Les trois autographes de Molière conservés aux archives départementales de l’Hérault
Les trois autographes de Molière
conservés aux archives départementales de l’Hérault
* Attaché de conservation du patrimoine.
Chef du service archives anciennes et privées aux Archives départementales de l’Hérault.
[ Texte intégral ]
Connaissant l’attachement particulier de Jean Nougaret pour Pézenas et son si riche patrimoine 1, ainsi que pour les archives, il m’a semblé évident, dans un volume lui rendant hommage, de proposer l’édition de documents d’archives emblématiques pour l’histoire de Pézenas au XVIIe siècle.
Les Archives départementales de l’Hérault ont le privilège de conserver trois autographes de Molière, témoignant du passage de l’illustre comédien en Languedoc en 1650 et 1656.
Il s’agit tout d’abord de deux quittances autographes de Molière pour des sommes de 4 000 livres (17 décembre 1650) et de 6 000 livres (24 février 1656), reçues du trésorier de la Bourse des États de Languedoc, pour paiement des représentations faites lors des sessions des États à Pézenas. Depuis leurs découvertes dans le fonds d’archives des États de Languedoc en 1873 et 1885 par Louis Lacour de la Pijardière (1832-1891), archiviste départemental, ces deux documents ont fait l’objet de nombreuses controverses quant à leur authenticité 2. Ils demeureraient – si ce sont des documents authentiques – les seules lignes manuscrites écrites de la main de Molière, qui ont traversé les siècles.
Le troisième autographe de Molière est, quant à lui, conservé dans un acte notarié passé à Pézenas le 14 mars 1656, dans lequel le dramaturge est témoin. Cet autographe, porté au bas d’un acte de prêt consenti par Madeleine Béjart à sa tante Marie de Courtin, a été découvert aux Archives départementales en juillet 1967 par Elizabeth Maxfield-Miller (1910-2001), docteur de l’université de Harvard et spécialiste de Molière 3, mondialement reconnue ; il n’est quant à lui pas contesté.
Transcription 4 de la quittance de 1650, conservée sous la cote C 9060/1 (fig. 1)
J’ay receu de Monsieur de Penautier 5 la somme de
quatre mille livres ordonnées aux comédiens par
Messieurs des Estats. Faict à Pézenas ce 17e
décembre mil six cent cinquante.
Molière
Pour 4 000 l[ivres] t[ournois]
Transcription de la quittance de 1656, conservée sous la cote C 9065/1 (fig. 2)
J’ay receu de Monsieur Le Secq 6, thrésorier de la
bource des Estats du Languedoc, la somme de six
mille livres à nous accordez par messieurs du
Bureau des comptes, de laquelle somme je le quitte.
Faict à Pézenas, ce vingt quatriesme jour de febvrier 1656
Molière
Quittance de six mille livres
Transcription du contrat de prêt de 1656, conservé sous la cote 2 E 69/67, f° 45 v°- 46 r° 7 (fig. 3)
Debte pour dam[oiz]elle Mag[delai]ne de Béjeard 8 contre
dam[oiz]elle Marye de Courtin 9, de Paris
L’an mil six cens cinquante six et le quatorziesme jour du mois
de mars, dans Pézenas, apprès midy, régnant tr[ès] chr[étie]n prince
Louis par la grâce de Dieu, roy de France [et] de Navarre, par d[evan]t
moy, no[tai]re, [et] tesmoins bas nommés, a esté présante [et]
constituée en personne damoizelle Marye de Courtin,
natifve de Paris, laquelle de gred, par le contrat,
confesse debvoir [et] estre tenu payer à damoizelle
Mag[delai]ne de Béjear, aussy natifve dud[it] Paris, icy
présante [et] aceptante, la somme de cinq cens trente
livres t[ournois] pour prest aimable que, réallement [et] de
contant, lad[ite] damoizelle de Béjar luy en a fait
en escus et demy escus, louis argent [et] autre bonne monnoye,
faizant icelle par lad[ite] dam[oize]lle de Courtin embourcé
au veu de moid[it] not[air]e [et] tesmoins, dont, contante,
en a quité lad[ite] dam[oize]lle de Bégeard, à laquelle
lad[ite] dam[oize]lle de Courtin promet paier [et] rendre lad[ite]
somme de cinq cens trente livres dans un an prochain
et, pour ce fere, lad[ite] damoizelle de Courtin en a obligé
tous [et] ch[ac]uns ses biens meub[les], im[meu]b[les], p[rése]ns [et] advenir, et,
par esprès en précaire [et] force de constitue, une
aterre que lad[ite] dam[oize]lle de Courtin a au terroir de S[ain]t Pierre
de Vasolle 10, appellé la Souquette [[dans le contat d’Avignon d c d 11]], jusques lad[ite] somme
paiée, soubzmis à toutez rigueurs de justice du
p[rése]nt royaume de France avec les ren[onci]a[ti]ons à ce
requizes, comme l’a juré. Fait et récité aud[it]
Pézenas, ma[is]on de lad[ite] dam[oize]lle de Bégear. P[rése]nt
le sieur Jean Baptiste de Molières, de Paris [[quy a affirmé cognoitre lad[ite] dam[oize]lle de Courtin]] [et]
m[aîtr]e Pierre Gillan, escrivain de Pézenas, soub[signé]s
avec lesd[ites] parties et moy, Jaques Fe[rrière]s 12, no[tai]re, quy
req[ui]s sou[bsig]né.
[signé] mc de la Dehors m Béjart
J. B. Molière Gillan
Ainsin ré[cit]é Ferrieres,
not[aire]
Pézenas, rue de la Foire, artère principale de l’enclos médiéval
NOTES
1. La bibliographie de Jean Nougaret prouve combien il était attaché à la cité piscénoise. Jean Nougaret a étudié avec minutie le bâti ancien de Pézenas et, en particulier, le théâtre de la ville. Cette contribution entend également rendre hommage à son intérêt pour le théâtre.
2. Voir à ce sujet Dulait, Suzanne, Inventaire raisonné des autographes de Molière, Genève, Librairie Droz, 1967, p. 79-91. L’auteur dresse l’historique des controverses sur l’authenticité des quittances depuis 1885 et en propose une analyse graphologique détaillée.
3. Elizabeth Maxfield-Miller a publié notamment en 1963, avec Madeleine Jurgens, conservatrice aux Archives nationales, Cent ans de recherches sur Molière, sur sa famille et sur les comédiens de sa troupe, Paris, Archives nationales, IV, 859 p.
4. Les transcriptions adoptent les usages suivants : mise en page conforme au document original, restitution des lettres abrégées et notes tironiennes entre crochets [ ], restitution des accentuations, insertion des incises et omissions entre doubles crochets [[ ]].
5. Monsieur de Penautier : Pierre de Reich, sieur de Pennautier, est trésorier de la Bourse des États jusqu’à son décès en 1653. Les États de Languedoc nommaient des officiers qui géraient les intérêts languedociens entre chaque session de l’assemblée provinciale. Le plus important était le trésorier de la Bourse qui centralisait une partie des impôts et jouait le rôle de banquier de la province : Pélaquier, Élie, « Le trésorier de la Bourse », dans Durand, Stéphane, Jouanna, Arlette et Pélaquier, Élie, collab. Donnadieu, Jean-Pierre, Michel, Henri, Des États dans l’État : les États de Languedoc, de la Fronde à la Révolution, Genève, Librairie Droz, 2014, p. 175-203.
6. Monsieur Le Secq : François Le Secq est trésorier de la Bourse des États de 1634 à 1655.
7. Elizabeth Maxfield-Miller a proposé en 1967 une transcription – en partie fautive – de cet acte dans la Revue d’histoire du théâtre, n° 1967-4, octobre-décembre 1967, p. 371-375.
8. Madeleine de Béjeard : Madeleine Béjart (8 janvier 1618 à Paris-17 février 1672 à Paris), comédienne issue d’une célèbre famille de comédiens, est la fille de Jean Joseph Béjart et Marie Hervé. Elle monte sur les planches dès les années 1630 avec son frère aîné. En 1643, elle fonde avec Molière « L’Illustre Théâtre », dont elle est un temps directrice. Actrice de renom, elle partage sa vie avec Molière avant que ce dernier ne la quitte pour sa sœur cadette, Armande Béjart.
9. Marie de Courtin : Marie Courtin de La Dehors (vers 1605-1676), actrice de la troupe de Molière, est la tante de Madeleine Béjart. Elle est la demi-sœur de Marie Hervé (1593-1670), mère de Madeleine et Armande Béjart, par le second mariage de leur mère, Magdalaine Nollé, veuve Hervé, avec Simon Courtin.
10. Saint-Pierre-de-Vasolle : Saint-Pierre-de-Vassols (Vaucluse) est situé à 15 km au nord-est de Carpentras.
11. Dans l’édition de ce contrat par Elizabeth Maxfield-Miller en 1967, il est proposé de restituer les trois lettres par d[e] C[omtat] V[enaissin].
12. Jacques Ferrières : Jacques Ferrières, notaire à Pézenas, instrumente dans la cité piscénoise de 1625 à 1657. Ses minutes sont conservées aux Archives départementales de l’Hérault sous les cotes 2 E 69/4368 et 283-385.