« Je vous parle d’un temps
que les moins de vingt ans
ne peuvent pas connaître…« 

… chantait Charles Aznavour parlant de la Bohême…

Je vais vous parler d’un temps révolu, que les moins de quarante ans et même de soixante n’ont pas pu connaître, un temps où les plus anciens parmi nous empruntaient la route bordée de platanes – et c’est en charrette que je l’ai fait pour la première fois – qui conduisait au village de Pérols puis, longeant un canal entre les étangs ; atteignait la mer sur une plage quasi déserte. Nous étions à Carnon !

Que tout est changé ! Aujourd’hui une route nouvelle à quatre voies nous amène directement à la station balnéaire moderne de Mauguio-Carnon. Depuis l’aménagement de la côte, cette autoroute a été prolongée en direction de la Grande-Motte à l’est, mais on peut aussi rejoindre Palavas à l’ouest. Cela paraît si naturel, si logique qu’on n’y prête plus attention.

Et pourtant ! fermez les yeux et imaginez ce paysage quelques cinquante ou soixante ans en arrière, faites abstraction de tout ce que l’homme a construit, gommez les hypermarchés, les zones commerciales, les publicités agressives, les villas modernes, gommez même les routes… et vous obtenez un paysage où il n’y a rien qu’un océan de vignes où apparaissent parfois les bâtiments de quelque grand mas, avec son parc aristocratique, puis c’est la palus, ce sont les marais, les estagnols, les roubines, deux grands étangs : à l’Est, l’Étang de l’Or, à l’Ouest celui du Méjean, vous longez un étroit canal bordé de cabanes de pêcheurs et vous arrivez à une plage encore à peu près vierge, des dunes, un parc boisé, une ou deux baraques : vous êtes à Carnon, vous êtes au bout de la terre. Vous savez qu’il y a vers l’ouest la station balnéaire de Palavas que vous ne pourriez atteindre qu’en longeant la plage ; vous devinez dans le lointain vers l’est, inaccessibles, le phare de l’Espiguette, Aigues-Mortes et ses tours, la Camargue.

Voilà ce que j’ai connu dans mon enfance.