Les évènements de 1907 dans le Midi viticole par les expéditeurs de cartes postales
Les évènements de 1907 dans le Midi viticole
par les expéditeurs de cartes postales
p. 155 à 162
À une époque où les journaux, à l’exception de quelques hebdomadaires parisiens (l’Illustration, le Petit Journal…), ne comportaient aucune illustration, les cartes postales1 constituaient le seul moyen de faire connaître les événements importants : inondations, catastrophes, explosions de navires, visites de chefs d’État…
Il en a été ainsi pour les manifestations du Midi viticole en 1907.
De très nombreuses cartes postales ont été éditées sur ces mouvements2 : caricatures et photos des dirigeants, vue des diverses manifestations ou des événements de Béziers, Perpignan et Narbonne. De plus, certains photographes ont commercialisé des tirages photographiques, les « photocartes ».
Ces cartes étaient mises en circulation très rapidement : c’est ainsi que j’ai dans ma collection une carte représentant la manifestation de Carcassonne du 26 mai et postée dans cette ville le 3 juin, soit 7 jours entre l’événement et la mise en circulation !
Beaucoup de ces cartes ne portent aucun texte ou des textes sans rapport avec les événements.
Mais il arrive que les expéditeurs se soient servis de ce support pour expliquer le sujet ou pour faire part, à chaud, de leurs impressions, qu’elles soient favorables ou défavorables. Certains peuvent être des militaires appartenant aux régiments appelés pour maintenir l’ordre.
Ce sont ces textes que j’ai recherchés dans les cartes de ma collection et que je présente ici en distinguant les cartes écrites par des civils et celles écrites par des militaires3. Pour ces dernières, j’ai fait une place particulière à une série de 19 cartes envoyées par un officier du 99e régiment d’infanterie à son épouse ou à ses parents entre son arrivée à Montpellier le 22 juin et le 1er août 1907 (correspondance Barthélémy).
Rappelons d’abord les dates des manifestations de ce printemps 2007 et le nombre de manifestants :
- 5 mai Narbonne (80 000) ;
- 12 mai Béziers (150 000) ;
- 19 mai Perpignan (180 000) ;
- 26 mai Carcassonne (200 000) ;
- 2 juin Nîmes (250 000) ;
- 9 juin Montpellier (600 000).
Les cartes envoyées par des civils
Le texte est quelquefois une simple explication de la carte :
- Vous remarquerez l’homme à pain de sucre. Tous les comités sont à la maison de Montpellier. Par cette carte vous verrait un peu les passants qu’il y avait. (20 juin 1907 4 sur une photocarte de la manifestation de Montpellier).
- Je vous envoie ces vues photographiques pour vous donner une idée des mouvements qu’il y a chez nous depuis deux mois. (25 juin 1907 – Manifestation de Carcassonne).
- Poussan le 7 juillet 1907 Je t’envoie cette carte qui représente un sucrier pendu. C’est un souvenir de la manifestation de Montpellier où nous étions plus de 700 000 personnes. (7 juillet 1907 – Carte représentant l’exécution en effigie d’un fraudeur). (Fig. 1)
- (Cette carte) est et sera historique. C’est à la croisée de gauche qu’on avait mis le feu et ce qui n’avait pas été consumé en dedans on l’avait mis en tas devant la porte. La grande porte a été aussi brulée aux 3/4. On ne l’aperçoit pas. Il ne s’était jamais vu des choses pareilles. Du côté vue : La croix indique les paperasses brûlées dans l’intérieur de la mairie le 16 mai 1907. (17 juillet 2007 — Émeutes de Béziers du 16 mai — La mairie gardée militairement). (Fig. 2)
- Barricades élevées à l’entrée de toutes les rues aboutissant à la place de la mairie pour empêcher à la cavalerie de circuler, enlevées par les fantassins du 139e. (30 juillet 1907 – Carte représentant l’enlèvement des barricades).
Sur une autre photocarte (Fig. 3) représentant un groupe de manifestants et postée le 21 juillet, on trouve :
- au recto : Voilà les marcheurs à pied. Ils ont fait 65 km. Ils sont partis de Portel pour se rendre à Carcassonne 26 mai 1907.
- au verso : Nous t’envoyons ce souvenir des manifestations viticoles du Midi. Ceci n’est qu’un groupe… Si tout ce dévouement aboutissait à quelque chose ce ne serait pas malheureux mais au contraire… Cette carte te fera plaisir car tu y trouveras d’anciennes connaissances. Zéphirin qui n’était pas des derniers pour marcher ; Valence qui le suivait partout ; tu y verras aussi notre ouvrier celui qui est dans le premier rang entre Papy Paul et Alexandre Barthe.
Certains nous donnent davantage de détails sur les événements du Midi viticole et son principal initiateur, Marcellin Albert ; ce sont, cependant, des réactions individuelles sans en général une vision d’ensemble du mouvement :
- J’ai tenu à t’envoyer la photographie de l’apôtre viticole. Ilse passe un remue ménage par ici qui n’est pas ordinaire. Tous les maires et conseillers municipaux ont démissionné. Tout le monde croit d’en voir encore davantage si le temps ne s’arrange pas. Je viens de lire sur le journal de ce matin que le 100e est parti pour Nancy et remplacé par un régiment colonial de Paris. C’est la suite de vouloir marcher contre les manifestants. Il nous tarde que cela finisse. (14 juin 1907 – Carte représentant Marcellin Albert expédiée de Lézignan).
- Je viens d’acheter les 5 cartes de la manifestation de Montpellier. Ici il y a le 7e d’infanterie de Cahors et un régiment de cuirassiers à arriver… Et Albert M. où est-il ? (22 juin 1907 – Carte de la manifestation de Montpellier expédiée de Carcassonne).
- Béziers quoique tranquille est gardé militairement. Des patrouilles à cheval sillonnent les divers quartiers. Aux environs on a enlevé les rails du chemin de fer. Hier les magasins étaient fermés. (24 juin 1907 – Carte de la manifestation de Béziers).
Sur une photocarte non datée représentant Marcellin Albert en tête du cortège de Montpellier, l’expéditeur critique sévèrement le gouvernement : « Et ce calme durerait encore sans l’incohérence criminelle qui préside aux destinées de la France ».
Les textes sont quelquefois plus enthousiastes :
- Ce que l’on voit à Montpellier aujourd’hui dépasse toute imagination. Excuse moi d’écrire au crayon mais impossible d’avoir de l’encre. (9 juin 1907 – Carte avec vues de Montpellier et légendée Vive Marcellin Albert – Souvenir de la manifestation viticole de Montpellier – 9 juin 1907).
- Rien de nouveau ici. Tout Calvisson est à Montpellier aujourd’hui. (9 juin 1907 –Carte de la manifestation de Nîmes).
C’est le cas également de cette jeune femme qui écrit le 20 juin 1907 à sa grand-mère à Paris sur une carte de la manifestation de Narbonne : Ici nous sommes en plein mouvement à cause des meetings que l’on fait chaque dimanche. J’ai assisté à celui de Narbonne et de Béziers et chaque fois ils deviennent de plus en plus importants.
Sur certaines, la réserve est de mise. C’est ainsi qu’un nîmois envoie le 8 juin 1907 une photocarte (Fig. 4) de la tête du cortège de Nîmes en précisant : « 1 Mr Crouzet maire ; 2 Marcellin Albert promoteur du mouvement – Vue prise au commencement de la manifestation – La manifestation comprenait Bld de la république – Tour de ville – et tour de l’Esplanade soit à mon avis : 100 à 120 000 manifestants au maximum. » et ce alors que les organisateurs donnaient le chiffre de 200 000 participants !
D’autres enfin peuvent être franchement hostiles. C’est le cas d’un employé 5 des Contributions Indirectes qui, le 11 juillet, envoie deux cartes à des amis grenoblois.
Sur l’une, représentant Marcellin Albert en tête du cortège de Montpellier, il écrit : « Le Monsieur dont la chemise est ornée d’une croix représente le grand citoyen Marcellin Albert, le Rédempteur du Midi comme on dit ici. Comme le Christ son prédécesseur dans un autre objet, il gémit en ce moment sur la paille humide des cachots Montpelliérains. Nous somme revenus au calme apparent, mais les troupes continuent de garder la ville ».
La deuxième porte un texte plus sobre : « Souvenir de la grrrrande manifestation viticole du 9 juin1907, manifestation plus agréable que celles qui l’ont suivie. » (Meeting de Montpellier – Arrivée des délégations Baixas – Marsillargues – Catalanes).
Les cartes militaires
Les militaires des régiments envoyés à la mi-juin pour maintenir l’ordre n’hésitent pas à envoyer à leur famille des cartes postales représentant les différentes manifestations. Les expéditeurs sont en général anonymes mais ils donnent parfois le régiment auquel ils appartiennent. Leurs commentaires sont intéressants et il est amusant de constater qu’ils ont posté leur courrier directement à la poste au lieu de le confier au vaguemestre du régiment ; certes ils devaient payer l’affranchissement mais cela leur permettait de dire tout ce qu’ils pensaient sans craindre la censure.
Ils se plaignent, quelquefois avec humour, des conditions dans lesquelles ils se trouvent et de leur attente :
- Je vous envoie le meeting de Montpellier qui fut le commencement du mouvement viticole et qui n’est malheureusement pas près de finir. La villégiature du 10e cuirassé n’est pas terminée hélas. Un militaire du 10e cuirassé 6 détaché aux environs de Narbonne. (27 juin 1907 – Le défilé Place de la Comédie).
- Nous sommes à Montpellier depuis le 17 juin pour les manifestations, et je commence à languir, nous sommes toujours a tant de recevoir quelque mauvais coup. Mais ce qu’il me console, c’est que c’est 10 jours à faire épuis c’est finie, nous quitterons le costume militaire. (30 juin 1907 – carte de la manifestation de Montpellier) 7.
- Coursan près Narbonne 1er juillet – Ce bon Marcellin Albert « le Rédempteur » me fait passer les 28 jours excellents et certainement inoubliables. Je ne sais pas encore ce que c’est que de coucher dans un lit, en campagne, nous transportons chaque jour nos pénates dans des cantonnements divers et même jusque sur les bords de la mer Méditerranée… Il me tarde de revenir à Soissons. (1er juillet 1907 – carte représentant un groupe de Narbonnais) 8.
- Toujours ici, rien de nouveau nous ne savons toujours pas lorsque nous repartirons. (17 juillet 1907 – carte photo de militaires du 52e d’infanterie) 9
- au recto : Regardez parmi ces malheureux un que vous connaissez – Paul; au verso : Coursan le 30-7-1907. Suis heureux de vous annoncer que contrairement à ce que je vous ai dit nous n’allons pas à Toulouse. Nous retournerons probablement à Aurillac. (Carte représentant le 139e sur le Bd Gambetta à Narbonne) (Fig. 5) 10.
- Je te plaindrais si tu devais venir ici faire ton service militaire car l’on est pas aussi bien vu que cela, à peine si l’on peut trouver de l’eau pour boire même des fois nous n’en avons pas pour nos repas. Louis 80e régiment d’infanterie 9e compagnie Narbonne. (7 septembre 1907 – carte de la manifestation de Narbonne) 11.
Ils racontent aussi ce qui se passe dans les villes ou ce qu’ils font :
- 20/6/07 – 6 heures soir Ce soir tout est calme. Cependant on craint des troubles. On sable les rues. Le 2e dragon arrive ce soir de Lyon. Je ne crois pas cependant qu’il y ait grand bruit. (Marcellin Albert et un fraudeur sur une carte adressée à Montélimar sans doute par un militaire du 52e).
- Je vous envoie l’image d’une de mes distractions, garde, piquet, etc., etc. Tout est calme et je ne sais pas ce que nous faisons ici. Resterons sans doute jusqu’à la fin du mois. (Photocarte représentant une section du 52e régiment d’infanterie : un lieutenant, un adjudant, 21 hommes et un clairon ; elle porte au recto l’indication Montpellier juin 1907 Les troubles du midi – section de garde à la prison où est Marcellin Albert) (Fig. 6).
- J’ai terminé ma semaine avec succès sans un seul jour de consigne. Ici toujours très peu de permission 9 h et c’est tout. On nous fait coucher de bonne heure. Demain nous allons à Palavas prendre un bain. Ici toujours des troupes en quantité. (8 juillet 1907 – carte de la manifestation de Montpellier adressée sans doute à son père à Lyon) 12.
Sur une carte de la manifestation de Béziers mais non datée (texte incomplet car écrit sans doute sur 2 cartes), un militaire informe son correspondant : « Au dernier moment – le contrordre arrive. Tout mouvement de troupes suspendu – Nous n’allons donc pas à Agde, pour le moment. Les municipalités sont démissionné et Agde ne peut nous recevoir, personne ne voulant prendre l’autorité de signer les logements. Du reste, ce n’est pas calme par là. Chaque jour il y a quelque chose qui se produit dans une ville ou dans une autre. »
Mais que penser de cette carte représentant la manifestation de Montpellier adressée le 14 juillet 1907 à un lieutenant-colonel au 45e régiment à Laon avec ces simples mots : « Félicitations au nouveau promu ». Humour involontaire ou simple coïncidence ?
Enfin, une carte me pose problème ; le 16 décembre 1907 un militaire envoie anonymement à un ami une carte de la manifestation de Montpellier avec ces mots énigmatiques : « Tu vois bien que tu as su ce que je te disais sur l’épidémie. La maladie a à peu près disparue. Quant à moi, j’ai été jusqu’ici sain et sauf. J’ai assisté moi et toutes les troupes de Montpellier à la dégradation militaire d’un type de la 3e compagnie. » S’agit il d’une réelle épidémie, ou est-ce une évocation, à mots couverts, de l’agitation qui avait eu lieu dans les casernes méridionales quelques mois plus tôt ?
Les cartes de la correspondance Barthélémy
Il s’agit de 19 cartes postales envoyées entre le 22 juin et le 1er août 1907 (avec certainement un trou entre le 19 et le 31 juillet) par un militaire nommé François Barthélémy. Pour la plupart ce sont de simples vues de Montpellier mais deux sont des cartes de la manifestation de Montpellier. Ces cartes sont expédiées à son épouse ou, pour deux d’entre elles, à ses parents. François Barthélémy appartient au 99e régiment d’infanterie stationné en temps ordinaire à Lyon 13. Il est originaire de Luc en Diois (Drôme) et ses beaux-parents habitent Les Abrets (Isère). Bien que son grade n’apparaisse nulle part, divers détails montrent qu’il s’agit probablement d’un officier : chambre à part, organisation du cantonnement, lecture du journal au lit le dimanche, convocation au rapport…
La description quasi journalière des événements fait de ce militaire à la fois un acteur et un spectateur privilégié de ce qui se passe non seulement à Montpellier mais aussi dans toute la région. Cela explique la place que j’ai accordée à ce fonds.
Il nous livre d’abord des détails sur l’activité des militaires envoyés à Montpellier pour le maintien de l’ordre :
- Nous sommes arrivés hier à 11 h du soir et jusqu’à ce soir 7 h nous n’avons pas bougé. Ce soir nous faisons barrage dans les rues à 100 m environ au delà de la Préfecture. (22juin à ses parents).
- Tout va bien ici ; hier soir nous avons barré les rues de 7 h 1/2 à minuit 1/2 et tout a été pour le mieux. Aujourd’hui dimanche quartier libre j. q. 5 h du soir ; aussi nous en avons profité pour visiter la ville avec M. Chaurion14. On voit autant de militaires que de civils. S’il n’y a rien ce soir, ce que l’on suppose, ce sera le départ du calme complet. (23 juin).
- Tout s’est passé pour le mieux hier soir, n’avons absolument rien vu et à 1 heure du matin nous rentrions nous coucher. Aujourd’hui dimanche autorisation de sortir jusqu’à 5 h du soir. J’en ai profité pour visiter la ville qui n’est pas mal du tout. Quant à la rentrée, nous en ignorons la date mais tout semble être terminé ici et s’il n’y a rien ce soir, la suite sera calme. (23 juin à ses parents sur une carte de la manifestation de Montpellier).
- Hier dimanche tout s’est bien passé. A 8 h du soir, nous occupions les mêmes emplacements que la veille. Des barrages ont été formés à chacune des rues et à cette heure où nombre de promeneurs étaient encore hors de chez eux on a reçu l’ordre formel de ne laisser entrer personne ; cette situation a duré j. q. à 11 h et malgré l’importance de ce quartier rendu inaccessible, rien, rien, aucune manifestation. A minuit nous recevions l’ordre de rentrer. Montpellier est calme au possible ; quant aux villes environnantes, on ne sait trop ce qui s’y passe car les journaux sont loin souvent de l’exactitude de ce qu’ils publient. (24 juin).
- Je vous en supplie ne croyez pas tout ce que racontent les journaux. Montpellier est calme comme si jamais il n’avait été question de crise viticole. Quant aux changements de garnison, je n’y crois pas du tout…Cette carte postale te représente la place où avant hier se trouvait mon bataillon avec un escadron de dragons. A minuit le combat finit, faute de combattants. (28 juin sur une carte montrant le Palais de Justice et la prison avec la mention manuscrite : « Prison où sont enfermés Dr Ferroul et Marcellin Albert – Souvenir du 26 juin 1907 de 8 h du soir à minuit »). (Fig. 7)
- Rien de neuf à Montpellier, si ce n’est que le même calme règne ici comme le jour de notre arrivée…Quant au service, il est très réduit et on se tient seulement prêt à marcher au 1er signal. (30 juin).
Nous y trouvons également des détails sur les conditions de vie des militaires :
- Ce matin à 4 h nous avons été réveillés en sursaut et l’(ordre ?) a été donné de conduire en entier le régiment aux bains de mer à Palavas, plage à 10 km d’ici ; nous embarquions à 5 h par chemin de fer et étions de retour à 9 h ½. (24 juin).
- Rien de nouveau ici si ce n’est qu’il y a des séances d’exercice qui en valent la peine. (5 juillet).
- Toujours rien de nouveau quant à notre départ. Toutefois les militaires de la classe 1903, c’est à dire ceux qui seraient libérables en septembre prochain seront renvoyés malgré tout. Les nôtres partent pour Lyon après demain et seront libérés le 12. Ce n’est pas du tout ce que l’on croyait. (8 juillet) 15.
- En somme, sauf notre séparation, je n’ai pas à me plaindre et le 99e est tout à fait bien partagé quant au confortable ; d’autres régiments, en particulier la cavalerie, sont plus à plaindre que nous : voilà 1 mois bientôt qu’ils couchent à la belle étoile. (15 juillet).
Il nous donne quelquefois ses impressions sur la ville de Montpellier ; elles sont contradictoires et parfois peu flatteuses :
- Aujourd’hui dimanche autorisation de sortir jusqu’à 5 h du soir. J’en ai profité pour visiter la ville qui n’est pas mal du tout. (23 juin à ses parents).
- Dimanche je suis allé me promener au Peyrou, jardin public de la ville dont les Montpelliérains font un gros plat mais qui est loin de valoir le parc de Lyon. Cet après-midi, je suis allé à la musique et j’ai pu remarquer que même pour une Préfecture, les toilettes ne sont pas du tout brillantes. (30 juin).
Mais surtout, au delà des informations sur ce qui se passe, il nous livre ses réflexions sur la situation et son évolution. Il s’en dégage parfois un sentiment d’inutilité qui se manifeste par le souci récurrent de l’obtention d’une permission et du retour du régiment à Lyon. Il insiste beaucoup sur le calme qui règne à Montpellier.
- Toujours le même calme aujourd’hui… Pour quand notre retour ? Si ce calme continue, j’espère que bientôt on nous fixera le jour du départ mais jusqu’ici il n’en a pas été question du tout. (26 juin).
- Ma carte représente l’établissement occupé par le 99e… Ici tout est toujours aussi tranquille et il y a lieu de croire que l’heure du départ est proche. (29 juin sur CP montrant le Collège catholique).
- Ici c’est toujours la même chose et ce qui fait languir surtout c’est cette incertitude dans laquelle nous sommes depuis le jour de notre arrivée. (2 juillet).
- Ici toujours rien de nouveau. Demain dimanche si la réunion des Maires a lieu il pourrait se faire qu’une entente jaillisse de là et que nous sachions enfin à quoi nous en tenir avant la fin de la semaine prochaine. Cet état de choses ne peut pas durer ainsi et une solution est nécessaire. (6 juillet).
- Quant aux Maires, ils maintiennent leurs démissions et tout cela est loin d’arranger bien les choses. Nous sommes donc encore ici pour un temps très indéterminé sans avoir maintenant la moindre ressource qui puisse nous laisser supposer la moindre date quant à notre retour. (8 juillet).
- Le même calme et la même tranquillité règnent ici depuis notre arrivée. Vraiment je n’aperçois guère la crise viticole ; il est vrai que Montpellier, quoique du Midi, n’a pas grande maille à partir pour les vins, mais il n’en est pas moins vrai que la municipalité qui avait donné le bon exemple en reprenant ses fonctions aura probablement un assentiment contraire de la part de la population au referendum de dimanche prochain. Rassurez vous ce sera calme et n’en croyez rien de tout ce que pourront vous dire les journaux. Toutefois je vous tiendrai au courant des événements au cas où quelque chose d’imprévu se produirait… La classe est partie ce matin sans incident. (10 juillet).
- Nous pourrions recevoir l’ordre de rentrer d’un moment à l’autre. En effet les choses semblent s’arranger et prendre bonne tournure. (11 juillet).
- Il me semble que la situation s’améliore tous les jours davantage et que sous peu nous pourrons avoir des chances d’être fixés pour le retour. Je ne sais pas ce qui pu pousser cette dame à te dire que le 99e resterait à Montpellier ; il n’en a jamais été question et je serais fort étonné que nous les 1ers intéressés n’en sachions rien. Quel drôle de 14 juillet à Montpellier ! Ce matin nous sommes sortis un instant avec Mr Chaurion, avant le déjeuner : je n’ai pas compté les drapeaux, mais je suis bien sûr que je n’en ai pas vu 50 en tout. Quant à la tranquillité, elle n’a pas changé et ce soir les hommes ont tous la permission de 10 heures ; c’est vous dire qu’on ne craint aucune effervescence et que cet état de chose oblige tout le monde à se demander souvent ce qu’on attend pour nous renvoyer. Clémenceau restant seul maintenant prendra peut être d’autres mesures à sa façon car nous ne pouvons pas rester ainsi longtemps encore. (14 juillet).
- C’aurait été une vilaine farce pour moi si ton canard de l’autre jour avait été vrai mais il n’en est rien et j’espère retourner à Lyon… M. Chaurion est parti ce soir à 4 heures pour une permission de 3 jours ; si d’ici son retour il n’est pas question de notre rentrée à Lyon, je demanderai la même faveur… (15 juillet).
- Toujours aucune nouvelle au sujet de notre départ. Néammoins une détente semble se prononcer et d’après ce qui se dit ici, il y aurait bien des chances pour que notre séjour ne se prolonge pas longtemps encore ! M. Clémenceau aurait, dit-on, tenu avec M. Aldy, député de Montpellier 16, les propos suivants : les Chambres une fois en congé, les prisonniers seront mis en liberté et les troupes renvoyées. Dimanche 14 juillet et lundi 15, jour férié, il n’a guère eu le temps de s’occuper de cette question, mais on espère qu’aujourd’hui aura été prise à notre égard une décision quelconque… Que sera-t-elle on l’ignore encore. Le même calme règne toujours ici. (16 juillet).
- Je suis obligé de t’écrire que malgré tout le calme, nous ne sommes pas encore partis. Aussi je suis disposé à demander ma permission de 3 jours. (18 juillet).
Il est probable que la permission lui a été accordée et qu’il a été absent de Montpellier entre le samedi 20 juillet au soir et le mercredi 24 juillet au matin (ainsi qu’il le disait à son épouse).
La dernière carte de la correspondance (mais il en manque sans doute quelques unes de la fin juillet) est datée du 1er août (Fig. 8). Elle évoque la libération des prisonniers : CP représentant le Collège catholique avec la mention manuscrite Événements du Midi – Casernement occupé par le 99e d’infanterie du 21 juin au Madame Chaurion reçoit aussi un journal « le petit méridional » qu’elle te montrera et sur lequel on peut lire quelques paroles qui sont tant soit peu rassurantes. Le calme ici semble s’accentuer tous les jours davantage et nous attendons impatiemment la mise en liberté des prisonniers avec cet espoir que ce sera le clou de l’apaisement. A mon avis, nous ne serons plus ici avant 8 jours. 17
Les prisonniers seront libérés le 2 août mais j’ignore la date du retour du 99e régiment à Lyon…
Que retenir de cette rapide présentation sans s’engager pour autant dans les commentaires d’un fait historique à fortes résonances sociales et économiques, sinon politiques ?
C’est tout d’abord, même s’il n’est que brièvement évoqué, le rôle de la presse ; elle ne paraît pas avoir toujours été aussi objective qu’il l’eût fallu (voir par exemple les cartes de F. Barthélémy des 24 juin, 10 juillet et 1er août). Ensuite, et c’est une confirmation, les événements de l’actualité bénéficient presque sur le champ d’une représentation imagée à diffusion facile ; les cartes postales permettent justement de pallier les carences de la presse écrite, sans pour autant cependant toucher un public aussi large qu’elle. Enfin, le nombre de cartes émanant de militaires confirme l’ampleur des moyens mis en œuvre par Clémenceau (on parle de 1 militaire pour 2 habitants à Narbonne) pour contenir une éventuelle extension du mouvement. Les grandes grèves de 1904 et les Inventaires (eux aussi largement représentés sur les cartes postales) vivaient encore dans toutes les mémoires et pouvaient justifier un tel déploiement. Procès d’intention ou réaction devant une menace réelle ? C’est aux historiens sociaux qu’il appartient d’éclairer les tenants et aboutissants de la « Révolte des Gueux »…
Notes
1. Rappelons qu’en France les premières cartes postales photographiques sont éditées en 1891 ; il faudra attendre novembre 1899 pour que la Poste mentionne les cartes postales illustrées dans un tarif.
2. A ma connaissance, aucun inventaire complet des cartes éditées n’a été fait. En se basant sur les divers catalogues qui les répertorient, je pense que leur nombre dépasse 500.
3. J’ai, bien entendu, respecté l’orthographe des textes.
4. La première date donnée est celle d’envoi de la carte postale.
5. Cet homme est un humoriste (!) car il ajoute « La maison marquée d’une + représente la Direction des Constipations Indigestes (la Régie pour le public) où se trouve le bureau dans lequel je travaille comme un martyr pendant… 7 heures par jour ».
6. Le 10e régiment de cuirassés était stationné à Lyon. Tous les renseignements relatifs à la localisation des régiments sont extraits d’une carte publiée dans Études sur l’Hérault (XIII – n° 2 – 1982) consacré au cahier d’Élie Castan, mutin du 17e.
7. Cette carte envoyée à Brignais (Rhône) est sans doute écrite par un militaire du 99e régiment d’infanterie, basé à Lyon. En effet, dans la correspondance Barthélémy, on trouve trace d’un départ le 10 juillet des militaires libérables.
8. Il s’agit sans doute d’un réserviste faisant ses « 28 jours », c’est à dire la première période de rappel des réservistes libérés deux ans plus tôt. Rien n’indique à quel régiment il appartenait. La carte publiée dans Études sur l’Hérault ne mentionne la présence d’aucun régiment venant de garnisons au nord de la Loire.
9. Le 52e régiment d’infanterie était stationné à Montélimar et avait été envoyé à Montpellier.
10. Le 139e régiment d’infanterie était stationné à Aurillac.
11. Le 80e régiment d’infanterie était stationné à Tulle. La date montre que « l’occupation » a duré tout l’été 1907.
12. Il s’agit sans doute là encore d’un militaire du 99e régiment d’infanterie puisque l’indication d’une baignade de la troupe à Palavas est mentionnée sur une carte de la correspondance Barthélémy.
13. A Montpellier, ce régiment est hébergé au Collège catholique ainsi que l’indiquent deux cartes postales du fonds. Un détail architectural (le chevet néo gothique de l’église) laisse à penser qu’il s’agit de l’Enclos St François.
14. Sans doute un autre officier du même régiment.
15. Il s’agit sans doute des réservistes faisant leur période de rappel.
16. F. Barthélémy commet ici une erreur : Félix Aldy était député de Narbonne et non de Montpellier.
17. Quand F. Barthélémy parle d’un retour progressif au calme, il évoque sans doute ce qui se passe dans toute la région. En effet, il n’a cessé de répéter tout au long de sa correspondance que Montpellier était restée très calme.