Le six octobre 1669, Molière et sa troupe représentèrent pour la première fois Monsieur de Pourceaugnac, au château de Chambord devant Louis XIV qui s’y trouvait alors pour la saison de chasse. Cette comédie-ballet, en trois actes mêlés d’intermèdes musicaux et de danses, est considérée habituellement comme ayant été composée rapidement, voire même troussée en quelques jours sur place, l’auteur et sa troupe ayant quitté Paris le 17 septembre, tandis que Lulli, également présent à Chambord, en aurait écrit de son côté la musique avec tout autant de rapidité. Elle expose les tribulations d’un provincial, gentilhomme limousin, venu dans la capitale pour se marier, et que son rival entreprend d’écarter en le faisant persécuter.
L’une des caractéristiques essentielles du comique, dans cette pièce, est de recourir, dans des proportions inhabituelles, aux déguisements et aux langages contrefaits. Et c’est à ce propos qu’apparaît un problème que nous voudrions essayer d’aborder ici – car, à notre connaissance, il ne l’a jamais été – et qui est la présence, sous la plume de Molière, de fragments rédigés en picard.
En effet, à la scène 8 de l’acte II, l’intrigante Nérine, déguisée en Picarde, accable le héros de récriminations dans son patois, tandis qu’une autre, Lucette, déguisée en Languedocienne, fait la même chose en se servant de la langue d’oc. Évidemment, l’utilisation de cette dernière par Molière n’a rien qui puisse surprendre, pas plus que le fait que Lucette se présente comme originaire de Pézenas ; car l’on connaît les séjours que l’auteur a pu faire à Narbonne (janvier 1650 et mai 1656), à Pézenas (décembre 1650, février 1656), à Montpellier (janvier 1654, début 1655), à Béziers (décembre 1656), à Agen (février 1650), pour ne parler que de certitudes absolues. Mais l’utilisation du picard s’explique beaucoup plus difficilement.
Tout d’abord, on ne peut manquer d’être frappé par l’aspect authentique du patois utilisé par Nérine ; et il n’est que de rapprocher cette scène d’une autre où Sbrigani, qui mène le jeu, se déguise en marchand flamand pour constater que le flamand de ce personnage n’est en fait que du français estropié – et finalement peu convaincant à la lecture – tandis que les interventions de Nérine exhalent un indiscutable parfum de terroir. […]