Description
Les Chantiers de la Jeunesse dans le Languedoc, 1940-1944
L’importance des camps de jeunes obligatoires du Régime de Vichy, les Chantiers de la Jeunesse, est reconnue à la fois par les témoins et par les historiens. Certains de ceux qui ont vécu l’expérience des Chantiers ont relancé et développé l’Association des Anciens des Chantiers de la Jeunesse (A.D.A.C.) qui vise à maintenir l’esprit de camaraderie et le brassage social qui ont caractérisé certains Chantiers. L’existence même de l’A.D.A.C. présente un double intérêt pour les historiens historiographiquement, par le désir tacite qui est le sien de défendre et de justifier l’expérience des Chantiers ; méthodologiquement, par le réseau potentiel qu’elle constitue d’hommes disposés à partager leurs souvenirs d’une histoire vue « de l’aval ».
Pendant les deux dernières décennies, les historiens, d’une part, ont étudié les Chantiers comme une tentative du régime de Vichy d’assurer le brassage social de sa jeunesse et son intégration à l’idéologie de la « révolution nationale », et, d’autre part, considéré l’institution sous l’angle plus large des relations de Vichy avec l’Allemagne. La plupart des chercheurs se sont interrogés sur les intentions des politiques au niveau national et sur la réponse donnée par les chefs des Chantiers sur l’évolution au fur et à mesure du rôle des camps. Durant les années 60, le ton du débat sur les Chantiers fut particulièrement dur en France avec des affirmations contradictoires sur la question de savoir si le Régime avait sacrifié ou défendu la jeune génération.
R .Hervet prétend que les Chantiers ont protégé les jeunes des projets allemands et finalement constitué le noyau d’une armée française secrète, alors que R. Gosse soutient qu’ils ont été un instrument d’endoctrinement destiné à neutraliser la jeunesse. Dans les années 70 et 80 les historiens américains et anglais sont entrés dans le débat. R. Paxton soutint que les Chantiers avaient fourni une main d’oeuvre docile pour travailler en Allemagne et, plus récemment, W.D. Halls prétendit que la vigueur de l’intention militaire, probable à l’origine, avait considérablement varié en fonction des dirigeants des Chantiers.
Le présent article est, à la fois, un prolongement du débat en cours, permis par l’accès à des sources originales jusqu’ici inaccessibles, en même temps qu’une tentative de poser de nouvelles interrogations sur deux problèmes qui n’ont pas jusqu’ici retenu sérieusement l’attention. Le premier porte sur la nature des relations entre les Groupements pris un à un et le milieu rural spécifique dans lequel ils étaient implantés, à travers l’étude des camps d’une même région. Cette approche permet de soulever des questions intéressantes sur la pénétration de l’idéologie de Vichy dans les campagnes au travers de l’influence des Chantiers et, réciproquement, la capacité des Chantiers d’être marqués par le climat politique réel de la région dans laquelle ils étaient implantés. L’impact des Chantiers est analysé non seulement sous l’angle de leur propre logique mais aussi au travers de leurs contacts avec la préfecture, l’église et la population locale. Le choix du Languedoc comme région d’étude est importante : trois des huit Groupements qu’elle comprenait étaient considérés par le Commissariat Général comme étant parmi les huit Groupements les moins bons des cinquante deux que comptait la France de Vichy. Cet article explore les raisons de cet échec singulier.
Le second est complémentaire du premier : l’essentiel de ce que nous savons sur les Chantiers provient de leurs archives officielles et, en particulier, des rapports bimensuels établis par chacun des cinquante deux Groupements. L’image qui s’en dégage correspond essentiellement à la perception d’hommes ayant un état d’esprit militaire que leur foi dans la « Révolution Nationale » a conduits à emprunter sa rhétorique et à adopter ses principes. Les rapports des Préfets ont permis d’en savoir davantage sur ce qui se passait dans les Chantiers mais la réalité de la vie de ceux qui y vivaient sous l’uniforme est restée pratiquement insaisissable. La partie sauvegardée des archives de la Censure Postale (Commission de Contrôle Postal) qui interceptait une grande quantité de lettres fournit une source essentielle pour l’étude de la réaction populaire envers Vichy. L’analyse très détaillée des lettres parvenant aux Chantiers ou en provenant constitue un moyen inattendu de mesurer l’importance que le Régime attachait aux Chantiers et un gisement extrêmement riche de témoignages matériels sur la vie dans les camps. Ces éléments complétés par l’analyse attentive des interviews d’hommes qui ont connu la vie des Chantiers permettent de comprendre l’ampleur du fossé entre la vision du fondateur des Chantiers, le Général de la Porte du Theil, et la réalité de tous les jours qu’éprouvaient les hommes dans les camps. […]
Informations complémentaires
Année de publication | 2010 |
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Nombre de pages | 12 |
Auteur(s) | Roger AUSTIN |
Disponibilité | Produit téléchargeable au format pdf |