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Description

Maladies et mortalité : La surmortalité en quelques villages des Pyrénées
aux XVIIe et XVIIIe s.

1782 était l’année de la « suette ». La suette, cette épidémie qui a fait couler beaucoup d’encre du côté de Castelnaudary. En mes dossiers, la maladie est cachée sous la mortalité. D’autres vous diront comment on la dépiste. Qui n’a pas le document écrit, explicite, n’en a pas les moyens. Nous n’avons pas à fabriquer un diagnostic économico-social « bouche-trou ». Il faut d’abord penser les données avec le bon sens de tout le monde, hors l’appareil scientifique du démographe. Savoir entrer dans le jeu de la mort et de l’acceptabilité de celle-ci. Parler de la mort familière et aussi de la mémoire collective. Car il faut savoir aller d’hier à avant-hier.

En des temps où la médecine tellement observait le corps (la leçon d’anatomie) qu’elle ne voyait pas le microbe, quand son discours était encombré de choses accumulées depuis le Grec. Les humeurs, les pustules, le pus (en oc, la poustema) qui veut sortir ; et puis le sang qui circule. Et la saignée ; les ganglions qui sont des signes de croissance chez nos paysans (ils ne l’ont pas trouvé tout seuls) et non des lignes Maginot. Certes l’apothicaire ajoutait le camphre et le quinquina aux simples de toujours, mais il gardait, dans ses réserves, la poudre de cornes de cerfs et celle de crapauds passés au four. L’Epistémologie et l’Archéologie du savoir ont leur mot à dire là-dessus.

Mais tout d’abord nous devons penser la mort dans un ordre du monde. Comme dans une partie de cartes, le Maître du jeu fait une grosse levée. Une « plie », c’est un mot francitan mal compris. Rien à voir avec plier. La plega c’est la levée, l’enlèvement, la prise, le vol. La desplega, c’est l’intensif, la double mortalité. Ici nous devons réactiver le dicton occitan ; il nous servira pour les corrections statistiques : « Y A TANT DES PELS DE CRABAS, COMA PELS DE CRABITS. » Pour bien traduire, il faut inverser les termes de la comparaison : « Il y a autant de peaux de chevreaux que de chèvres. » La mortalité infantile (Me) est aussi importante que l’autre, l’adulte (Ma). Statistiquement ce n’est vrai que de loin en loin. Certes on n’a pas dénombré autrefois tous ceux qui n’ont pas eu la chance d’exister et le temps de vivre. Cela ne servirait à rien.

La maladie n’est pas décrite en nos villages. Ailleurs, le livre de Raison, le Journal du médecin et de l’hôpital, ont survécu. A Carcassonne, à Montpellier. Les savants de cette ville n’ont jamais cessé de se battre avec la maladie, donc de débattre et de comparer les résultats heureux. Une rationalité médicale est en place au 18e siècle et bien avant, disons au 16e. Pour sa part, la mémoire collective a gardé, avec des mots, le souvenir des paniques, des attitudes religieuses, des trucs qui ont réussi : la malapesta, le sarrampiu, la colica roja, la picora, le galamon, les gautissous, les escanous. Et encore le palmonista.

Le 18e siècle paraît ce moment d’espoir entre la peste qui sort et le choléra qui prépare son entrée… N’était hélas !, ce fléau qui a succédé à la lèpre vers la fin du Moyen Age : la tuberculose. On la mentionne une fois seulement à Roquefeuil en 1745 ; un compagnon serrurier est mort « à Avignon de la phtisie ». Certaines familles sont plus touchées que d’autres, elles sont tenues à l’écart. Le « palmonista » c’est le « gamat », le tubard d’occitanie. Les hommes cessent d’être frères quand souffle le vent de la mort. Pour servir l’humain il y avait alors, les confréries de Charité, les pénitents, le prêtre, le clerc de paroisse et le fossoyeur.

I – EN MARGE DE L’HISTOIRE MORTUAIRE

1- L’histoire mortuaire et l’œconomique.

Il faut toujours relire le discours de pauvreté. Qui mêle l’accident ou le conjoncturel, l’ordre des structures, l’histoire sérielle… L’histoire mortuaire mettra tout le monde d’accord. Le démographe abat ses chiffres. L’historien redevient prudent. Le médecin lui-même retient son diagnostic à rebours. Car tout texte excessif déplace la causalité. Quand la chose est trop bien dite il doit y avoir écart entre l’écrit et le réel.

Dans les mondes pauvres du passé, on sait aussi ne pas mourir de faim. Ainsi la famine-littéraire qui veut trop prouver, retombe dans l’histoire-doléance. Je veux dire que l’on sait exagérer, c’est-à-dire concentrer en histoire-panique le fait météorologique, le fait économique et tout le quotidien… Certes toute privation ouvre la porte à la maladie et à la mort. On vient bramer au presbytère. Tant les frontières sont minces entre la pauvreté et l’indigence. La « classe des indigents » est reconnue comme telle aux 18e et 19e siècles. Comme structure. L’indigence oblige à mendier. Pour le reste, brassier, laboureur, ménager, c’est l’exploitant agricole dans la ménagerie à trois et quatre étages, l’œconomique première, l’art de faire vivre la maisonnée. Se laisse-t-on mourir de faim quand il y a vache à l’étable et brebis à la bergerie ? […]

Informations complémentaires

Année de publication

1984

Nombre de pages

6

Auteur(s)

Gaston MAUGARD

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf