Les « Communes idées » de Louis-Xavier de Ricard et Lydie Wilson de Ricard à leur arrivée à Montpellier

Les « Communes idées », de Louis-Xavier de Ricard
et Lydie Wilson de Ricard à leur arrivée à Montpellier

Louis-Xavier de Ricard (Fontenay sous Bois 1843 – Marseille 1911) a-t-il eu plusieurs vies ? On pourrait déjà le penser lorsqu’il arrive à Montpellier en 1874. Cet « homme de lettres » – co-fondateur avec Catulle Mendès du Parnasse Contemporain – ce marquis, fils d’un Général d’Empire né à « Cette » (Sète), est déjà un républicain convaincu, attaché aux idées de Quinet et de Michelet et au fédéralisme de Proudhon. Il a participé à la Commune de Paris, ce que peu d’écrivains de ce temps ont fait, signé de son nom dans le Journal Officiel, avant de s’exiler en Suisse 1. En Languedoc, il n’arrive pas seul, mais avec sa jeune femme, Lydie Wilson qu’il a épousée civilement à Autouillet près de Montfort l’Amaury. Ils vont vivre ici en « plein ciel », non seulement parce que leur mariage est un mariage d’amour, ce qui ne va pas de soi à l’époque, mais surtout parce qu’ils partagent des « communes idées. » Ils feront connaissance avec un autre poète républicain, l’audois Auguste Fourès, qui choisit au même moment d’écrire dans ce qui est alors la langue du peuple : l’occitan. Le Félibrige Républicain, appelé Félibrige rouge, naîtra de leurs rencontres et de leurs échanges épistolaires.

De Lydie Wilson de Ricard (Paris 1850-1880) (Fig. 1) nous ne savions que peu de choses jusqu’ici. Ses éléments biographiques provenaient essentiellement de la préface au recueil posthume de ses œuvres, texte écrit par son mari dix ans après sa mort. 2

Nous savons aujourd’hui qu’elle était bien née à Paris dans une famille d’origine écossaise par son père et flamande par sa mère. 3 Elle était l’aînée de trois enfants, sa sœur Jeanne avait deux ans de moins qu’elle et son frère George cinq. Bien que Louis-Xavier de Ricard les dise de famille protestante, ils ont tous reçu le baptême catholique en l’église de Saint-Germain-l’Auxerrois à Paris. Les parents Wilson, son père était « commissionnaire en marchandises » et sa mère ne travaillait pas, sont tous deux des amateurs d’art. Lydie est une amie d’enfance de Louis-Xavier de Ricard (Fig. 2), les deux familles étaient voisines, semble-t-il, à la campagne en bord de Seine et avaient des relations à Paris. Lydie paraît avoir reçu l’éducation donnée aux filles de son milieu social : auprès de sa mère et avec des précepteurs. Cependant cette éducation lui a permis d’acquérir une culture très poussée qui transparaît dans sa correspondance, celle-ci ayant une orthographe témoin de son temps. 4 Elle a fréquenté le salon littéraire de la Générale de Ricard sous l’Empire finissant, au temps de la fondation du Parnasse Contemporain. Dans la Revue du Progrès d’avril 1863, Lydie a tout juste 13 ans, Louis-Xavier de Ricard publie sous la rubrique « Morale Panthéiste » un poème dédié « A Mademoiselle L.W ». Ce poème paraîtra à nouveau dans Ciel, rue et foyer (1866), avec pour titre « Fantaisie Panthéiste » et une dédicace plus explicite : « A Mademoiselle Lydie Wilson. »

Portrait de Lydie Wilson de Ricard
Fig. 1 - Portrait de Lydie Wilson de Ricard,
paru dans Les muses françaises, t. 2, d’Alphonse Séché,
Michaud, Paris 1909.

Cette dernière effectuera un séjour en Angleterre que son mari évoque dans la préface d’Aux bords du Lez et qu’elle confirme elle-même dans une lettre à Auguste Fourès, datée de début Juin 1877 : « j’ai fait mon apprentissage en Angleterre. » Elle a été en pension à Kenilworth, au centre de ce pays dans le comté de Warwick. Une ville qui regorge de bâtiments historiques dont un château très célèbre qui a été la demeure de quelques-uns des rois et reines les plus influents du pays. Quelle a été la durée de ce séjour ? « Quelque temps » écrit Louis-Xavier en 1891.

Louis-Xavier de Ricard jeune, portrait par Marsal
Fig. 2 - Louis-Xavier de Ricard jeune,
portrait par Marsal

A son retour elle maîtrise parfaitement l’anglais et en rapporte deux admirations pour les poètes Percy Shelley et Robert Burns. A Paris, elle suit alors avec sa sœur Jeanne des cours dans l’atelier d’un peintre Dupuy, qui « s’étant compromis dans la Commune, rentrait d’un exil en Angleterre. » 5 Le mariage du jeune couple a eu lieu le 16 Août 1873. La présentation des extraits de lettres de Lydie de Ricard et Auguste Fourès dans le journal Le Montpellier du 13 septembre 1896 6 nous a permis de déterminer le lieu de la cérémonie près de Montfort-l’Amaury sur les terres de Simon de Montfort : Autouillet où les parents Wilson avaient une résidence. La cérémonie civile, aucune trace de cérémonie religieuse n’a été trouvée par les archives de l’évêché de Versailles, s’est déroulée dix-huit mois après le retour d’exil de Louis-Xavier de Ricard. Un contrat de mariage a auparavant été signé à Paris, les deux futurs mariés étant majeurs, en présence de Mme Wilson qui l’a paraphé.

Nous soulignerons ici la force de caractère de Lydie de Ricard qui se marie, en toute connaissance de cause avec un ex-communard, qui peut toujours être condamné, qui a déjà fait de la prison et a dû s’exiler deux fois. De même l’ouverture d’esprit de ses parents, pourtant bourgeois commerçants. Le retour d’exil de Louis-Xavier de Ricard, sans inquiétude particulière de la part du pouvoir, est attribué par la plupart des chercheurs à la protection d’Édgar Quinet, lui-même rentré d’exil en septembre 1870, puis élu à l’Assemblée de Bordeaux, mais opposé à Thiers. Louis-Xavier de Ricard avait vécu un premier exil en Suisse en 1870, après la création et la publication en Juillet du Patriote Français, journal opposé à l’Empire tout autant qu’à la guerre voulue par Napoléon III. Après la défense de Paris et la Commune, il s’agit d’un 2ème exil en Suisse que les Quinet ont quittée en 1870. Lydie Wilson de Ricard fait état d’une période de dix-huit mois dans une de ses lettres à Auguste Fourès. 7 C’est le laps de temps qui leur a été nécessaire pour convaincre leurs parents de ce mariage, le Communard serait donc rentré en janvier ou février 1872, ce qui correspond à une période de durcissement des conditions faites aux réfugiés de la Commune par la Suisse. 8

Les relations de Ricard avec Édgar Quinet (1803-1875), l’historien français, député en 1848, proscrit après le coup d’état de Napoléon III en 1851, datent de la Revue du Progrès (1863-1864) qui publie en 1864 une de ses lettres d’exil. Il s’agit de la première revue de jeunesse de Louis-Xavier de Ricard, alors mineur, il en laissera la gérance à Adolphe Racot (Lectoure 1840-1887), mais en assumera cependant pleinement les idées en tant que directeur, peut-être même avec jubilation, quand la revue étant interdite au bout d’un an, il se fera défendre par l’avocat, alors encore inconnu, mais républicain, Léon Gambetta (Cahors 1838 – Ville d’Avray 1882). Il tombe « sous l’inculpation d’outrage à la morale religieuse » et pour avoir traité sans autorisation préalable d’économie politique et sociale. Il y a là-dessous du Mgr Dupanloup (1802-1878), l’évêque d’Orléans qui s’est opposé au Franc-maçon biterrois Massol (Béziers 1805-1875) sous l’Empire. La revue de juin 1863 faisait dans son sommaire côtoyer leurs deux noms. Le grand Maître de la Loge des Emules d’Hiram a participé à la formation du jeune Louis-Xavier de Ricard qui y avait été reçu. Dans La Revue du Progrès9 Paul Verlaine 10 signait du pseudonyme de Pablo et Louis-Xavier de Ricard chargeait une de ses héroïnes « de démontrer les avantages et la moralité de l’amour libre, le mariage de l’avenir », présentant là ses premiers arguments féministes. Nous noterons que s’il se marie avec Lydie, leur contrat de mariage sera un modèle du genre pour l’indépendance de chaque contractant et de protection pour la femme. 11 Cette dernière comme toutes les autres femmes de cette période 1870-1880 est juridiquement mineure. Dès cette époque loin de ne s’occuper que de poésie, poésie a laquelle l’a initié, ainsi qu’à la linguistique, son grand-oncle Pauthier (Besançon 1801 – Paris 1873), orientaliste, professeur au collège de France 12, Louis-Xavier de Ricard était résolument Républicain. La prison qu’il effectua à Sainte Pélagie et les rencontres 13 qu’il y fera vont le renforcer dans cette conviction. 14 Pour lui, il n’y a que la République qui peut abattre l’Empire et Napoléon III.

Il poursuit cependant dès sa sortie de prison ses activités littéraires et fonde avec Catulle Mendès (Bordeaux 1841 – Paris 1909) le support du courant poétique Le Parnasse Contemporain dont la première livraison a lieu en 1866. C’est à ce moment qu’il devint selon Verlaine « assez réfractaire à la littérature du Midi » (Louis-Xavier de Ricard, Petits Mémoires d’un Parnassien et Adolphe Racot, Les Parnassiens, introductions et commentaires de M. Pakenham, présenté par Louis Forestier, Aux Lettres modernes, collection « avant-siècle », 1967). Pourtant dès son premier livre Les Chants de l’Aube paru chez Poulet Malassis en 1862, il écrivait dans une note (pp. 407-408) sur Mirèio de Mistral : « J’avouerai que ce poème-roman me parait le chef-d’œuvre du genre » et il poursuivait en louant Mistral et tous ses collègues en poésie méridionale, d’avoir le courage de « parler comme on parle chez eux. » Il donnait même dans les épigraphes de ce livre du Mistral et du Jasmin dans le texte. 15

Verlaine n’avait pourtant pas tort, en 1868 Ricard suivait les théories de celui qu’il nomme « ami commun » dans sa lettre à Quinet (Annexe I), le félibre Eugène Garcin (1831-1909), dans sa vision des Français du Nord et du Midi allant jusqu’à écrire en présentant le livre de ce dernier : « Voici venir la fin de la race dite latine ; elle a épuisé sa destinée. » 16 Il passera le reste de sa vie à argumenter le contraire.

En 1870 paraît chez Lemerre 17 un Catéchisme populaire républicain. Cette plaquette de 32 pages est éditée sans nom d’auteur : Vicaire 18 attribue le texte à Leconte de Lisle (1818-1894). La partie concernant l’organisation communale a été rédigée d’après des notes d’Ernest Courbet (1837-1916). La partie relative à l’organisation départementale a été rédigée d’après celles de Louis-Xavier de Ricard.

Ce dernier met en œuvre dans cette brochure ses idées fédéralistes basées sur la liberté et le consentement mutuel qu’il applique également au mariage à l’origine de ce qu’il appelle le « corps social. » 19 Comme l’écrit Moulain « Ricard a déjà le solide bagage d’une pensée élaborée et mûrie. Ses convictions sont sûres, il y restera fidèle toute sa vie. Il est déjà un républicain fédéraliste résolu… » 20 quand le couple arrive à Montpellier. Il habitera tout d’abord vraisemblablement dans le quartier du Roc de Pézenas, au dessus de l’actuel Faubourg Figuerolles, puis à Castelnau le Lez au Mas du Diable d’où Louis-Xavier adresse sa lettre à Edgar Quinet et enfin à Montpellier au plan des Quatre Seigneurs dans une villa qu’il baptise du nom de l’almanach des félibres républicains : le mas de la Lauseta. C’est de cette villa où ils ont emménagé en novembre 1876 que Lydie Wilson de Ricard enverra la plupart de ses lettres à Auguste Fourès dont celle que nous reproduisons ici. Avant d’exposer les « communes idées » de Lydie Wilson et de Louis-Xavier de Ricard nous allons revisiter brièvement la période dans laquelle ils évoluent du point de vue de la politique française, de la situation des femmes, de la renaissance de la langue d’oc et du Félibrige.

Si nous prenons la période historique qui se situe entre le mariage des Ricard, 1873, et la mort de Lydie, 1880, il s’agit comme l’écrit Claude Nicolet 21 de la : « Période de lutte pour l’établissement réel de la République. » Elle peut être définie comme celle de « l’instauration timide d’une République qui ose à peine dire son nom. » 22 Le Maréchal Mac-Mahon a été élu à la présidence de la IIIème République le 24 Mai 1873 après la démission de Thiers. Ce légitimiste de cœur, bonapartiste de carrière – il doit son titre de Duc de Magenta et ses galons à Napoléon III – a été le fusilleur de la Commune 23, en tant que commandant de l’armée versaillaise. Il déclare vouloir rétablir « l’ordre moral ». Les débats sont vifs sur la constitution de la République, l’amnistie des Communards, la laïcité, l’enseignement, la liberté de la presse, le divorce… le tout sous une menace royaliste bien réelle.

Dans ces circonstances « Ricard, tout comme d’ailleurs l’extrême gauche parlementaire, se refuse à se démarquer de l’ensemble des républicains. » (Moulain : idem) Cependant la traque des Communards, qui théoriquement peuvent alors bénéficier de grâces mais non d’amnistie – Gambetta lui-même refusant l’amnistie totale – la traque donc continue, de même que les condamnations à mort 24. Deux articles d’analyse politique d’Auguste Cabrol 25 dans Le Petit Méridional26 des 25 et 31 octobre 1876 apportent un éclairage décisif sur ce moment historique souvent oublié aujourd’hui par les programmes officiels et qui divise la gauche tout au long du XIXème siècle.

Les lettres de Lydie de Ricard nous éclairent sur les affres de cette situation pour le couple. La correspondance étant surveillée par la police, elle traitera de ce thème d’abord de façon sibylline en s’adressant à Fourès à propos des obstacles à leur mariage : « sans compter autre chose qu’il est inutile de vous dire », avant d’écrire plus directement : « Thiers ce sanglant petit homme… », dans la lettre ci-dessous (Annexe II). Nous ne nous étendrons pas, ici, sur les origines de l’inégalité femme/homme ni sur les prises de position des philosophes et des religions. 27

Nous soulignerons que la nature -la place et le rôle- de « la femme », comme on disait à l’époque, est une des grandes questions du XIXème siècle. Le premier journal féministe français, La Femme libre, a été publié dès 1832. La bataille pour les droits, civils et civiques – la femme étant considérée depuis le code civil dit Code Napoléon en 1803 comme les enfants et les malades mentaux, mineure – entraîne des prises de position passionnées et contradictoires qui traversent toute la société et ses courants de pensée. De plus le droit au divorce – par faute – a été aboli en 1816 et ne sera rétabli qu’en 1884. C’est nous l’avons vu une des idées défendues par Louis-Xavier de Ricard dès la Revue du Progrès et qu’il continuera à défendre avec Lydie à son arrivée à Montpellier.

Dans cette ville la langue du peuple est l’occitan appelé « patois » mais comme l’écrit Louis-Xavier de Ricard en 1891, c’est alors « une friche qu’il faut cultiver. » La Société des langues Romanes y a été créée en 1869 et publie sa Revue des langues romanes depuis 1871. Elle regroupe des érudits dans une société savante qui se préoccupe tant de philologie que de création littéraire contemporaine en langues romanes. Parmi eux, le président, Charles de Tourtoulon qui sera un des maîtres en occitan de Lydie de Ricard. Dès les premiers numéros de la revue, la présence de Frédéric Mistral et Théodore Aubanel (Avignon 1829-1886) souligne les liens avec le Félibrige. Celui-ci, créé en Provence en 1854, ne sera organisé à Montpellier qu’à partir de novembre 1875, à l’occasion des nouveaux statuts qui seront votés en 1876. Louis-Xavier de Ricard et Auguste Fourès assisteront sans se connaître à la réunion de constitution du Parage, école félibrenque Montpelliéraine, le 4 novembre 1875. C’est à partir de 1876, le courrier d’Auguste Fourès contenant son œuvre La Croux del grand aigat et la rencontre physique à l’occasion de la Santo Estelo d’Avignon le 19 Mai, qu’ils décideront de fonder avec Lydie Wilson de Ricard le Félibrige Républicain et de faire paraître pour 1877 son almanach, dont le titre La Lauseta a été choisi par Lydie et pour lequel elle ne ménage pas ses efforts. 28

Les communes idées du couple

Dans les deux textes biographiques sur sa femme écrits par Louis-Xavier de Ricard, celui-ci, soulignons-le, parle de « communes idées », et non d’identité d’idées de Lydie avec lui. Si l’on peut trouver l’exposé de ces idées dans les nombreux textes théoriques de Louis-Xavier de Ricard dès cette période 29, il n’en va pas de même pour Lydie Wilson qui comme « la grande majorité des femmes s’abstenait de toute déclaration de nature théorique » 30 particulièrement au XIXème.

Cependant c’est à la fois dans ses actes, dans certaines de ses œuvres parues dans Aux bords du Lez et dans ses lettres à Auguste Fourès (Fig. 3.) que l’on va trouver chez elle l’affirmation de ces « communes idées. » 31

Nous avons vu que Louis-Xavier de Ricard avait été condamné sous l’Empire pour athéisme. N’ayant pas trouvé de document sur une éventuelle cérémonie religieuse nous en avons conclu que le couple s’était marié civilement. Ce qui paraît assez logique pour Louis-Xavier de Ricard, qui, de plus, s’est engagé dans la Commune de Paris, or la construction par l’Église et l’État pour, entre autres, « expier les crimes des fédérés » de la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre qui débuta en 1873 ne pouvait que conforter Louis-Xavier de Ricard si cela avait été nécessaire. Quant à Lydie, si elle avait été baptisée catholique, le choix du changement familial de religion ne semble pas marquer un attachement d’une importance démesurée à celle-ci. Ses textes « Aux cloches » et « Vœux posthumes » parus dans Aux bords du Lez montreront la communauté de pensée sur ce sujet avec son mari.

Signature de Lydie de Ricard au bas de l’une des premières lettres à Auguste Fourès.
Fig. 3 - Signature de Lydie de Ricard au bas de l’une des premières lettres à Auguste Fourès.

Lydie de Ricard, morte à Paris, sera d’ailleurs une des premières femmes à être enterrée, selon ses volontés, civilement à Montpellier en 1880. Ses obsèques scandaliseront les journalistes du Messager du Midi et de L’Union Nationale. 32

Sur le plan politique le républicain communard, Louis-Xavier de Ricard avait à cœur le Fédéralisme. Lydie était capable de soutenir des discussions politiques sur ce thème, sa lettre du 18 janvier 1877 nous la montre répondant à Maurice Faure se moquant de leurs utopies : « Ne dirait-on pas que vous allez soulever le monde ! » s’est-il écrié avec un gros rire niais. « Non, – lui ai-je répliqué – mais nous remuerons le Midi, ce qui nous suffit, Monsieur ! »

Le Fédéralisme enfin édité, elle s’attachera au fil des lettres à Fourès, à en relever la réception dans les journaux et les revues. Ce fédéralisme que ne renie pas le Mistral de Calendal 33 a amené le couple dans le Midi où il défend tout à la fois la République, la langue et la culture occitanes. Là encore Lydie Wilson de Ricard, sensibilisée aux langues dialectales par ses origines écossaises et son séjour en Angleterre, va partager les centres d’intérêt de son mari en apprenant le dialecte de Montpellier et sa correspondance avec Fourès participe de cet apprentissage qui aboutit à des publications dans les trois Lauseta (1877, 1878, 1879) sous les pseudonymes de Na Dulciorella ou Lidia Colonia, alors qu’elle signe « Lydie de Ricard » dans la Revue des Langues Romanes.

Le féminisme de Louis-Xavier de Ricard est attesté, comme son athéisme, dès la Revue du Progrès en 1863. Nous avons vu que le XIXème siècle était celui de sa naissance, bien que des idées féministes aient été émises bien avant par Olympe de Gouges ou Poulain de la Barre, par exemple. Lydie et Louis-Xavier de Ricard semblent plus portés, pour la période étudiée, sur les droits civils, le libre choix du mariage et le rétablissement du divorce que sur les droits civiques : le droit de vote des femmes. Soulignons que c’était aussi le cas de Georges Sand.

Ainsi Lydie de Ricard dans une de ses lettres de mars 1877 à Fourès écrit-elle à propos de son mariage : « mais notre bonheur présent est fait pour inviter à suivre notre exemple, tous ceux qui ne considèrent pas le mariage comme un marché, mais comme la libre et sincère union de deux cœurs honnêtes. »

Cependant l’éphémère journal La Commune Libre, créé à Montpellier en 1879, corroborera le féminisme de Louis-Xavier de Ricard en plaçant en « Une » un article d’Ernest Ferroul, alors étudiant en médecine à Montpellier, intitulé : « Émancipez-là ! », où le futur maire socialiste de Narbonne prend des positions avant-gardiste tant en ce qui concerne l’éducation que le travail des femmes. 34 Ce journal défini comme « Socialiste-Fédéraliste » alimentera le débat sur ce thème.

Lydie pour sa part se dira prête à aller enseigner les verbes « être et avoir », si l’atmosphère intime de son couple ne s’améliore pas, tout en s’étonnant que sa sœur veuille gagner de l’argent avec « sa peinture », démontrant par là qu’elle n’était pas exempte de contradictions, si ce n’est d’hésitations. Lydie et Louis-Xavier de Ricard (Fig. 4.) entretiennent une correspondance avec de très nombreux lettrés 35, en France comme dans les pays latins, tant pour des échanges dont le but est la publication de L’Almanach La Lauseta ou ensuite L’alliance Latine, que pour entretenir les relations avec leurs familles, leurs amis ou pour échanger sur les sujets culturels et politiques du moment. Ces correspondants forment un réseau qui irrigue les pays latins, mais également le nord de la France et peut-être de l’Europe. Il serait intéressant de les retrouver.

Une partie des lettres de Louis-Xavier de Ricard à Mistral a été publiée par Jean-Marie Carbasse en 1977, des extraits ont été publiés par d’autres chercheurs, notre thèse publie trois corpus de lettres de Lydie Wilson de Ricard, parmi eux sa lettre à Mistral publiée par Carbasse, et des réponses d’Auguste Fourès, notamment une lettre en occitan et des extraits de lettres de Louis-Xavier de Ricard à ce dernier.

Signature de Louis-Xavier de Ricard au bas d’une lettre à Fourès en 1876.
Fig. 4 - Signature de Louis-Xavier de Ricard au bas d’une lettre à Fourès en 1876.

Notes

 1.  Voir à ce sujet : Soria Georges La grande histoire de la Commune, Paris Laffont CDLP 1970, T III 4, p. 306 et suivantes.

 2.  Préface d’Aux bords du Lez, œuvres de Lydie Wilson de Ricard en français et en occitan, préfacées par son mari chez Lemerre 1891 à Paris, reprint en 1995 par Lacour, Nîmes.

 3.  Mioch Rose, Thèse Édition critique de la correspondance de Lydie Wilson de Ricard (1850-1880), sous la direction de Ph Martel, Université Montpellier III, soutenue le 29 juin 2010.

 4.  Mioch Thèse idem p. 67-68.

 5.  Aux bords du Lez, préface III

 6.  Baluffe, Auguste. (1896-1897) Montpellier et Montpellier Républicain, Médiathèque Émile Zola, agglomération de Montpellier, Base Patrimoine, cote 1134

 7.  Mioch, Thèse idem : p. 395

 8.  Mioch, Thèse idem : p. 264

 9.  Ricard, Louis-Xavier de, Revue du progrès de Mars 1863 à Mars 1864, Paris, Racot Adolphe. Bibliothèque Sainte Geneviève, microfilm cote MM 158.

10. Verlaine dédiera deux poèmes engagés à Louis-Xavier de Ricard : « La mort de Philippe II » et « Les vaincus ».

11. Mioch, Thèse idem : pp. 186-188.

12. Voir Ricard : Autour des Bonaparte 1891 et Mioch, Thèse idem : p. 256-259.

13. Miot, Germain Casse, Charles Longuet, Gustave Tridon, Anthony Deschamps, Raoul Rigault, Gustave Flourens, Albert Fermé, Émile Maison, Robert Luzarche…

14. Autour des Bonaparte Savine 1891, intro p. 31-32 et Mioch, Thèse idem : p. 258.

15. Mioch, Thèse idem : p. 241-242.

16. Revue des lettres et des arts, 1868 N= 20, P 136-138 Gallica BNF.

17. Lemerre est l’éditeur du Parnasse Contemporain, et sera l’éditeur d’Aux bords du Lez (1891). Catéchisme populaire Républicain sur http://www.textesrares.com/catech.php Le 23 09 07 ; également consulté sur https://gallica.bnf.fr/ ; il y eût plus de 27 éditions.

18. Vicaire, Gabriel : poète français, né à Belfort en 1848, décédé à Paris en 1900, bibliophile in https://www.bmlisieux.com/archives/deliqu02.htm, consulté le 2 Février 2009

19. Mioch Thèse idem : pp. 249 et 262.

20. Moulain, Stéphane. 1990-1991. Louis-Xavier de Ricard, théoricien de l’histoire, du fédéralisme et de la république sociale ; Ph. D. thesis, mémoire de Maîtrise d’Histoire contemporaine, sous la direction de Raymond Huard, Université Paul Valéry, Mtp III. 250 pages, consultées au Cedias, Musée social, 5 rue Las Cases 75007 Paris : 16,20-22, 29 et Mioch, Thèse idem : p. 244-245.

21. Cité par Moulain p. 175.

22. Cité par Moulain p. 170.

23. Elleinstein coord, Histoire de la France Contemporaine T IV, p. 19.

24. Mioch, Thèse idem : p. 288.

25. Mioch Thèse idem p. 293-294.

26. Le Petit Méridional (1876-1880). 1er numéro 19 Mars 1876, Directeur Cabrol, Auguste. Micro 5, Médiathèque Émile Zola, agglomération de Montpellier.

29. Voir par exemple : Virginia Woolf Une chambre à soi (1ère édition 1929, édt française : 1960) ; Héritier Françoise Mascu-lin/Féminin, La pensée de la différence, (Tome 1), Éditions Odile Jacob Paris, 1996 ; Dissoudre la hiérarchie, (Tome 2), Éditions Odile Jacob Paris, 2002 ; Bourdieu Pierre La domination masculine, Seuil, collec. Liber Paris 1998 ; De Beauvoir Simone Le deuxième sexe deux tomes Folio essais, 1ère édition 1949, Halimi Gisèle La cause des femmes Folio essai, 1992.

28. Mioch, Thèse idem : p. 195.

29. Mioch, Thèse idem : chapitre 9, p. 244 à 250.

30. Planté Christine La petite sœur de Balzac 1989 Mayenne, Seuil, 373 pages : 329.

31. Mioch Thèse idem : chapitre 12, p. 287-308.

32. Mioch, Thèse idem : p. 44 et p. 210.

33. Mioch Thèse : p. 246.

34. Mioch, Thèse idem : p. 239 et 252.

35. Mioch Thèse Idem : Chapitre 12 Le réseau d’interconnaissance des Ricard p. 313-358.

Annexe 1

« … Il nous faut au contraire un très grand effort très énergique, pour sortir du passé. »

Lettre inédite de Louis-Xavier de Ricard à Edgar Quinet

Cette lettre inédite est conservée à Paris à la BNF département des manuscrits sous la cote : NAF 15510. XIII Raffalovich- Ziemecki F 41. Elle est la première d’une série, qui court jusqu’au folio 48, de quatre lettres de Louis-Xavier de Ricard à l’Historien, la dernière est datée du 24 Mars 1875.

Nous sommes début novembre 1874, les Ricard viennent de s’installer au Mas du Diable à Castelnau-le-Lez, sur la colline de l’antique oppidum gallo romain Substancio, au dessus du Lez qui a inspiré ses contes à l’abbé Fabre. Lydie est allée seule lors d’un séjour à Paris en 1874, rendre visite aux Quinet, ce qui montre une certaine indépendance de sa part. Louis-Xavier cite ici Eugène Garcin comme « ami commun » : l’auteur des Français du Nord et du Midi, livre prônant le centralisme et l’unification loin des idées de Quinet, est cependant, comme Quinet et Ricard, républicain.

Louis-Xavier de Ricard, bien que n’appartenant pas à la rédaction de La République du Midi écrit une série de chroniques littéraires sur les « Félibres et Parnassiens » 1 dont la première paraîtra le 22 novembre sous le titre : « Le mouvement littéraire. »

Cette lettre nous indique que son ouvrage Le Fédéralisme qui ne sera publié qu’en janvier 1877 chez Fischbacher 2 à Paris est prêt et avait déjà été proposé en vain à l’éditeur Ernest Leroux. 3 Le second ouvrage auquel il fait référence pourrait bien être L’esprit politique de la réforme qui paraîtra en 1893 chez Fischbacher. Le titre cité « Henri IV et les Huguenots » nous ferait pencher pour cette thèse, de même que la lettre du 24 janvier dans la même série où il explique qu’il vient d’envoyer le manuscrit portant ce titre à Fischbacher ; à moins qu’il ne s’agisse de L’Histoire populaire du Languedoc qu’il annoncera dès La Lauseta de 1877, mais qui sera abandonnée.

La phrase : « Je pense que ma situation, ici, va être enfin fixée, M. Castelnau a pris en main mon affaire, et j’espère qu’il la mènera à bonne fin. » peut être interprétée comme l’espoir de l’embauche dans la rédaction de La République du Midi, le député Albert Castelnau député de l’Union Républicaine est intéressé par ce journal, il rachètera le titre avec Ménard d’Orient en Juin 1876. Autre hypothèse Louis-Xavier de Ricard compte-t-il sur ce député de l’Hérault, Conseiller général du 1er canton de Montpellier, appartenant à l’opinion républicaine radicale qui a voté pour l’amnistie, puis votera contre le ministère de Broglie et qui fera parti des 363 députés des gauches, pour que sa situation d’acteur de la Commune soit réglée dans le bon sens ? On notera aussi la force de réflexion et de conviction du théoricien du fédéralisme et l’attention portée à la situation officielle de Quinet, le souci de ne pas lui porter tort, et le respect qu’il lui porte.

Enfin l’invitation faite aux Quinet d’un séjour dans une maison spartiate montre la proximité qui les lie, de même que la demande de dédicace. Ceux-ci n’auront pas à y répondre, le 25 mars suivant Edgar Quinet meurt à Versailles le jour même où Louis-Xavier de Ricard lui avait demandé une audience.

L’intitulé de la lettre « Cher Maître », de même que la fin de celle-ci montrent que Ricard se considère avant tout comme un disciple de Quinet.

Le dernier ouvrage du « Maître » à paraître est L’Esprit nouveau dont la préface est signée de Villefranche du Lauragais le 28 septembre 1874.

Nous noterons aussi la description du Mas du Diable où les Ricard viennent d’emménager, Mas du Diable qui sera chanté dans un sonnet de Fourès en mai 1876 lors de la première rencontre des quatre jeunes gens : seul Louis-Xavier a plus de trente ans !

4 Novembre 1874

Cher Maître,

« J’avais, jusqu’à ce jour, espéré que vous viendriez faire une tournée dans le midi, de notre côté ; les vacances qui touchent à leur fin, m’ont retiré cette espérance. Je suppose que vous êtes près de rentrer dans votre galère de Versailles ; c’est pourquoi je vous écrit [sic] n’ayant plus peur que ma lettre s’égare à vous chercher. Je ne l’ai pas fait plus tôt, sachant combien vous étiez occupé à votre livre et ne voulant pas vous donner l’ennui de me répondre. Ma discrétion a été plus forte que mon envie. J’ai été touché plus que je ne puis le dire, de l’accueil que Mad. Quinet et vous avez fait à ma femme lorsqu’elle est allée à Paris. Il ne serait pas impossible que j’y retournasse pour deux ou trois semaines, avec elle, au mois de janvier – si les affaires vont bien. J’ai eu l’occasion d’avoir de vos nouvelles, non seulement par les journaux, mais par un de nos amis qui a eu le bonheur de vous voir, à Bagnères, Mr Garcin, qui est venu en passage, ici.

J’ai d’ailleurs été fort occupé ; – si je ne vous ai pas envoyé mon article, c’est que je n’ai pas voulu vous en fatiguer chaque semaine ; j’ai pensé qu’il valait mieux, si cela vraiment vous intéresse, vous en envoyer la collection, lorsque j’aurai terminé la série que j’ai commencée, ce qui ne va pas tarder. Je vais bientôt m’occuper de la 4 faire paraître en volume mon but a été de chercher, dans la mesure de ma capacité, la tradition de la liberté en France. En montrant la réaction pareille dès le XVIème siècle, à ce qu’elle est aujourd’hui et cependant triomphante de la grande révolution de ce grand siècle. J’ai taché de montrer à nos amis qu’il serait imprudent de se fier, comme ils le font trop souvent pour notre succès à la seule force des choses. Il nous faut au contraire un très grand effort très énergique, pour sortir du passé, qui nous emprisonne dans son filet. J’ai eu un second but tout local, afin d’attaquer dans Henri IV, grand chef de la famille bourbonienne, le seul parti qui existe véritablement ici, (bien qu’il diminue à vue d’œil) je veux dire les légitimistes. Je reviens souvent à la charge et j’y reviendrai encore contre le roi faux – bonhomme auteur hypocrite de la pire réaction en œuvre de tous les 5 (…) qui l’ont suivi. Ma femme, je crois, vous avait parlé d’un autre volume que j’avais en main : Le Fédéralisme ; je vous avais parlé de vous le dédier. L’éditeur, Ernest Leroux, chez qui il devait paraître a pris un peu peur, travaillé, je pense par des influences amicales ou hostiles. J’ai profité de ce contre-temps pour le reprendre 6, l’étendre, lui donner plus de consistance historique : il avance ; le premier volume est quasi terminé, le second fait au trois quart. Il va falloir que je m’occupe d’un éditeur sinon en France – mais mais7 à Genève si je n’en trouve pas en france [sic]. Je ne voudrais pas, cher maître, que 8 votre amitié pour moi vous résignât à subir une dédicace que vous blâmeriez : peut-être craignez-vous qu’un tel titre mis sous votre nom, ne vous compromette à cause de votre situation officielle. Bien qu’il n’y ait là que des idées, que je dois à votre enseignement, du moins j’en ai la conviction, et 9 bien que [sic] je me propose de mettre le plus grand soin à ne pas vous engager – je ne me tiendrais nullement offensé d’un refus et je m’en vengerai en vous dédiant le volume de mes chroniques que j’intitulerai Henri IV et les Huguenots. J’ai le besoin de dire tout ce que je vous dois, et combien je vous admire, vous respecte et vous aime.- D’ailleurs j’espère que j’aurais l’occasion de le dire à propos de votre ouvrage nouveau : quand va-t-il paraître ? Pensez un peu à moi et à notre République de Montpellier pour un fragment.

Je pense que ma situation, ici, va être enfin fixée, M. Castelnau a pris en main mon affaire, et j’espère qu’il la mènera à bonne fin.

J’ai changé de domicile ; j’habite maintenant non loin de Montpellier, à un petit village dans une situation charmante, Castelnau S/le Lez. Notre maison, qui n’a rien de fantastique cependant, s’appelle Le Mas du Diable. Nous sommes à demi-côte [sic] d’une montée d’où nous voyons en bas le joli cours d’eau du Lez, dans un fond boisé, et à l’horizon des montagnes, trois ou quatre étages de montagnes, le prolongement des Cévennes : et de l’autre côté des collines pittoresques au milieu desquelles on aperçoit Montpellier. Nous sommes sur les ruines d’une ancienne ville romaine nommée Substancion et notre mas qui n’est éloigné de la ville que d’une demi-heure, est entouré de vignes, parsemés [sic] d’oliviers, de 2 hectares à peu près qui nous appartiennent. Nous louons le tout 600 F par an. Le Mas n’est pas un château : c’est une vraie maison rustique bonne pour nous et nos hôtes : mais assez vaste, et si cette rusticité ne vous effrayait pas, je vous dirais bien que l’année prochaine, si vous venez dans le midi, de nos côtés, il y aurait ici pour vous une hospitalité grossière mais franche et heureuse de vous recevoir.

De la politique, que vous en dirais-je, sinon qu’ici l’esprit est excellent. La République monte comme un mur. Quand couvrira-t-elle ses ennemis ? Comme vous l’avez dit ce n’est là qu’un calcul mathématique.

Je ne sais, cher Maître, comment vous exprimer à vous et à Mad. Quinet, l’affection, le dévoument [sic] et la reconnaissance de ma femme et de moi pour votre bonté si affable et si inépuisable à tous deux. Croyez-le bien il ne se passe pas de jour où oui, l’on ne pense à vous, l’on n’ [n’ situé au dessus de la ligne] en parle et l’on ne vous admire en vous lisant. C’est le pain quotidien qui ne manque pas. Recevez donc, avec Madame Quinet, l’expression de nos plus dévoués et de nos meilleurs sentiments, avec la même bienveillance que vous nous avez toujours témoignée.

Votre tout dévoué
L.-Xavier de Ricard

Notes

 1.  Articles de L-Xavier de Ricard dans La République du Midi (rédacteur en chef : Edouard Durranc, gérant : Henri Bonnel) : I « Le mouvement littéraire » (22 Novembre 1874) ; II « Félibres et Parnassiens » (24 Décembre 1875) ; III « Félibres et Parnassiens : Lis isclo d’or, par Mistral – L’Armana prouvençau, – l’Armana de lengad’ó » (28 Décembre 1875) ; IV : « Le félibrige » (11 Janvier 1876) ; V « Félibres et Parnassiens » ; VI « Le Félibrige » (18 Janvier 1876) ; VII : « Félibres et Parnassiens, le Félibrige » (7 Février 1876).

 2.  Libraire, 33 rue de Seine à Paris, spécialisé en édition scientifique et sociale.

 3.  Fils de Jules Leroux, il est spécialisé dans les livres d’extrême-Orient mais son catalogue est ouvert aux domaines de la philosophie, de l’histoire de la religion, de l’ethnologie et de l’anthropologie, il est le plus grand éditeur de revues savantes. Sur https://data.bnf.fr/fr/15240618/ernest_leroux/

 4.  « la » est rajouté au dessus de la ligne entre « de » et « faire ».

 5.  Illisible souligné : Payureins P ou b au début

 6.  Trois mots illisibles

 7.  Deux fois « mais » dont un biffé.

 8.  Ici un mot barré « mon » (?) et au dessus « votre ».

 9.  Ici « quoique par » barré suivi de « quoique dont », la première syllabe est barrée et surmontée de « bien. »

Annexe 2

« Vive la République ! »

Lettre de Lydie de Ricard à Auguste Fourès

Cette lettre appartient au corpus de trente-cinq conservé au Collège d’Occitanie à Toulouse (CQ 204). Elle fait partie des quatre signées « Lydie de Ricard », les trois autres étant situées au début de la correspondance avant le baptême de Lydie du nom de Dulciorella, nom trouvé parAuguste Fourès sur une inscription narbonnaise du VIIe siècle, nom dont elle signera la plus part des lettres, les autres étant signées Lydie-Dulciorella. Une exception, la lettre du 16 août 1877 signée Mme Lydie de Ricard. Dans les deux cas, lettre de juin et lettre du 16 août, il s’agit de mouvement d’humeur de Lydie.

Le 4 Juin 1877 est une date doublement charnière pour elle : sur le plan politique le ministère de Broglie a été nommé en mai et sur le plan personnel Lydie pressent le futur départ de sa sœur Jeanne, présente avec eux depuis février et leur retour de Paris.

Fourès et elle, ont concrétisé une idylle que Lydie souhaite voir scellée en mariage, ce qui permettrait aux deux sœurs de ne pas être séparées, et aux deux couples de continuer dans la voie du Félibrige Républicain, avec comme but et moyen pour vivre le projet d’une librairie. Jusqu’ici les chercheurs n’ont retenu que la première partie de la lettre, attribuant à Lydie des sentiments de jalousie… Or nous découvrons qu’au bord de la Lironde, petit ruisseau au Nord-ouest de Montpellier, ils ont mis au point des stratagèmes pour permettre aux deux amoureux de communiquer : double lettre… La Lironde est d’ailleurs le titre d’un des nombreux poèmes dédiés par Fourès à Jeanne, publié dans Les cants del solelh, il est daté « Dins les erbatges de la Liroundo, disate 26 de Mai 1877. 1 » Lydie Wilson de Ricard semble également se résigner à ne pas avoir d’enfant et reporter son désir sur le couple Fourès-Jeanne. Jeanne, atteinte du même mal que Lydie, mourra au mois de novembre 1877, laissant le poète inconsolé.

Cette lettre est l’une de celles qui témoignent le plus avec celle sur le fédéralisme en Janvier 1877 et celle du « salut à la Pomme » 2 des réflexions politiques de Lydie. Elle choisit le moment le plus dangereux pour donner très franchement son opinion sur Thiers, et en même temps énoncer clairement ses craintes en rapport avec les prises de position de son mari, tout en terminant le passage de sa lettre par un « Vive la République ! » qui ne trompe pas sur son engagement.

Mas de la Lauseta le 4 juin 1877

Cher parrain,

Ne craignez plus que Jeanne soit troublée ou affligée à cause de moi, parrain ; je suis guérie à peu près et je peux reprendre mes fonctions de correspondante ; je sais bien que vous vous passeriez volontiers de mon intermédiaire, et je m’attends d’un moment à l’autre à recevoir ma démission ; ne vous gênez pas. Je voudrai pourtant bien savoir ce qui me vaut cette disgrace [sic]. Je croyais avoir fait mon possible pour vous rendre agréables à tous deux les quelques jours que vous êtes restés avec nous ; je me suis trompée, sans doute, car vous avez été vraiment peu aimable pour moi les deux derniers ; un peu plus vous vous en alliez sans seulement me tendre la main, et me quittant malade vous avez oublié de me demander de mes nouvelles ; si c’est mon titre de filleule qui me vaut cette insouciance, j’y renonce ; peut-être aussi est-ce pour flatter Jeanne ; mais je crois que vous vous trompez, car elle n’a pas été jalouse de l’amitié que vous paraissiez me témoigner ; nous pouvons avoir chacune notre part il me semble ; à moins que vous ayez un si pauvre cœur que votre amour pour [sic] ne s’accroisse [sic] qu’aux dépens de vos autres sympathies. Louis était seul à se plaindre de votre refroidissement, nous voilà deux. Voilà le moment où j’aurai bien besoin d’être consolée par une langue d’Oc ou autre : deux lettres de Maman m’annoncent le très prochain passage à Montpr [sic] de l’oncle d’Égypte ; dans une longue réponse ce matin, je la supplie de me laisser encore ma chère Jeanne, mais j’espère peu : elle flaire quelquechose [sic], elle « aime à croire que messieurs les félibres ne sont que galants et pas plus » etc… Je crois que vous pouvez préparer votre adieu pour le départ de Jeanne ; elle l’attend ainsi que la copie de votre brinde au bord du Lez et celle des « Timonnièrs. » 3 Nous sommes convenues, pour lui faire parvenir de vos nouvelles, du moyen arrêté entre nous trois au bord de la Lironde ; prévenue par elle des voyages de Maman à Paris, j’en profiterai pour mettre double lettre dans l’enveloppe, car la discrétion de papa à cet égard est certaine. Pour vous, je continuerai de vous transmettre les commissions de Jeanne comme maintenant, à moins que vous ne trouviez un autre moyen pour communiquer avec elle sans danger pour elle toutefois.

Le mauvais résultat qu’a eu le voyage de Madame votre sœur, chez votre oncle ne m’étonne pas : les vieillards sans enfants [sic] n’aiment pas ceux des autres ; ils ne leur rappellent rien et leurs gentillesses ne sont pour eux que bruit, désordre et embarras ! ils n’ont pas fait école de patience, étant plus jeunes, et maintenant leur caractère aigri par l’âge et égoïste à force de bien-être, ignorant l’indulgence et « l’Art d’être grands parents ». Louis et moi nous serons sans doute comme cela plus tard ; à moins que nous ayons des petits neveux et nièces avant des cheveux gris.

Comme vous le pensez bien, nous sommes navrés des affaires politiques ; j’avais dit à Louis que nous aurions Thiers 5 à la Présidence et il trouvait que c’était tant mieux ; aujourd’hui que les journaux font pressentir cet évènement, il trouve comme moi, que c’est désastreux : heureusement que Thiers est vieux, il n’y restera pas longtemps : mais j’ai une telle indicible haine pour ce sanglant petit homme que pour moi cela vaut un triomphe de la réaction ; il est vrai de dire pourtant qu’il n’est pas clérical, mais il a tant d’autres défauts ! Ne dirait-on pas que ces messieurs jouent aux chevaux de bois 6 ! sans jamais attraper la bague heureusement !

Une nouvelle liste de collaborateurs espagnols envoyée par Enseñat 7 a un peu retardé la sortie des prospectus ; d’ailleurs la Revue pourra-t-elle paraître tant que les affaires politiques ne seront pas éclaircies ?, et ce ne peut être avant la fin d’Août. Que cette incertitude est torturante ! Quelle vie nous allons avoir cet été ! Quelle longue, longue année pour vous et pour nous ! -vous voyez bien que nous avançons dans le noir… Jeanne partie, je ne sais pas ce que je vais devenir ; la solitude est intolérable quand on est inquiet ; pour moi qui ne sait de nouvelles que celles que Louis me rapporte (et elles sont toujours désespérantes) ces trois mois vont être un véritable martyre ; j’ai toujours peur pour Louis, qu’on ne dénonce son livre ou l’almanach ou ses anciens articles 8, (vous savez ce que je veux dire !) J’étais plus brave que cela l’année dernière ; le bonheur, ou même la perspective du bonheur rend lâche, n’est-ce pas ? Il n’est pas gai non plus de voir tous ses rêves d’avenir menacés et presque ruinés, à tous moments ; c’est pourtant ces angoisses qui devraient nous activer à la lutte, dans l’espoir de les épargner aux autres, à ceux qui nous suivront. Vive la République !

J’oublie vraiment que je suis fâchée ; je ne voulais vous écrire que quelques mots et voilà mes quatre feuilles remplies ! Prenez que tout ceci n’est pas pour vous mais un simple besoin d’expansion, satisfait à l’aide d’un peu d’encre et de papier.

Jeanne veut que je vous envoie le compliment que Clair Gleizes 9 a écrit au dos de la photographie de Mirèio ; il se peut qu’elle lui joigne un baiser mais elle ne me l’a pas dit : vos confidences ont du aller assez loin cette fois-ci pour que vous sachiez si c’est par oubli ou par timidité à mon égard. Louis est à Montpr [sic] il vous écrira probablement ces jours-ci ; s’il y a du nouveau d’ici peu je vous préviendrai. Pour ma part je ne sais quel salut vous faire ; je n’aime pas beaucoup en être pour mes frais d’amitié. N’empêche que je vous souhaite bon courage et confiance en demeurant.

Votre dévouée
Lydie de Ricard

Notes

 1.  « Dans les herbages de la Lironde », samedi 26 Mai 1877.

 2.  Il s’agit de normands « afrérés » qui donnent des dîners à Paris et pour lesquels Auguste Fourès s’apprête à rédiger un salut. A cette occasion et en ce qui concerne le Fédéralisme Lydie de Ricard montre qu’elle ne confond pas illusion et réalité (Lettre du 24 ou 25 Avril).

 3.  « Les valents timouniers » de Fourès sont dédiés « al cap-mèstre Frederic Mistral Avignoun 22 de Mai de 1877 » (Les cants del soulelh, 1891 pp. 40-48) ils auraient inspiré Mistral pour le « Poème du Rhône », c’est la thèse de Lizop Raymond (1879-1969).

 4. [Appel manquant] Il s’agit d’un oncle célibataire et argenté qui aurait pu aider financièrement pour la fondation de la librairie.

 5.  Thiers Louis Adolphe (Marseille 1797 – St Germain en Laye 1877).

 6.  Jeu de bagues : jeu d’adresse qui consistait à enlever à l’aide d’une lance, sur un cheval au galop, un ou plusieurs anneaux suspendus à un poteau ; p. ext. les anneaux que les cavaliers devaient enlever. (Le Trésor de la Langue Française, juin 2009, http://atilf.atilf.fr/).

 7.  J-B Enseñat : Joan Baptista Ensenyat i Morell (1854-1922), historien et dramaturge, écrivain majorquin (Balanza y Perez 1982)

 8.  Il s’agit certainement des articles annoncés ou paru dans le Journal Officiel de la Commune : « Une révolution populaire » le 7 avril 1871 et annoncé le 24 avril 1871 « Traditions unitaires ».

 9.  Clair Gleizes d’Azilhanet (Hérault), auteur d’ « Autour de La grangièro » (parla narbounés) publicat in L’Armanac Provençau de 1876, cette même année, dans le Cartabèu de la Santo Estello, il est marqué comme « Ussié en Arle » : huissier en Arles.