Les universités populaires dans l’Hérault
Les universités populaires dans l’Hérault
Professeur agrégé d’histoire. Chargé de cours en relations internationales.
p. 233 à 235
Le mouvement des universités populaires s’est développé en France dans la région parisienne mais aussi en Languedoc. Il est issu de ce double combat républicain, dreyfusard d’une part et laïc d’autre part qui a littéralement coupé la France en deux entre 1896 et 1906. Nées à la fin du XIXe siècle ces universités populaires se sont confondues dans les villages languedociens avec les cercles républicains. Les universités populaires se sont développées, et ce n’est pas étonnant, dans l’environnement social et politique de leurs territoires respectifs.
Le mémoire de maîtrise qui a été dirigé par le professeur Gérard Cholvy au début des années quatre vingt a été mené à bien grâce au travail de conservation d’un adhérent de l’Université populaire de Montpellier, Monsieur Dieudonné Soulié. Personnage important du mouvement social montpelliérain Monsieur Soulié est un parfait représentant de ce mouvement populaire qui militait pour l’émancipation par le savoir. Lutter contre l’ignorance, promouvoir l’hygiène sociale et la moralité publique étaient les objectifs principaux des fondateurs du mouvement des universités populaires.
Les origines, entre intellectuels et militants républicains
Les présidents de ce mouvement sont issus du monde intellectuel, on y retrouve des enseignants comme Louis Planchon, le premier président, Gaston Milhaud titulaire successivement de la chaire de mathématiques et de philosophie à Montpellier avant de terminer sa carrière à la Sorbonne, MM. Meslin et Bouniol professeurs à la faculté de sciences et de lettres, Célestin Bouglé, titulaire de la chaire de littérature française à Montpellier et futur directeur de l’École normale supérieure, MM. Bonnel et Charmont, professeurs de grec et de droit, M. bel bibliothécaire de l’Université et enfin le seul non-enseignant, Maître Benjamin Milhaud, avocat et futur maire de Montpellier.
Ces fondateurs sont proches de par leurs trajectoires personnelles et forment un cercle de sociabilité dont on a retrouvé le premier lieu de réunion, une sorte d’Enclos, situé sur l’ancienne route de Castelnau. Ce groupe de fondateurs s’est renforcé lors de l’affaire Dreyfus. Aucun de ses membres ne s’est fourvoyé dans le camp des anti-dreyfusards. Dans cette distribution, les intellectuels montpelliérains se situent clairement du côté des Droits de l’Homme, de la liberté, de la Justice et de ceux qu’ils appellent « le peuple ». Ils se situent dans une mouvance radicale, même si, et notamment dans l’ouest du département, des courants socialistes sont très présents 1. À ce peuple, ils veulent apporter leur savoir, leurs connaissances, leur science. Ce peuple auprès duquel ils se sentent appelée comme des missionnaires, ils ne le connaissent que par la lecture de Michelet. Le peuple est chez ces intellectuels plus une idée qu’une réalité vécue.
Héritiers des « Lumières », du rationalisme de Rousseau et de Voltaire, influencée par le positivisme d’Auguste Comte, imprégnés par des lectures de Descartes et de Spinoza, ces professeurs en titre se sentent voués à jouer leur rôle d’intellectuels organiques du peuple. Ils ne connaissent pas forcément Hegel et surtout pas Marx. Ils ne parlent pas de prolétariat au tant que classe. Le marxisme est peu connu comme méthode d’analyse sociale par les universitaires. La conscience que ces intellectuels veulent apporter au peuple n’est pas une conscience de classe au sens où l’entendra Lénine, trois ans à peine plus tard dans « Que faire ? » Cette conscience ne peut naître que de l’instruction, du savoir, de la connaissance et de la maîtrise des valeurs dominantes auxquelles ces intellectuels attribuent une valeur et une portée universelle au dessus et au delà des rapports de production. Ce choix idéologique est fonction de la réalité politique et économique de la France à la fin du XIXème siècle.
La République est installée depuis une vingtaine d’années, la tentative de coup d’État de Deroulède, l’activité des ligues nationalistes loin de l’ébranler, l’ont d’abord renforcée. L’école de Jules Ferry, les lois scolaires de la République de 1882, poursuivent leur œuvre d’unification et sont vécues comme moyen de promotion sociale.Les débuts de la lutte pour la laïcité, l’Affaire Dreyfus ont cimenté une alliance entre la petite bourgeoisie républicaine et ceux qui allaient être reconnus comme représentants du mouvement ouvrier et en premier lieu Jean Jaurès. C’est dans ce contexte que se développent ces sociétés d’éducation populaire dans les villages languedociens. À ce titre la notice sur la petite ville de Cazouls les Béziers est significative car elle traduit un enracinement militant et vraiment populaire qui est plutôt rare 2. On notera la fonction militante de cette société « unissant les républicains contre les réactionnaires ». Ces universités populaires de villages ne dureront pas longtemps et ne dépasseront pas cinq ou six ans d’existence.
Le mouvement ouvrier est à ce moment très minoritaire, divisé politiquement entre socialistes de toutes nuances, lassaliens ou marxistes, anarchistes et anarcho-syndicalistes qui ont investi les bourses du travail, lesquelles en sont encore à leurs balbutiements tout particulièrement dans la région. En Languedoc, la formation sociale présente des caractéristiques particulières liées à une évolution économique spécifique. Dans ce bas Languedoc, la « trahison de la bourgeoisie » s’est manifestée avec un siècle de retard. La crise du phylloxera a été la cause du déplacement des capitaux industriels vers l’investissement foncier.
Cette situation à l’aube du XXème siècle donne à Montpellier un aspect de gros village ancré sur le secteur tertiaire administratif et sur un artisanat à débouchés agricoles sur les plaines viticoles et sur l’arrière pays. Cette situation montpelliéraine est plus accentuée encore dans la sous-préfecture du département Béziers et ses rapports avec son pays viticole ont des traits plus accentués encore du fait de l’absence de centre intellectuel. L’Université Montpelliéraine, les établissements d’enseignement : Grand lycée, lycée de Jeunes Filles, sont les seuls secteurs montpelliérains à échapper à cet enfermement économique et social. Seule l’Université regarde vers Paris.
Vision du peuple et engagement
Conséquence directe de nette situation, il se développe dans la région un réseau notabiliaire à mailles resserrées par où passe la « politique concrète » cependant que perdure la faiblesse du mouvement ouvrier organisé du fait de le dispersion de la main d’œuvre non agricole et de l’absence de concentration industrielle. Cette situation sociale rapidement évoquée explique sans doute une caractéristique du mouvement social montpelliérain. C’est par le biais des professeurs que va passer la politique. C’est directement par le mouvement intellectuel que la conscience ouvrière du mouvement social montpelliérain va se trouver inspirée.
Cette spécificité locale au début du XXème siècle se continue de nos jours. Il suffit pour le constater d’étudier le pourcentage d’enseignante dans les instances dirigeantes des partis de gauche, des organisations de la gauche extra-parlementaire et des mouvements sociaux (écologistes, mouvements du cadre de vie etc.). Mais à l’époque, ces universitaires, ces intellectuels ne sont pas des colleurs d’affiches. Porteurs d’idées généreuses, des valeurs dominantes auxquelles ils sont attachés et surtout de bons sentiments, ces professeurs vont aller au peuple, lui apporter leur culture, leurs connaissances et leur savoir. Nous avions alors comparé cette démarche à celle des étudiants maoïstes « établis » à Billancourt après 1968 pour apporter au prolétariat les lumières de la pensée Mao Ze-Dong 3.
L’analogie avec les populistes russes à la même époque serait sans nul doute plus intéressante. Populistes russes et intellectuels républicains, par delà les différences de situation sociale et politique sont porteurs au même titre d’une idéologie de l’affranchissement. À ce titre, les fondateurs de ces Universités populaires se situent dans la continuité des Saint-simoniens, sans les références à la religion par contre. Ils veulent moraliser le peuple, ce que l’on retrouve largement dans les thématiques hygiénistes, et surtout anti alcooliques des conférences dispensées. Ils veulent clairement l’émanciper par le savoir sans relier cette émancipation à une transformation des rapports de production.
Cette idéologie de l’affranchissement se retrouve dans de très nombreuses publications du mouvement des Universités Populaires. Quelques extraits de discours des fondateurs de la société d’enseignement populaire permettent de discerner quelle vision ceux-ci ont du peuple et des ouvriers. Dans son plaidoyer pour l’Enseignement Populaire, Célestin Bougie définit les ouvriers de la façon suivante : « ils apparaissent comme les cariatides du « monde social : ployés sous la pesée de la civilisation matérielle, œuvre de l’industrie » et de ses machines et ne pouvant tourner, la tête et lever leurs yeux vers le ciel lumineux de la civilisation spirituelle où se meuvent les arts, les sciences, les philosophies, toutes les filles divines de la pensée humaine ».
Cette vision des ouvriers est à rapprocher d’un stéréotype assez ancien, celui du « serf », du paysan d’ancien régime qui porte sur son dos noble et curé. Cette idée qui s’exprime ici est significative à plus d’un titre d’une idéologie de l’affranchissement qui s’exprime dans la défense de la République par la bouche de Célestin Bouglé ; Les stéréotypes de ce type ne sont pas des hasards, ils éclairent bien des aspects de cet humanisme à vocation sociale que le mouvement des Universités Populaires va développer. La « civilisation matérielle » est jugée responsable de l’ignorance des ouvriers. Celle-ci s’oppose à leur affranchissement, les machines, l’industrie ne sont pas, loin s’en faut rejetées, mais la responsabilité de la civilisation technique est clairement affirmée. On ne parle pas par contre du capitalisme qui n’est pas remis en cause ni même de l’exploitation.
L’action sociale de l’enseignement populaire est ressentie comme devant faire contre poids à l’ignorance qui asservit autant que l’exploitation capitaliste. Par contre le travail est valorisé. C’est dans une situation vécue par le peuple que ces intellectuels fondateurs du mouvement vont trouver leur légitimité.
Toutefois ces conceptions si elles étaient sous-jacentes dans l’esprit des animateurs de la société n’ont pas empêché ceux-ci de s’ouvrir à la culture technique, à la culture orale et plus globalement à cet ensemble mal défini que l’on appelle culture populaire.
L’intérêt porté par la société d’enseignement populaire à la culture technique est significatif de toute une démarche intellectuelle. Dès qu’elle en avait l’occasion la société organisait des conférences sur le thème « causerie d’un ouvrier sur son métier ». Ces conférences apparaissent révélatrices d’un état d’esprit des intellectuels animateurs du mouvement face aux travailleurs manuels. Admiration pelée d’envie, complexe de l’intellectuel face à ce manuel qu’il découvre, voici bien des aspects qui s’expliquent par cette démarche. « Les mœurs des ouvriers » sont intéressantes au même titre que celles des peuples des colonies. La distance dans ce cas spatial et ethnique, ici sociale, est aussi grande et nul doute que cette démarche ne soit « imprégnée d’exotisme ».
Pourtant l’université populaire est en prise avec les débats idéologiques de son temps. Que ce soit pendant la période des années trente, pendant la résistance et à la libération, ses présidents successifs ont joué un rôle important dans le champ social montpelliérain. Mais ceci n’est pas le seul aspect qui est analysé dans cette étude ; la société d’enseignement populaire a eu un impact certain pendant un demi-siècle. Cet impact extérieur a été nettement ressenti par des éléments de la classe politique montpelliéraine. La société faisant parler d’elle dans le, quotidien régional de l’époque « Le petit méridional ». Pour des raisons politiques l’Éclair ne rendait pas compte des activités de l’Université populaire semble-t-il.
En fonction d’évènements de tous ordres politiques, sociaux, culturels, la société apportait ses réponses propres. Elle a donc contribué à l’animation de la vie intellectuelle et politi-que de Montpellier pendant plusieurs décennies. Elle s’inscrivait donc dans le champ politique local. Sensible aux pressions qui agitaient l’opinion publique, la société d’enseignement populaire a joué pendant une longue période le rôle de « plaque sensible » pour une partie du corps social montpelliérain.
Bibliographie
— Bruno Modica : Universités populaires du Languedoc, Mémoire de maîtrise, Histoire contemporaine, Université Paul-Valéry. Dir. Gérard Cholvy. Octobre 1980, 140 pages.
— Société d’Education populaire de l’Hérault (Cinquantenaire de la), Montpellier, 1948.
— Louis Dintzer, F. Robin et L. Grelaud, Le mouvement des Universités populaires, Le Mouvement Social, n° 35, avril-juin 1961.
— Lucien Mercier, Madeleine Rebérioux : Les Universités populaires : 1899-1914. Education populaire et mouvement ouvrier au début du siècle. Éditions de l’Atelier (février 1989)
— Collection Mouvement social, Une tentative d’éducation et d’organisation populaires, par G. Deherme.
Revues
La Coopération des idées, année 1894 et suiv., l’Université populaire, Bulletin de la Fédération nationale des Universités Populaires, 1905.
Bulletin des Universités Populaires, 1900.
Revue socialiste, Mlle Dick May, janvier et février 1901.
Association des universités populaires de France, Le Savoir partagé (1995)
Les Cahiers de la Quinzaine, Charles Guieysse, Les Universités Populaires et le Mouvement Ouvrier, Deuxième cahier de la troisième série. Paris, Les Cahiers de la Quinzaine, octobre 1901.
L’Université Populaire : institution ouvrière, Vie et fonctionnement de l’U. P. Les intellectuels dans les U.P. 1 volume in-12, 74 pages – broché.
Notes
1. À Montpellier, Louis Trégaro est un militant déclaré de la SFIO dans l’entre deux guerres.
2. Cazouls-les-Béziers (Hérault, 4143 hab.)
Fondation. – Société d’enseignement populaire fondée le 10 décembre 1902, à l’école laïque, à la suite d’une réunion où le directeur de l’école avait convoqué les membres des sociétés laïques existant dans la commune (Libre-Pensée, Cercle républicain, Syndicat ouvrier, Société des vétérans, Caisse des écoles) et les pères de famille. 100 adhérents s’inscrivirent aussitôt.
Organisation. – Assemblée générale en novembre. Bureau de 4, auquel sont adjoints les présidents de cinq sociétés. Statuts provisoires.
Ressources. – Cotisation 1 fr. Obtiendra une subvention municipale. Salles de café offertes gratuitement.
Conférences. 6. Décembre-Avril. Pas de périodicité régulière. Grande salle de café. 500 personnes. Les sociétaires peuvent entrer avant les autres. Ouvriers 50 %. Très peu de bourgeois. Pas de partie récréative.
Sujets préférés : éducation sociale. Pas de neutralité. Esprit laïque, anticlérical. Beaucoup de socialistes.
Autres moyens d’action. – Bibliothèque en formation.
Situation générale. – Brillants débuts. Auditoire vraiment populaire. Beaucoup d’enthousiasme. Conférences trop espacées. La municipalité encourage l’œuvre de son mieux. La Société unit tous les républicains contre les réactionnaires.
1. Il est vrai que ce mémoire de maîtrise a été écrit au début des années quatre-vingt par un militant de cette gauche extra-parlementaire.