Pour bien nous préparer à prier, il faut d’abord implorer la miséricorde de Dieu en lui faisant l’humble et franche confession de nos fautes » : Jean CALVIN, ibid, p. 136.

40. Dans le second XVIe siècle, 40 % des invocations protestantes et 53 % des catholiques ne contiennent pas de demande de pardon divin.

41. Dans les testaments des premières décennies du XVIIe siècle, 93 % des catholiques (de ceux faisant une invocation) et 96 % des protestants demandent le pardon divin dans la supplicatio.

42. Dans le second XVIe siècle, 68 % des protestants faisant une invocation demandent que leur âme soit colloquée au paradis céleste au siècle suivant, ils sont 92 %. Dans le même temps, les catholiques sont respectivement 52 % et 94 %.

43. Testament de maître Darde Coste, procureur en la cour des aides, du 23 décembre 1597 : Arch. dép. Hérault, 2 E 57/18, fol. 904.

44. Dans le second XVIe siècle parisien, Pierre Chaunu s’étonnait que « la demande de réception dans le Royaume de Dieu [fasse] fréquemment défaut […], sur une série de 202 testaments, 44 % de demandes explicites ». Au XVIIe siècle, les demandes parisiennes ont progressé, atteignant entre 80 et 90 % selon les études notariales : Pierre CHAUNU, op. cit., p. 313 et p. 386.

45. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, 43 % des invocations demandant le paradis céleste l’évoquent peuplé de ses habitants, bienheureux, élus, et/ou saints. Dans les premières décennies du XVIIe siècle, le paradis avec ses habitants ne représente plus que 25 %.

46. Extrait du testament de sire Sauvaire Pellissier, bourgeois de Montpellier : Arch. dép. Hérault, 2 E 95/1179, fol. 92.

47. Arch. dép. Hérault, 2 E 57/39, fol. 525.

48. Testament du 23 mars 1607 : Arch. dép. Hérault. 2 E 57/29, fol. 258.

49. Saint Paul, I Co XII, 4-6.