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Description

Les deux visages de la conquête de la Gaule transalpine

* Professeur d’Histoire romaine (Université Paul Valéry Montpellier III).

Toute histoire dispose de son lot plus ou moins imposant de récits édifiants et d’images d’Épinal. Celle de la Gaule du Sud dans l’Antiquité n’échappe pas à la règle avec le déroulement de la conquête romaine.

A l’appel au secours de Marseille, impuissante, désemparée et pressée de toutes parts par des peuples voisins aussi belliqueux que barbares, Rome aurait répondu, par respect pour ses serments et au nom de la Fides, en envoyant, à partir de 154 avant J.-C., avec sollicitude et régularité, ses généraux dont les brillants succès militaires auraient en quelque sorte scandé son avancée rapide et sans encombre au-delà des Alpes, jusqu’ à l’épisode final, l’achèvement de la conquête, réalisé dans les années 120 avant J.-C., par le plus connu et le plus célèbre d’entre eux, Cn. Dominitius Ahenobarbus. Auréolé par les éclatantes victoires qu’il venait de remporter dans la vallée du Rhône, il aurait pu achever rapidement la conquête romaine en ralliant les terres languedociennes qu’il parcourut, juché sur son éléphant devant lequel les populations, subjuguées par la puissance de Rome et éblouies par sa civilisation, s’inclinèrent sans difficulté ni protestation.

La fondation de la colonie de Narbonne et l’édification de la via Domitia traduisirent d’ailleurs rapidement, de façon matérielle et tangible, la mainmise définitive de Rome sur cette région comme sur l’ensemble de la Gaule transalpine englobée désormais dans les provinces romaines. Les travaux de ces dernières décennies, en apportant des informations nouvelles ou des éclairages différents, ont fait voler en éclats, sur bien des points, cette version, cohérente et rassurante, élaborée à la gloire de Rome sans, pour autant, lui substituer une construction définitivement établie. Le cloisonnement des disciplines comme les opinions parfois divergentes des chercheurs n’autorisent pas encore un véritable consensus sur cette question du déroulement de la conquête romaine en Gaule méridionale. Néanmoins, il n’est pas interdit de présenter, à ce propos, quelques remarques susceptibles d’être versées au dossier.

Il est, tout d’abord, possible de se défaire assez rapidement de la conception, clairement affirmée ou simplement suggérée selon laquelle l’avancée de Rome en Transalpine fut rapide, les campagnes militaires fulgurantes et la conquête conduite sans embûches. A cet égard, en effet, les dates parlent d’elles-mêmes et incitent, sans difficulté, à revenir sur l’idée d’une avancée toujours irrésistible des légions romaines depuis leur arrivée en terre gauloise, sous le commandement de M. Fulvius Flaccus, en 125 avant J.-C. jusqu’à la fondation, sous la houlette de Cn. Domitius Ahebobarbus, de la colonie de Narbonne qui est censée mettre un terme à la conquête en 118 avant J.-C. Les envois successifs et répétés de troupes comme la présence simultanée, à plusieurs reprises, du consul de l’année et d’un proconsul disent assez la volonté farouche des populations indigènes de conserver leur indépendance et les difficultés de la progression romaine qui expliquent la lenteur réelle de la conquête. Sept années de combats semblent, en effet, un peu longues pour des campagnes, si ce n’est éclairs, du moins rapides et cela d’autant plus que ce laps de temps s’avère, en fait, fallacieux. D’une part, l’intervention de Rome en Gaule du Sud débuta en réalité au moins en 154 avant J.-C. avec l’action du consul Q. Opimius contre les Oxybiens et les Déciates qui menaçaient la région d’Antibes et de Nice. D’autre part, les interventions armées se poursuivirent bien au-delà de la création de Narbonne, au moins jusque dans les années 70 avant J.-C. A cette époque, en effet, Pompée, qui était en route vers l’Espagne où le Sénat l’avait dépêché pour mater la révolte de Sertorius, traversa la Gaule méridionale et y rétablit l’ordre avec l’aide de M. Fonteius.

Ce décalage chronologique est à ce point important qu’il a suscité un long débat, qui n’est d’ailleurs pas véritablement clos, sur la date de création de la province de Transalpine. Attribuée traditionnellement à Cn. Domitius Ahenobarbus et fixée, par rapport à son action en Gaule du Sud, dans les années 120-118 avant J.-C., celle-ci a été repoussée, dans les années 70 avant J.-C., par Ch. Ebel à la suite de Ernest Badian. L’historien anglo-saxon a, en effet, mis l’accent sur l’importance de cette période charnière dans l’organisation administrative de la province. Même si la discussion est toujours ouverte sur cette question de date, il n’en reste pas moins que la période des interventions armées de Rome en Gaule méridionale se mesure beaucoup plus à l’échelle d’un siècle que d’une décennie. Rome dut attendre longtemps avant de pouvoir recueillir les fruits de son attitude chevaleresque envers Marseille. Malgré sa puissance, elle ne put, effectivement, que se soumettre aux circonstances, à la conjoncture du moment, et procéder par étapes, tant sur le plan chronologique que géographique. A cet égard, la vallée du Rhône matérialisa très certainement, quoi qu’on en ait pu dire, une frontière particulièrement difficile à franchir et une région à maîtriser, beaucoup plus et par bien des côtés, que les Alpes et les Pyrénées. Pourtant Rome, était, dans ce domaine, instruite par l’expérience puisqu’ elle avait eu déjà à affronter, dans l’autre Gaule, la Cisalpine, un problème similaire avec le franchissement du Pô. Celui-ci avait, en effet, constitué, pendant de nombreuses années, un butoir à sa mainmise sur les terres du Nord de l’Italie. La conquête romaine avait connu, dans ce secteur, des phases successives représentées, au fil des années, par la maîtrise de la Cispadane, puis par le franchissement du Pô, et, enfin, par le contrôle de la Transpadane. Rome savait donc, pour l’avoir vérifié, que dominer les deux rives d’un fleuve n’était pas chose aisée. Toutefois la situation n’était pas exactement comparable en Transalpine dans la mesure où le problème auquel Rome dut faire face ne fut pas tant le passage du fleuve proprement dit et la poursuite de la conquête au-delà de sa rive droite que la jonction de deux espaces géographiques éloignés l’un de l’autre et relevant de deux zones distinctes, elles-mêmes appréhendées à des époques différentes. […]

Informations complémentaires

Année de publication

1996

Nombre de pages

4

Auteur(s)

Danielle ROMAN

Disponibilité

Produit téléchargeable au format pdf