L’intendant de police Pierre Marty à Montpellier et Toulouse

* Historien, Secrétaire général de l’Association pour des Etudes sur la Résistance Intérieure affiliée à la Fondation de la Résistance. Cette étude est extraite de : La police au cœur de l’équivoque, Historia, hors série, n° 34, La Collaboration, 1975, p. 65-74 et ici p. 72-74.

L'ascension de Marty

A l’automne 1940, le gouvernement de Vichy recrutait des hommes « sûrs » pour occuper les places libérées par l’épuration dans les rangs de la police. Outre-mer le problème était le même qu’en France métropolitaine. Si l’ennemi n’occupait pas ces territoires, le gouvernement de Vichy désirait y appliquer la même mise au pas politique. Le 7 octobre 1940, la police de Bizerte, recruta un nouveau commissaire à titre provisoire, Pierre Marty.

Commissaire de la marine marchande à la Compagnie Transatlantique, puis directeur d’une firme commerciale, il avait perdu sa situation en raison de la guerre. Recommandé par un amiral, jugé politiquement sûr puisqu’il était ancien militant d’Action française, il fut affecté aux renseignements généraux et y constitua rapidement une petite équipe qui donna bientôt la chasse à tous ceux qu’il connaissait ou suspectait d’être des adversaires du régime.

Il eut un avancement foudroyant et le 3 mai 1943 était déjà commissaire principal, assurant depuis le 25 janvier les fonctions de contrôleur général par intérim. Lui-même écrivit dans une lettre où il réclamait sa titularisation à ce grade : « J’ai fait procéder à l’arrestation de dizaines d’espions et de propagandistes anglo-saxons ou communistes. Je peux affirmer et je suis persuadé que les autorités compétentes allemandes se feraient un plaisir de confirmer qu’aucune grosse affaire d’espionnage réalisée en Tunisie depuis l’arrivée du Corps Expéditionnaire n’a été faite autrement que par mon action direct ou sur mes indications ».

Dès l’arrivée des troupes allemandes en Tunisie, le préfet de Tunis et l’intendant de police avaient été arrêtés et déportés et Marty avait été nommé à Tunis. Son groupe, qui ne comportait alors que cinq hommes, passa au service exclusif des Allemands.

Le 2 décembre 1942, une ordonnance de von Arnim donna au S.O.L. de Tunisie une mission de police politique, des membres du S.O.L. furent placés dans tous les services de police et les brigades de gendarmerie pour les surveiller. Les groupes de sécurité et d’action du P.P.F. créés en 1941 participèrent avec eux à la chasse aux juifs. Le 12 décembre, après la création à Tunis du Comité Unifié d’Action Révolutionnaire (C.U.A.R.) groupant tous les mouvements collaborateurs sous la direction des nazis, Marty arrêta lui-même le préfet de police de Tunis, M. Philip, son chef de cabinet, le directeur de la police et le ministre de France, tous accusés de mollesse, voire de trahison. Mais l’avance des Alliés se poursuivait inexorablement.

Le 10 mars 1943, les Allemands transportèrent par avion la brigade Marty en Italie. Marty et son adjoint Cens, chargés des ultimes opérations de liquidation, quittèrent la ville dans le dernier avion allemand. Il les amena à Berlin où ils demeurèrent quelques jours, puis gagnèrent Paris.

Le 6 octobre, Marty arriva à Montpellier où il venait d’être chargé d’organiser une brigade spéciale.

Dès son arrivée, Marty reconstitua sa brigade et la renforça considérablement. Il y incorpora des gens qui, à Tunis, avaient été ses indicateurs, et aussi plusieurs résistants retournés.

A Montpellier

La première démonstration des méthodes de Marty en France eut lieu à Montpellier même. Le 20 décembre les résistants détenus à la prison de Montpellier protestèrent contre le transfert à la maison centrale de Nîmes de deux d’entre-eux, Khan et Heyres, en chantant la Marseillaise. Le 23, ils récidivaient pour protester contre le renvoi de Charpak [Prix Nobel 1992] devant la section spéciale, juridiction d’une férocité connue, dont la sentence habituelle était la peine de mort. Ils parvinrent même à faire flotter pendant quelques minutes un drapeau tricolore à une fenêtre de la prison. Alerté, on ne sait par qui, Marty accourut avec ses hommes. Il entra au hasard dans une cellule avec ses trois principaux adjoints, Castel, Cens et Laffargue, tous, revolver au poing. Il y avait là cinq résistants, on les fit aligner le long du mur et Marty ordonna : « Allez, cognez ! ». Lui-même se joignit à ses hommes et tous quatre se mirent à frapper sauvagement à coups de crosse.

Soudain, du revolver avec lequel Castel frappait, le coup partit. La balle lui traversa la main puis atteignit la tête de Cens qui se trouvait près de lui. Cens s’effondra, très gravement blessé. Alors, froidement, Marty tira sur le détenu sur lequel il frappait, Damiani, qui reçut la balle dans le ventre. Sur la civière qui l’emmenait à l’hôpital, Damiani dit à Marty : « Quelle grosse responsabilité vous encourez ! Vous aurez à en répondre devant le tribunal de la nation ».

Prévision juste Damiani survécut et Marty fut condamné à mort en 1948. Mais Cens fut décoré de la médaille d’argent et Marty fut cité à l’ordre de la police et félicité personnellement par le secrétaire général à la Police Bousquet. Cela n’empêcha pas celui-ci d’être limogé une semaine plus tard et remplacé par Darnand 1.

Cette nomination fut saluée par l’édition de tracts par les policiers résistants. Dans des textes d’une extrême violence ils affirmaient notamment : « Non ! SS Darnand, les policiers et les gendarmes ne sont pas des Bazaine au service de l’antiFrance (…). Exterminez ces canailles de miliciens qu’on veut incorporer avec vous pour vous moucharder ».

Arrivé à Montpellier, Marty s’était mis immédiatement en contact avec le Kommando S.I.P.O.-S.D., installé villa « Les Rosiers » et dirigé par le SS Mahren. Les contacts furent quotidiens. Grâce aux hommes de Marty, Mahren put infiltrer des agents dans plusieurs groupes de résistance et maquis de la région et jusqu’en Lozère. Six hommes de Marty parvinrent ainsi à devenir : chef départemental de groupes francs, lieutenant de groupes francs et chefs de maquis. Un maquis d’Espagnols eut ainsi pour chefs deux anciens anarchistes espagnols qui avaient été recrutés par un agent double au début de 1943, cependant que l’ancien chef du « groupe de protection » P.P.F. de Tunis, Paul Berger, devint le chef d’un important maquis en Lozère et finit même par être chef départemental du C.O.P.A. Ils firent ainsi d’énormes ravages dans toute la Résistance de cette région.

Fin janvier 1944, Mahren et Marty décidèrent de procéder à un vaste coup de filet en Lozère. Berger dressa les listes des arrestations à opérer. L’attaque des maquis eut lieu, dirigée par Mahren dans le nord de la Lozère et par Marty dans le sud. De nombreuses arrestations furent opérées mais contre toute attente la plupart des maquisards parvinrent à échapper. Au cours des mois suivants plusieurs pièges plus subtils furent tendus et fonctionnèrent. Mais Berger commença à devenir suspect et un résistant, Nazac, fut chargé de procéder à une enquête sur lui. Berger en eut vent et le fit arrêter, mais, complètement discrédité, il dut quitter la région et vint se replier à Paris au siège du P.P.F. avant de passer à la Waffen-SS.

Le 10 janvier 1944, le chef régional des F.T.P., René Poitevin, fut arrêté chez lui par des membres de l’équipe Marty et des agents de la Gestapo. On les verra du reste presque toujours opérer en commun. Immédiatement amené à la villa « Les Rosiers » il fut torturé pendant plus de quatre heures, sans interruption. N’ayant rien pu tirer de lui, Mahren le fit envoyer au camp de Compiègne le 17 pour être déporté, puis le 5 février le fit ramener à Montpellier pour le faire fusiller. Mais Poitevin parvint à s’évader pendant le transfert.

Le 15 janvier, l’officier de paix Bouniol, membre actif de la résistance, fut arrêté dans les locaux du commissariat par les hommes de Marty, amené villa « Les Rosiers » et torturé. Bouniol demeura muet. Il fut déporté à Auschwitz puis à Buchenwald.

Tous les résistants arrêtés par Marty n’étaient pas amenés à la Gestapo. Certains furent interrogés dans les locaux de la police française et les policiers des services normaux découvrirent vite quelles étaient les méthodes de Marty. Un jour de février 1944, un commissaire de police du service de la Sûreté put faire amener dans son bureau un détenu, M. Chapert, qui se trouvait dans la geôle du commissariat et qui avait été « interrogé » par les hommes de Marty. Il constata les traces de sévices, de coups, de brûlures, et appela deux de ses collègues qui les virent comme lui. Tous trois se rendirent alors chez le commissaire divisionnaire chef du service auquel ils demandèrent d’intervenir. Tous quatre se rendirent chez Marty et protestèrent avec vigueur, n’ignorant pas quels risques ils couraient mais comptant que Marty hésiterait à les faire arrêter tous quatre. Leur calcul était juste. Marty leur répondit simplement : « Je prends l’entière responsabilité de mes actes, et je vous autorise à déclarer que les mauvais traitements infligés à certains sujets sont le fait de ma brigade et non celui de la police judiciaire ».

Peu après, Marty convoqua Mme Chapert et lui dit : « S’il arrive quelque chose à l’un de mes inspecteurs, que j’aime comme mes enfants, si l’un d’eux est victime d’un attentat quelconque, votre mari sera immédiatement fusillé. Son nom figure le premier sur une liste de 15 otages que j’ai établie ».

Puis il interdit que l’on donnât des soins à Chapert. Celui-ci fut déporté à Buchenwald et n’en est pas revenu.

A cette même époque les policiers résistants redoublaient d’activité. A Nice, le commissaire Ruaux fut arrêté avec vingt-trois inspecteurs et gardiens de son service. Il est mort en déportation. Des policiers militaient dans plus de cent mouvements et réseaux, le réseau « Alliance » en comptait de très nombreux et le réseau « Ajax » était composé uniquement de policiers.

Le 9 mars le commissaire de police de Decazeville fut abattu par la Résistance. L’un des inspecteurs qui devait assurer sa protection ce jour-là, Boissin, fut suspecté par Marty d’être en relations avec la résistance. Comme il ne parlait pas en dépit des tortures, on l’amena dans la cour, on le lia à un arbre et Marty dirigea un simulacre d’exécution, toujours en vain. Finalement Marty fut convaincu que Boissin ne savait rien et il fut interné au camp de Nexon d’où il parvint à s’évader en juin.

A Toulouse

L'intendant de Police Pierre Marty

L'intendant de Police Pierre Marty
lors d'une cérémonie officielle à Toulouse -
Cliché Yan-Jean Dieuzaide, 1944,
©Droits de reproduction strictement réservés

Un volume serait nécessaire pour énumérer les crimes commis par la brigade Marty. Ses brillants états de service furent appréciés en haut lieu : le 15 avril 1944 Marty fut nommé intendant de police de Toulouse. Il y emmena toute sa brigade, réorganisée en deux équipes : renseignements et opérations.

Les relations avec la Gestapo furent bien entendu continuées et les mêmes méthodes employées.

Le vide se faisait de plus en plus autour de ces hommes perdus. Marty le sentait et se plaignait à ses intimes de « l’isolement de sa brigade, de la faiblesse du préfet régional, de l’apathie du commandant des G.M.R., de l’indifférence de l’officier de liaison, de la carence de la police régulière et de l’hostilité de la gendarmerie ». Dans un discours prononcé en juillet 1944 il déclara : « La Révolution nationale du Maréchal échoue parce qu’elle ne s’est pas assez détachée des hommes du régime déchu… La Milice, malgré ses imperfections, constitue le seul espoir du pays ».

Le 19 août Marty et sa brigade évacuèrent Toulouse sur ordre téléphonique de Darnand. Tous gagnèrent l’Allemagne ayant rejoint Darnand à Belfort. Ceux que l’on avait à juste titre baptisés « la brigade sanglante » reprirent du service à Sigmaringen où Brinon devenu « chef de Gouvernement », nomme Marty directeur de la Police française.

Ainsi s’achevait dans la bouffonnerie une des plus sinistres histoires de l’occupation.

Lorsque la « brigade sanglante » comparut devant la Cour de Justice de Toulouse en juillet 1948 on put constater que sur trente-cinq inculpés il n’y avait qu’un seul policier de carrière, un inspecteur, qui avait du reste été révoqué avant la guerre, était devenu milicien et que Marty avait fait réintégrer par Darnand et nommer commissaire de police.

L’histoire de cette formation, qui ressemble à la plupart des groupes spéciaux de répression, mais atteignit le paroxysme de l’action sanglante comme de la compromission aux ordres de l’ennemi, montre ce qu’aurait pu être l’action d’une police entièrement dévouée aux ordres de l’occupant. L’infiltration des maquis et des organisations de résistance ne pouvait, à l’évidence, être réussie que par des Français. Les Marty furent heureusement peu nombreux.

Mais si les policiers français furent souvent hostiles à la collaboration et si ceux qui la combattirent furent nombreux, il n’en reste pas moins vrai que par l’intermédiaire d’organismes centraux, policiers ou politiques, par la volonté du gouvernement de Vichy, par le jeu de nombreuses organisations officielles ou officieuses, les archives administratives et policières furent pratiquement à la disposition de la Gestapo, de nombreux renseignements capitaux furent communiqués et une aide indiscutable souvent donnée.

Tous les efforts individuels des policiers résistants ne purent que peu de choses contre cet état de fait, et le bilan de cette forme de collaboration reste donc lourd pour ceux qui, en haut lieu, décidèrent de l’assumer. 2

Notes

 1.  Le remplacement de René Bousquet par Joseph Darnand, exigé par les Allemands, fut annoncé officiellement par la radio le 30 décembre 1943 au soir. Il en était question depuis quelques jours. La volonté de Bousquet de mener jusqu’au bout l’enquête sur l’assassinat de Maurice Sarraut, directeur de La Dépêche du Midi (2 décembre 1943) auquel étaient mêlés, des membres de la L.V.F., de la Milice et du S.D., avait précipité son limogeage. Avant de partir, Bousquet fit le vide. Darnand ne trouva pas un dossier, pas une fiche.

 2.  [Cet article sera une introduction à une publication concernant Pierre Marty et le détail de ses « activités » à Montpellier. Nous devons la photographie (droits strictement réservés) prise à Toulouse en 1944 par Yan à l’amabilité de madame Jean Dieuzaide que nous remercions très sincèrement. Nous donnons en annexe une demande d’internement adressée par P. Marty au préfet régional contre un journaliste du « Petit Méridional ». Jean-Claude Richard Ralite].

Annexe

Lettre du 22 février 1944 de Pierre Marty au Préfet Régional concernant M. Maurice Bujon, rédacteur du Petit Méridional (ADH 18 W 18)

« J’ai l’honneur de porter à votre connaissance les faits suivants, relatifs à la conduite de M. Maurice Bujon, rédacteur du « Petit Méridional » de Montpellier.

Je me permettrais d’abord de vous rappeler, Monsieur le Préfet Régional, que par rapport n° 1847 I.P. du 26 novembre 1943 j’avais attiré votre haute attention sur la possibilité tendancieuse que tendait à prendre le « Petit Méridional » à l’égard de la Police. Je vous signalais que le 2 juin 1943 déjà (alors que je n’étais pas encore à ce poste) ce journal avait publié un article inadmissible intitulé « Surmenage de nos Agents » &#8239 ; le 25 novembre il avait à nouveau publié une note : « Pitié pour nos Agents » que je commentais de la sorte dans le rapport susindiqué : « Cet article que j’estime très tendancieux donne au lecteur un point de vue sur l’utilisation des Services de Police qui peut porter atteinte au moral de la population et qui est pour le moins inopportun ». Je demandais à ce que le Directeur du journal incriminé reçoive un blâme sévère.

Le 13 décembre 1943 je me voyais obligé de vous adresser un nouveau rapport sous le n° 1894 I.P. pour vous signaler que le même journal le « Petit Méridional », venait à nouveau de publier un article, cette fois-ci nettement irrespectueux pour les Services de Police, et vous rendais compte dans le même rapport que soucieux du moral de mon personnel et tenant par-dessus tout à ce qu’il reste convaincu qu’il était défendu par ses chefs dans l’exercice de ses fonctions, j’avais convoqué à mon Cabinet le Rédacteur en Chef du « Petit Méridional », M. Audema, et l’avais averti qu’au prochain article désagréable pour la Police que publierait son journal, je demanderais son internement.

Cette semonce a, à l’époque, soulevé une très vive émotion dans les milieux de la Presse et de véhémentes protestations que votre haute protection a largement contribué à rendre sans effet fâcheux pour moi ; mais je n’en suis pas moins resté sur mes propositions, persuadé d’accomplir en la circonstance mon plus strict devoir de responsable des Services de sécurité de la Région.

Vous vous souvenez certainement, Monsieur le Préfet Régional, que le 20 décembre, je vous faisais remarquer dans votre cabinet que le « Petit Méridional », malgré l’algarade du 13 du même mois, semblait vouloir continuer à faire de l’esprit aux dépens de la Police. Un article du même jour de son échotier parlait en effet de « chevaliers de la cambriole » qu’on n’arrivait pas à arrêter et ajoutait textuellement : « la Police a répondu du tac au tac, elle a ouvert une enquête ». J’étais le premier à convenir que si l’intention paraissait nettement malveillante, la faute n’était pas très grave et que, dans un esprit d’apaisement, il convenait, pour cette fois, de fermer les yeux sur cette petite provocation. Je précise que dans l’intervalle j’avais pu acquérir la certitude que ces pointes étaient lancées par un certain Maurice Bujon, rédacteur attitré du « Petit Méridional ».

D’ailleurs tout paraissait rentrer dans l’ordre quand hier, le sieur Bujon éprouvait à nouveau la tentation d’être spirituel, mais cette fois-ci, et cela devenait plus grave, aux dépens d’un inspecteur mort en service. En effet, alors que le numéro du 21 février 1944 du « Petit méridional » (recto) racontait dans tous ses détails comment l’inspecteur Massie venait d’être gravement blessé par un terroriste, concluant que « l’état de cet inspecteur est désespéré », alors que l’inspecteur Massie était décédé depuis une heure du matin, le lecteur du « Petit Méridional » pouvait lire dans le même numéro (verso) l’écho suivant :

« Toutes nos récriminations ne nous mettront pas davantage de beurre sur les épinards ou un bifteack de plus dans nos assiettes. Déplorons le malheur qui a frappé un sympathique inspecteur, retour de captivité depuis trois semaines, blessé par un individu qu’il poursuivait.

Et comme un fait divers ne vient jamais seul, un second drame se déroulait quelques heures plus tard, presque au même endroit. Un tenancier de maison close « Lulu » était « buté » par un gentleman dont le visage était recouvert d’un foulard et dont la main maniait le browning avec une trop grande précision. M.B. »

J’estimais que cette troisième récidive c’en était trop ; je ne pouvais vraiment admettre que l’on puisse faire un parallèle entre la mort d’un loyal inspecteur de police tué en service et la mort louche d’un souteneur.

Je donnais donc dès les premières heures du matin de ce jour, l’ordre d’arrestation du sieur Bujon, vous rendais compte de l’incident et vous priais, Monsieur le Préfet Régional, d’envisager un internement d’un mois à l’encontre de ce trop facétieux rédacteur. Selon vos instructions, j’ai mis au courant de la situation M. le Directeur de Cabinet de M. le Secrétaire Général au maintien de l’Ordre à Vichy qui a entièrement partagé mon point de vue et a donné son accord pour l’internement.

En conséquence, J’ai l’honneur de vous renouveler, Monsieur le Préfet Régional, ma demande d’un mois d’internement administratif à l’encontre du sieur Maurice Bujon, rédacteur au journal « Le Petit Méridional » de Montpellier, auteur de 4 articles pouvant porter atteinte au bon moral de la Police de la région de Montpellier.

Je vous signale enfin que le sieur Bujon a disparu ce matin de son domicile et n’a pas encore été retrouvé. »

L’intendant régional de Police.
Signé MARTY.

[Lors de l’enterrement de l’inspecteur Massie le 22 février 1944, Pierre Marty prononça un discours particulièrement « musclé » en présence de toutes les autorités locales (ADH 18 W 15-3)].