L’épiscopat du cardinal de Cabrières à Montpellier (1874-1921)

Lorsqu’il arrive à Montpellier, le 25 mars 1874, la réputation du nouvel évêque est déjà faite et ce poids du passé n’est pas sans peser sur lui. Il risque d’aggraver les difficultés du présent puisque ce présent coïncide presque avec l’arrivée des républicains au pouvoir. Comment peut s’expliquer alors cette popularité dont témoignent ces obsèques triomphales le mercredi 29 décembre de l’année 1921 ? Ce sont ces trois interrogations qui constituent ici la trame d’un récit dans le parcours peut être sensiblement différent selon que l’on retienne tel ou tel aspect d’une personnalité aussi riche et d’une existence aussi longue 1.

1. Le poids du passé : un Blanc du Midi

Ceci est le trait principal à souligner, celui qui frappe le regard extérieur et qu’ont relevé les visiteurs, les journalistes, les parisiens en particulier. Non le simple fait d’être natif du Midi, d’autres évêques le sont, à Nîmes en particulier, mais ils ne sont pas des « Blancs ». Qu’est-ce à dire ? Il s’agit des catholiques dont les traditions familiales s’enracinent dans l’affrontement séculaire aux protestants. On doit retenir qu’à protestants fervents, comme en Cévennes, s’opposent des catholiques fervents. À protestants tièdes, des catholiques tout aussi tièdes avec ce bon exemple des Charentes. Nous sommes en présence de réflexes identitaires, entraînant collectivement le plus souvent, la transmission étant ravivée par les avatars de la politique nationale depuis la Révolution française. Une transmission qui se fit bien jusqu’à l’orée des années 1960, à condition que les migrations n’aient pas provoqué une rupture. Au XVIe siècle, les Cabrières, qui étaient de petits seigneurs, sont restés fidèles à la foi catholique. Ils l’ont payé du pillage de la maison à Nîmes et du sac du château de Cabrières en 1622. À cette fidélité catholique s’ajoute la fidélité royaliste dont témoigne le service du roi pour les ascendants directs du cardinal. Au 9 thermidor, tous les hommes de la famille étaient emprisonnés.

L’éducation familiale, le rôle essentiel d’une grand’mère, a transmis ces souvenirs avant que l’éducation du jeune Cabrières ne soit confiée à un prêtre, lui-même dépositaire du même héritage, l’abbé Emmanuel d’Alzon, natif du Vigan. François-Marie-Anatole de Cabrières est devenu le disciple de celui qui, vers 1860, est de loin la personnalité la plus considérable du Midi, d’Aix à Montauban, le Père d’Alzon, fondateur en 1850 des Augustins de l’Assomption, ces religieux (et religieuses) si présents dans le renouveau des pèlerinages (à Lourdes, en particulier) et de la presse à grand tirage Le Pèlerin (1876) et La Croix (1881).

Dans l’éducation qu’a reçue le jeune Cabrières, on n’oublie pas l’initiation au provençal, une langue dont il pourra user et qui rapproche du peuple ; langue d’usage parfois permanent dans les villages. Le clergé qui cependant l’emploie rarement dans la prédication, la considère comme complémentaire du français et, à diverses reprises, Mgr de Cabrières en prendra la défense. Il le fera d’autant plus qu’il encourage le Félibrige, en l’espèce ces « félibres blancs », tels Aubanel, Roumanille et Mistral qui, en 1859, étaient venus au Collège nîmois de l’Assomption. Frédéric Mistral alors âgé de 29 ans, comme l’abbé de Cabrières, y a lu Mireio avant d’aller quérir la gloire à Paris. Lors des Jeux Floraux de Montpellier, en 1875, les trois félibres sont priés de « descendre à l’évêché ». De même l’évêque est-il présent aux Fêtes latines données dans la ville, en 1878. Il s’agit aussi de contrecarrer le courant des « félibres rouges », les Napoléon Peyrat, Auguste Fourès, Louis-Xavier de Ricard, davantage présent dans le Languedoc biterrois et audois. Pour l’un des « Blancs » les plus représentatifs, l’Alésien, Albert Arnavielle – il écrit dans L’Éclair sous le nom de L’Arabi – Mgr de Cabrières est un « félibre crossat et mitrat ».

Qui dit Félibrige, langue maternelle, dit aussi religion volontiers extériorisée, faisant large part aux processions, aux illuminations, aux grands rassemblements. Mgr de Cabrières, à la différence de ses prédécesseurs, encourage et soutient les confréries de Pénitents. Il appuie la création d’une Maintenance des confréries. Lui-même a été reçu pénitent blanc de Montpellier, plus de dix ans avant de devenir évêque. Ces confréries sont menacées par l’interdiction des processions publiques (Montpellier, en 1880) qui contribue à diminuer leur recrutement dans le peuple. Très attachés au cardinal seront les Blancs et les Bleus de Montpellier, comme leurs archives en témoignent.

Tout ceci renvoie à « la tradition ». Quand il se dira « très Action Française », en 1906, Mgr de Cabrières évoquera cet attachement à « la tradition ». Ceci rend compte de son hostilité au modernisme sous ses différentes formes. Cependant, pour ce qui est de la « question biblique » les conférences qu’il fit, en 1904, à la Cité Lunaret, montrent qu’il sut éviter de considérer « la tradition » comme une donnée figée. Si les livres saints ont Dieu pour auteur, ce sont des hommes qui les ont écrits, ils y ont mis d’eux-mêmes. La critique, dit-il, n’est « ni à dédaigner, ni à condamner ». Les variations d’un Évangile à l’autre « ne touchent à aucun article de foi ». Quant à la datation des Évangiles, c’est-à-dire la fixation du texte définitif, faut-il donner la priorité à Marc ?« C’est une opinion surtout en faveur chez les Anglicans ». À propos de Jean, l’orateur fait état des débats opposant divers exégètes. Il n’ignore pas l’Allemand Harnack. Ses lectures, la connaissance qu’il avait des écrits des exégètes et biblistes allemands, qu’il lisait en anglais ; celle de John-Henry Newman dont il possédait toute l’œuvre, en particulier l’Essai sur le développement de la doctrine catholique (1845), le laissaient moins démuni que la plupart des autres évêques face à la question complexe du « modernisme ». En plaidant à Rome en faveur de l’abbé Bremond, l’un des accusés, il montre qu’il sut distinguer entre « modernistes »et « modernistes » : l’abbé Bremond ou l’abbé Duchesne, n’étaient pas à mettre sur le même plan que l’abbé Loisy qui, au dire de l’un des suspects, le Père Lagrange « avec un remarquable esprit de système, élimine tous les textes où Jésus se dirait plus ou moins ouvertement Fils de Dieu au sens surnaturel » (Revue Biblique, 1903).

Sur le rôle de la femme chrétienne on trouve aussi chez le cardinal une audace qui peut surprendre : faire revivre l’antique usage de la consécration de personnes continuant à vivre dans le monde. Plus largement l’appui qu’il donne à quelques Héraultaises, Marie Autheman, Valentine Fabrège, Louise Guiraud, Paule de Crozals, Marie-Thérèse Sentis, Marie Reynès-Monlaur, atteste d’une prise de conscience qui précède chez lui l’hécatombe de 14-18 : les femmes ont un rôle important à jouer dans la vie chrétienne, la vie intellectuelle alors que la grande majorité des hommes ont pris leurs distances vis-à-vis du clergé.

2. Les difficultés du présent

Peu après son arrivée à Montpellier, le nouvel évêque affronte les difficultés politiques liées à l’arrivée des républicains au pouvoir, en 1876. Lors de la crise du 16 mai 1877, le Maréchal de Mac-Mahon, Président de la République ayant dissout la Chambre nouvellement élue, l’évêque s’engage dans la bataille électorale. Et il le fait par Lettre pastorale, du 22 août, « la rigoureuse obligation de notre charge ne nous laissant plus la liberté de nous taire ». Il invite les électeurs à voter pour les « candidats du Maréchal ». Or, dans l’Hérault, les conservateurs, qui obtinrent 45,6 % des suffrages, ne parvinrent cependant à faire élire que deux députés, Vitalis à Lodève, et Fourcade à Saint-Pons, au demeurant des modérés acceptant la République, et non des monarchistes. Lorsque l’évêque veut saisir un parlementaire d’une question, il doit avoir recours… au baron de Larcy, qui est député puis sénateur du Gard.

En 1879, la municipalité de Béziers est la première à supprimer les processions publiques. Montpellier suit en 1880.Et, l’année suivante, plusieurs autres communes. Dans une note de « Renseignements sur les évêques » d’octobre 1879 (Archives nationales F 19-5610), le Préfet présente Mgr de Cabrières comme un homme « jeune, actif, intelligent, ultramontain, légitimiste et clérical ardent ». Son influence « réelle dans certaines communes légitimistes, heureusement en petit nombre » ne saurait « en aucun cas devenir prépondérante et dangereuse dans un département tel que l’Hérault où l’opinion républicaine et anticléricale a l’immense majorité ».

Mgr de Cabrières, évêque de Montpellier, en 1874.
Fig. 1 Mgr de Cabrières, évêque de Montpellier, en 1874.

Cette analyse est fort exacte et elle vaut tout aussi bien en 1914. Le test c’est alors le nombre des hommes et jeunes gens (13 ans et plus) qui communient à Pâques, car « un bon Républicain ne peut être un calotin ». Il ne dépasse guère les 10 % (c’est bien différent pour les femmes, mais elles n’ont pas le droit de vote) : moins de 5 % dans la plupart des paroisses du Minervois et du Biterrois ; 7 % à Béziers ; 10 % dans la Vallée de l’Hérault ; un peu plus à Montpellier et dans le Lodévois. Les cantons où la pratique masculine dépasse le tiers sont peu nombreux : La Salvetat, Claret, Les Matelles, Castries-Nord, Lunel-Nord, Ganges où le taux frôle les 50 %.On sait aussi, qu’autour de Montpellier, il existe quelques paroisses (Pignan, Saussan, Murviel…) « blanches », où des « opiniâtres » résistent à la poussée des « rouges ». On pourrait citer encore Vailhauquès, Villeveyrac, Saint-Pons-de-Mauchiens 2.

Mgr de Cabrières entre dans l’histoire nationale au lendemain de l’incident du 16 octobre 1880, où, selon L’Illustration (image à l’appui) « l’évêque de Montpellier annonce au Préfet de l’Hérault son excommunication ». Il était venu protester contre les violences ayant accompagné l’expulsion des Carmes à Montpellier. On le représenta, tel un évêque ressuscité du Moyen Âge, mitre en tête et crosse en main. Or, le même préfet, M. Fresne, dans son rapport administratif du 28 décembre 1881, use du latin pour relever la courtoisie du prélat : il est « suaviter in modo », bien que solide dans ses convictions, « fortiter in re ».Pour les élections, en 1885, comme en d’autres circonstances, il n’y a pas de réels affrontements. Ainsi, en 1885, onze prêtres seulement sont signalés à la Préfecture pour leur engagement politique, quand ils sont 26 dans le Gard, 45 en Lozère, 46 dans l’Ardèche et 112 dans l’Aveyron. Préfet et Procureur général se félicitent en 1888, de « l’esprit de conciliation » de l’évêque. Il déplace sans difficulté les desservants incriminés.

Ce monarchiste est respectueux de l’ordre établi. Ainsi reste-t-il tout à fait étranger à l’aventure boulangiste qui cependant avait tenté certains catholiques, à Béziers, en particulier. De la République, associée chez lui à « la Révolution » (il faut entendre par là 1792, 1793 et 1794, mais non 1789) il se fait l’image d’un régime devenu une religion. À vrai dire, ce n’est pas sans de bonnes raisons tant les affrontements radicalisent les positions. C’est l’époque où l’on érige des Marianne alors que les missions paroissiales se terminent souvent par l’érection d’une statue de la Vierge Marie sur la voie publique… En 1890, il a refusé discrètement la Légion d’honneur. Il va de soi qu’il refuse la Marseillaise et le 14juillet : le plus souvent il a quitté Montpellier à cette date, il est en « visite pastorale », ou à Cabrières. Il faut attendre le14 juillet 1918 pour le voir célébrer une messe. En 1921, il accepte la Légion d’honneur.

À ses yeux, au début du XXe siècle, la République a les traits du radical et franc-maçon Louis Lafferre, député de Béziers et ennemi irréconciliable de l’évêque, malgré l’Union sacrée de 1914.

Ce monarchiste a accepté d’emblée le drapeau tricolore et s’est rallié aux Orléans après la mort en 1883, d’Henri V, le comte de Chambord. Il sait rendre hommage à Napoléon 1er. Le 17 octobre 1919, rencontrant à Paris, le cardinal Baudrillart, il lui aurait confié : « Royauté ou République, je veux bien pourvu que ce soit la France. Mais on ne peut pas demander de nous exiler de la France pour entrer dans la République », ou l’on voit bien à nouveau le sens qu’il a de la tradition.

Une remarque complémentaire a son importance : le cardinal n’est plus le jeune évêque, ou l’abbé nîmois. Ainsi, vis-à-vis des protestants, Guizot, par ses Méditations avait été à l’origine du retour à la pratique des sacrements du marquis de Cabrières, son père. L’évêque lui-même, à Nîmes, puis dans l’Hérault découvrit des « protestants honnêtes ». En 1922, ce fut le Pasteur Henry qui prononça son éloge funèbre à l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier. Vis-à-vis des Juifs, on doit noter que l’antisémitisme était, dans nos régions, un article d’importation eu égard sans doute au petit nombre de familles israélites bien intégrées. Vers la fin du XIXe siècle, sous l’influence des idées de Drumont, l’antisémitisme socio-économique (à distinguer de l’antijudaïsme qui est d’essence religieuse) s’était cependant développé touchant une extrême-droite proche de l’Action Française ; des démocrates-chrétiens, ainsi à La Croix méridionale ; des socialistes, les uns et les autres dénonçant l’usure et la banque juive. Mais Mgr de Cabrières, proche d’une famille comme les Leroy-Beaulieu, n’était pas… démocrate-chrétien.

Il avait lu Anatole Leroy-Beaulieu, auteur, en 1893, d’un gros ouvrage, Les Juifs et l’antisémitisme : Israël chez les nations. En 1902, à nouveau, le même auteur dénonça Les doctrines de la haine : l’antisémitisme, l’anti protestantisme, l’anticléricalisme : « On commence par le Juif, on finit par le Jésuite ». Les descendants d’une famille Aron, propriétaire du château de la Verrerie du Bousquet d’Orb, garde le souvenir des visites pastorales de l’évêque de Montpellier dans la paroisse : il descendait au… château. Ces descendants appartiennent à trois familles d’historiens très connus et dont je tiens le fait : le Doyen Jacques Godechot ; les professeurs Claude Fohlenet François-Georges Dreyfus.

Le cardinal de Cabrières (1911).
Fig. 2 Le cardinal de Cabrières (1911).

3. Un rôle national, une popularité élargie

On peut penser que jusqu’en 1905 Mgr de Cabrières était perçu très largement comme « l’évêque des Blancs ». Or, à partir de cette année-là, la situation évolua en sa faveur. Il s’était préparé à la loi de Séparation qu’il appréhendait avec moins de crainte que les évêques républicains, inquiets, plus que lui, des ressources à trouver pour le fonctionnement matériel de leurs diocèses. À plusieurs reprises, l’évêque de Montpellier avait vu son traitement (10 000 F) supprimé par le gouvernement : une souscription de L’Éclair était vite arrêtée, car la somme était largement réunie. La Séparation votée, se posa le problème des Associations cultuelles : les protestants, les Consistoires israélites, la majorité des évêques étaient partisans de les accepter : ils garderaient leurs lieux de culte, évêchés et séminaires. Mgr de Cabrières fut de la minorité qui incita le Pape Pie X à la résistance et au refus. Par voie de conséquence, il fut expulsé de son évêché en1906, les séminaires – le Grand et les deux petits – furent confisqués. En 1906 il fallut affronter les Inventaires. Mais que les sapeurs du Génie enfoncent les portes d’une église, va laisser des souvenirs. Et, comme il arrive toujours, la persécution stimule le zèle. Au demeurant le bâtiment église était considéré comme la propriété des habitants dans le monde rural. Des anticléricaux le défendirent tout comme ils se montraient attachés aux processions. On touchait là à l’identité des milieux culturels, en défiance vis-à-vis des pouvoirs. On constate que dans les années qui suivirent, les groupes de la Jeunesse catholique se firent plus nombreux, les associations de femmes catholiques prirent un grand essor, la « royaliste », Ligue de femmes françaises, à Montpellier, avec la marquise de Forton ; la « ralliée » Ligue patriotique des Françaises, à Béziers, avec madame Charles Viennet. Quant au long terme, le fait que l’État, pour la cathédrale, et les communes pour les églises, en aient la charge matérielle s’est révélé nettement positif pour une Église qui n’a pas demandé, en 2005, la révision de la loi de Séparation et du régime des cultuelles, à la différence des protestants.

Survient la crise viticole de 1907 et ses grandes manifestations prenant l’aspect d’une union des classes que l’évêque soutient. Alors que Clemenceau interdit au Préfet de prévoir l’accueil de nuit des quelques 500 000 manifestants qui avaient envahi une ville de 90 000 habitants. « Ils pourront bien passer la nuit à la belle étoile, cela ne leur fera pas de mal », Mgr de Cabrières, passant outre à la crainte de ses chanoines, fait savoir au Comité d’action viticole que dans la nuit du 8 au 9 juin, la cathédrale et les églises de Montpellier seront ouvertes. On sait la suite. Ce fut un colossal succès, l’un des grands souvenirs conservé par les mémoires, et bien au-delà des…Blancs et des pratiquants. N’oublions pas que la presse parisienne était au rendez-vous et ne fut pas avare de commentaires : « Je suis allé à la cathédrale vers le milieu de la nuit. Les fédérés exténués dormaient en longues files sur les dalles, sous la pâle lueur des lampes du sanctuaire. C’était bien l’ecclésia, la basilique des premiers âges, maison du peuple, abri pour tous » (E. Melchior de Vogüé).

En 1911, la promotion cardinalice flatta beaucoup l’amour-propre régional. Le nouveau cardinal fut longuement ovationné partout où il passa. Si Le Petit Méridional est réservé, Le Populaire du Midi, socialiste avoue « un plaisir sans mélange » car la police est absente lors du retour à Montpellier, de la gare à l’évêché. Ce fut ensuite la Grande Guerre et l’Union sacrée, à laquelle le cardinal donna d’emblée, et l’un des tous premiers, son adhésion ; Le voilà qui verse son or, en bon patriote : plus de 12 000 F au total ce qui lui vaudra une lettre de remerciements du Ministre des Finances. En 1917, de passage à Montpellier, le ministre Alexandre Millerand, ancien socialiste, fait cette déclaration, au Théâtre Municipal, les yeux tournés vers la loge où se trouve le cardinal : « Pour les catholiques c’est un grand évêque. Pour tous, c’est un grand Français ».

Le mode de scrutin ayant changé et dans l’élan de l’Union Sacrée, les élections de 1919 virent, pour la première fois dans l’Hérault, les candidats de la liste Union nationale arriver en tête et obtenir trois élus : Louis Guibal, Xavier de Magallon et Henri de Rodez-Bénavent. Il va de soi que la carte traduit toujours le clivage qui existe entre l’Est et l’Ouest du département, mais l’union réalisée alors dépasse sensiblement les zones « blanches » traditionnelles 3.

À vrai dire, le cardinal, nonagénaire, mourut au bon moment. Il ne vit pas la victoire du Cartel des gauches en1924. Ses obsèques, le 29 décembre 1921, furent triomphales. Quelques 10 000 arrivées par chemin de fer furent comptabilisées en gare de Montpellier. Curieusement, les aspects positifs du souvenir laissé par le cardinal furent peut-être plus largement transmis parmi ceux des Héraultais qui n’étaient pas les plus fidèles à la pratique ? Une des raisons est peut-être à rechercher dans le rôle que jouent les femmes dans la transmission ? Dans le clergé, parmi les catholiques militants, et plus encore parmi les successeurs du cardinal, comme nous croyons l’avoir montré 4 il aura fallu plus de huit décennies pour que s’apaisent les suspicions et les conflits internes nés de la crise de l’Action Française et du modernisme.

Accueil du cardinal de Cabrières à Pézenas (1911).
Fig. 3 Accueil du cardinal de Cabrières à Pézenas (1911).
Le cardinal de Cabrières à Saint-Guilhem-le-Désert (1921 ?)
Fig. 4 Le cardinal de Cabrières à Saint-Guilhem-le-Désert (1921 ?)

Notes

   1.Pour une présentation complète, cf. Le Cardinal de Cabrières (1830-1921). Un siècle d’histoire de France, Cerf-Histoire, 2007.

   2.Gérard Cholvy, Géographie religieuse de l’Hérault contemporain. Préface de Gabriel Le Bras, Paris, PUF, 1968.

   3.Voir Philippe Secondy, La persistance du Midi blanc. L’Hérault (1789-1962), Presses Universitaires de Perpignan, 2006.

   4.Dans l’Avant-propos de notre biographie. Celle qu’avait publié, en 1956, le chanoine Marcel Bruyère fut entravée dans sa rédaction par l’opposition de l’évêque de Montpellier.