I – Les fortifications de Saint-Guilhem-le-Désert, II – La Tour des prisons , III – Le « Cabinet du Géant »

Les fortifications de Saint-Guilhem-le-Désert :
II. La Tour des Prisons,
III. Le « Cabinet du Géant »

La Tour des Prisons

Ouvrage majeur du système défensif de Saint-Guilhem-le-Désert 1, la Tour des Prisons s’élève au nord-est de la cité, au pied de la montagne qui porte les vestiges du château de Verdun (fig. 1), édifié par les moines de l’abbaye de Gellone pour en surveiller les approches (fig. 2). C’est une construction romane de plan carré, attribuable à la seconde moitié du XIIe siècle ou au début du XIIIe. Ses murs, hauts de 18 m, sont montés dans un appareil régulier de pierre froide et de tuf, dont l’épaisseur varie entre 0,60 m et 0,99 m. Ils hébergent cinq salles successives de 3,50 m de côté, que surmonte une terrasse crénelée (fig. 3).

Abbaye de Saint Guilhem. Languedoc. Lithographie d'après un dessin de L. Hague, 1834
Fig. 1 - Abbaye de Saint Guilhem. Languedoc. Lithographie d'après un dessin de L. Hague, 1834, extraite des Voyages pittoresques dans l'ancienne France... de Taylor et Nodier, t. II, 2, p1. 256. Médiathèque centrale d'agglomération Emile Zola, Montpellier.
Tour des Prisons, vue du Sud (©. Th. Ribaldone, 2012)
Fig. 2 - Tour des Prisons, vue du Sud
(©. Th. Ribaldone, 2012).
Tour des Prisons, terrasse crénelée (©. Th. Ribaldone, 2012)
Fig. 3 - Tour des Prisons, terrasse crénelée (©. Th. Ribaldone, 2012).

Dans une monographie publiée en 1837 par Jules Renouvier, alors président de la Société archéologique de Montpellier, l’auteur, décrivant ce « donjon », évoque « les créneaux ébréchés qui le terminent, et les arbres qui ont infiltré leurs racines dans ses crevasses et le couronnement de leur feuillage. » 2 Cet état, confirmé en 1856 par le compte-rendu d’un visiteur anonyme qui parle d’une « grande tour à créneaux, aujourd’hui en ruine, dont le sommet se couronne d’arbustes et de végétations » 3, était encore celui de l’édifice avant sa récente restauration. À quelques ébréchures près, son élévation paraît donc nous être parvenue dans son intégralité depuis l’époque de sa construction (fig. 4).

Tour des Prisons, élévation Sud (©. Th. Ribaldone, 2012)
Fig. 4 - Tour des Prisons, élévation Sud
(©. Th. Ribaldone, 2012).
Tour des Prisons, porte du balcon ou du hourd (©. Th. Ribaldone, 2012)
Fig. 5 - Tour des Prisons, porte du balcon ou du hourd
(©. Th. Ribaldone, 2012).

Émergeant d’un groupe d’habitations qui l’enserrent sur trois côtés, la tour est bâtie directement sur le rocher. La salle basse, accessible au sud par une porte romane dont l’encadrement vient de retrouver sa place sous l’arc cintré à grands claveaux, est entièrement constituée d’une voûte de pierre froide en berceau assisé, haute de 2,30 m à son sommet. Au nord, elle vient buter contre la paroi rocheuse, dans laquelle est creusée une niche de la dimension d’une porte, sommée d’un arc segmentaire. On notera aussi, ménagée dans l’intrados oriental, une niche servant à l’éclairage de la pièce, laquelle devait être utilisée comme lieu de stockage (fig. 7 et 8).

Tour des Prisons, façade est et fentes de tir (©. Th. Ribaldone, 2012).
Fig. 6 - Tour des Prisons, façade est et fentes de tir
(©. Th. Ribaldone, 2012).
Tour des Prisons, élévation avant travaux, 2007 (Relevé Dominique Larpin,ACMH).
Fig. 7 - Tour des Prisons, élévation avant travaux, 2007 (Relevé Dominique Larpin,ACMH).
Tour des Prisons, projet de restauration, 2007 (Relevé Dominique Larpin, ACMH).
Fig. 8 - Tour des Prisons, projet de restauration, 2007 (Relevé Dominique Larpin, ACMH).

Précédée d’un escalier plaqué contre l’angle sud-ouest de la tour, la salle du 1er étage s’ouvre, à l’ouest, par une porte romane qui a conservé le cintre clavelé en tuf de ses deux arcs de décharge (intérieur et extérieur), ainsi que les loges latérales où glissait la barre transversale de fermeture du vantail. L’unique éclairage de cette salle, simple niveau d’entrée sans vocation militaire, consiste en une mince fente de tir ménagée à l’est, dans un ébrasement en triangle haut de 0,70 m. Un plancher, dont les trous de boulins s’alignent sur les faces nord et sud, la séparait de la salle du 2e étage qui, elle, avait une vocation défensive à en juger par les cinq fentes de tir qui se répartissent comme suit : deux au nord, du côté de la montagne, et une au milieu de chacune des autres faces. Les poutres du plancher qui la couvrait s’enfilaient, elles aussi, dans des trous de boulins percés au nord et au sud, alors que celles du plancher de la salle du 3e étage privilégiaient davantage les murs est et ouest pour ne pas affaiblir la solidité de l’ouvrage. Est-ce aussi pour cette raison que cette dernière est privée de toute ouverture et, de ce fait, uniquement vouée à l’entreposage ?

Véritable « Q.G. » de la tour en cas d’alerte, la salle du 4e étage est pourvue de six fentes de tir (deux au nord et au sud, et une sur chacune des autres faces), auxquelles s’ajoute une porte d’accès à un balcon ou un hourd, ménagée au sud, du côté du village, sous un arc cintré à grands claveaux et entre six trous de boulins (fig. 5). Ces sept ouvertures s’intercalent entre les multiples logettes d’un pigeonnier qui tapisse la totalité des murs. Comme au rez-de-chaussée, la salle est couverte d’une voûte en berceau orientée nord-sud et dont les deux cordons en quart-de-rond ayant servi à son montage surplombent le pigeonnier. À l’angle sud-ouest, s’enfonce un trou d’homme quadrangulaire permettant d’accéder à la terrasse sommitale, ceinte d’un haut parapet ponctué de merlons et dont la base accueille deux ou trois petites meurtrières selon les faces. Celles-ci étaient utilisables depuis le fond de la terrasse, tandis qu’un étroit muret accolé au parapet, formant chemin de ronde, permettait de garnir les créneaux.

Au total, une tour-beffroi exclusivement réservée à l’observation et à la défense passive (fig. 6), laquelle est en majorité concentrée sur les 5e et 6e niveaux pour mieux surveiller le val où s’étire la cité. Son remarquable état de conservation tient sans doute au fait que, lors des périodes troublées comme les conflits religieux du XVIe siècle, où l’abbaye fut pillée et saccagée par les huguenots, aucune destruction ne semble avoir été commise sur les bâtiments.

Le Cabinet du Géant

Le « Cabinet du Géant », dont les divers avatars légendaires ont été traités dans la présente revue par André Soutou 4, se dresse à flanc de montagne, sous les ruines du château de Verdun qui domine le village au nord (fig. 1). Cette grosse « tour », incluse dans l’enceinte urbaine dont la courtine restante, à l’ouest, grimpe encore à la verticale sur plusieurs dizaines de mètres, évoque d’emblée un ouvrage défensif par sa masse et sa position entre le village, en bas, et le château, en haut. Ce qu’elle fut peut-être avant d’être aménagée en colombier. À moins qu’elle ne fut construite ex-nihilo au XVIIe siècle – comme le propose André Soutou – pour remplacer ( ?) le pigeonnier du dernier niveau intérieur de la Tour des Prisons, jugé trop petit ou trop vulnérable après les attaques protestantes qui ont saccagé l’abbaye lors des guerres de Religion. Quoi qu’il en soit, le choix de son site, à présent quasi inaccessible, et son architecture, d’allure militaire, semblent bien traduire le souci qu’avaient les bénédictins de Gellone de la protéger contre toute tentative de coup de main extérieur. De plus, elle est située en bordure de l’ancien chemin d’accès au château, lequel, partant du village, passait au pied de sa façade, tenu par un mur de soutènement dont il reste peut-être quelques assises, puis continuait vers l’est, avant de s’engouffrer dans une faille de la falaise pour atteindre les abords du château, sur le versant nord de la montagne.

Fondé sur un socle rocheux légèrement exhaussé, le Cabinet du Géant est une construction oblongue de 6,40 m sur 6 m, dont le quatrième côté est constitué par la paroi lisse de la falaise contre laquelle elle s’appuie (fig. 9). Montés en assises de moellons dégrossis de tailles diverses et tenus aux angles par des chaînes harpées, ses murs, d’une hauteur d’environ 15 m (soit, à peu de choses près, l’élévation primitive), ne dépassent pas 0,70 m d’épaisseur à la base. On entrait à l’intérieur par une porte percée en façade, près de l’angle sud-ouest, à 2,80 m au-dessus du chemin d’accès. De section rectangulaire, cette porte mesure 1,73 m de haut sur 0,94 m de large (fig. 10). Une gaine, ménagée dans le piédroit ouest (l’autre a disparu avec le piédroit est et le linteau d’origine, remontés depuis), indique qu’elle était fermée par une barre transversale. La salle du rez-de-chaussée, probable lieu de stockage dépourvu d’autres ouvertures, était couverte d’un plancher dont témoignent les deux rangées de trous de boulins qui trouent les façades latérales.

Cabinet du Géant, façades sud et est (© Th. Ribaldone, 2012).
Fig. 9 - Cabinet du Géant, façades sud et est
(© Th. Ribaldone, 2012).
Cabinet du Géant, façade sud, porte d'entrée et trous de boulins
Fig. 10 - Cabinet du Géant, façade sud, porte d'entrée et trous de boulins du 1er étage (© Th. Ribaldone, 2012)

La communication avec le 1er étage – le colombier proprement dit – devait se faire par une échelle de meunier, dressée dans un coin de la pièce. Occupant tout le niveau supérieur, celui-ci comporte une double rangée de trous de boulins carrés. La première en compte neuf, séparés par deux grandes brèches qui furent peut-être des jours ébrasés.

Ces boulins étaient munis, vers l’extérieur, de perchoirs faits de pierres plates aujourd’hui brisées. La seconde rangée, située au-dessus des brèches, en aligne 21, qui conservent tous leur perchoir intact. Ce colombier était clos par un toit de dalles en appentis reposant sur une charpente en bois, comme l’attestent les loges des poutres alignées sur les faces latérales de la tour et les quelques dalles encore fichées dans la rainure qui creuse la paroi nord de l’édifice. Un mur protecteur encadre ce toit sur les trois côtés bâtis, dont celui de la façade est, échancré d’une ouverture large d’un peu plus de 4 m, encore pourvue de ses piédroits. Elle est soulignée par quatre trous de boulins (fig. 11) qui devaient supporter une galerie boisée en surplomb, dont on peut penser qu’elle pouvait défendre la porte du colombier en cas de besoin. À l’est de cette sorte de « hourd » tardif qui domine la toiture, le mur en retour d’équerre présente une petite fente ébrasée, faite de quatre pierres plates, qui surveille le chemin du château avant qu’il ne pénètre dans la faille menant aux ruines et dont l’aspect n’est pas sans évoquer une meurtrière pour arme à feu portative.

Cabinet du Géant, le colombier et l'emplacement de la galerie boisée (© Th. Ribaldone, 2012).
Fig. 11 - Cabinet du Géant, le colombier et l'emplacement de la galerie boisée
(© Th. Ribaldone, 2012).

Presque invisible à cause de la végétation touffue qui la parasite, une seconde construction achève de se ruiner dans le prolongement occidental du colombier. Celle-ci, dont ne subsiste qu’une faible partie du bâti, a été manifestement accolée après-coup. Édifiés dans un appareil plus rustique, mais d’une épaisseur analogue, ses murs dessinaient un quadrilatère de 5,80 m sur 4,40 m et ne comportaient qu’un seul niveau, lequel était lui aussi couvert d’un toit en appentis de pierres plates, comme en témoigne la rainure de fixation courant sur la paroi rocheuse où il s’appuie. On y accédait par une porte qui devait s’ouvrir au sud, à l’instar de celle du colombier.

Jusqu’à preuve du contraire, il n’existe aucun document d’archives mentionnant le Cabinet du Géant avant le cadastre de 1829, où la parcelle sur laquelle il se trouve est nommée Le Colombier (A. Soutou, p. 111). D’où la difficulté de lui attribuer une date précise. On peut arguer que sa situation à l’intérieur du système défensif du village et de l’abbaye implique qu’il fut construit quand le château de Verdun et l’enceinte urbaine étaient encore suffisamment opérationnels pour lui assurer une certaine protection, ce qui expliquerait pourquoi les moines l’ont installé dans un endroit aussi peu commode d’utilisation. A. Soutou le date du XVIIe siècle « au plus tôt » : son érection en ce lieu pourrait alors être consécutive aux guerres de Religion du XVIe siècle, mais on ignore si le château était toujours en état de remplir son rôle à cette époque car il n’y est fait aucune allusion lors des attaques huguenotes de l’abbaye. D’autre part, la tour qui l’héberge n’a pas, dans sa conception, de point commun avec celle des Prisons (fin XIIe ou début XIIIe), ni avec sa contemporaine, la tour de Plancameil 5, à propos de laquelle B. Phalip écrit, dans son étude sur les moulins à eau du Moyen-âge 6, que les dispositions du pigeonnier qui la couronne « sont à rapprocher de celles du château du Verdus à Saint-Guilhem-le-Désert ». Seule la découverte d’éventuels éléments de mobilier aisément datables (comme des tessons de poteries) pourrait permettre d’en apprendre un peu plus sur cet édifice énigmatique.

Conclusions

L’étude de la Tour des Prisons et du « Cabinet du Géant » complète la précédente étude sur le château de Verdun 7 et sera à poursuivre avec les portes (Porchet et porte d’entrée du village) et le tracé général de la ligne de fortifications. La tour élevée sur le portail d’entrée de l’abbatiale (le « jumel ») au milieu du XIVe siècle fera l’objet d’une publication particulière qui met en relief l’ensemble des constructions de la façade occidentale.

On constate une évolution dans la défense du village avec abandon des constructions des hauteurs et utilisation de l’enceinte pour l’essentiel jusqu’au XIXe siècle. Si la Tour des Prisons a été heureusement conservée, il n’en est pas de même d’une autre tour qui se trouvait plus à l’ouest, au-dessus des immeubles dans lesquels sera établie au XVIIe siècle la chapelle des Pénitents (fig. 1), et qui fut démolie au début du XIXe (comme le fut l’ancien hôpital, à la sortie du village vers la vallée du Bout du Monde) 8.

Il convient enfin de mettre en relief le fait que les datations proposées sont rarement fondées sur des textes et que les deux tours ici étudiées n’ont donné lieu à aucune recherche archéologique, ce qui semble aujourd’hui impossible pour la Tour des Prisons mais souhaitable pour le « Cabinet du Géant », dont l’établissement à cet endroit et le fonctionnement avec le château qui le domine demanderont de nouvelles études.

Notes

 1.  Les autres éléments encore subsistants en sont le Portail de Théron (ou Porchet) et sa courtine, à l’ouest du village, le Fort Saint-Laurent (ancienne église éponyme), et la Porte de Ganges, à l’est, face à l’Hérault.

 2.  Jules Renouvier, Joseph-Bonaventure Laurens, Histoire, antiquités et architectonique de l’abbaye de Saint- Guilhem-du-Désert. Montpellier 1837. p. 31.

 3.  « Visite à Saint-Guillem-le-Désert (Département de l’Hérault) », Le Magasin Pittoresque 1856, XXIV, p. 294. Nous remercions M. Dominique Larpin, architecte en chef des Monuments Historiques, d’avoir bien voulu nous permettre de publier ses relevés de la Tour des Prisons.

 4.  André Soutou, « Les avatars légendaires du colombier de Saint- Guilhem-le-Désert ». Études sur l’Hérault, n°7-8, 1991-1994, p. 111-114.

 5.  Tour et moulins situés à moins de 1 km en aval de Saint-Guilhem, sur la rive droite de l’Hérault.

 6.  B. Phalip, « Le moulin à eau médiéval : problème et apport de la documentation languedocienne, bassins de l’Hérault. Orb et Vidourle ». Archéologie du Midi médiéval, tome X – 1992, p. 69.

 7.  J.-Cl. Richard (avec la collaboration de M. Bompaire, S. Bonnaud, D. Foy, J. Labrot, Th. Ribaldone, A. Riols et L. Schneider) « Les fortifications de Saint-Guilhem-le-Désert-Hérault). 1- Études préliminaires sur le Château de Verdun ». Archéologie en Languedoc, 29, 2005 p. 135-158.

 8.  Un dessin d’Amelin représentant le linéaire du village depuis le Grand Chemin du Val de Gellone laisse apercevoir cette tour. Dans une délibération du 29 prairial An 2 (17 juin 1794), la Municipalité manifesta l’intention de détruire les deux tours : « Le Maire (Antoine Bougette) a dit qu’il existait dans notre commune deux tours desquelles, de temps en temps, se détachent quelques pierres qui se roullent jusques au bord des maisons des habitants de ce lieu, et qu’il y a même à craindre d’un côté d’une tour un écroulement considérable qui pourrait nuire aux maisons voisines des dites tours, si malheureusement l’écroulement s’effectuait, d’ailleurs elles sont si visibles qu’elles nous rappellent journellement la féodalité et l’ancien régime, que les yeux des bons républicains comme nous ne voyons qu’avec horreur. Comme aussi un cazal à l’extrémité du village appelé vulgairement l’hôpital où il y a des arceaux en l’air menacent une ruine prochaine, et des murailles qui ont perdu son aplomb, du bas en haut, de plus de quatre pans de différence et qu’infailliblement tomberont d’elles mêmes, Sur quoy le Maire est d’avis d’abattre jusques rez de chaussée les deux tours et le susdit cazal en demandant la permission a qui de droit… »