Le château de Cambous et les Compagnons de France (1940-1942)
La Révolution Nationale et l’Armée nouvelle dans l’Hérault
1ère partie, Le château de Cambous et les Compagnons de France (1940-1942)
P. 151 à 194
Avec les années 1940, emporté dans le tourbillon de la défaite puis de la Révolution Nationale, le château de Cambous, à Viols-en-Laval (Hérault,) allait vivre des moments inattendus et pour le moins variés.
Avec l’été 1940, il accueille tout d’abord une troupe de quelques dizaines d’hommes de l’armée belge qui, sous le commandement d’Henry Gysels, avait en charge la protection de la trésorerie du corps d’artillerie et séjourna momentanément au château. C’était-là toutefois le lot de nombreux domaines susceptibles d’accueillir des réfugiés. Mais sans que rien ne l’y prédisposait particulièrement, il allait par contre devenir dans la foulée, dès l’automne 1940, puis en 1942, à l’époque où l’on prônait le retour à la terre, l’épicentre de deux expériences novatrices nées des idées nouvelles en matière de formation des jeunes gens, l’une civile, l’autre militaire.
Ainsi, dès l’automne 1940, un mouvement de jeunesse du régime de Vichy, les Compagnons de France, nouvellement créé, loue à Paul Pépin le château et quelques terres cultivables sises près de Saugras, y tentant de mettre en pratique, sous l’impulsion du chef Despinette (1918-2009) et d’autres leaders, les principes de la Révolution Nationale et s’efforçant surtout, en un département déjà naturellement déficitaire en céréales, fruits et légumes, de survivre comme il pouvait à la sévère disette alimentaire qui touchait alors toutes les couches de la population.
Peu après, avec l’été 1942, le nouveau chef de la XVIe division militaire, le général de Lattre de Tassigny (1889-1952), se lançait quant à lui dans l’acquisition du château et de quelques terres afin d’y mettre en pratique et développer les concepts novateurs de formation de l’Armée nouvelle qu’il avait déjà mis en œuvre, en France ou en Tunisie, à Opme et Salammbô, envisageant de créer à Cambous le premier domaine de régiment de France.
Les événements de novembre 1942 allaient toutefois faire avorter ce projet, un éphémère camp militaire, un camp léger d’instruction, avec 24 baraquements en dur, étant toutefois construit en 1945-1949, mais cédé dès 1950 à des prête-nom de l’Agence juive qui, jusqu’en 1958-1961, et profitant alors des installations militaires, utiliseront Cambous comme centre déformation et de transit pour plusieurs milliers d’enfants en partance pour Israël…
Après quelques indispensables rappels historiques sur la période 1914-1940 à Cambouis, notre étude de ce jour portera sur la seule période 1940-1942 (antérieure aux projets spécifiques à l’armée dite d’armistice), en insistant notamment sur l’aspect spartiate de la formation des Compagnons de France et surtout sur leur manière de tenter de survivre ici, en Languedoc, dans le cadre d’une drastique économie de guerre et d’un milieu fort aride.
L’immense empire foncier de Paul Pépin et la commune de Viols-en-Laval en 1939
Propriété de familles aristocratiques jusqu’en 1914, le château de Cambous et le fort grand domaine agro-sylvopastoral qui en dépendait jusqu’à cette date, soit près de 24 km2 en tout, avait connu dès le début du XXe siècle de nombreuses et originales vicissitudes. Il en connaîtra bien d’autres par la suite, devenant dès 1942, et à sa manière, l’une des pièces maîtresses de la Révolution Nationale.
C’était-là, depuis longtemps, une fort belle propriété, convoitée par de multiples familles et de multiples intérêts…
Pratiquement d’un seul tenant, ce gigantesque mais fort aride domaine était en 1914 réparti sur plusieurs communes de la région de St-Martin-de-Londres, s’étendant également sur le territoire de plusieurs cantons mitoyens du département, soit les communes de Viols-en-Laval (1 390 ha), Argelliers (392 ha), St-Martin-de-Londres (226 ha), Viols-le-Fort (141 ha), Les Matelles (72 ha), Cazevieille (63 ha), Murles (62 ha), et Le Mas-de-Londres (50 ha).
Tout d’abord acquis en 1914 par le député conservateur Pierre Leroy-Beaulieu (1871-1915), l’ensemble fut dès 1920 morcelé en trois parties distinctes, l’essentiel du domaine étant cédé par la veuve de celui-ci à un spéculateur israélite, Louis Bloch (1875-1937).
Celui-ci, un agriculteur natif de Paris et domicilié à Montpellier, fit alors, pour 350 000 F, l’acquisition du château et de la majorité des terres qui en dépendaient, notamment les vignobles, plus 230 000 F pour les cheptels, le prix de vente étant majoré de 150 000 F par les services fiscaux…
Parallèlement, un riche éleveur ovin de St-Vincent-de Barbeyrargues, Paul Pépin (1869-1954), qui s’était enrichi au cours de la guerre en fournissant des viandes aux autorités, faisait pour 60 000 F l’acquisition des immenses domaines pastoraux qui étaient sis au sud de la propriété, achetant les domaines de Lavit et Calages.
Enfin, un agriculteur local, Auguste Allègre, du Mas-de Londres, faisait pour sa part, moyennant 45 000 F, l’acquisition du domaine de la Pourcaresse sis quant à lui au nord de la propriété.
Dès 1924, Paul Pépin rachetait à Louis Bloch, moyennant 400 000 F, la majeure partie des terres acquises par celui-ci en 1920, puis lui rachetait en 1928, moyennant 400 000 F supplémentaires, le château et les dernières terres qui étaient restées en possession de celui-ci. Entre-temps, dès 1925, et ce jusqu’en 1944, il devenait maire de la modeste commune de Viols-en-Laval, localité dont il était le principal employeur.
Paul Pépin représente alors, en ces années 1920, l’exemple le plus parfait de la réussite sociale dans la paysannerie languedocienne, parvenant pratiquement à recomposer à son profit, à quelques exceptions près, l’ancien domaine seigneurial 1.
Avec les années 1940 et 1950, le château de Cambous changera toutefois à nouveau de mains à de multiples reprises et va même connaître, malgré un sévère et chronique manque d’eau, des utilisations pour le moins inattendues : lieu d’hébergement d’une unité de l’armée belge en 1940, lieu de séjour et de formation des Compagnons de France en 1940-1942, établissement militaire en 1942-1949 sous la forme d’un camp léger d’instruction, centre de formation et de transit de jeunes juifs à destination d’Israël en 1950-1961, etc.
Ainsi, le propriétaire des lieux, le père Pépin, Paul, accueille tout d’abord au château des troupes belges en mai- juin 1940, puis loue début novembre 1940 le château aux Compagnons de France, faisant ensuite, en août 1942, promesse de vente des lieux, avec le parc attenant, à la nouvelle armée française.
Celle-ci fort réduite en hommes, armements et matériels, avait été mise en place par le régime de Vichy dans la zone non occupée, en application des sévères clauses d’armistice qui réduisait cette nouvelle armée à 100 000 hommes seulement pour la métropole, sans aucune mécanisation, sans artillerie lourde et pratiquement sans aviation.
Mais cette vente, compromise dès novembre 1942 par les évolutions de la situation militaire et la dissolution de l’armée dite d’armistice, mais aussi par l’attitude du propriétaire, ne deviendra toutefois effective qu’en 1945, comme nous le verrons ultérieurement, en seconde partie de cette étude.
Commençons cependant par les événements propres aux années 1939-1940.
En 1939, à l’époque où la France va être plongée dans ce qui fut sans aucun doute l’une des plus terribles tragédies de son histoire, le conseil municipal de la fort modeste commune de Viols-en-Laval est composé selon l’Annuaire de l’Hérault des personnes suivantes : maire, Paul Pépin ; adjoint, H. Durand ; autres conseillers, J. Brun, G. Boussaguet, Séraphin Léandre,L. Pépin, J. Palmier et F. Pouget 2.
La commune est alors tout au plus habitée par une quarantaine de personnes, et comporte trois grandes exploitations agricoles
— Cambous : Paul Pépin, qui produit 780 hectolitres de vins, plus 780 autres au nom de Léon, son fils ;
— Peyres Canes : Soulas, le mas étant dit ruiné ;
— Roussières : Soulas.
Un certain J. Palmier (Jules Palmier) est cité comme métayer, sans précision de lieu (mais l’on sait qu’il s’agit de la ferme de Lavit, propriété des Pépin, où vivaient en 1937 les Portal), les principaux propriétaires de la commune étant la veuve Tardieu, la veuve Claparède, Paul Pépin, J. Malaval et Jh. Prieur.
Paul Marius Fulcrand Pépin, le maire, était alors un vieux patriarche spécialisé dans l’élevage, bien plus que dans la viticulture. Veuf depuis 1914 et maire de Viols-en-Laval, depuis 1925, époque où la métairie Pépin, citée au recensement de 1926, flanquait déjà le château que détenait encore Louis Bloch, il a soixante-dix ans quand éclate la guerre, régnant presque sans partage sur la commune comme le faisaient jadis les anciens seigneurs et propriétaires locaux, les Ratte, les Roquefeuil puis les Vinezac au XVIIIe siècle, les Vogüé et les Turenne ensuite.
Fils de Jean François Noël Pépin et de la première épouse de celui-ci, Clémentine Élisabeth Arnaud, morte dès 1873, Paul Pépin était né fin 1869, la même année que le mariage de ses parents, au hameau de Lancyre, à Valflaunès, se retrouvant très jeune privé de mère, son père se remariant en 1882. En 1899, il s’était pour sa part marié à St-Vincent-de-Barbeyrargues, s’installant alors dans la localité de son épouse, avec une de ses cousines directes, Augustine Antonia Pépin, née en 1874, également orpheline de mère très jeune (1876), une jeune femme dont il sera assez rapidement veuf, son épouse mourant dès 1914.
Bien que devenu maire de Viols-en-Laval en 1925, il était encore recensé à St-Vincent en 1926. Ce n’est en effet qu’en 1928-1929, et une fille étant déjà mariée, qu’il viendra vivre à Cambous, une fois le château acquis.
Mais une telle bâtisse, sera bien vite une bien trop grande demeure pour le nouveau châtelain des lieux…
Les lieux, composés d’immenses garrigues karstiques, et donc très sèches, sont cependant fort propices à l’élevage ovin, seule spéculation agricole possible en sus des coupes de bois, abondantes, et de la rareté relative des terres arables.
Aussi, alors que les troupeaux de plus de 400 ou 500 têtes étaient rares dans les zones de garrigues, 2 500 têtes d’ovins, un record régional, étaient ainsi citées dès 1860 pour un seul troupeau, celui de Cambous, à Viols-en-Laval
En effet, Cambous est alors, depuis bien des siècles, un immense domaine pastoral, comme le soulignent les chiffres indiqués en 1914 quand la marquise de Turenne en cédait l’essentiel à Pierre Leroy-Beaulieu, la vente comportant les cabaux de toutes espèces et notamment le cheptel suivant, arrêté à dix ou quinze bêtes ovines près, en plus ou en moins :
— 2 350 brebis, 100 béliers, 25 moutons et 1 300 agneaux (soit 3 775 ovins en tout) ;
— 6 paires de bœufs, 2 ânesses, 15 chevaux, 5 vaches, 2 génisses, 2 veaux, 1 taureau ;
— 3 truies et leurs petits, 2 porcs et la volaille ; plus tous les instruments agricoles et viticoles, ainsi que la vaisselle vinaire, en un mot tout ce qui sert pour l’exploitation du domaine (moins cependant diverses choses qui ne seront précisées qu’en fin d’acte, sans doute par désaccord au sujet de frais laissés à la charge de la venderesse, soit quatre coupes de bois à déduire, plus 100 brebis de réforme et 400 agneaux qu’elle se réservait).
Les Pépin, par la suite, géreront des cheptels ovins de près de 5 000 têtes et deviendront avec la seconde moitié du siècle les représentants de la profession, désormais craints et respectés par tous les troupeliers de la région, comme il appert de l’ouvrage que Pierre A. Clément consacrera au pastoralisme, développant tout un chapitre sur un arrière- petit-fils de Paul Pépin (En Cévennes, avec les bergers, Presses du Languedoc, 1991)…
Au recensement de 1936 la commune de Viols-en-Laval comportait 42 habitants 3, originaires de diverses régions de France ou d’Espagne, et répartis en huit ménages distincts. Le ménage Pépin est alors composite, avec la présence d’un gendre (le fils est encore célibataire), et emploie plusieurs bergers et chauffeurs, étendant ses personnels jusqu’au proche mas de Roussières, loué à ses propriétaires, les Soulas.
Les Pépin sont les employeurs de pratiquement tous les habitants de la commune et l’on remarque par ailleurs l’existence de deux sociétés de chasse, l’une à Cambous, l’autre à Roussières :
— n° 1 : Paul Pépin, propriétaire éleveur et patron, Léon Pépin, son fils, Joseph Brun, gendre du premier, Marthe Brun, son épouse, née Pépin, fille de Paul, et Paulette Brun, sa fille.
— n° 2 : Hyacinthe Durand et sa famille, berger de Paul Pépin.
— n° 3 : diverses personnes employées par Paul Pépin, dont trois bergers, un chauffeur et trois terrassiers.
— n° 4 : Paul Sebre et sa famille, garde-chasse de la Société de chasse de Cambous.
— n° 5 : Louis Paulcher et sa famille, berger de Paul Pépin, et dont le beau-frère, présent dans le ménage, est quant à lui jardinier dudit Pépin.
— n° 6 : Sylvain Germain et sa famille, berger de Paul Pépin, installé à Roussières, propriété des Soulas.
— n° 7 : Jean Avinens et sa famille, garde-chasse de la Société de chasse de Roussières, également installé dans ce hameau.
— n° 8 : Jules Palmier et sa famille, berger avec son fils de Paul Pépin.
Parallèlement, les difficultés financières se font jour et Paul Pépin, qui avait fait en mars 1930 l’acquisition de nouveaux biens sis à Argelliers, pour 5 000 francs, procède entre décembre 1935 et février 1939 à six ventes de biens situés sur diverses communes : à Assas et St-Vincent-de-Barbeyrargues pour 4 000 francs (décembre 1935) ; à Viols-en-Laval pour 55 000 francs (mars 1936) ; à Viols-le-Fort et Argelliers pour 182 000 et 28 000 francs (mai 1938) ; à Argelliers pour 1 700 francs (août 1938), et à Viols-le-Fort pour 6 000 francs (février 1939).
Les terres des Pépin s’étendant sur plusieurs communes, recomposant pratiquement l’ancien domaine seigneurial, hors Pourcaresse, le recensement de 1936 pour Argelliers fait apparaître à Saugras trois ménages, sans toutefois précision d’employeur :
— n° 43 : à Saugras même, Joseph Paya et sa famille, régisseur.
— n° 45 : à la source de Saugras, l’une des rares de la région, et dont l’on parlera plus loin, François Pigière et sa famille, domestique agricole.
— n° 46 : toujours à la source de Saugras, Pierre Cathalan et sa famille, également domestique agricole.
Depuis l’automne 1937, en dehors des lancinantes et infructueuses recherches d’eau souterraine menées ici ou là et qui s’aviveront avec les années 40 puis 50, quand Cambous hébergera des centaines de personnes, une affaire a priori criminelle obsède toutefois toutes les pensées : la disparition du berger Barthélémy Pélamourgues (1861-1937), un vieillard employé par Paul Pépin et qui avait disparu le 6 octobre en revenant du mas de Lavit, se rendant alors à Cambous pour mettre un terme à son emploi, porteur ce jour-là d’une assez grosse somme d’argent.
Les recherches infructueuses menées sur le causse ou dans les multiples avens de celui-ci par les spéléologues de renom et la gendarmerie, défrayeront la chronique dans les quotidiens montpelliérains, Le Petit Méridional et L’Éclair, d’octobre à décembre 1937, le corps n’étant retrouvé qu’en novembre 1940, soit plus de trois années après 4.
On en parlait beaucoup durant notre enfance, dans les années 70, époque où nous côtoyons presque journellement la dernière personne à avoir officiellement vu vivant le disparu, et on en parle encore abondamment de nos jours…
Veuf depuis 1914, et ayant perdu en 1927 sa fille aînée, Paul Pépin n’avait avec les années 1930 que deux enfants pour lui succéder : une fille aînée, Marthe, née en 1906 et qui sera mariée avec Joseph Brun (le couple étant recensé à Cambous en 1936 avec une fille, née en juillet 1929 à Viols-en-Laval), et un fils, Léon, né en 1909, qui était encore célibataire quand la deuxième guerre mondiale devait éclater et qui avait été rappelé aux armées dès le 26 août 1939.
Léon Pépin aux armées
Du 27 septembre au 1er octobre 1938, le fils unique de Paul Pépin, Léon (1909-1982), sous-officier de réserve, avait été momentanément rappelé à l’activité par les autorités militaires, devenu sergent-chef le 15 décembre 1937.
Les prémices de la nouvelle guerre l’amènent dès le 26 août 1939 à être rappelé à l’activité, avec arrivée au corps (dépôt n° 28 du Génie) le 27 5. Le 1er septembre, la mobilisation est générale en France, avec déclaration de guerre de la Grande- Bretagne puis de la France à l’Allemagne le 3 septembre. Mais la guerre, en dehors des opérations de Scandinavie et d’une timide escarmouche en Sarre, ne deviendra bien réelle pour les Français qu’avec le printemps 1940, à l’issue de ces longues périodes, sans franche offensive sur les frontières, qui resteront dans l’histoire sous le nom de Drôle de guerre.
Le 28e Génie est alors déployé sur le front alpin, en charge des fortifications destinées à contrer une éventuelle invasion par les troupes italiennes, disposant sur ses arrières du vaste dépôt montpelliérain où sert Léon Pépin, désormais trentenaire.
Le 17 mars 1940, il rejoint le bataillon de passage puis passe le 25 avril 1940 au bataillon d’instruction. Le 10 mai, les troupes allemandes, lancées dans une violente offensive terrestre et aérienne, attaquent aux Pays-Bas et en Belgique, les deux pays étant contraints à la capitulation dès les 15 et 28 mai. Les désastres militaires s’enchaînent ensuite (Sedan, Dunkerque, etc.), et le 22 juin un armistice est signé entre la France et l’Allemagne, avec les conséquences que l’on sait.
Resté aux arrières, Léon Pépin sera démobilisé à Montpellier le 17 juillet 1940 puis s’empressera de se marier, les événements militaires ayant quelque peu retardé une cérémonie qu’une première grossesse, avec accouchement en décembre, rendait pour le moins urgente.
C’est à Viols-le-Fort, la localité voisine, que Léon Marie Louis Pépin (1909-1982) ira prendre épouse en la personne d’Anastasie Marie Toussaint Claparède (1917-1995), une jeune orpheline de mère, née le 19 juillet 1917 à Viols-le-Fort, fille de Benjamin Claparède, pour lors marchand de charbon, et de feue Honorine Eugénie Baptistine Amalou, morte dès 1920.
Benjamin Claparède, le père de la future mariée, était né à Viols-le-Fort en mai 1883, d’une famille au patronyme fort répandu dans la contrée, second fils d’un roulier puis marchand de charbon. Honorine Eugénie Baptistine Amalou, était née pour sa part en février 1891 à Viols-le-Fort, fille d’un bûcheron.
Disparue précocement, elle était morte en mars 1920 après avoir eu deux enfants, une fille, Anastasie, la mariée de 1940, et un fils, Edmond, né en 1914, qui restera célibataire. Son époux, Benjamin Claparède, devait lui survivre quant à lui jusqu’en novembre 1968.
La cérémonie de mariage sera différée en raison des événements militaires, Léon Pépin n’étant démobilisé que le 17 juillet 1940. Le mariage eut ainsi lieu le 7 septembre 1940 à Viols-en-Laval, avec pour témoins André Virenque, ingénieur électricien à St-Martin-de-Londres (recensé à Cambous avant-guerre), et Joseph Claparède, épicier à Viols-le-Fort, le père Pépin, alors maire de Viols-en-Laval, se faisant représenter pour dresser l’acte par Clément Durand, l’un des conseillers.
Ce mariage entre le futur châtelain de Cambous et une jeune orpheline de mère du village voisin fera beaucoup jaser comme nous le confiait une des filles du couple, d’autant plus qu’un premier enfant devait naître dès décembre 1940.
Le couple aura cinq enfants. Mais, au grand désespoir de Paul et Léon Pépin, le petit-fils et fils tant souhaité, comme cela était le cas dans toutes les familles de grands propriétaires fonciers, se fera quelque peu attendre, jusqu’en 1949. Viennent en effet tout d’abord quatre filles, la première fin 1940, les autres en 1942, 1945 et 1946.
Le sommier du répertoire général du bureau de St. Martin-de-Londres pour 1913 et les époques ultérieures 6, nous fait savoir qu’en tant qu’enfant mineur, Léon Pépin fit l’objet dès 1914, après le décès de sa mère, de premières opérations immobilières pour St-Vincent-de-Barbeyrargues et St-Clément-la-Rivière. Il en était de même pour sa sœur, Marthe.
En décembre 1935, alors qu’il est désormais revenu du service militaire depuis la fin de l’année 1931, il faisait cession pour 89 000 francs de biens sis dans ces deux communes ainsi qu’à Assas. En mars 1936, il achète par contre pour 55 000 francs quelques terres et immeubles par destination au domaine de Cambous, à Viols-en-Laval.
Dès le 13 mai 1938, il récupère par préciput une partie du domaine de Cantagrils, à Argelliers, Viols-le-Fort et Viols-en-Laval (28 000 F), faisant en janvier 1939 cession d’un bois sis à Viols-le-Fort (6 000 F), puis en septembre 1942 d’une vigne sise à Viols-en-Laval (2 500 F).
Le 19 mai 1943, on le voit apparaître pour la création d’une société (5 000 F), avec acquisition d’un camion Renault en sus (100 000 F), ayant pour objet « exploitation forestière et transport de produits agricoles ».
Mais sa réelle autonomie foncière et financière n’interviendra réellement qu’avec le partage familial du 11 juin 1946, enregistré le 19, pour 1 250 000 F 7, par lequel le père Pépin établit alors au profit de ses deux enfants, Léon et Marthe, un partage en bonne et due forme de ce qui reste des biens familiaux, hors terrains cédés à l’État en 1942-1945 (le château, le parc et quelques terres), dont nous reparlerons en temps opportun.
L'armée belge à Cambous (printemps et été 1940)
A l’occasion de la débâcle des armées belges et anglo-françaises de mai-juin 1940, de nombreuses troupes belges, environ 150 000 hommes, et de nombreux civils belges se réfugièrent en France, s’installant pour certains, peu ou prou durablement, au-delà de la ligne de démarcation définie en France entre la zone occupée par les Allemands, au nord et à l’ouest, et la zone dite libre, au sud, sur laquelle le régime de Vichy était appelé à régner, dans une très relative autonomie en 1940-1942, sous occupation et inféodation totales ensuite.
La capitulation du roi des Belges, Léopold III, survenue dès le 28 mai, entraîna la démobilisation de son armée bien avant la fin des hostilités sur le front français, mais le gouvernement social-chrétien d’Hubert Pierlot, réfugié en France et refusant la défaite, décida néanmoins de poursuivre le combat, annonçant détenir désormais les pleins pouvoirs constitutionnels, le roi n’étant plus en situation de gouverner, et s’installant à Londres dans la foulée.
Une fois l’armistice franco-allemand signé le 22 juin, le renvoi en Belgique des soldats et des réservistes de l’armée royale belge qui se trouvaient en France, avait été envisagé dès le début du mois de juillet 1940 à Wiesbaden, la localité où siégeait la Commission d’armistice.
L’évolution de la situation militaire et politique devait ralentir cependant le processus. La guerre se poursuivait en effet contre la Grande-Bretagne, le régime de Vichy se mettait timidement en place, avec une grande incertitude concernant sa flotte et son empire, et les conditions pratiques de l’armistice franco-allemand, non encore définies le 22 juin, tardaient quelque peu encore à être négociées entre les anciens adversaires. Sans parler de la désorganisation complète du réseau ferroviaire franco-belge et des lignes militaires à franchir puisque, outre la ligne de démarcation, il fallait franchir les limites de la zone interdite, au nord de la France, puis la frontière belge, dans une zone où les destructions de ponts et de voies ferrées avaient été importantes…
Ce rapatriement prendra donc de nombreux mois et c’est ainsi qu’à la mi-septembre 1940, seulement 68 000 soldats belges, sur 150 000, et seulement 1 400 officiers belges, sur 14 000, auront pu regagner la Belgique selon les chiffres officiels fournis par la Commission allemande d’armistice siégeant à Wiesbaden.
Compte-tenu du repli en France de nombreux soldats belges, des unités entières de l’armée du roi Léopold III vinrent séjourner dans l’Hérault. C’est ainsi que le 40 bataillon TTr de l’armée belge, unité de renfort et d’instruction des troupes de transmission, rattachée au Centre de renfort et d’instruction du Génie belge, cantonnée le 10 mai à Vilvorde, près de Bruxelles, sous le commandement du major Housiau, gagne Ostende le 11 mai, se repliant sur Angers, en France, dès le 14 mai, atteignant Saumur le 17 mai, gagnant ensuite Castries, près de Montpellier, via Narbonne, le 21 mai 8.
Le 27 mai, le 40e bataillon, avec le baron Jean Ladislas Marie Eeman, capitaine et commandant honoraire du Génie belge, est à Montpellier, s’installant le 29 mai à St-Martin-de-Londres puis le 11 juillet au Mas Blanc, à St-Mathieu-de-Tréviers.
À l’inverse, le 24 août, reprenant sa route vers le nord, le bataillon partira de Tréviers et arrivera le 31 sur la ligne de démarcation, à Paray-le-Monial, gagnant ensuite l’Allemagne de 1er septembre, mettant quatre jours pour atteindre Hammerstein, où se trouvait le stalag II 23.
Parallèlement, des unités belges viennent séjourner au château de Cambous, à Viols-en-Laval, où elles sont accueillies, sans doute dès la fin mai, par Paul Pépin (1869-1954), maire depuis 1925 de la commune et propriétaire depuis 1928 du château. Elles y resteront jusqu’au 10 août 1940, les officiers les commandant y ayant séjourné avec leurs épouses pendant plus de deux mois.
Entre-temps, le 17 juillet 1940, le sergent-chef Léon Pépin, du 28e Régiment du Génie de Montpellier, regagne ses foyers, alors définitivement démobilisé.
Après septembre 1940, au plus tard en 1944-1945, le commandant Henri Gÿsels, chef semble-t-il d’une unité comptable de la trésorerie de l’artillerie d’armée belge (36 hommes, officiers compris), alors secondé par le lieutenant Edgard Bÿleveld, adressera à Paul Pépin, depuis Malines (ou Mechelen), une localité de la région de Bruxelles, un album photographique comprenant 69 vues prises à Cambous ou dans les montagnes de l’Aubrac, à l’occasion du séjour qu’il effectua avec sa famille et sa modeste troupe chez les Pépin pendant le printemps et l’été 1940 9.
Légendé à la plume, d’une main très habile, chaque planche ou photographie faisant l’objet d’un sobre commentaire, il porte en présentation la mention :
Cet album est offert à Monsieur Paul Pépin,
châtelain de Cambous,
Maire de Viols-en-Laval (Hérault),
en souvenir du charmant et inoubliable accueil qu’il
réserva au Commandant Gÿsels et à sa famille
Malines (Belgique), Septembre 1940
Ces 69 vues, parfois fort remarquables, réalisées avec au moins deux appareils différents, sont réparties sur 22 planches différentes, comportant chacune une à cinq photographies, et dont certaines sont relatives à la transhumance et à la fenaison. Il a notamment l’avantage, sur le plan architectural et du foncier, de nous montrer les corps de bâtiments agricoles et pastoraux qui flanquaient à cette époque l’ancienne bâtisse seigneuriale, avant leur démolition à la fin des années 1940, et que nous ne connaissions que par le cadastre.
Il nous montre ainsi le château, en vues externes et internes, tel qu’il était à l’été 1940, avec des corps de bâtiments aujourd’hui disparus, qui seront détruits en 1945-1950 au temps de l’armée française puis de l’arrivée des structures sionistes, et nous montre aussi, sur le plan du pastoralisme, des vues de transhumance en Aubrac prises en juin ou juillet 1940.
Ce remarquable document iconographique, dont nous avons pris copie intégrale, est aujourd’hui détenu par une petite-fille de Paul Pépin, qui a bien voulu nous le communiquer.
Les commentaires des illustrations de chacune des planches sont les suivants :
— pl. 1 : Château de Cambous, Lanterne du portique d’entrée (porte du château).
— pl. 2 (4 vues) : Visite à Cambous du Lieutenant d’artillerie Georges Gÿsels.
— pl. 3 (4 vues) : Charroi de la Trésorerie de l’artillerie d’armée belge (3 vues) ; Cour intérieure avec puits, vue prise du donjon (1 vue).
— pl. 4 (5 vues) : Grille d’entrée (à hauteur de l’ancien chemin aujourd’hui intégré dans le parc, soit nettement au-delà de la grille actuelle) ; Escalier d’honneur ; Puits dans la cour centrale ; Mine Zan Baelem sur le donjon ; Horloge du château et du village.
— pl. 5 (4 vues) : Salle d’honneur ; [Le] Lieutenant et Mine Bÿleveld at home ; La belle cheminée ; Encore l’apéro.
— pl. 6 (4 vues) : Mme Renier à sa popote ; Pendant l’apéro dans la salle d’honneur ; Les cordons bleus à l’œuvre (2 vues).
— pl. 7 (4 vues) : Lieutenant Bÿleveld devant la mare (semblant jeter une grenade ou du moins un caillou) ; Mlle M. L. Gÿsels à sa fenêtre (dans la tour sud-occidentale, au 1er étage, à hauteur de la cloche) ; Mme E. Bÿleveld à sa fenêtre (la 1re fenêtre du premier étage, à droite de la tour nord-occidentale) ; En route pour dépister les « présidents » (le commandant et le lieutenant, armés de bâtons, partent peut-être chercher des lapins).
— pl. 8 (1 vue) : Commandant Henri Gÿsels [et] Lieutenant Edgard Bÿleveld (au-devant de la porte d’entrée du château).
— pl. 9 (5 vues) : Cimetière de moutons (3 vues de charognes laissées en plein-air à même le sol) ; Départ pour Montpellier ; Avec le sourire (Paul Pépin tenant les brides du cheval de son engin hippomobile partant pour la fenaison).
— pl. 10 (1 vue) : Sur la route de Ganges à Montpellier (militaires et civils au-devant d’un véhicule).
— pl. 11 (4 vues) : Personnel de la Trésorerie belge (12 hommes, dont un en civil, Albert Renier) ; Les comptables et chauffeurs (12 hommes) ; Rue du Clos René à Montpellier (des civils entrent dans les locaux, à gauche d’une manufacture, de l’Oeuvre Nationale, ou Nationale Instelling, de service social aux familles des militaires belges) ; Officiers et personnel (12 hommes).
— pl. 12 (4 vues) : Pendant la sieste (2 officiers et 5 femmes) ; Avec le sourire (idem) ; Retour de Montpellier (même vue que la pl. 10) ; Sur la route de Ganges, près de l’octroi (civils et militaires à l’arrière d’une camionnette, ouverte).
— pl. 13 (4 vues) : Mr et Mme Albert Renier ; Madame Henri Gÿsels ; À l’intérieur de la camionnette ; Retour de Montpellier (même vue que pl. 10 et 12.3).
— pl. 14 (1 vue) : Le maire et sa « mignonne » (Paul Pépin et la fille du commandant Gÿsels, ainsi que celui-ci, avec au premier plan des brebis en train de paître).
— pl. 15 (4 vues) : À la pâture (même vue que pl. 14) ; Les Trois amis (mêmes personnages que précédemment) ; Le chapeau et l’inséparable pipe du maire (Paul Pépin) ; En route pour la fenaison (Paul Pépin, le cheval et l’engin agricole).
— pl. 16 (1 vue) : Les remerciements émus pour l’inoubliable hospitalité reçue à Cambous (Paul et Léon Pépin, père et fils, embrassent deux femmes âgées).
— pl. 17 (5 vues) : En route dans les montagnes de l’Aubrac (bergers) ; Léon Pépin et son plus jeune [agneau] (illustration pages précédentes) ; Après la bénédiction du troupeau (photographie sans doute prise peu après le 17 juillet 1940, date de la démobilisation de Léon Pépin, avec bêtes et civils à l’est de l’ancienne bergerie, antérieure à 1829, qui est aujourd’hui devenue la maison du fils de Léon Pépin et le restaurant Le Sounal, avec en arrière-plan le château) ; La mare et la cible (vue de la grande lavogne au nord du parc) ; Dans les montagnes de l’Aubrac (le troupeau).
— pl 18 (1 vue) : Le pâtre des montagnes et sa famille (avec Léon Pépin à gauche).
— pl. 19 (5 vues avec pour légende générale : Dans les montagnes de l’Aubrac) : Louise [Bousquet], son mari [Hyacinthe Durand] et son petit-fils [Louis] (1 vue) ; Le pâtre Hyacinthe Durand, Louise et le petit Louis. Le boulanger Bouet et son fils René (Hyacinthe Durand, né à St-Julien-du-Tournel, en Lozère, vers 1872-1885 selon les recensements, était le chef de ménage n° 2 à Cambous en 1936, au service des Pépin avant 1926. En 1921, il était maître-berger chez les Soulas, au domaine voisin de Roussières. Son épouse, Louise Bousquet, était née vers 1884-1885, également à St-Julien, ou à La Bessière, selon les recensements. Leur petit-fils, Louis, est né en 1935. Philippe Durand, leur fils, né en 1914, était quant à lui chauffeur des Pépin en 1936) ; Vue ouest du château (la cour vide de toute chose) ; En route pour la messe du dimanche.
— pl. 20 (5 vues) : Les adieux (3 vues avec Paul Pépin, dont une identique à la pl. 16) ; La famille Frèzes (Jean Frèzes, un représentant de son métier, que l’on retrouvera en 1944 sur une vue prise à Cambous) ; Préparatif de départ.
— pl. 21 (1 vue) : En toute sympathie (photographie du commandant Gÿsels) avec signature Henri Gÿsels (Une autre vue, prise ultérieurement, à un grade supérieur, est jointe à l’album, envoyée à la famille Pépin quelques années après la confection de l’album).
— pl. 22 (1 vue) : Tout est prêt pour la rentrée en Belgique. 10. VIII. 1940 (vue identique à celle de la pl. 20.5).
Le 10 août 1940, les Belges venus à Cambous pour d’étranges et insolites vacances forcées, regagnaient leurs foyers ou gagnaient sans doute aussi des camps de prisonniers. Une chape de plomb s’était alors abattue sur l’Europe. Elle durera selon les régions jusqu’à l’été 1944 ou le printemps 1945…
Aussi, ces images radieuses, prises loin des régions dévastées de Flandres ou d’Artois, dans une région paisible, le Languedoc, encore non occupée par les troupes allemandes, au cours d’un séjour vécu comme une sorte de villégiature dans un inespéré havre de paix, à l’abri de la tempête qui soufflait sur l’Europe depuis l’été 1939, ne doivent pas cependant nous faire oublier l’effroyable enfer que vont connaître les populations françaises et belges, et bien d’autres aussi, jusqu’à la fin d’un terrible conflit, aussi dévastateur que meurtrier.
Quelques semaines après ce départ, le 7 septembre 1940, le fils unique de Paul Pépin, Léon, se mariait, puis, le 1er novembre 1940, les Compagnons de France, devenus locataires du château, s’installaient sur les lieux. Le tour de l’armée française viendra ensuite, avec l’été 1942.
Une page se tournait, une autre, fort capricieuse et pour le moins douloureuse, s’ouvrait…
Le choc de la défaite et la recherche de centres de formation et d'encadrement pour la « France nouvelle »
Dès l’été 1940, la France étant ébranlée jusque dans ses tréfonds par le choc de la défaite du mois de juin, la restructuration morale et politique du pays est entreprise par le régime de Vichy.
En juillet, L’État français remplace la République et met fin à toute activité parlementaire. Sa devise, Travail, Famille, Patrie, flatte de nouvelles valeurs morales et un culte exacerbé du chef se développe partout à la tête de l’État, avec le maréchal Pétain, qui dispose désormais des pleins pouvoirs et qui est quasiment déifié par la propagande, comme dans les moindres structures administratives ou associatives.
Ce nouveau régime, s’il est autoritaire et réactionnaire dans ses principes fondateurs, menant de plus une politique raciale et anti-maçonnique rapidement proche de celle du régime nazi, ne saurait cependant être, contrairement aux idées reçues, un bloc homogène. Il est en effet traversé par des courants contradictoires, de toutes nuances et tendances politiques, qui n’auront de cesse d’évoluer dans le temps, soit vers davantage de collaboration avec l’Allemagne nazie, soit vers davantage de résistance à celle-ci, avec pour date charnière le 11 novembre 1942, époque où la totalité du territoire national est occupée par les armées ennemies par suite du débarquement américain en Afrique du Nord, puis janvier 1943, époque où il devient désormais certain, après Stalingrad, que l’Allemagne perdra tôt ou tard la guerre.
De réputés serviteurs de Vichy, tels Jean Moulin ou François Mitterrand, ne seront-ils pas, chacun à sa manière, tout comme Guillaume de Tournemire (1901-1970), l’un des chefs des Compagnons de France, d’authentiques résistants, même si quelques-uns mirent parfois un certain temps pour comprendre que Vichy était tout, sauf l’honneur de la France ? Pour nombre de Français, Vichy est en effet un moindre mal, un passage obligé, pour éviter au pays de subir le sort de la Pologne, et donc, en principe, pour adoucir les duretés de l’occupation allemande. Pétain, dit-on, serait le bouclier et les plus visionnaires disent : et De Gaulle l’épée…
Mais on sait ce qu’il devait advenir de telles vues. Avec l’été 1940 et les années suivantes, tout ce que le pays compte alors de forces politiques d’extrême-droite : monarchistes, partisans des régimes républicains ou royalistes de type fasciste, catholiques traditionalistes, etc., va cependant tenter de s’assurer le contrôle complet des administrations comme des faits et des gestes, et même jusqu’aux âmes, des citoyens.
Un Ordre nouveau, inspiré par bien des aspects de l’Italie mussolinienne et de l’Espagne franquiste (pays ou Pétain fut ambassadeur auprès de la junte militaire, à Burgos), mais paradoxalement sans parti unique, va se mettre en place, avec toutes les contradictions et les errements que l’on sait.
Ainsi, dès la fin 1940, le nouveau gouvernement français né de la défaite, ouvertement fasciste dans ses principes fondateurs, mène une politique de plus en plus collaborationniste avec l’occupant, marquée en 1941 par la création d’unités militaires françaises combattant sous uniforme allemand sur le front de l’est, telle la Légion des volontaires français contre le bolchevisme, ainsi que par la création d’unités répressives destinées à agir sur le sol français, tel le Service d’ordre légionnaire (1940-1941) ou la Milice française (1943).
Il va de soi que cette politique et les structures qui l’accompagnent perturbent fortement les esprits. Les Laval, les Doriot, les Déat, ne sont pas en effet les idéaux de tous les patriotes et l’on sait l’armée française préparer déjà, et fort secrètement, sa future mais encore très hypothétique revanche…
Parallèlement, le lieu relativement inhabité et sans grande utilité qu’était à cette époque le château de Cambous (lui même, hors son domaine, du plus grand intérêt économique), pouvait intéresser plusieurs autorités à la recherche d’un lieu discret, éloigné des villes, mais pas trop, où l’on pouvait se livrer à toutes sortes de projets et de perspectives, aux buts avoués ou parfois plus inavouables – occuper utilement, dans un esprit patriotique et de travaux d’intérêt général, les jeunes gens, âgés de 20 ans, des classes mobilisables non encore appelées en mai-juin 1940, ainsi que des classes ultérieures, ce qui sera, sous l’impulsion du général Joseph de La Porte du Theil (1884-1976), le rôle des Chantiers de la Jeunesse, structure paramilitaire à recrutement obligatoire, qui sera principalement affectée dans la région à des missions forestières ou à des missions d’électrification et de voirie rurale, avec notamment trois groupements implantés non loin de Cambous, à St-Guilhem-le-Désert (groupes Bournazel, Foucauld et Lyautey), dont l’état-major était basé à la maison forestière de Larcho, près de Lodève (groupement n° 24 sous les ordres du commissaire Georges Piquet) 10.
— occuper utilement, dans un esprit similaire, mais sur la base du volontariat, les jeunes gens de 14 à 19 ans qui avaient fui la zone occupée et s’étaient alors réfugiés sans ressource en zone libre, ou bien les jeunes chômeurs, ce qui sera, à l’initiative d’Henry Dhavernas (1912-2009), le rôle des Compagnons de France, structure paramilitaire indépendante, du moins en principe, des autorités gouvernementales, et s’érigeant alors comme un scoutisme laïque, indépendant de toute organisation politique, ancienne ou nouvelle, ainsi que de toute structure confessionnelle 11.
— former les cadres de la nouvelle armée française de métropole, de 100 000 hommes au maximum, dite Armée d’armistice, dont plusieurs officiers supérieurs préparent clandestinement la revanche à partir du faible noyau d’hommes et des maigres armements qui sont alors sous leur responsabilité, tels Jean de Lattre de Tassigny (1889-1952), général de corps d’armée commandant la XVIe division militaire à Montpellier à partir de février 1942, et le général Charles Delestraint (1879-1945), fondateur de l’Armée secrète 12.
De ce fait, tout en gardant les terres avoisinantes du château, utiles à l’agriculture et à l’élevage, le propriétaire de Cambous, Paul Pépin, pouvait rentabiliser l’onéreuse acquisition qu’il avait faite en 1928 du château et des terres alentours (400 000 francs de l’époque, à ajouter aux acquisitions antérieures de 1920-1924, soit 460 000 F en sus).
Après avoir servi en 1940-1942 de lieu de séjour aux paisibles Compagnons de France, le château de Cambous deviendra ainsi par la suite, à partir de l’été 1942, l’un des épicentres d’une hypothétique revanche militaire contre l’Allemagne. Il est pour cela transformé en un lieu de rencontres peu ou prou secrètes, parfois menées à l’insu d’un haut encadrement militaire qui reste à cette époque, comme nombre d’officiers et de sous-officiers, en grande partie acquis aux principes de la Révolution Nationale. Quoi de plus neutre en effet que ce château, que les Compagnons de France, louaient à un agriculteur, pour sortir du cadre un peu trop conventionnel et surtout un peu trop surveillé des casernes du Montpelliérais ?
De nombreux officiers français préparaient en effet, depuis l’été 1940, la future mais alors improbable revanche militaire à laquelle, tôt ou tard, ils pensaient pouvoir participer.
Aux premiers jours de juillet 1940, alors que de nombreux avions et que de nombreuses armes ont déjà gagné l’Afrique, le général Colson, sous-secrétaire d’État à la guerre, envisageait ainsi la possibilité d’une nouvelle guerre contre les troupes allemandes en donnant l’ordre, dans une note manuscrite, que « le maximum de matériel soit soustrait à l’ennemi en le camouflant chez des civils volontaires ou dans des dépôts clandestins ».
Des armes sont ainsi cachées dans diverses fermes ou diverses cavités souterraines de l’Hérault, notamment en Larzac, dans la région de la Vacquerie, mais aussi dans la région de St-Martin-de-Londres. En 1942, au temps du général de Lattre, secrètement chargé d’aider les Alliés à intervenir sur les côtes méditerranéennes puis d’aller reprendre Paris, on en immergera même dans les étangs du Montpelliérais…
De son côté, dès 1940, le colonel du Tertre créait 18 sociétés civiles à qui il confiait 3 500 camions militaires. Toujours dès 1940, un plan de mobilisation secrète prévoyait la mise en place de 24 divisions, etc. Mais la situation sera d’autant plus délicate que les chances de revanche sur l’Allemagne et l’Italie, son alliée, sont alors fort improbables…
Bien rares en effet, en juin 1940 – mai 1941, sont les hommes politiques et les militaires qui ne sont pas persuadés que l’Allemagne va inévitablement gagner la guerre. La Grande-Bretagne, assiégée sur les mers comme par les airs, désormais dépourvue de tout allié sur le continent, ne saurait longtemps se battre seule, l’Union soviétique n’entrant en guerre qu’en juin 1941, les États-Unis d’Amérique en décembre 1941.
Pire, les événements de Mers El-Kébir ont développé une vive anglophobie dans ce qui peut bien rester de l’armée française, tant dans celle de métropole, déchirée par ses contradictions, que dans celle de l’Empire. Là où sont nombre de troupes passives, restées fidèles à Vichy, hors les troupes, alors encore fort réduites, qui s’étaient ralliées au général De Gaulle et qui, sauvant l’honneur de l’armée française, continuaient donc la guerre aux côtés de la Grande-Bretagne, mais affrontant au besoin, à Dakar ou en Syrie, d’autres soldats français…
Il faudra donc attendre l’entrée en guerre des États-Unis d’Amérique, en décembre 1941, pour que l’encadrement militaire de métropole et d’Afrique du Nord puisse envisager sérieusement un retournement possible de situation. Pour peu cependant que les affaires du Pacifique, fort mal engagées en leur début, ne prennent pas le pied sur celles d’Europe…
Mais revenons-en à l’été et à l’automne 1940, époque où diverses structures paramilitaires, à mi-chemin entre le scoutisme et une armée véritable, chargées de former des hommes nouveaux et d’encadrer la jeunesse de France, se mettent en place.
Les Compagnons de France en seront l’un des plus notables pivots, suppléant ici ou là les nombreux agriculteurs, forestiers ou cantonniers qui, envoyés au front en 1939-1940, étaient désormais prisonniers en Allemagne. Dès l’automne 1940, de premiers contingents de Compagnons viendront ainsi s’installer au château de Cambous (cf. infra).
Le mouvement Compagnons
L’association Compagnons de France, mouvement de jeunesse non officiel, mais néanmoins fortement influencé par la politique gouvernementale et les directives du Maréchal, fut créée le 25 juillet 1940 dans la zone sous l’autorité du régime de Vichy, la zone dite libre, par Henry Dhavernas, un inspecteur des finances qui était devenu, en 1939, commissaire général par intérim des Scouts de France et qui, jusqu’aux années 2000, bien que alors très âgé, œuvrera longtemps dans cette mouvance.
On prendra garde toutefois à ne pas confondre cette association, à recrutement strictement basé sur le volontariat, avec les Chantiers de la jeunesse créés à la même époque, mais auxquels étaient obligatoirement astreints les jeunes gens de vingt ans et plus. De même, ces Compagnons de France de Dhavernas, des super-scouts, pour employer les termes d’un colonel à qui nous demandions des renseignements sur le Cambous des années 1940, n’ont rien à voir avec les organisations professionnelles du type Compagnons du Tour de France et autres Compagnons du Devoir…
Dans la foulée, du 1er au 4 août 1940, le premier rassemblement de la forêt de Randan, tenu dans une clairière, près de Vichy, sur les terres et près du château ruiné de la duchesse de Montpensier, réunissait une quarantaine de jeunes gens de bonne famille (38 hommes et 8 femmes), responsables de diverses associations politiques, éducatives et confessionnelles du pays : Scouts de France, Association catholique de France, Union chrétienne des jeunes gens (protestants), Auberges de jeunesse, Frontistes de Gaston Bergery, jeunes syndicalistes de la Confédération générale du travail, jeunes d’extrême-droite du Parti populaire français de Jacques Doriot et du Parti social français de François de la Rocque, mais aussi jeunes d’un Parti socialiste en pleine déliquescence.
Une charte commune tenta alors de codifier les liens de camaraderie entre mouvements et leur indépendance vis à vis des problèmes politiques du moment.
L’association Compagnons de France fut enregistrée au Journal officiel le 14 août 1940 et se vit attribuer une dotation initiale de 6 millions de francs, renforcée dès les mois suivants par une allocation de 19 millions supplémentaires, dotations pour lesquelles on soupçonna rapidement Dhavernas de détournements.
Elle groupa tout d’abord quelques milliers de jeunes gens (6 000 en septembre 1940, dont 70 % de réfugiés, aux alentours de 30 000 ensuite), répartis en 200 compagnies environ, elles-mêmes regroupées en commanderies, pays et provinces, plus une douzaine de camps-écoles chargés de former les cadres. En janvier 1943, ils seront près de 33 000, dont près de 7 000 pour le Bas-Languedoc.
L’uniforme des Compagnons, d’allure paramilitaire, avec un quelque chose de jeune phalangiste, était bleu nuit une chemise à deux poches et pattes d’épaule cravate rouge (ou beige clair, voire bleue pâle ou jaune, fin 1940) ; culottes courtes ou pantalons de ski selon la saison ; béret bleu foncé porté à droite et orné d’un coq gaulois de clocher ; écusson de province cousu à la manche droite.
Mais nous sommes à une époque où, de gauche comme de droite, pratiquement tous les mouvements de jeunesse, d’avant-guerre puis de début de guerre, défilaient en uniforme, avec des allures fort militaires, et les Compagnons n’échapperont donc pas à cette règle.
Leur mode de vie était assez spartiate, avec lever à 6 H 30 du matin, suivi par un exercice de gymnastique, la toilette, le petit déjeuner et le salut aux couleurs, matin et soir.
Le rassemblement avait lieu en carré et le tutoiement indépendamment de toute hiérarchie, était de rigueur. Ils saluaient à la manière fasciste (on verra plus loin la manière exacte), bras tendu, menton en avant, et percevaient une modeste solde quotidienne dans le cadre de leurs occupations manuelles : terrassements, agriculture ou forestage (quand on ne les envoyait pas manifester bruyamment contre les lieux dits d’alcoolisme et de débauche). Leur devise était : Unis pour servir, le cri de ralliement étant : À moi, Compagnons ! À ce cri, les jeunes se mettaient au garde-à-vous. À l’inverse, Compagnon à l’aise les invitait à prendre la position de repos, jambes écartées, mains placées derrière le dos.
De 8 H 30 à 16 H 30 avaient lieu différents travaux effectués sur les chantiers confiés au mouvement à partir de l’automne 1940, entrecoupés par un déjeuner très rapide. Après une pause bien méritée, les jeunes avaient droit à une soirée libre, animée autour d’un feu de camp, puis s’en allaient dormir sous la tente ou dans les bâtiments mis à leur disposition après un ultime cri du jour, un France fort vibrant.
Le 29 juillet 1942, 7 000 d’entre-eux se réuniront dans la clairière de Randan pour le second anniversaire du mouvement. Unis comme un seul homme dans une sorte de gigantesque meeting (de prime abord aux relents fascisants, mais il n’en est rien), ils y attendent alignés, avec les fanions de leurs provinces respectives, l’arrivée du Maréchal (l’homme-Dieu du régime), entendent la messe en formant un gigantesque cercle, chaque groupe apportant un peu de terre de son sol natal pour le verser dans une urne symbolisant l’union sacrée et éternelle de la France…
Mais point de soumission particulière à l’occupant de la majeure partie du pays. Sur ordre de leur chef, Tournemire, le drapeau restera en berne jusqu’à de plus belles échéances…
Le 5 mars, le maréchal Pétain défendait leur indépendance et celle des autres mouvements : « La jeunesse n’est la propriété de personne […]. Notre jeunesse doit être nationale, comme notre État lui-même, mais il ne saurait être question de créer une jeunesse d’État » (article de L’Illustration du 21 mars 1942).
À l’automne 1940, un des cadres du mouvement, Pierre Compagnon, que nous retrouverons plus loin à Cambous, précisera d’ailleurs que « le mouvement compagnon n’a donc aucun caractère militaire, confessionnel, politique. Il n’est pas une copie du scoutisme, ni des jeunesses hitlériennes, fascistes ou phalangistes. Il est français » (cf. infra). En janvier 1941, l’une des revues du mouvement, Le chef Compagnon, indiquera à son tour, en son n° 8, sous la plume d’André Cruiziat, qu’il « est une tentation qu’il faut éviter à tout prix : celle d’une jeunesse totalitaire. Elle n’est ni dans la tradition ni dans la vocation de la France. Le mouvement unique, selon la pensée qui l’inspire, peut ne pas être totalitaire, comme il peut être une étape dans ce sens. À cause de la tentation qu’il offrira [à certains], nous le croyons dangereux ».
Le mouvement Compagnon n’est donc en rien fondamentalement fasciste, malgré les apparences que peuvent parfois donner certaines illustrations ou certains commentaires…
Tout comme les Chantiers de jeunesse, cette étrange troupe de Compagnons en culottes courtes ne portait nullement d’armes et n’en avait d’ailleurs nulle vocation. Elle l’avait d’autant moins que les autorités allemandes, fort méfiantes envers les structures militaires et paramilitaires mises en place par le régime de Vichy, soit directement, soit indirectement, répugneront longtemps à ce que des troupes de choc, comme la Milice, disposent du moindre armement. Quant au garde-à-vous des Compagnons, il est loin bien souvent d’avoir la rigueur des troupes de métier et aguerries (cf. photographies)…
Le mouvement entretenait le culte des héros (Jeanne d’Arc, Bayard, Brazza, Guynemer, Laperrine, Péguy, etc.), et avait sa presse spécialisée : un mensuel, Le Chef Compagnon, destiné aux cadres ; un hebdomadaire, Compagnons, destiné à la base et au jeune public ; mais aussi, à partir de mai 1941, une revue de doctrine, Métier de Chef, et un lien entre militants, Compagnonnage. Parallèlement, le jeu et le chant ayant une grande place dans le mouvement, les Compagnons de la Musique (futurs Compagnons de la Chanson), une structure de choristes, furent ainsi fondés sous l’impulsion de Louis Liébard en septembre 1941 et alors placés sous l’égide des Compagnons de France afin de promouvoir le chant folklorique.
Vivement critiqué, Henry Dhavernas, cédera toutefois rapidement la place, en août 1941, à un officier quadragénaire qui s’était illustré au Maroc, Guillaume de Tournemire, né en 1901. Mais, si celui-ci est à l’époque un farouche partisan du Maréchal Pétain, il se révèlera être également un farouche partisan de l’autonomie et de l’indépendance politique du mouvement, le menant aussi, et assez rapidement, malgré son idéal pétainiste, sur les chemins de la résistance…
Fortement impliquée en 1942-1944 dans la lutte contre l’occupant, mais perdant aussi sa raison d’être avec la création du Service du travail obligatoire lui ôtant désormais ses éventuelles recrues, l’association était à terme appelée à disparaître.
Elle sera ainsi dissoute le 15 janvier 1944, époque où Guillaume de Tournemire, Chef Compagnon depuis l’été 1941, et son réseau de résistants, les Druides, alors en liaison avec le général Giraud, étaient depuis longtemps déjà dans la clandestinité 13.
Ce résumé étant effectué, voyons donc comment le mouvement s’implante dans l’Hérault, et plus particulièrement dans la région de Cambous, à Abeilhan et Valboissière.
Les premiers mois du mouvement Compagnons dans l'Hérault vus par la presse locale (1940)
C’est le 26 août 1940 que le mouvement Compagnons entre véritablement dans l’histoire journalistique héraultaise. Ce jour-là, L’Éclair de Montpellier, le très royaliste quotidien qui se dispute depuis des décennies le lectorat héraultais avec Le Petit Méridional (pour sa part radical et donc républicain modéré), titre à la une, sur deux grosses colonnes : « La régénération de la France, le Maréchal Pétain visite, à Randan, le premier camp des Compagnons de France ».
Le 25 août, le maréchal, accompagné du chef d’escadron Bonhomme et de son cabinet militaire, est accueilli par le secrétaire d’État à la Famille et à la Jeunesse (Jean Ybarnegaray) et par celui de la Production industrielle et du Travail (René Belin). Ils procèdent alors à l’inspection générale de l’école dite de Mestres, « destinée à pourvoir de moniteurs tous les camps de Compagnons qui vont être [prochainement] établis dans le pays ». Parmi ces moniteurs, des intellectuels, mais aussi des artisans et des travailleurs, comme le voulait René Belin. Le Maréchal s’informe et les encourage, leur disant notamment : « En participant à la reconstruction des communes éprouvées, à la remise en état des terres en friche, vous accomplirez une œuvre patriotique et c’est, en définitive, pour la France que vous travaillerez ».
Il leur remet 50 000 francs pour « assurer le premier équipement de deux compagnies des Compagnons de France qui seront constituées par des réfugiés choisis parmi les plus déshérités ».
En soirée, le mouvement tient une réunion d’information en son quartier-général de l’Hôtel du palais, à Vichy, et leur chef, Henri Dhavernas, expose alors « la noble ambition du mouvement Compagnon. Il s’agit de reconstruire un ordre nouveau [s’appuyant] sur de solides principes dont nous avions perdu le souvenir le goût du travail et l’amour de la patrie ». Le ton est donné : « Ces hommes iront demain sur la route recruter des hommes de bonne volonté qui, sans esprit de lucre et avec le sens absolu de la discipline, se plieront à des travaux forestiers ou champêtres, moissons ou vendanges, aménagement de routes ou de terrains de sports ou à des travaux artisanaux ».
Dans la colonne de droite, sous le titre « Labourage et pâturage… ». Le même journal insiste particulièrement sur les déclarations du maréchal pour qui « la France redevient ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, une nation essentiellement agricole ».
Parallèlement, les 1, 5 et 8 septembre, L’Eclair consacre d’importants articles aux Chantiers de la Jeunesse, intitulés « Dans les camps de jeunesse », s’efforçant de montrer ce que sont, mais aussi ce que ne sont pas, ces nouvelles structures mises en place par le nouveau régime, strictement paramilitaires pour les Chantiers, mais strictement civiles, et proches du scoutisme, pour les Compagnons.
Le 6 septembre, à-côté d’un petit article relatif à « un acte de dévouement des Compagnons de France » en Auvergne, où ils ont contribué à lutter contre un incendie, L’Éclair publie deux photographies d’un des premiers campements héraultais du mouvement, installé en Biterrois, mais entretient alors par l’utilisation des termes camps de jeunesse la confusion avec les Chantiers du général La Porte du Theil…
Tout cela a l’aspect débonnaire d’un campement estival de scouts implanté en forêt, sans doute une pinède, et est légendé : « Chez les Compagnons de France. Partout en France viennent d’être créés des Camps de Jeunesse où les jeunes gens découvrent la vie saine des champs. Voici, dans notre région, l’un de ces Camps-Écoles, celui du château de Ribaute, près de Béziers ».
Mais, si les Compagnons de France et les Chantiers de la Jeunesse sont réservés exclusivement aux garçons et aux jeunes hommes, on n’oublie pas pour autant le monde féminin qu’il convient de faire également participer à la régénération de la France, afin de « recréer dans la jeunesse féminine un état d’esprit, une mystique en accord avec les destinées nouvelles de la patrie ». Ainsi, le 14 septembre, sous le titre « Une jeunesse saine. Après les Compagnons de France, les Filles de France », L’Éclair consacre en page 1, un article au mouvement nouvellement créé par l’épouse d’un aristocrate, Mme Philippe de Bourbon-Sicile (Odette Labori), infirmière-major, et qui est strictement analogue à l’organisation masculine d’Henri Dhavernas.
Sa fondatrice déclare : « Ce que nous ne devons plus voir, ce sont ces jeunes filles engouées de futilités, méprisant trop souvent l’autorité maternelle, ni les autres, celles qui demeurent confinées et peureuses derrière les fenêtres de certaines maisons provinciales qui n’osent rien sans leurs parents et ne sauront plus tard, ni choisir un mari, ni faire acte de résolution dans l’existence ».
La production agricole, et notamment les récoltes, sont alors contrariées par le manque de main-d’œuvre puisque des dizaines de milliers de viticulteurs sont prisonniers des troupes allemandes. Aussi, les Compagnons, en veillant toutefois à ce qu’ils ne contrarient pas le recrutement de chômeurs, vont-ils participer activement aux vendanges et à d’autres activités agricoles.
Dès le 15 septembre, sous la plume exaltée mais aussi indulgente de René Rollat, L’Eclair consacre un très gros article, sur deux puis trois colonnes, en pages 1 et 2, assorti d’une première photographie, à la participation du mouvement aux vendanges en Biterrois : « En vendangeant avec les Compagnons de France. À Abeilhan dans l’Hérault, dirigée par un chef de vingt ans, une colle, en travaillant et en chantant fut ses premiers pas de compagnonnage ».
Vingt-quatre Compagnons ont été levés pour cela, sur plus d’une centaine d’adhésions reçues au centre de Béziers, en attendant des levées similaires à Montpellier, Narbonne et Carcassonne, indépendamment des recrutements familiaux ou privés auxquels certains ont répondu. « Ce sont ces vingt-quatre garçons que nous avons habillés, que nous nourrissons, que nous couchons, qui sont incorporés depuis quatre jours dans les colles (groupes) de vendangeurs, y apprenant leur alphabet de terriens de France » déclare leur chef qui, « curieuse coïncidence » comme le souligne le journaliste, se nomme Compagnon.
Ce personnage, Pierre Compagnon, que nous retrouverons plus loin à Cambous, est alors décrit comme « un grand gars sec, aux traits réguliers, aux yeux clairs, à la voix persuasive », et insiste sur le fait que « le mouvement compagnon n’a donc aucun caractère militaire, confessionnel, politique. Il n’est pas une copie du scoutisme, ni des jeunesses hitlériennes, fascistes ou phalangistes. Il est français ». Mais, s’il n’est pas la copie des mouvements d’extrême-droite des pays voisins, il est néanmoins précisé plus loin qu’au retour de la vigne, « le salut Compagnon [s’effectue néanmoins] bras droit levé à hauteur de l’épaule, main ouverte, dans le prolongement du coude plié à angle droit »…
L’intendance de Béziers les nourrit copieusement, y compris de ce produit désormais si rare qu’est l’huile d’olive et en cette mi-journée du 14 septembre, les Compagnons ont droit au menu suivant, inimaginable en 1941-1944 : « Salade de tomates, pâté de foie, bœuf en daube et pommes de terre, biscuits secs, vin et pain à discrétion ». Seul le pain doit toutefois être parfois acheté sur les crédits alloués par l’État, lesquels couvrent « de multiples menues dépenses » (époque alors bénie puisque quant au vin, à la mi-février 1941, il sera rationné à un litre par semaine et par personne, et la ration de pain n’aura de cesse de diminuer).
Ils repartent ensuite au travail. « Là, l’égalité n’est pas un vain mot. Un étudiant qui prépare Saint-Cyr, tout comme Boudet, le solide et sensé assistant du chef, un ouvrier boulanger, un aide-maçon, un apprenti mécanicien, un ouvrier orthopédiste, tous fraternellement mêlés sans distinction de classe et de condition sociale s’en vont en chantant à pleine voix le chant Compagnon :
— Dans la joie est la France,
— En nous-mêmes est la confiance
— Compagnons, compagnons
— Soyons fort et travaillons
— Pour le pays que nous aimons ».
Vient ensuite le descriptif de l’après-midi puis du salut aux couleurs en soirée, minutieusement décrit, la plume de René Rollat n’ayant de cesse de montrer en exemple cet « équipage du vaisseau Abeilhan de l’escadre France [qui] a terminé sa journée ».
La photographie de l’article est légendée ainsi : « Les Compagnons de France à Abeilhan. En pleine vigne, le torse nu, voici les porteurs ». Le 16, L’Éclair publie en page 1, une belle photographie supplémentaire des vendangeurs, attablés à l’heure du repas, et légendée ainsi : « Les Compagnons de France à Abeilhan. À l’heure de la soupe, la bonne humeur règne parmi les Compagnons ».
Parallèlement, Le Petit Méridional se fait lui aussi l’écho de ce nouveau mouvement. Ainsi, le 15 septembre, le jour où L’Éclair publiait son article sur les vendanges à Abeilhan, Le Petit Méridional, en page 2, sous la plume non moins admirative de Pierre Rigaud, titrait sur deux colonnes : « Unis pour servir ! Les Compagnons de France ont mis leur activité au service de terre… mais ils entendent ne jamais concurrencer la main-d’œuvre; la suppléer seulement lorsque c’est nécessaire. Ils groupent par compagnie de cinquante des jeunes gens de 15 à 20 ans ».
L’article, assorti d’une photographie du camp sous toile du Biterrois, décrit l’organisation pyramidale et spartiate de l’association :
« Les compagnies normales des Compagnons de France groupent une cinquantaine de jeunes gens de 15 à 20 ans, ayant un métier, une occupation, ou faisant leurs études et consacrant au mouvement leur temps libre pour y acquérir l’esprit Compagnon.
La compagnie elle-même est subdivisée en équipes groupant 8 à 10 jeunes gens sous le commandement d’un chef d’équipe.
Plus tard, dans le cadre de la Province, les compagnies seront groupées en secteurs.
Les chefs sont désignés par l’autorité supérieure. Ils sont formés dans des Camps de formation de chefs où les jeunes gens, du même âge que les Compagnons – 15 à 20 ans -, sont jugés et choisis sur leur mérite personnel, non pas sur les diplômes qu’ils ont ou peuvent acquérir.
Le cadre habituel de la vie des Compagnons est le camp ou le cantonnement aménagé. Leur tenue, spécialement étudiée, comprend béret alpin bleu, chemise bleue, cravate beige clair, ceinturon de cuir culotte courte ou pantalon de ski, bas et brodequins, canadienne imperméable, sac, matériel de cuisine individuel, toile de tente et couverture ».
Trois compagnies sont alors présentes dans la région, une à Perpignan, une à Narbonne, une autre à Béziers, avec un centre important de secteur, et une compagnie est en voie de constitution à Montpellier, ville où le représentant local du mouvement, M. Crouzet, recueille, à l’Hôtel Moderne, les adhésions.
Mais la situation socio-économique, en raison du grand nombre de réfugiés en situation de chômage, a amené aussi à créer des compagnies permanentes, dites d’automne, afin d’aider à reclasser les jeunes gens sans travail dans un métier ou dans une profession.
« Les tâches qui s’offrent à l’activité des Compagnons sont nombreuses. Hier, ils se sont mis au service des réfugiés pour le ravitaillement et le regroupement. Aujourd’hui, ils suppléent la main-d’œuvre pour les moissons et les vendanges. Demain, bâcherons de montagne, ils assureront le combustible aux véhicules à gazogène. Leur principe essentiel est, d’ailleurs, de ne pas concurrencer la main-d’œuvre et ils ne veulent, en aucun cas, porter atteinte aux intérêts des chômeurs qui se trouvent à travailler au service de la terre. Ils ne vont que là où on les appelle, pour pallier par exemple à la défection involontaire des hommes prisonniers, et en supplément, comme à Abeilhan et à Nissan, où le Secteur de Béziers a fourni un groupe de trente vendangeurs et un groupe de dix ».
Comme L’Éclair avait pour sa part omis de développer ces points essentiels, un article est aussitôt publié par celui-ci le 19 septembre, en page 2, sous le titre « Ce que sont les Compagnons de France » et où l’on souligne, avec gras à l’original : « Pour éviter toute confusion, précisons que les mouvements de jeunesse actuellement organisés et contrôlés par l’État sont :
1. Les camps ou chantiers de jeunesse, où sont incorporés obligatoirement (en gras à l’édition) tous les jeunes gens de la classe 40 et suivantes, et ce pendant six mois. Ces camps remplacent le service militaire que les clauses de l’armistice ont supprimé.
2. Les Compagnons de France, qui recueillent dans leur sein des jeunes gens de 16 à 19 ans sans occupation, sans travail.
L’engagement de ces jeunes gens, dont les plus jeunes doivent être confiés aux éducateurs par leurs parents, est strictement volontaire ».
Les Compagnons sont « groupés en équipe de 10 hommes, en compagnie de 50, en brigades (deux ou plusieurs compagnies) et en province, produit de plusieurs brigades. Ils sont dirigés, conseillés, éduqués par de jeunes chefs civils qui sont formés dans de camps écoles spéciaux » (ce qui sera le cas de Cambous dès le 1er novembre).
« Nourris, logés, habillés, entretenus par l’Etat, […], ils reçoivent pour leur menus frais un prêt de 30 francs par mois. Tous les mois, ils bénéficient d’une permission pour aller voir leur famille ».
En cette mi-septembre, les adresses du mouvement sont :
— pour la province du Languedoc comprenant les Pyrénées-Orientales, l’Aude et l’Hérault, le centre se trouve à Béziers, École de Musique, place Émile Zola, où plusieurs compagnies sont levées.
— à Montpellier, siège provisoire à l’hôtel moderne, M. Crouzet.
— à Narbonne, siège définitif, 31 rue du Pont (1er étage), où des compagnies sont en cours de formation.
— à Perpignan et Carcassonne le mouvement doit démarrer prochainement.
Un mois après, le 21 octobre 1940, L’Éclair relate sur deux colonnes, en page 1, la visite effectuée la veille par le maréchal Pétain à l’école de cadres du château de la Faulconnière, ouverte le 16 septembre à quelques kilomètres de Gannat.
Les 220 stagiaires sont alors à la veille de leur départ pour les multiples missions d’encadrement qui attendent chacun dans son affectation respective, et ils prononcent le serment suivant : « Au nom de mon équipe, je m’engage à travailler de mes forces, de mon esprit et de mon cœur, avec courage, persévérance et jusqu’à la mort, pour le salut de la France ». Sur ce, le chef Dunoyer de Segonzac (le fameux responsable de l’école d’Uriage), demande la permission au chef de l’État d’appeler cette promotion du nom du maréchal, ce que celui-ci accepte, fort ému…
Le 24 octobre, époque où les cadres du mouvement ont gagné leurs affectations, L’Éclair publie en page 2 un communiqué des Compagnons où apparaît désormais le nom de Cambous comme site d’implantation :
« Les Compagnons de France…
Aux réfugiés, aux chômeurs, aux oisifs, aux aigris, aux déçus, les Compagnons de France lancent leur appel ardent et clair.
Garçon, si tu as de 16 à 20 ans, si tu te trouves isolé, sans emploi, viens à nous.
Viens à nous, tu trouveras des camarades, tu apprendras un métier, tu te formeras et te développeras dans la joie, la rudesse et l’amitié.
Si tu es majeur, si tu te sens capable de devenir un chef, viens à nous. Inscris-toi pour un camp de cadres, tu y acquerras le sens des responsabilités, la technique du commandement.
Si tu as une occupation régulière, que tu sois étudiant ou ouvrier, la Compagnie normale ou de loisirs satisfera pleinement tes besoins d’action et de développement.
Les bureaux [montpelliérains] sont installés dans la Maison de la Jeunesse, 9 rue Boussairolles (à côté de l’Hôtel Moderne). Les Compagnons y travaillent dans une atmosphère de concorde et de collaboration avec les autres mouvements de jeunes ».
Suivent « les adresses des [diverses] permanences et [des] correspondants :
Pour la province :
— Montpellier : 9 rue Boussairolles ;
— Béziers : 2 rue du Général Pailhès ;
— Narbonne : cinéma Vox ;
— Carcassonne : 63 Grand’Rue ;
— Perpignan : 1 rue du Dr Zamenhoff.
Correspondants :
— Nîmes : Louis Guiraud, 23 rue Bonfa ;
— Alès : docteur Goubert, 23 rue Albert Ier ;
— Le Vigan : Roger Fournier rue Haut du Pont ;
— Uzès : Jacques Vincent, 68, boulevard Gambetta.
Le camp de formation des cadres pour le Bas-Languedoc aura lieu du 5 au 17 novembre, à Cambous, près de Montpellier. S’inscrire dans les permanences avant le 30 octobre ».
Le lendemain, 25 octobre, L’Éclair publie à la rubrique nécrologique les remerciements de Mme Pierre Leroy-Beaulieu (Louise Jeanne Marcelle Hourblin, veuve depuis 1915 dudit Leroy-Beaulieu) au sujet de la perte de l’un de ses fils, Marc Leroy-Beaulieu, lieutenant au 3e R.A.M., mort pour la France le 16 mai 1940 et dont le nom, bien qu’il ne soit pas né à Cambous, figurera plus tard, avec son père, sur le monument aux morts accolé au château que sa mère avait cédé en 1920 à Louis Bloch et qui fut revendu par celui-ci, en 1928, à Paul Pépin.
Paul Pépin va peu après, dès le 1er novembre, accueillir les Compagnons en son château, bien trop vaste demeure pour une famille paysanne, aussi aisée soit-elle.
Les Compagnons à Cambous et dans les environs (1940-1942)
Les Archives de l’Hérault comportent quant à elles un volumineux fonds 14 W 1-355 dans lequel le pré-inventaire des pièces disponibles fait ressortir cinq liasses de documents où apparaît le camp-école des Compagnons de France installé à Cambous au début novembre 1940 : 14 W 27, 14 W 64, 14 W 88, 14 W 98 et 14 W 311, les autres documents n’ayant pas été consultés, quoique pouvant contenir, ici ou là, mais de manière aléatoire, des renseignements sur Cambous.
Ce fonds, fort incomplet, de 14,6 mètres linéaires, semble avoir été expurgé des pièces les plus compromettantes et fut déposé aux Archives avant janvier 1946, en liasses éventrées et en désordre qui ne furent classées qu’en 1977.
Les documents aujourd’hui les plus intéressants pour nous sont cependant contenus dans la liasse 14 W 311, avec deux dossiers spécifiques à Cambous et un autre à l’annexe de Saugras, à Argelliers. En 14 W 88 on retrouvera la liste des chefs des divers établissements de la province (commanderies et chantiers), la liste des chantiers ouverts en 1940-1941 et divers dossiers personnels relatifs aux Compagnons, élèves-chefs, qui sont passés par Cambous le 28 août 1941.
Avant de traiter les données disponibles des différentes liasses, en les regroupant pour plus de clarté dans l’ordre chronologique, commençons tout d’abord par la liste des différents camps prévus pour l’automne 1940 dans une circulaire du 19 novembre 1940 du mouvement (14 W 88), document (voir tableau ci-après) qui nous donne une bonne vision de la répartition des Compagnons de France dans la zone non occupée, chaque session devant accueillir au maximum 50 campeurs.
Différents chantiers sont ouverts en 1940-1941 dans la Province de Languedoc, au nombre de 28 selon l’état détaillé les concernant et qui sera établi dans l’ordre suivant, tous étalés du 1er octobre 1940 au 8 février 1941 (en souligné, par nous, les cantons d’Aniane et St-Martin-de-Londres) : La Gineste (forestage) ; Lieuran-Cabrières, Lacoste, Azillanet, Siran et La Livinière (terrassement) ; Alès (services divers) ; Euzet-les-Bains et Deaux (forestage) ; Nîmes (services divers) ; Aussières (forestage) ; Carcassonne (services divers) ; Cambous et Sumène (forestage) ; Margueritte (forestage et agriculture) ; Corneilhan, Villefranche et Vinça (terrassement) ; St-Martin-de-Londres (forestage) ; Viols-le-Fort (C° village, lire sans doute carbonisation au village) ; Lunel (terrassement) ; Béziers et Montpellier (services divers) ; Combejean (forestage et carbonisation) ; Fréjorgues (agriculture) ; Maquens (forestage) ; La Boissière (confiturerie) ; Jardins ouvriers et Case de Pène (terrassement). Les effectifs prévus vont de 5 à 40 selon les différents chantiers, autour de 15 à 25 en moyenne.
Le chantier de forestage de Cambous est prévu pour un effectif de 20 personnes, à compter du 6 janvier 1941, se terminant à la mi-mars. Une colonne sommes à encaisser prévoit 5 000 francs de recettes en février et autant en mars, à percevoir pour le compte des Compagnons qui sont alors leur propre employeur.
Le chantier voisin de forestage de St-Martin-de-Londres est prévu pour un effectif de 22 personnes, à compter du 21 janvier 1941, se terminant à la mi-avril, 10 000 et 4 000 francs de recettes étant prévus en février-mars.
Le chantier voisin de forestage de St-Martin-de-Londres est prévu pour un effectif de 22 personnes, à compter du 21 janvier 1941, se terminant à la mi-avril, 10 000 et 4 000 francs de recettes étant prévus en février-mars.
Le chantier voisin de carbonisation à Viols-le-Fort est prévu pour six personnes, à compter de la mi-janvier, se terminant début mars, 6 000 et 1 000 francs de recettes étant prévus en février mars.
Enfin, le chantier de confiturerie de La Boissière (canton d’Aniane) est prévu pour un effectif de 14 personnes, à compter du 4 février 1941, se terminant en avril, 7 200 et 9 400 francs de recettes étant prévus en février-mars.
Un tableau non daté dresse la liste des 35 participants (dont 5 noms rayés) de Montpellier à un « chantier de jardinage et forestage à Cambous (Viols-le-Fort) Hérault », placés pour cela sous la responsabilité de Pierre Compagnon, chef de compagnie, celui dont nous avons parlé plus haut lors des vendanges effectuées à Abeilhan en septembre 1940.
Une liasse de documents, incluse dans celle cotée 14 W 88, est constituée par contre des fiches administratives d’entrée, signées à Cambous le 28 août 1941 et fort détaillées (état civil précis, avec filiations, formation, emplois successifs, situation matrimoniale et charges de familles). Quelques-unes de ces personnes sont passées par des établissements religieux et certaines sont des enfants de militaires, voire d’anciens militaires.
On y trouve ainsi les sieurs (ordre alphabétique, l’année et le lieu de naissance entre parenthèses pour les besoins de la présente liste) :
— Robert Saïd Arnaud (1923, Damas), ancien lycéen, fils du général Édouard Arnaud, domicilié avenue Lepic à Montpellier ;
— Georges Balue (1915, Carcassonne), moniteur d’éducation physique de la classe 1935, ayant effectué 42 mois de service et décoré de la croix de guerre, champion de France de rugby et deux participations aux championnats militaires de Lille et Compiègne ;
— Louis Bernières (1916, Pennautier), employé de bureau, réformé des armées, ayant cependant travaillé à la gestion des services des vivres et manutention militaire de Carcassonne ;
— Félix Jean Jules Dupuy (1920, Sète), pilote, ancien pilote des armées ;
— André Jean de Ferroul (1921, Béziers, domicilié à Alzonne), étudiant ;
— Félix Galy (1919, Blomac, domicilié à Fleury-d’Aude), ancien élève de séminaire, réformé des armées ;
— Roger Victor Gougaud (1920, Puivert, domicilié à St-André-de-Roquelongue), bachelier ;
— Roger René Adrien Granier (1922, Lodève), carrier, ancien fileur ;
— Marcel Charles Pailhorès (1922, Lodève), ouvrier boulanger ;
— Jean Charles Renaud (1919, Châteauvillain), ancien lycéen, fils du capitaine Pierre Renaud, domicilié à Châteauvillain.
Les institutions vichystes de France évoluant en 1941-1942 vers une collaboration de plus en plus affichée avec l’ennemi, dans le cadre d’un régime autoritaire, ouvertement de type fasciste, tous ces jeunes gens, ou hommes déjà entrés dans l’âge pour quelques-uns, vont subir une intense formation idéologique qui n’est pas cependant clairement encore arrêtée à l’été 1941 et qui posera divers problèmes entre cadres du mouvement, mais aussi avec les jeunes que ceux-ci devaient encadrer (cf. infra).
Les caractères humains sont d’ailleurs très variés.
Un tableau non daté, relatif à la personnalité des divers chefs de la province de Bas-Languedoc, adressé à un certain G. Auriol (14 W 98), parle d’un nommé Claude Auriol, chef de compagnie alors en position à Marsillargues, près Nîmes, comme d’un individu « jeune, propre, aimé des gars, [mais ayant] tendance à la nonchalance ». Le nommé Louis Boissin, chef de chantier de Montpellier I à Cambous est quant à lui « calme, net, [il] aime ce qu’il fait [et] veut servir ». Le nommé Vendamme, chef de compagnie de Montpellier I à Cambous est pour sa part « solide, [il] sert le mouvement et son pays », etc. On trouve ainsi dans ce tableau toutes sortes de personnalités les plus disparates des dynamiques et autres enthousiastes, des consciencieux, des meneurs d’hommes, des gens qui savent ce qu’ils veulent, dotés pour certains d’une volonté de fer ou paternalistes, comme des sentimentaux et autres sensibles, voire des égoïstes et des êtres sans valeur, comme encore des orgueilleux et des phraseurs. Rien de plus normal dans cette vaste tribu d’êtres dissemblables qui, abasourdie par la défaite, s’est réunie sous la houlette et le manteau protecteur du Maréchal et des Compagnons de France…
La trame administrative et politique étant dépeinte, reste à voir désormais le cadre de vie et les activités des Compagnons présents à Cambous ou dans les environs immédiats, leur idéologie et leur organisation générale faisant l’objet plus loin d’une analyse particulière.
L'économie de guerre et les Compagnons de France à Cambous, Saugras et Valboissière : un dur labeur
Les Compagnons de la province de Bas-Languedoc ont leur siège à la Maison de la jeunesse, 9 rue Boussairolles à Montpellier. Divers chefs s’y succèdent, les Quay et autres Delattre sur lesquels nous ne nous attarderons pas, étant entendu que le dernier, Robert Delattre, promu en 1941 responsable national du Mouvement des Cités Compagnons, n’a bien évidemment rien à voir avec le célèbre général qui en février 1942 prendra à Montpellier la tête de la XVIe division militaire et fera ensuite, avec l’été, l’acquisition de Cambous.
La liasse 14 W 311 contient tout d’abord, pour les centres qui nous intéressent ici, un dossier B 8 bis relatif au « Chantier de camp école de Cambous (Viols-en-Laval). Dépt. : Hérault ». La date de début est indiquée pour novembre 1940, sans précision de fin. Le chantier offre alors ses services à plusieurs employeurs et relève de la compagnie camp-école, placée à l’époque de la confection de la chemise sous la responsabilité des chefs de chantier Auriol et Mas.
Le camp-école est logé moyennant loyer au château même de Cambous, utilisant ses annexes immédiates, mais non le parc attenant. On commencera donc par traiter ici le document le plus important, en date du 23 avril 1941, mais avec effet rétroactif au 1er novembre 1940 (14 W 311), par lequel les Compagnons de France régularisent leur situation en écrivant à « Monsieur Pépin, propriétaire du château de Cambous », tout en expliquant les finalités et les modalités pratiques de leur présence sur les lieux :
Monsieur,
Nous avons l’honneur de vous confirmer les divers entretiens [que nous avons eu ensemble] au sujet du château de Cambous.
Nous avons pris bonne note que vous mettiez à notre disposition, à dater du 1er novembre 1940, le domaine de Cambous comprenant le château proprement dit (uniquement les pièces figurant sur le plan ci-joint [absent à la copie]), ses dépendances (sauf le parc), la cour intérieure (avec usage du puits central), la cour d’honneur, ainsi que le jardin potager, y compris l’usage des puits, et le terrain situé devant le château, en bordure de la route I.C. n° XIII, pour une durée de six mois. Cette période sera renouvelable, par périodes de trois mois. La partie qui désirera voir cesser le présent accord préviendra l’autre partie par lettre recommandée, adressée deux mois avant.
Le château de Cambous est mis à notre disposition vide de tout mobilier et matériel.
Le but de notre installation est d’installer à Cambous un Camp-École de Chefs de Compagnies dans lequel des groupes de 80 à 120 Compagnons, élèves-chefs, séjourneront périodiquement pour y recevoir une formation appropriée par les soins d’une équipe d’encadrement. Cette formation nécessite que nous puissions avoir toute liberté en ce qui concerne : notre horaire, les sonneries à la trompe, le champ choral, les allées et venues dans le domaine, tant pour le personnel présent que pour bicyclettes, motos, automobiles de tourisme ou utilitaire, et autres véhicules de toute nature nécessaires à la bonne marche du camp.
Il va de soi que toute usure ou dégradation locative sera à notre charge. De même, les frais occasionnés par notre consommation d’électricité et par le téléphone nous incombent à dater du 1er novembre 1940. Nous vous rembourserons le montant des contributions mobilières que vous pourriez être appelé à payer, et cela proportionnellement à la surface que nous occupons dans le domaine et à la durée de notre occupation.
L’association des Compagnons de France vous remboursera également la prime d’assurance Incendie afférente aux bâtiments occupés, mais à la condition toutefois que vous demandiez à votre Cie d’assurances d’émettre un avenant à la police afin de préciser que les bâtiments sont mis à la disposition de l’Association des Compagnons de France et que, tant le propriétaire que sa Cie d’assurances, renoncent à tout recours contre les Compagnons de France en cas d’incendie.
Les Compagnons reçus et venant au Camp-École de Cambous sont encadrés et commandés par des Chefs responsables. Nous vous déchargeons donc de toutes responsabilités en ce qui concerne les accidents survenant aux Compagnons ou aux Chefs Compagnons à l’intérieur de la propriété de Cambous, au cours ou à l’occasion de leurs travaux ou de leurs activités. De plus, nous vous indiquons que nous sommes garantis auprès d’une Cie d’assurances contre les accidents de toute nature pouvant survenir aux Compagnons.
Au moment où nous quitterons le château de Cambous, nous vous remettrons l’immeuble où nous l’avons trouvé, sauf toutefois, pour les travaux et améliorations, entrepris d’accord avec le propriétaire, lesdits travaux ne nous étant pas rémunérés.
En conséquence de ce qui précède, l’association des Compagnons de France s’engage à vous verser la somme de deux mille francs (2 000) par an, valeur locative de la propriété. Cette somme vous sera payée par trimestre et d’avance.
Nous vous prions de nous accuser réception de la présente et de nous faire part de votre accord sur ce qui précède par un prochain courrier.
Veuillez agréer Monsieur, nos salutations distinguées.
Signatures dactylographiées de la copie :
« Un des chefs du Compagnonnage »,
« Le Grand Commis du Centre. G. Lenoir ».
En cette mi-novembre 1940 où s’achève le premier camp-école de Cambous, on retrouvera dans les environs, à quelques kilomètres du château, le corps du berger de Paul Pépin, Barthélémy Pélamourgues, qui avait disparu depuis octobre 1937.
Comme le précise L’Éclair en son édition du 17 novembre, page 2, c’est un berger des environs, employé « de M. Noël Azéma, propriétaire à Saint-Gély-du-Fesc, [qui] menant son troupeau dans les bois particulièrement touffus de Valène, s’est brusquement trouvé en présence d’un squelette, à demi-vêtu, étendu en travers d’un étroit sentier et paraissant être celui de l’infortuné Pélamourgues ».
Connaissant le disparu, il l’identifia rapidement à ses vêtements, à sa canne et à son chapeau, ce que la famille du défunt confirmera le lendemain (cf. édition du 18 novembre).
Le 21, L’Éclair publie page 3 une photographie montrant les enquêteurs et les membres du parquet manipulant le crâne du disparu. Quant au Petit Méridional, il consacrera le 20 novembre, page 2, un important article à l’affaire, également assorti d’une photographie d’examen des restes du disparu.
Le 22 novembre, en page 2 des éditions de Montpellier et Béziers, L’Éclair publie un article sur deux conférences tenues par « les petits-enfants du Maréchal ». À Montpellier, en la salle bleue de l’enclos Saint-François, MM Brunereau, délégué national à la propagande, et Houn, des Compagnons de France, ont exposé la veille, en fin d’après-midi, ce qu’était le mouvement, souhaitant « qu’il n’y ait plus chez nous […], ni de terres en friche, ni de Français en friche », une vibrante Marseillaise clôturant la réunion. À Béziers, en soirée, en la salle de la rue Vieille Citadelle, les mêmes chefs (leur patronyme écrit toutefois Bruneteau et Huon), firent de même, exhibant avec fierté un portrait du Maréchal.
A l’époque où se déroulent ces premières manifestations des Compagnons dans la contrée, Paul Pépin est en même temps le maire, depuis 1925, de Viols-en-Laval. La municipalité Pépin, fort pétainiste, a alors dédié au Maréchal, avec l’hiver 1941, la petite place d’entrée de l’agglomération.
Ainsi, dans les rares épaves des archives communales de cette époque, trouve-t-on une délibération du 23 mars prise par Paul Pépin, maire, Léon Pépin (son fils), G. Boussaguet, L. Séranne et H. Durand, « formant la majorité des [sept] membres en exercice », par laquelle, « sous la proposition de son président, le Conseil [municipal] décide que la somme de 150 F., montant de la plaque émail (allée Maréchal Pétain) fournie par Monsieur Badou A., graveur à Montpellier, sera prise sur les fonds disponibles ».
La municipalité, faute de local communal, seulement propriétaire à cette époque d’un transformateur électrique, se livre alors à toutes sortes de tractations entre ses membres (patron et employés), comme il appert d’une autre épave, plus tardive, des rares archives communales :
« Commune de Viols-en-Laval, le 25 septembre 1942.
Entre les soussignés, H. Durand, adjoint au maire, pour ce dernier empêché, en remplissant les fonctions, et Monsieur Paul Pépin, propriétaire, tous deux demeurant à Viols-en-Laval, [il est décidé ce qui suit]. Monsieur Paul Pépin afferme à la commune, à Monsieur H. Durand, adjoint, qui accepte, le rez-de-chaussée de l’immeuble qu’il possède au hameau de Cambous, n° 64 p et section A du plan cadastral de ladite commune, dont les portes et issues sont complètement indépendantes [du reste de la bâtisse], très bien aménagées sur l’allée Maréchal Pétain, pour servir de mairie et expédition des affaires administratives pour une période de six années partant du 1er octobre 1942 au 31 décembre 1948, moyennant la somme annuelle de 400 f. Le quatrième trimestre 1942 sera inscrit au budget additionnel et pour les autres inscrit au budget primitif de ces dits exercices, payable par semestre, les 30 juin et 31 décembre. Les frais de timbre et d’enregistrement, ainsi que l’entretien de cet appartement seront à la charge de la commune de Viols-en-Laval. Fait en triple exemplaire à Viols-en-Laval les jour mois et an que dessus.
Le propriétaire, Pépin Paul. L’adjoint faisant fonction de maire, Durand Hyacinthe.
P.S. : le bail passé pour une durée de 6 années, est résiliable chaque année après un an entre les parties.
Le propriétaire, Pépin Paul. L’adjoint faisant fonction de maire, Durand H. ».
Il s’agit-là, avec ce n° 64 p, d’une partie de l’ancienne bâtisse, à l’est du château, qui fut à la base de la métairie Pépin aménagée après 1924 sur la droite du chemin menant à st-Martin. Il faudra cependant attendre l’année 1956 pour que la municipalité devienne propriétaire de sa maison commune, avec une partie de la maison n° 66 implantée de l’autre côté de la rue, la situation restant ainsi fort précaire pendant de nombreuses années…
On ne retrouvera cependant rien d’autre sur cette époque dans les Archives communales, dépourvue de tout registre, à l’exception d’une photographie de cérémonie au drapeau, sur la présence des Compagnons de France à Cambous (cf. fin d’article). Mais revenons-en à la fin 1940.
Quelques articles de presse de décembre 1940 permettent de connaître pour la fin de cette première année de guerre, parfois avec force détails, les laborieuses occupations des Compagnons à Cambous et à Valboissière, un domaine de rive gauche des gorges de l’Hérault, sis commune de Brissac, une douzaine de kilomètres au nord du château, à gauche de la route de Montpellier à Ganges via le col de la Cardonille, dans la descente sur S t-Bauzille-de-Putois.
Situé dans des garrigues fort arides, ce domaine de Valboissière, souvent indiqué par erreur comme dépendant de la commune de St-Bauzille, était occupé jusqu’au recensement de 1936 par les derniers membres, soit deux personnes seulement, de la famille Coulet. En 1911, 8 personnes y vivaient encore, les Coulet, propriétaires, et les Dupont, métayers (3 habitants en 1921, 6 en 1931).
Le 9 décembre 1940, L’Éclair publie en page 2 un article sur « Les Compagnons « e France au travail ».
« Une de leurs compagnies, installée dans les maisonnages de Valboissière, commune de Saint-Bauzille-de-Putois (en fait commune de Brissac), en pleine nature, s’occupe à abattre les chênes verts qui vont faire du charbon de bois pour alimenter les gazogènes. Tâche utile entre toutes à l’heure actuelle, tâche particulièrement dure, qu’ils accomplissent avec une ardeur au-dessus de tout éloge ».
Aussi, les autorités civiles et militaires, représentants du préfet et du général de division, ont tenu à visiter le site et à rendre hommage aux efforts déployés par tous ces jeunes gens, parcourant, sous la conduite du chef (Pierre) Compagnon, dont nous avons déjà parlé pour les vendanges à Abeilhan, les divers aménagements du camp, les chantiers d’abattage et ceux de carbonisation du bois.
« Vers la fin de l’après-midi, quelques heures passées au domaine de Cambous, dans la commune de Viols-en-Laval, ont permis aux mêmes invités de connaître dans ses détails la vie d’une compagnie d’un autre genre, celle où se forment les « chefs » qui iront, à leur tour prêcher d’exemple dans des formations nouvelles de tout le territoire ».
Le même jour, 9 décembre 1940, Le Petit Méridional publie lui aussi un article sur l’inauguration officielle du chantier de Valboissière, l’assortissant de trois photographies, intéressantes sur le plan documentaire, mais hélas de médiocre qualité, qui sont légendées ainsi :
— l’abattage des arbres ;
— les Compagnons transportant le bois (un bien et fort lourd fardeau au vu de l’illustration) ;
— la confection de la meule.
Le lendemain, mardi 10 décembre, mais sans article associé, L’Éclair publie quant à lui, en page 1, une photographie montrant un groupe de Compagnons, cognée à l’épaule ou en main, se rendant sur leur chantier, assortie de la légende : « Chez les Compagnons de France. Dimanche, a été inauguré le camp de Valboissière, près de Saint- Bauzille-de-Putois (Hérault). Installés en pleine brousse, les Compagnons se livrent à l’abattage des chênes verts et à leur carbonisation en vue de l’alimentation des gazogènes. Voici un groupe de Compagnons se rendant au travail ».
Hélas, les rudesses d’un hiver particulièrement froid et neigeux, au demeurant long, vont rapidement compromettre la vie du chantier.
Ainsi, le 23 décembre, en page 1, L’Éclair titre : « Une abondante chute de neige dans les Basses-Cévennes. Depuis une trentaine d’années, on n’avait pas enregistré pareille épaisseur ». Tout est submergé, tout est paralysé, routes comme voies ferrées. Sur l’Aigoual, à l’Espérou, ce sont 80 cm. Au Vigan, 40 cm. « Plus près de nous, la région comprise dans le triangle Saint-Bauzille-de-Putois, le Causse-de-la-Selle et Saint-Martin, est recouverte d’un tapis de 30 centimètres ». Les cols de la Pourcaresse et de la Cardonille sont bloqués. Puis le froid s’installe, avec le 24 décembre, où il fait -16° au Caylar et -4° à Montpellier, situation qui va durer un bon mois et toucher l’Europe entière, avec des tempêtes de vent également exceptionnelles.
Entre deux chutes de neige, les Compagnons à l’œuvre à Cambous ou à Valboissière, logés pour les derniers sous la tente, ne sont pas épargnés, leur activité étant souvent rendue impossible.
Le 29 décembre 1940, en page 1 puis page 2, sous la plume de J. Aymard, L’Éclair leur consacre un fort élogieux et très épique article sous le titre : « Jeunesse française. Les Compagnons de France mettent leurs bras au service du pays ». Nous le retranscrivons ci-après in extenso en raison de sa remarquable qualité, tant littéraire que documentaire, qui n’est pas sans évoquer quelque peu la vie des premiers anachorètes comme des moines-soldats et autres moines défricheurs des anciens temps :
« On a déjà beaucoup écrit sur les Compagnons de France. Le grand public croit les connaître par ce qu’il en a lu et parce qu’il les voit circuler dans les villes, coiffés de leur béret alpin, le torse moulé dans un chandail bleu où se détache la cravate bleue pâle, grenat ou jaune, marque distinctive des formations, leurs jambes à demi-nues, martelant de leurs lourds godillots le bitume des rues. Il rend hommage à leur fière allure. Il sent bouillonner dans ces cœurs une France nouvelle, mais quels sentiments s’agitent sous ces vareuses bien légères pour un hiver rigoureux ? Quelle est leur vie quotidienne ?
C’est pour en parler en connaissance de cause que je suis allé les voir à l’œuvre.., et ce fut un ravissement.
À Valboissière, sous les arbres et sous le ciel :
N’importe quel Méridional connaît cette région pittoresque et sauvage de collines aux flancs escarpés, aux roches abruptes, aux gorges ravinées, qui servent de soubassements aux Cévennes et qui ont nom les « Avant-Monts ». Peu riches en routes carrossables, sillonnées seulement de pistes et de sentiers, clairsemées de rares villages, sans autre flore que le chêne-vert, le thym et les cystes, sans autre faune que les la-pins et quelques sangliers, sans même de l’eau, qu’il faut aller chercher à plusieurs kilomètres, ces régions chaotiques pourraient s’appeler : « Le désert ». C’est elles que les Compagnons ont choisies pour chantiers.
C’est sur l’un d’eux, celui de Valboissière, que j’ai été conduit.
Au temps jadis, lorsque passaient les pèlerins allant prier saint Jacques de Compostelle, ils trouvaient sur leur route une grande et hospitalière bâtisse où des religieux dévoués leur accordaient le gîte. C’était le dernier gîte d’étapes avant l’arrêt à Saint-Guilhem-le-Désert. Aujourd’hui, avec ses pierres disjointes, ses portes et ses volets absents, la vieille et vénérable demeure abrite les nouveaux pèlerins de la restauration française, les Compagnons de France, dont la Foi n’est pas moins ardente que ceux qui franchirent ses portes, il y a dix siècles révolus.
La demeure paraîtra piètre. Qu’importe aux Compagnons de France, puisque c’est sous la tente qu’ils passent le plus clair de leur nuit. Aux hasards du terrain et des clairières, ils ont monté leurs toiles kakies fournies par l’administration. La literie ? Les châlits ? Ce sont eux qui les ont fabriqués en empruntant les matériaux aux chênes-verts qui les entourent. Un matelas sur une litière de branches, quelques couvertures, voilà pour reposer leur corps et les garantir la nuit. Baignés par l’atmosphère froide et saine de la montagne, ils dorment- là comme on dort à leur âge, sans souci des rafales qui passent, des averses qui déferlent, de la neige menaçante qui couronne les sommets voisins. Entre leurs poumons et le ciel avec ses étoiles, rien d’autre qu’une mince toile pour les garantir des ondées. Le seul bruit qui les berce est celui que fit la grande flamme tricolore dont les plis, au sommet du grand mât, flottent au gré des vents. »
Travail dur, salaire mince !
« Dans ce décor rustique, quarante Compagnons – sous les ordres d’un chef d’élite -, vivent une vie qui leur forge le cœur, les muscles et l’esprit, levés avant le jour leur premier soin est de se « décrasser » le corps. La rivière est lointaine (500 m à vol d’oiseau) on y va en chantant et les premiers feux de l’aurore voient sur la rive quarante torses nus procéder aux ablutions. Opération importante et obligatoire, symbole de la purification nécessaire pour participer à la deuxième partie de l’emploi du temps quotidien, le salut aux couleurs. Dans des corps nets, la pensée de tous s’élève vers la France en même temps que, frappées sur la drisse, les trois couleurs s’élèvent vers le ciel.
Un petit-déjeuner rapide, et voici venue l’heure du travail. Départ pour le chantier. Les chants scandent la marche. Ils scanderont aussi le maniement des haches et des serpes. Chants et travail, travail et chants, sont deux mystiques qui animent la vie des Compagnons. « Chanter son travail pour que le travail enchante », telle est leur principale devise. En les regardant, cogner à tour de bras, en sifflant sur le bois noueux des chênes, je ne peux m’empêcher de penser à « Blanche Neige », à ses sept bienveillants compagnons, bûcherons eux aussi, dont les sifflets joyeux emplissaient les clairières.
Pourtant, la tâche que les Compagnons du camp de Valboissière ont entreprise est dure. Pour 7 fr. par cent kilos, il faut abattre, élaguer, débiter par longueur de un mètre, les bois des taillis de chêne. Il faut les rendre aptes au montage des meules.
Mais les charbonniers travaillent dans les bas-fonds, et les coupes sont au sommet des collines. Et quelles collines ! Des pentes raides, encombrées d’éboulis, de gros rocs et de taillis. Pour transporter cent kilos de bois, dans l’espèce de fourche tirée d’une branche de chêne, il faut monter et descendre trois fois. Si je vous disais pour quel salaire de famine, vous ne le croiriez pas. Et ce travail dure jusqu’au crépuscule, car chez les Compagnons, la journée continue est dès maintenant en vigueur.
Oui, la tâche est dure, mais quelle satisfaction profonde s’élève en eux lorsque, devant la meule ouverte, ils voient mettre dans les sacs ce charbon de bois, produit de leur travail, grâce à quoi rouleront plus nombreux les camions sur les routes de France ».
Et l’auteur de ce fort admiratif article n’exagère en rien aux yeux de l’historien d’aujourd’hui quand il parle de « salaires de famine ». Les 7 francs pour 100 kg de bois, comme des 30 francs de pécule alloués aux Compagnons, sont en effet à comparer aux prix vertigineux de l’époque et qui s’affichent en seconde page de L’Éclair sur une colonne spécifique, relative aux nouveaux « prix limites de vente d’un certain nombre de denrées ». Le quintal de figues sèches d’Algérie de qualité extra est ainsi à 757 F, vendu en paquets de 500 grammes, soir 7,57 F le kg, sensiblement le prix de vente de 100 kg de bois. La basse qualité est à 537 F. Le quintal de pommes de terre est négocié aux Halles centrales et autres marchés de gros entre 375 et 550 F. Le paquet d’un kilogramme de pâtes alimentaires ne peut être vendu plus de 10,25 F, soit aux alentours du prix de vente de 150 kilogrammes de bois, etc.
Il va de soi que sans les moyens alimentaires mis à leur disposition par les autorités, les Compagnons n’auraient pu survivre dans de telles conditions, alors même que ces moyens vont diminuer avec le temps et la raréfaction des productions, tant agricoles qu’industrielles…
Seule consolation, ils écoutent en masse l’allocution radiodiffusée que le maréchal Pétain donnera à Lyon le même 29 décembre, à l’occasion de « la fête de la Jeunesse dans la France nouvelle », rassemblement auquel L’Éclair consacrera un long article le 30 décembre, en page 1, avec retranscription du texte de l’allocution.
Le régime de Vichy annonce alors, avec les interventions de MM Loustau et Baudoin, ses orientations idéologiques. « Faire la révolution, c’est supprimer l’esclavage prolétarien. Comment ? Par la création de l’ordre corporatif ». Les jeunes de France sont appelés à être les « chevaliers d’un cadre nouveau ». Quant au Maréchal, il conclut son intervention par cette exhorte : « Oui, jeunes Français, la France, aujourd’hui dépouillée, un jour prochain reverdira, refleurira. Puisse le printemps de votre jeunesse s’épanouir bientôt dans le printemps de la France ressuscitée ».
En page 2, le même quotidien fait l’écho des nombreux jeunes, des divers mouvements de France, plus d’un millier de garçons et filles, qui sont venus écouter la veille, à Montpellier, en la salle des Converts, faute de disponibilité du théâtre de la ville, l’intervention radiodiffusée du chef de l’État.
Sur le plan archivistique, en ce qui concerne le fonds 14 W 1-355, le site de Cambous n’apparaît véritablement qu’avec le début 1941.
Un dossier B 37, « Chantier de Cambous » fait mention sur sa couverture d’une adresse, le château de Cambous d’un chantier d’une durée de deux mois, à effectuer par la Compagnie de Montpellier I, sous la direction de Compagnon, chef de compagnie, et de Mas, chef de chantier, l’effectif demandé étant de 25 personnes. Enfin, un dossier B 81 est relatif au « Chantier de Saugras », les Compagnons de France y étant leur propre employeur. Par commodité, nous avons fusionné toutes ces données avec celles du dossier 8 bis et choisi de les présenter dans l’ordre chronologique.
Tout manque alors aux Compagnons envoyés dans le semi-désert karstique que sont Cambous et Saugras. L’eau, bien évidemment, du moins à Cambous, et certaines semences sans doute, difficiles à se procurer sur des marchés désorganisés et désormais fort chers. Mais, s’agissant de produits aussi ordinaires en temps normal que des clous, leur fournisseur déclare que les fabricants ou grossistes exigent des délais de 18 mois ! Obtenir des pneus de bicyclettes et des rustines n’est pas une mince affaire. Il en est de même pour le carburant, essence ou alcool. Leur véhicule Peugeot 3066 CB 2 tombe en panne lors d’une mission à l’extérieur et le réparer devient presque une affaire d’État. Par ailleurs, la plus extrême confusion règne avec les propriétaires ou régisseurs des lieux utilisés, les Pépin ou les Séranne, comme avec les divers employeurs des Compagnons, ainsi qu’entre structures du mouvement.
En janvier 1941, sous la responsabilité de l’assistant chef de Martrin, placé sous le contrôle du chef de compagnie Compagnon, six Compagnons, soit sept en tout, sont envoyés loger chez l’habitant à Viols-le-Fort, effectuant des travaux agricoles pour des autochtones : Pierre Caizere (lire sans doute Caizergue), Léandre Cerane (Sérane), Clément Durand, Louis Caisergue, Mme Caisergue et le nommé Cervel (Servel).
La fiche enquête de chantier correspondante précise que ces jeunes gens se livreront à des « travaux à caractère agricole divers » dans cette localité de 340 habitants, dont on explique qu’elle est située à 25 km de Montpellier, à l’altitude de 130 m, soumise au climat méditerranéen, la nature du sol y étant calcaire.
Les premières semaines de travail seront gratuites, le logement et le ravitaillement étant fournis dans le village par les employeurs, les repas, y compris le dimanche, représentant plus de 120 à 150 francs par mois. S’agissant des possibilités de vie des compagnies concernées, en matière de terrains de sports, de distractions, de baignade et des facultés de culte, la fiche est renseignée sous un angle très matériel, sans rapport aucun avec la question posée, en indiquant : « Intérêts particuliers : pas d’intendance, pas de matériel, pas d’outillage, etc. [à fournir] ».
« L’avis du prospecteur » à la recherche de chantiers qui fait suite, signé Auriol, est donc ainsi rédigé : « Expérience à tenter. Les 6 gars ont deux mois de compagnie autonome, pris parmi les meilleurs de la compagnie mère. Intérêt pour les garçons de vivre en contact permanent avec les paysans et pour les paysans de vivre en contact avec des compagnies. Bien d’autres raisons encore incitent à poursuivre ce genre de compagnonnage, raisons qui seront ultérieurement démontrées par un rapport qui sera fait par l’inspecteur des Chantiers du Bas-Languedoc ».
Après tout, une main-d’œuvre si bon marché, puisque gratuite, même si elle a souvent tout à apprendre, est toujours bonne à prendre puisque l’exode rural à vidé le village de ses forces vives et que nombre de jeunes gens de la bourgade et de ses environs, les mobilisés d’avant juin 1940, croupissent désormais par centaines de milliers dans de lointains stalags, environ 10 000 pour le seul département de l’Hérault.
Mais une circulaire du 16 février 1941, signée G. Auriol, adressée aux divers employeurs concernés, indiquera : « Madame, Monsieur. Lors de mon trop rapide passage à Viols, je n’ai pas pu aller vous voir. Ce mot pour vous mettre au courant des règlements qui nous sont imposés concernant nos garçons employés dans une équipe de village. Si l’employeur est satisfait du garçon, et s’il désire le garder, il doit prendre en charge les frais de prêt et d’habillement, soit 5 Frs par jour de travail, à partir du 15 février 1941. Espérant avoir votre accord, je vous prie de croire à nos sentiments distingués ».
A la même époque, le 6 janvier, sous la direction du chef Compagnon, d’autres jeunes de la compagnie Montpellier I vont faire de l’« abattage Pépin », c’est-à-dire couper chez Paul Pépin du bois de chêne vert pour leur propre compte, comme il appert de la fiche de chantier correspondante. Une partie de la compagnie Montpellier I est prévue pour cela, le chantier devant durer deux mois, à deux kilomètres du château, moyennant une dépense « minime » de seulement 300 francs. L’outillage est fourni par la compagnie et une convention stipulerait que le bois abattu chez le propriétaire lui est acheté sur la base de 10 francs les 100 kilogrammes pour être ensuite vendu sur la place de Montpellier à environ 30 à 35 francs les 100 kilogrammes. La recette doit ensuite être virée sur le compte CCP Caisse de financement, Lyon, 95 4 77.
Beaucoup d’argent peut en effet être aisément gagné. Une note manuscrite précise ainsi : « Justification du prix de 10 F les 100 kgs du bois coupé payé à M. Pépin, propriétaire: Un chantier où le Compagnon gagne 25 F par jour est considéré comme rentable. Soyons exigeants. Tablons sur 30 francs. Un Compagnon peut abattre 300 kgs de bois stérés par jour. Ramenons ce rendement à 250 kgs par jour en moyenne. Prix de vente à Montpellier chez M. Tessier : 30 F les 100 kgs. 250 kgs X 30 F = 75 F, rapport d’un Compagnon par jour. À déduire prix achat coupe 10 F, [soit] 75 – 25 = 50. Prix du transport 8 F pour 100 kgs = 7,50, [soit] 50 – 7,50= 42,50. Coût du Compagnon : 30 F par jour [soit] 42,50 – 30 = 12,50. Reste net par Compagnon : 12,50 [francs] ».
Mais encore faut-il convaincre la hiérarchie…
La fiche « avis et signatures de la Province » précise tout d’abord, le 17 janvier, sous la signature Aubert, du bureau des chantiers, au sujet de l’avis technique et des difficultés : « Transport de bois pour lequel il faudrait un camion gazogène. Nous attendons toujours l’autorisation du Grand Commis pour acheter et faire monter ce gazo ». L’outillage de forestage étant fourni par les Compagnons, la recette à prévoir est décrite ainsi : « Vente du bois 30 F au minimum les 100 kgs. Achat du bois 10 F les 100 kgs. Reste 20 F pour abattage, chargement, charroi et transport à Montpellier ».
Une dépense totale de 64 350 francs est prévue pour une recette de 90 000 francs, dont 30 000 francs d’achat de bois (pour 300 tonnes de bois), soit près de 26 000 francs de bénéfice final. L’affaire est d’autant plus intéressante que 20 Compagnons de Montpellier I sont alors à Valboissière sur un chantier stoppé à cause de la neige. Ce chantier nouveau peut donc démarrer tout de suite. Renoil et Delattre, administrateur et chef de province, n’ayant rien à signaler, un autre signataire, responsable des financements des chantiers, donne son accord le 24 janvier, « réserve faite [cependant] d’un camion gazogène ».
Ce chantier de Valboissière, évoqué plus haut à travers la presse locale, avait été inauguré début décembre 1940, mais avait rapidement beaucoup souffert, comme les autres campements des Compagnons, des chutes exceptionnelles de neige qui avaient touché l’ensemble de la région le 22 décembre, avec 30 cm d’épaisseur dans les zones d’implantation du mouvement sises au nord de Montpellier.
Le 27 janvier 1941, le dernier signataire, Gilly, du bureau des chantiers, donne également son accord, mais à titre strictement exceptionnel, le mouvement n’ayant pas vocation à faire commerce et surtout à se substituer aux entreprises privées pouvant exister dans les environs : « D’accord si vous avez l’autorisation d’achat du gazogène. Mais ne pas renouveler ce genre de combinaison d’achat de coupe »…
Tout cela doit en effet rester occasionnel et même discret. Ainsi, le 29 janvier 1941, sur en-tête des Compagnons de France à Lyon, 81 rue Garibaldi, le responsable des Chantiers-Maîtrise écrit à Monsieur Auberlet, aux Compagnons de France, 9 rue Boussairolles à Montpellier : « Nous te retournons un exemplaire de la proposition de chantier de Cambous. Au sujet des questions que tu nous posais, tu voudras bien noter qu’une coupe de bois doit être considérée comme un [bien] meuble. Pour le stock de bûches que tu pourrais éventuellement mettre en vente, par exception tu peux faire acte de commerce si l’affaire est belle, mais surtout pas de publicité et que ce soit tout à fait exceptionnel ».
Le 1er mars 1941, alors que les Compagnons présents à Cambous se livrent à diverses activités manuelles, parfois fort éreintantes, le jour même où la presse locale annonce que la ration de pain va être diminuée de 20 %, paraît un journal ronéoté de quelques pages, Cambous, qui se promet de paraître les 1er et 15 de chaque mois, avec participation de chaque Compagnon à hauteur de 2 francs l’exemplaire. Un exemplaire de ce premier numéro est conservé dans la liasse 14 W 311.
J. Gotteland en assure la présentation dans la rubrique Notre journal. Il évoque l’idée, déjà ancienne, d’un journal propre à la Province, pour dire ensuite : « Mais nous voulions aussi que ce journal soit fait ici, à Cambous, de manière que soit encore plus fort le lien qui vous rattache au Camp-École. Dès lors vous comprendrez pourquoi nous l’avons appelé CAMBOUS. Ce nom est symbolique. Pour la plupart d’entre vous il signifie beaucoup : 17 jours passés à bosser dans une atmosphère sympathique, 17 jours pendant lesquels vous avez appris en quelque sorte votre métier de chef, 17 jours pendant lesquels on vous a dit ce que les garçons attendaient de vous, ce que le mouvement était en droit d’exiger de vous au nom du Maréchal de la France. Et bien, aujourd’hui, 1er mars, la Maîtrise du Camp-École a le grand honneur et le plaisir de vous présenter le n° 1 de Cambous. Vous y trouverez la Chronique de Cambous présentée par le Chef Despinette ; un autre sur l’esprit de sacrifice par J. de Visme ; un article sur Notre Empire par le Chef Clavel, suivi du programme du mois ; un topo sur les chants par le Chef Laurenti ; et enfin un sur les jeux par le Chef Clarté […] » (la page 2, avec le texte du chef Despinette, est cependant absente du document).
Ce chef Despinette, dont nous reparlerons abondamment plus loin, Jean-Marie Despinette (1918-2009) pour être plus précis, était alors un jeune officier idéaliste et humaniste de renom.
Robert Hervet, dans son ouvrage, Les Compagnons de France, paru en 1965, le décrit ainsi (p. 189) : « orphelin de guerre, belle figure de Lorrain, avec des yeux de mage et des gestes onctueux, à la diction envoûtante et au verbe riche, avec un physique d’apôtre du Royaume de Dieu, flagellé par l’invasion ». Passé par la suite à la Résistance (cf. infra), il participera après-guerre à la création et la direction du Service des Activités Sociales de la régie Renault, et marquera sa longue carrière au service de l’éducation populaire par la direction de la revue L’Éducateur, sa participation à la création de Jeunesse et Sports ainsi que du Fonds de coopération de la jeunesse et de l’éducation populaire (FONJEP).
Mais, si nombre d’autres personnes citées sont moins connues, chacune tente d’apporter sa pierre à l’édifice commun qu’il faut bâtir sur les ruines de l’ancien monde.
Pour Jacques de Visme, « être Chef Compagnon, ce n’est pas être fonctionnaire mais [un] conquérant social qui fait la Révolution Nationale, d’abord en lui-même puis chez les autres ». À l’exemple du Maréchal, le don de soi repose sur les qualités de cœur et d’esprit, avec sacrifice de sa personne à la cause que le mouvement veut servir. « Considérons notre action comme un combat qui ne saurait cesser avant que la Nation ait retrouvé une existence normale. L’esprit de sacrifice est l’apanage des héros […]. Pénétrez-vous des grands exemples qui ont illustré notre Pays, et, puisque hier à Cambous, nous méditions sur le grand geste du Capitaine de Bournazel, tué, il y a huit ans, au Maroc, alors qu’il montait à l’assaut d’un piton rocheux, du Djebel Sagho, pénétrez- vous à votre tour de la vie de ce paladin, chef de partisans, défricheur d’empire, entré vivant dans la Légende et qui sut obéir et mourir. Nous avons tous notre Djebel Sagho à gravir. Prenons-le d’assaut, avec nos Compagnons, mais dites-vous bien qu’ils ne vous suivront que si vous avez su gagner leur confiance, leur prouvant chaque jour que vous savez ce que veut dire : servir ».
Dans « Notre Empire », le Chef Clavel, flatte l’action coloniale des conquérants passés et le rôle de l’empire dans le maintien de l’unité et de l’indépendance de la France. Ces héros d’hier doivent être la référence. Hier, « des vieillards débiles repoussaient avec horreur l’idée de force […]. Si la France, si la jeunesse française a besoin de remettre en honneur la force, ce n’est pas chez son vainqueur qu’elle a à en trouver son modèle, mais dans sa propre histoire ». Aussi, le « programme du mois » des Compagnons a pour thème général : « S’inspirer des grandes idées développées par le Chef Clavel La force qui ne créée pas le droit. La puissance tutélaire de la France sur ses colonies. La dette de reconnaissance qu’elles nous paient aujourd’hui. C’est grâce à leur fidélité que nous ne sommes pas complètement anéantis ».
Les « bains de cerveau » viennent ensuite, en devant se pencher sur les qualités suivantes : « Humilité. Energie. Ténacité. Sacrifice. Fidélité. Autorité, etc. ».
Des cours sont prévus sur « Exploration de nos colonies. a) Histoire conquête, conquérants. b) Géographie faune, flore, produits coloniaux, territoire. c) coutumes, mœurs ». Pour cela : « Demander la collaboration de l’instituteur des ligues coloniale (LMC), des élèves de l’École Nationale, des gars qui sont allés aux colonies. S’inspirer de biographies (livres, journaux Compagnons, etc.) : Lyautey, Brazza, Bournazel, Bougainville, Marchand, de Lesseps, Villeneuve, Galliéni, Gouraud, de Foucault, Laperrine, Bugeaud, Aumale, Garnier Psychari, Louis IX, Montcalm, Sanguier, Cavalier de la Salle, Marquette, Surcouf. Films et disques coloniaux (demander la collaboration du Pays Compagnons) ».
Sur le plan pratique et distractif, on prévoit alors de jouer et de mimer ces héros : « Jeux scéniques inspirés de ces biographies possibilités inespérées du côté maquillage et costumes. Ne pas oublier la Marine. Chants de marins, il y en a en pagaïe (sic). Souvenez-vous en : Le 31 du mois d’août, Jean François, Valparaiso, Le corsaire, Le grand coureur, etc. De colonies : Jumbo, Le Ban des Zoulous ; etc. ». Enfin, pour les « Journées de baillage », « Le topo final insistera sur la fidélité de l’Empire à la France, surtout dans les circonstances actuelles. Donner cette fidélité en exemple aux Compagnons et apprentis pour qu’ils marchent fidèlement [ce mot souligné] à la suite de leurs chefs et du Maréchal ».
Mais l’empire auquel se réfèrent les chefs des Compagnons, est alors fort partagé. C’est même le moins que l’on puisse dire. Dès 1940, les Nouvelles-Hébrides, le Tchad, le Cameroun, le Congo français, Tahiti, l’Oubangui-Chari, les établissements de l’Inde, la Nouvelle-Calédonie, le Gabon, ont ainsi rejoint la vraie France, celle qui ne se reconnaît pas dans le régime de Vichy et qui combat aux côtés des Britanniques, celle qui participera à la victoire finale, celle de la France Libre du général De Gaulle. Non celle du régime fantoche qui prétend ressusciter la France depuis ses hôtels de Vichy tout en obéissant presque aveuglément aux ordres donnés par Berlin.
Après ce studieux programme du mois, les Compagnons qui lisent Cambous sont invités par Jean-Marie Despinette et Jacques Chevalier, à travers diverses citations, dont des propos de Foch, Pétain et Lyautey, à apprendre à devenir de bons chefs, aimés et respectés de leurs hommes, bref, et en conclusion finale, à se faire obéir.
Enfin, après tout cela, viennent les pages « Jeunesse qui chante » et « Viens jouer avec moi », avec pour thème « La mission Marchand est sur le Nil ». Une prise de foulard doit pour cela départager les équipes de Compagnons qui, déguisés en soldats anglais et français, vont rejouer cette époque, désormais lointaine, où les deux grandes puissances coloniales se disputèrent inlassablement ce morceau d’Afrique. Sans doute faut-il voir-là, en 1941, un signe de cette anglophobie obsessionnelle qui empêche tant de nombreux pétainistes de comprendre que l’avenir, indépendamment des affronts du passé (Fachoda) et des meurtrissures du présent (Mers El-Kébir), se joue avec Londres, non avec Berlin…
Et on les imagine, entre deux défilés, deux saluts aux couleurs ou deux chantiers, réciter inlassablement le code d’honneur de tout bon Compagnon :
Compagnon
Au service de la France,
Uni,
Loyal à tes chefs,
Tenace au travail,
Entraîne chaque jour ton Corps,
Entreprends hardiment,
Achève la tâche commencée,
Prête la main à tous,
Sache que l’argent est corrupteur,
Parie franc, tiens parole,
Sois gai, sobre et propre,
Chevaleresque à l’égard des femmes,
Respectueux envers ta famille,
Approfondis ta foi,
Éclaire ta conviction,
Écoute, Cherche à comprendre,
Sans pitié pour la Mollesse et la Lâcheté,
Combats pour être un Homme.
À l’œuvre, Compagnons, Que notre Compagnonnage
… fasse la France Jeune et Fière
Le 26 mars 1941, le directeur des Chantiers, G. Auberlet, dans une lettre adressée à Monsieur l’administrateur du Camp-École de Cambous, non nommément cité, s’inquiète de cet embrouillamini où l’on ne sait plus qui doit quoi et à qui :
« Le service Chantiers-Centre m’a demandé de suivre les chantiers du Camp-École.
Je te serai obligé de me dire de quelle manière tu comptes ventiler le compte [de Monsieur] Pépin.
D’une part, nous [lui] avons fourni de la main-d’œuvre pour différents travaux : trous de vigne, ramassage de sarments, etc. D’autre part, nous lui devons : la location de la propriété de Cambous [non encore payée] depuis bientôt six mois ; le transport du bois à Montpellier, pour lequel nous avons fourni de l’alcool ou simplement des bons qui lui ont permis d’en acheter (il a [toutefois] en général profité du voyage de retour). Pépin a dû aussi nous fournir un certain nombre de moutons ? Voudrais-tu chiffrer ces différents postes et me dire la façon de régler que vous envisagez.
Je te signale que la Compagnie Montpellier I a fait :
— le 7. 3. 41 : 3 heures à 8 Compagnons pour 40 trous de vigne et 400 échauts.
— le 12. 3. 41 : 40 trous et 1 000 échauts (6 H ½ à 6 Compagnons).
— Ces travaux ont dû être faits pour Pépin et n’ont pas, que je sache, [encore] été payés [par lui]. Voudrais-tu incorporer ce travail dans ton compte après entente avec compagnon ».
Par ailleurs, deux documents du 27 mars 1941, dressés à Lyon pour ordre des nommés Niedrist et Cruiziat, et adressés au Chef Delattre, Province du Bas-Languedoc, dit que les Compagnons de France ont fait réaliser par les sieurs Joseph Durand, père et fils, entrepreneurs à Viols-le-Fort, pour 8 554 francs de travaux au château de Cambous, une facture énorme que le rédacteur demande de faire contrôler et au besoin d’expertiser car « la somme en vaut la peine »…
Un document non daté, mais postérieur au 15 mars 1941, signé Auriol, indique qu’il faut « prendre des dispositions pour faire descendre le plus vite possible le bois restant à Cambous », afin :
« 1°) livrer à Mme Frasson [à Montpellier], le matin. Voir fiche ci-jointe.
2°) livrer à Mr Ségala, rue François Mireur, Montpellier. Téléphoner a[u] 35.85 ».
Un document à en-tête du Groupement charbonnier de la ville de Montpellier, 34 rue Roucher, précise le 15 mars 1941 aux représentants du « bois des Compagnons de France », qu’il faut « porter un camion de bois lundi matin, 17, chez Mme Frasson, rue du Palais, [n°] 20. Venir [pour cela] par la Place de la Mairie et en marche arrière pour faciliter le départ à vide. Il faut absolument y aller le matin pour que le destinataire ait le temps de rentrer le bois à l’intérieur, dans la journée ». Une note rajoutée au crayon indique « ou mardi », ajoutant ensuite « jamais l’après-midi ».
Le bois est alors vendu 30 francs les 100 kilogrammes, une somme énorme (soit six journées de salaire d’un Compagnon employé à Viols et trente fois le prix d’un quotidien comme L’Éclair, vendu 1 F/pièce), comme il appert de la comptabilité figurant sur une pièce de papier relative au « bois de Cambous distribué et encaissé » :
— 4 mars 1 camion de 5 200 kgs livré à Mr Teyssier [soit] 1 590 [F] ;
— 5 mars 1 camion de 7 200 kgs livré à Mr Teyssier [soit] 2 160 [F] ;
— 10 mars 1 camion de 4 950 kgs livré à Mr Teyssier [soit] 1 590 [F] ;
— … Soit 17 350 kgs [et] 5 205 F ;
— 20 mars 4 750 kgs [et] 1 434 F ;
[Total] 22 130 [kgs et] 6 639 F ».
La pénurie de bois et de charbon minéral est telle que des décrets de juin 1941 et février 1942 interdiront l’utilisation des produits tirés du bois pour alimenter les véhicules à gazogènes, d’où un regain de l’exploitation des tourbières, surtout après les rigueurs du difficile hiver 1941-1942 encore à venir (L’Illustration, 8 août 1942, avec un intéressant article : « Organisation et avenir de la tourbière française »).
Bien évidemment, certains entremetteurs demandent une « petite compensation » en dédommagement de leurs services…
Ainsi, le 20 mars 1941, le responsable de l’entreprise Elie Delas, 4 rue Castilhon, à Montpellier, spécialisée dans les charbons, houilles, boulets, coke métallurgique, forges et anthracites, écrit à Monsieur Merlé, intendant des Compagnons de France à Montpellier :
« Monsieur. Comme suite à notre conversation de cet après-midi, je vous serais obligé de me faire livrer le premier voyage de bois disponible, 4 rue Castilhon, le matin ou l’après-midi, sauf samedi après-midi. Faire un passe-débord à l’octroi pour Delas, en gare de Rondelet. S’il ne reste qu’un voyage [disponible], je vous demande de me le faire apporter [prioritairement] car je me suis donné assez de mal pour cette affaire pour avoir cette petite compensation. Avec tous mes remerciements. Je vous prie d’agréer, Monsieur, mes bien expresses salutations ». Signé : E. Delas, rajoutant : « Vous m’obligeriez en me téléphonant le jour où l’on portera le bois ».
En annotation au crayon, il est cependant précisé de téléphoner dès le 21 pour indiquer en réponse qu’il n’y a « plus de bois » disponible…
Le chantier est en effet fermé depuis le 17 mars (lire le 15) comme l’indique la fiche de clôture à l’époque où le camp-école est encadré par les sieurs Compagnons et Parisot. L’outillage a été « réintégré au magasin de la Province ». La colonne relative aux travaux exécutés stipule :
— chantier de village à Viols-le-Fort : 250 journées.
— forestage : 650 journées.
— jardinage : 50 journées.
— froissardage et divers : 50 journées.
Un tableau annexe, précise jour par jour les effectifs employés du 20 janvier au 15 mars, soit de 18 à 30 Compagnons selon les jours. Le chantier de village à Viols-le-Fort a ainsi accaparé six personnes (exceptionnellement sept) jusqu’au 25 février, l’effectif tombant à deux à partir du 12 mars. Le chantier de forestage a occupé de manière très inégale cinq à quinze personnes pendant sa durée, interrompu les 5, 10 et 12 février, puis du 26 au 28 février, avec nouvelle interruption du 3 au 5 mars, soit la période, du 27 janvier au 4 mars, où 18 à 20 Compagnons ont effectué du transport de bois. Le chantier de jardinage n’a par contre couvert que la période du 27 janvier au 25 mars, avec cinq personnes du 29 janvier au 1er février, mais une seule ensuite. Les 7 et 12 mars, huit et six personnes ont effectué des travaux de viticulture. Le 10 février, neuf Compagnons ont travaillé à l’aménagement du camp-école. Le 15, l’un d’eux s’est livré à des travaux de menuiserie. Enfin, l’activité de froissardage, du 5 au 8 février, a concerné tout d’abord treize personnes puis seulement trois ou quatre selon les jours.
Fin mars, la situation économique générale est catastrophique, comme L’Éclair le souligne le 31, dans un article intitulé : « Pour que soit écarté le danger de la famine », relatif à « un nouvel appel de M. Pierre Caziot, ministre secrétaire d’État à l’Agriculture, aux paysans français ».
En temps normal, l’agriculture française utilisait environ un million de tonnes d’engrais azotés. Elle n’en plus à sa disposition que 430 000 tonnes. Elle utilisait plus de 2 500 000 tonnes d’engrais phosphatés. Elle n’en a plus que 250 000 tonnes, soit le dixième seulement. Les carburants manquent, les semences aussi, la main-d’œuvre également, pour « gagner la bataille du pain ».
On objectera que les Compagnons de Cambous disposent d’un abondant fumier ovin, mais ils ne sauraient pour autant échapper à toutes ces contraintes nouvelles qui entravent sévèrement la productivité des sols qu’ils mettent, tant bien que mal, en valeur.
Début avril 1941, parallèlement aux activités agricoles ou forestières, un camp est organisé à l’attention des étudiants, comme il appert d’une insertion publiée dans L’Éclair le 1er avril : « Compagnons de France. Vacances de Pâques. Tous les étudiants réfugiés ou non sont cordialement invités au camp organisé pour eux par les Compagnons de France, au château de Cambous, du 5 au 10 avril. Hébertisme, chantier, sorties, veillées. Prix forfaitaires, 75 francs au maximum. Tous renseignements 9 rue Boussairolles, tous les jours, de 18 à 19 heures ».
Le 10 avril 1941, le directeur des Chantiers, G. Auberlet, précise au chef de la compagnie Montpellier I, à Cambous :
« Un certain nombre de Compagnons ont été placés chez l’habitant à Viols-le-Fort depuis le 21 janvier jusqu’au 15 mars. Il avait été convenu, après coup, que le travail, du début jusqu’au 15 février, ne serait pas rémunéré, mais qu’à partir de cette date il serait versé 150 Frs par mois par Compagnon.
Tu voudras bien faire en sorte que les sommes dues, [soit] 109 jours à 5 Frs = 545 Frs, nous soient réglées. Je pense que tu as les éléments en mains pour faire les réclamations.
Il y aura lieu aussi de te mettre d’accord avec Gottiand (Gotteland) au sujet des journées passées par tes types dans les vignes :
— le 7/3/41, 3 H à 8 Compagnons – 40 trous et 1 000 échauts.
— le 12/3/41, 6 H ½ à 6 Compagnons – 40 trous et 1 000 échauts.
— Voir avec Gottland s’il les incorpore dans son compte avec Pépin ou si tu dois les réclamer directement.
— Je compte sur toi pour solutionner ces questions et faire rentrer cet argent dont le compte de la [Cie] Montpellier I a bien besoin ».
Le 11 avril 1941, le directeur des Chantiers, G. Auberlet, demande au chef de chantier du camp-école de Cambous, Monsieur Mas, en prévision des contrôles à venir, de fournir diverses précisions déjà demandées par le nommé Auriol, notamment sur les jardins de Cambous et Saugras :
« Au sujet de ces jardins, il sera bon que, pour que tout le monde ne se serve pas à tort et à travers, qu’il soit bien convenu d’avance :
— 1°) de la partie devant revenir au Camp-École et de celle qui revient à la Commanderie.
— 2°) de ce qui doit être laissé à Mr Pépin.
Je propose que le produit du jardin de Cambous soit intégralement acquis au Camp-École et que, d’autre part, celui de Saugras revienne à la Commanderie (sauf naturellement la partie cultivée par Pépin). Les plants ou semis seront faits pour l’ensemble des jardins à Cambous.
La répartition des frais d’achat de semences et de graines pourrait être faite entre les parties prenantes.
Les 5 Compagnons détachés de la Cie Montpellier VII seront ravitaillés par le Camp-École en échange des services qu’ils rendent.
Les journées de travail faites par des compagnons pour le compte de Pépin seront facturées chaque mois et viendront en déduction des sommes dues à d’autres titres par le Camp-École ».
Les Compagnons de France, en liaison avec Paul Pépin, utilisent alors l’une des rares sources de la contrée, la fontaine de Saugras, petite résurgence karstique située dans la dépression de Saugras, près de l’ancien mas de Rouquet, ancienne propriété de la Maison de Cambous, et de l’ancienne église St-André, désaffectée à la Révolution et qui servait en 1941 de bergerie.
Son débit moyen est de l’ordre de 20 litres par seconde, ce qui offrait alors de larges possibilités pour une petite exploitation agricole. Avec les années 1940, on tente même d’en faire une petite oasis en aménageant un réseau d’irrigation depuis un petit bassin construit dans le lit du ruisseau, juste en contrebas de « cette frimeuse source intarissable dont les eaux limpides sont d’une fraîcheur délicieuse » (abbé Alphonse Capion 14).
Dès les années 1920, Louis Bloch et Paul Pépin s’étaient intéressés à ce point d’eau vital pour l’agriculture et les troupeaux. À Saugras même, Clément Carrier, recensé en 1921 avec sa famille, était alors payre (cadre viticole) pour le compte de Louis Bloch. Dans la partie du hameau sise près de la source, Jean Prieur, recensé avec sa famille, était quant lui ouvrier agricole pour le compte d’un nommé Duffour.
En 1926, on y trouvait Gratien Sérane et sa famille, ledit Sérane, né en 1874 à Viols-le-Fort, étant régisseur de Paul Pépin. On suppose que c’est de son épouse, Mathilde, née en 1885, dont il s’agit dans les textes relatifs aux Compagnons présents sur place en 1940-1942. En 1931, on y trouvait plusieurs ouvriers agricoles et un berger Pierre Prieur, fils du susdit Jean, et sa famille, Augustin Mejean et Émile Roche, tous trois ouvriers agricoles et Emile Combes, berger.
Compte-tenu des sévères pénuries alimentaires dues à la guerre, les lieux seront donc encore bien plus intéressants qu’ils ne l’étaient auparavant, permettant aux familles concernées et aux Compagnons de vivre dans une certaine autarcie, et même pour Paul Pépin de jouer les maraîchers en alimentant, sans doute à prix d’or, les villages des environs…
Le 17 avril 1941, le nommé Mas, chef de chantier, réclame d’urgence, avant le 23, une liste de graines, précisant qu’un nouvel accord est intervenu « sur la question des jardins [de] Cambous et Saugras ». Il termine sa courte lettre par les formules en usage dans le mouvement : « Pour laFrance, Salut Compagnon ».
Le 21 avril, dans une note manuscrite, l’assistant jardinier (signature peu lisible), fait le point sur le jardin de Saugras, évoquant l’activité qui s’y est écoulée depuis les premiers jours d’avril : « Je vais seulement vous donner un aperçu, que [je] ne puis trop détailler, du travail fait jusqu’à présent. Jusqu’au 6 avril, nous avons défriché et ce n’était pas [une] petite affaire, malgré le coup de râteau des élèves du camp de chef [une mention en marge disant que ce point est à rectifier].
« Nous avons défriché le premier carré d’en haut, nous appartenant, tout à la harpe, outil indispensable pour ce travail. Du 6 au 11 avril, [nous] avons planté les pommes de terre avec le vieux (il s’agit de Paul Pépin, né en 1869), pendant que les jeunes travaillaient de concert les deux carrés de dessous. Nous avons planté dans le premier carré 25 kgs à la première planche, 27 à la seconde, 30 à la troisième et 40 à la dernière, ce qui fait en tout 122 kgs de semence employée.
Là-dessus sont venus les congés de Pâques, quatre jours inemployés. Le travail a repris le mercredi 16. Nous nous sommes attaqués aux carrés d’en bas qui demanderont plus de temps parce que nous menons ensemble notre carré et celui du vieux. Aujourd’hui, 21 avril, Notre côté est complètement travaillé. Il ne reste plus qu’à le monter et le planter, et seulement une planche de l’autre est travaillée et montée. Nous avons eu deux jours de pluie qui nous ont tenus enfermés, le samedi 6 avril et le vendredi 18. Voilà à peu près tout pour jusqu’à aujourd’hui. J’espère que vous serez satisfait ».
Le 22 avril, le nommé Mas s’excuse auprès de la hiérarchie montpelliéraine de n’avoir pu fournir plus tôt des précisions demandées, en raison de la permission du nommé Amiel, et transmet un « plan du jardin de Cambous, avec tous les travaux et semis effectués depuis le début janvier » (cf. illustration page suivante).
Le document sera fort utile pour l’avenir : « Tu voudras bien conserver ce plan car, à l’avenir, je te noterais les progressions et les prochains travaux par numéro d’ordre, comme cela, de ton bureau, tu pourras te rendre compte de l’exactitude des travaux que l’on aura effectués ».
Le 23 avril 1941, date où l’on régularisait la situation avec Paul Pépin en ce qui concerne la location du château (cf. supra), un brouillon de lettre adressée à Paul Pépin porte sur des détails qui ont alors une grande importance en ces périodes de pénurie alimentaire qui contraignent le mouvement à l’auto production et donc à une certaine autarcie :
« [point 1] Nous prenons bonne note que vous mettez à notre disposition, gratuitement, le jardin potager attenant au château de Cambous à charge pour nous de vous cultiver et de vous livrer la production d’une parcelle délimitée sur le plan ci-joint.
[point 2] D’autre part, nous nous engageons, si vous nous fournissez un moteur et une pompe, d’amener le courant électrique du transformateur au puits situé dans le parc du château, à charge pour vous de faire réviser les canalisations de distribution d’eau et de nous rembourser les fournitures électriques dont nous aurons fait l’avance.
[point 3] Nous prenons bonne note que vous mettez également à notre disposition, gratuitement, certaines parcelles du jardin de Saugras (voir le plan n° II ci-joint), sans charge aucune pour nous, c’est-à-dire que nous pourrons nous livrer à n’importe quelle culture et garder [pour nous] la totalité de la production de ces parcelles.
De plus, vous nous laissez l’accès de la source, située sur le plan n° II ci-joint, de telle façon que nous puissions irriguer et arroser la parcelle dont vous nous laissez la jouissance Les jardiniers [raturé et remplacé par le mot compagnons] que nous emploierons, seront logés dans la maison que vous possédez sur place.
Le présent accord est valable pour une durée de 3 ans, à partir du 1er novembre 1940. La partie qui désirera le voir cesser préviendra l’autre par lettre recommandée adressée 6 mois avant. Veuillez nous confirmer, par écrit, votre accord sur les divers points de cette lettre.
Dans l’attente, agréez, Monsieur, nos sincères salutations.
Signé : L’Administrateur de la Province du Bas-Languedoc, A. Schweblin,
et Le Directeur des Chantiers de la Province du Bas-Languedoc, G. Auberlet ».
Des annotations manuscrites stipulent : « valable pour 1 et 3 ». Un paragraphe écrit au-dessus du passage relatif aux jardiniers, est biffé : « M. Pépin pourra, au prix de 17 [unité illisible] par jour utiliser la main-d’œuvre d’un Compagnon jusqu’à concurrence de dix-huit heures par semaine. Cette main-d’œuvre ne sera employée qu’à la culture maraîchère ». Un autre paragraphe, le remplaçant, stipule : « M. Pépin disposera de 50 jours de travail à 7 H par jour. Cette somme de travail indemnise M. P[épin] pour la location et la fumure des terres ».
Tout cela se traduit par un nouveau courrier du 13 mai 1941, signé par A. Schweblin et G. Auberlet, qui est beaucoup plus sobre : « Nous prenons bonne note que vous mettez à notre disposition, gratuitement, le jardin potager attenant au château de Cambous à charge pour nous de vous cultiver et de vous livrer la production d’une parcelle délimité sur le plan ci-joint. Le présent accord est valable [etc.] ».
Entre-temps, le 7 mai, le directeur des chantiers, G. Auberlet, précise de nombreux points au chef de chantier du camp-école de Cambous :
« Je te rappelle qu’en qualité de Chef de chantier du Camp-École tu dépends du service des Chantiers Province au titre d’un Chantier Compagnon quelconque, et ce d’autant plus que vous n’avez pas, et vous n’aurez pas d’ici quelque temps de session.
1°) Il y a lieu de surveiller de très près la gestion des deux jardins dont tu as la charge : Cambous et Saugras.
En conséquence, tu voudras bien tenir une comptabilité horaire du travail des compagnons (nominativement), avec libellé des travaux exécutés, les quantités de légumes enlevées et leur destination.
Pour cela, se procurer 2 cahiers ; 1 pour chaque quinzaine le 15 et le 30 du mois ; le cahier correspondant à la quinzaine sera envoyé au Service des Chantiers.
2°) La durée du travail aux Chantiers sera de 7 heures.
3°) Les graines et plants appartiennent à la collectivité. Ne pas les détourner de leur destination. Tenir le compte exact des plants remis aux différents jardins (en particulier noter ce qui est remis à Pépin).
Faire connaître pour le 10 mai, la situation exacte et définitive de ce que nous aurons fourni à Mr Pépin (tant en main-d’œuvre qu’en nature), et ce que Mr Pépin nous a fourni (fumier, graines, etc. (ceci concerne Saugras et Cambous).
4°) Offrir à Madame Séranne 300 francs par mois pour les garçons qui sont normalement à Saugras.
5°) Ramener l’effectif à ce chiffre, ceci en menant activement les travaux pour libérer le supplément au plus tôt ».
Le 12 mai 1941, G. Auberlet s’adresse au nommé Compagnon, au château de Cambous, ayant reçu la visite d’un certain Barral, de la Baraque, près de St-Bauzille-de-Putois (domaine proche de Valboissière), à qui il convient de rendre les clés de la maison que la compagnie utilisait, mais qui s’est également plaint de dégâts causés par les mulets, dommages sur lesquels le directeur des chantiers souhaite d’urgence avoir toutes explications.
Le même jour, le chef de chantier du camp-école de Cambous, Mas, dresse pour le directeur des chantiers, un état très précis des travaux entrepris dans les jardins, se désespérant du temps énorme, consacré en après-midi, à l’arrosage des cultures, effectué à Cambous, un lieu aride s’il en est, avec de simples arrosoirs et de petites bouteilles. Le 5 novembre 1941, une note manuscrite sera envoyée au chef du camp-école de Cambous : « Ci-jointes les notes du camp de La Sauvagire concernant Mas. L’idée d’en faire un jardinier, gardien du château de Cambous, est peut-être à retenir. Il faudrait le pressentir et lui offrir un salaire en rapport avec ce nouveau travail ».
Mais on s’interroge fort vite, à cette époque où il est bien difficile de rester honnête et où se développent toutes sortes de marchés parallèles, sur ce qui est produit dans les jardins. Comment d’ailleurs surveiller tout cela ? Un jeune adolescent est par définition vorace et nous sommes-là à une époque de sous-alimentation où les adultes perdent généralement aux alentours de 20 % de leur masse corporelle, et même jusqu’à 40 à 50 % dans les cas de malnutrition les plus sévères. Et l’on ne peut se contenter pour survivre de seuls raisins que le département produit encore en assez grandes quantités, malgré la diminution générale des moyens de l’agriculture (cheptels, carburants, engrais, produits phytosanitaires, etc.)…
Ainsi, dans une note manuscrite du 8 novembre 1941, Auberlet, maître d’œuvre, s’adresse un peu sèchement à Mas, chef de chantier à Cambous : « Je t’ai demandé plusieurs fois de me donner le rendement du jardin de Saugras. Tu m’as dit avoir donné à la Commanderie de Montpellier le cahier sur lequel tu avais noté les légumes fournis au camp école. Or, la Commanderie n’a rien qui ressemble à cela. Tu voudras bien prendre tes dispositions pour que cette chose soit régularisée au plus tôt. Cela a assez duré. Il faut que nous puissions payer au camp-école ce qui lui a été livré. Je compte sur toi pour me renseigner rapidement ».
Nous verrons ultérieurement, dans la seconde partie de cette étude, combien ces vifs problèmes alimentaires concernaient également l’Armée nouvelle, contrainte également de détacher une partie des troupes disponibles au jardinage…
L'idéologie et le mode de vie des Compagnons en 1941 à travers la presse locale et celle du mouvement
Courant 1941, la presse locale ou la presse du mouvement lui-même se font l’écho de temps à autre du camp du château de Cambous, des chantiers avoisinants, là où, comme à Viols-le-Fort, les Compagnons sont devenus « les idoles de la population », ou des chantiers plus lointains.
Ainsi, le 9 janvier 1941, en ce début d’hiver parmi les plus neigeux et les plus froids du siècle qui paralyse toute la région, L’Éclair consacre en page 2 un petit article sur le Secours national, l’aide aux réfugiés et aux prisonniers de guerre, où est souligné, pour la localité de St-Bauzille-de-Putois, proche du domaine de Valboissière, le rôle très actif du mouvement : « Le portrait de notre grand Maréchal, présenté par les Compagnons de France, a obtenu un résultat inespéré. C’est une somme de 1 016fr. qui, remise à M. le maire, a été aussitôt transmise à Montpellier. Dans la salle paroissiale que le Comité des écoles libres avait mise à leur disposition, les Compagnons nous ont fait passer une excellente veillée de Noël. Près de 400 personnes avaient répondu à leur appel ».
Le 10 janvier, L’Éclair consacre un article à celui qui est entré dans l’histoire sous le surnom du « führer vert », Henri Dorgères (1879-1985), de la Défense paysanne, venu s’adresser aux agriculteurs de l’Hérault à une époque où les articles sur les problèmes de ravitaillement pullulent dans les journaux et où, parallèlement, l’on prônait inlassablement le retour à la terre. Dès le 4 janvier, L’Éclair titrait ainsi en page 1, sous la plume de Pierre Rossillon, « La terre française n’a jamais menti », tout en soulignant sur la même page et sur la page suivante la « recrudescence du mauvais temps en France ». Le 6 janvier, en page 1, le même journal rappelait les propos de M. Achard, secrétaire d’État au Ravitaillement : « La terre ne ment pas ». Hélas, le 16 janvier, la situation ne s’améliore pas. Il fait moins 23° à Vichy et d’importantes nouvelles chutes de neige frappent et paralysent l’Hérault…
Le 3 février, en page 1, L’Éclair publie, mais sans article directement associé, une photographie prise par un certain Pick, des Compagnons de France, montrant, sur le perron d’une maison, la fraternité nouvelle entre générations, un vieillard barbu, coiffé de son chapeau, partageant sa bouteille de vin avec un fort jeune garçon du mouvement, coiffé de son béret. La légende est la suivante : « Le jeune Compagnon à la ferme. La journée est terminée c’est l’heure du repas. Sur le pas de la porte, dans une atmosphère familiale, on va se rafraîchir et se réconforter en buvant un verre du bon et vieux vin du terroir ». Ce symbole d’unité entre générations, et de relève aussi des anciens, n’est pas innocent. En effet, dès la page 2, ce quotidien consacre par contre un premier et long article sur la visite imminente, dans la région, auprès des « Jeunes du Languedoc-méditerranéen », de Georges Lamirand, le vénéré et très écouté secrétaire général à la Jeunesse.
Après divers développements, il annonce alors, comme point final de la seconde journée de visite, le passage des autorités en des lieux, comme le Collège des Écossais, à Montpellier, au château de Cambous, à Viols-le-Fort, à Lodève, à Lacoste, où « le secrétaire général pourra se rendre compte sur place de ce dont sont capables des Jeunes dirigés par des Chefs – des vrais, avec un grand C -, dont la devise s’énonce en trois mots : Unis pour servir ».
Le 4 février, dans un énorme article consacré en page 1 à la première journée de visite du 3 février et assorti de deux photographies, L’Éclair souligne que le secrétaire à la Jeunesse « a été reçu à Montpellier avec un vif enthousiasme. Plusieurs milliers de jeunes Écoliers, Scouts, Compagnons de France et Étudiants ont acclamé frénétiquement leur chef ». Exigeant avec impatience son arrivée sur le balcon de la préfecture, 7 000 personnes entonnent alors avec la plus grande ferveur patriotique le premier couplet de La Marseillaise, « suivi du couplet dit du Maréchal »…
Le 5 février 1941, à Montpellier, Le Petit Méridional, l’autre quotidien montpelliérain, titre en page 1, étalant un fort long article sur trois colonnes et l’assortissant de deux photographies : « Au service du maréchal. M. Georges Lamirand, secrétaire général à la Jeunesse, a fait, hier une tournée de propagande dans l’Hérault. Au cours de ses visites, il a pu constater l’excellent état d’esprit qui anime la jeunesse de notre département » 15. Le 4 février, sous un vent glacial, lors de sa seconde journée de voyage en Languedoc, faite de multiples et souvent courtes étapes, comme tout voyage officiel, le secrétaire à la Jeunesse, accompagné de diverses autorités, ne manque pas ainsi, juste après sa brève visite aux Chantiers de Jeunesse du Collège des Écossais, au Plan des quatre Seigneurs, à Montpellier, de s’arrêter à Cambous, gagnant ensuite Viols-le-Fort, Puéchabon, Aniane, Gignac, etc., localités où la jeunesse défile en bon ordre et l’acclame, et à travers lui le Maréchal, l’homme–Dieu, le bouclier si vénéré de toute une nation, celle des « quarante millions de pétainistes » si bien décrits par des historiens comme Henri Amouroux.
Les journalistes du Petit Méridional notent alors :
« Au château de Cambous. À Cambous, fonctionne l’école de chef qui dépend de la maîtrise nationale d’Uriage. Le chef d’Espinette reçoit M. Lamirand à sa descente de voiture et lui souhaite la bienvenue, entouré du chef de province Delattre et des compagnons présents. Puis a lieu la visite des locaux aménagés et embellis par les jeunes, où l’on peut apprécier des ouvrages de bois tout à fait remarquables. Cette visite intéressa au plus haut degré M. Lamirand qui ne cacha pas ses vifs sentiments d’admiration à l’égard des chefs et des hommes ».
« Nous ferons, conclut le chef d’Espinette, en s’adressant au secrétaire général, une France plus belle et plus forte. Vive Pétain ! Vive la France ».
Les autorités s’ébranlent ensuite vers Lodève :
« Dans les villages : Les mêmes cris accueillent le cortège à Viols-le-Fort où M. Durand, maire, reçoit les personnalités, entouré des Anciens combattants avec leur drapeau. Une gerbe est offerte à M. Lamirand qui, après un vin d’honneur, servi à la mairie, se rend au monument aux morts et y dépose les fleurs qui viennent de lui être remises. À Viols, eut lieu également la visite d’un campement de compagnons ».
Même liesse ensuite, même ferveur maréchaliste et patriotique, à Puéchabon, où « les enfants chantent La Marseillaise, accompagnés par de jeunes flûtistes d’un rare talent », puis en d’autres localités.
Toujours à Montpellier, L’Éclair consacre le 5 février deux colonnes en page 1 à la visite du secrétaire d’État, titrant : « Avec la jeunesse française de l’Hérault. Les jeunes des communes rurales font à M. Lamirand un accueil triomphal. Dans les villes et les villages, le nom du Maréchal Pétain, associé à celui de la France, est frénétiquement associé ».
L’article de L’Éclair décrit la même ferveur maréchaliste que soulignait Le Petit Méridional et est assorti d’une photographie montrant le secrétaire d’État serrant la main du chef Despinette.
S’agissant du passage à Cambous, L’Éclair note :
« C’est au château de Cambous, dans ce magnifique domaine de 2 000 hectares, au milieu des garrigues qui s’étendent entre St-Gély-du-Fesc et St-Martin-de-Londres, que les Compagnons de France ont installé un camp d’une importance majeure puisqu’il sert d’école d’instruction et de formation pour les « chefs ».
Le secrétaire général qui, pourtant par ses visites antérieures, devait être accoutumé, a peine à en croire ses yeux. Il le dit en des termes émus à tous les Compagnons, à leurs chefs, parmi lesquels nous devons citer Despinette, Auriol, compagnon, et tout autres dont nous sommes au regret d’ignorer les noms.
Les Compagnons de France, nous allons les retrouver tout le long de ce parcours enchanteur, partout où on a besoin de leur bras, de leur bonne volonté et de leur ardeur. À Viols-le-Fort, ils sont les idoles de la population, qui ne tarit pas d’éloges sur eux. Aussi, est-ce avec un vrai plaisir que M. Lamirand, le préfet et plusieurs personnes de leur suite inscrivent leur satisfaction sur le Livre d’Or qu’ils soumettent à leur signature et qui sera pour eux le plus cher des souvenirs ».
La ferveur maréchaliste est telle que L’Éclair rapporte diverses anecdotes dont l’une vécue à deux pas de Cambous : « Veut-on un trait qui en dira long sur la mentalité des communes rurales ? Un membre de la caravane [officielle], pris de faim, voulut acheter du pain à Viols-le-Fort, Il en trouva immédiatement mais… il lui fut impossible de faire accepter le paiement. La raison ? C’est la réponse de la boulangère qui l’a donnée : « Vous êtes avec le représentant du Maréchal, vous n’avez rien à payer. Nous faisons bien d’autres sacrifices pour lui »…
À Aspiran, malgré le froid glacial, les élèves font deux kilomètres à pied pour rejoindre la caravane officielle et montrer fièrement au secrétaire d’État « le drapeau authentique qui flottait au-dessus du fortin de Faschoda, drapeau remis à l’abbé Richard par S. Exc. Mgr Jarousseau, évêque d’Adrar, qui le tenait du « commandant » Marchand »…
Le lendemain 5 février, le secrétaire d’État se rend à Sète, Béziers, Narbonne et Perpignan (cf. journaux du 6 février), gagne Nîmes le 6 puis Alès le 7 (cf. journaux des 7 et 8 février), galvanisant les différentes structures et autres associations de la jeunesse, dont ces fameux Chantiers paramilitaires qui, sous l’égide du général La Porte du Theil se mettent en place dans toute la région.
Quelques jours après, le 13 février, lors de la rencontre à Montpellier entre le maréchal Pétain et le général Franco, les Compagnons seront bien évidemment présents parmi les nombreuses délégations et la foule venue acclamer en nombre le Dieu-vivant que pouvait bien être devenu le chef de l’État français. Ils seront d’ailleurs, jusqu’à la fin 1943, de tous les défilés, de toutes les festivités (Jeanne d’Arc, 1er mai, etc.), comme de nombre de compétitions sportives.
Dans la foulée, le 16 février, sous le titre « Lettre de Vichy. Une réalisation des Compagnons » et la plume d’Adolphe de Falgairolle, L’Éclair consacrera en pages 1 et 2 un long article sur la réhabilitation, en Provence, aux pieds du Lubéron, du village semi-abandonné d’Oppède : « M. Lamirand peut être fier de ses troupes […]. Naturellement, si l’abandon ou l’arrachement des oliviers, là plus qu’ailleurs, a raréfié la production des émeraudes liquides appelées huile vierge, on trouve maintenant en abondance l’huile de coude [fournie par le mouvement], grâce à laquelle les rebâtisseurs relèvent de leurs ruines un habitat français ».
Plus loin, l’article rajoute un point qui rappelle pour beaucoup les problèmes rencontrés à Cambous et à Saugras : « les Compagnons, sorte d’anachorètes à forts biceps, se sont occupés de parer au premier défaut de cette garrigue : le manque d’eau. Grâce à un arrosage réduit mais indispensable, la culture, appropriée au tènement, deviendra nutritive ». Mais, si la presse locale fait régulièrement, presque chaque jour, de la publicité pour les radiesthésistes et autres puisatiers ou sourciers, si utiles à l’agriculture, le problème de l’eau reste partout crucial, ayant bien souvent entraîné hier la fuite des populations comme aujourd’hui, à Oppède ou à Cambous, de bien maigres productions végétales…
Le lendemain, 17 février, L’Éclair revient longuement sur le mouvement et ses multiples, mais parfois éphémères, chantiers locaux, titrant en page 2 : « Avec la jeunesse française. Sans publicité tapageuse les jeunes défrichent la terre ».
Les « compagnies normales », formées le dimanche par des Compagnons ayant consacré « la semaine au travail manuel ou à l’étude, ont commencé à défricher les coins incultes de la terre de France ».
Le labeur des Compagnons est pour cela intense : « Nous les avons vus à l’œuvre dans ces garrigues pierreuses qui s’étendent sur des surfaces malheureusement immenses, au nord-ouest de la ville [de Montpellier], dans la région comprise entre Celleneuve, Saint-Georges-d’Orques, Bel-Air et Montarnaud. Deux compagnies, la « Mermoz » et la « Montcalm », pics, pioches et pelles en mains, sous la conduite du chef Hebrard, y ont déjà fait du beau et excellent travail. Là où émergeaient des rocs, s’étend [désormais] un vaste espace près à être ensemencé. De ce travail, très dur et productif, personne ne sait rien, et pourtant quelle belle leçon pour la jeunesse ».
Mais, pour entreprendre de tels défrichements et de telles mises en valeur de terres parmi les plus ingrates qui soient, les plus faibles ne sauraient durablement s’y atteler : « une période d’initiation première [ayant été] nécessaire pour éliminer ceux chez qui la résolution ne serait pas assez tenace »…
Le 15 avril 1941, le journal L’Éclair consacre, en pages 1 et 2 un très long article à l’essaimage qui s’est effectué depuis Cambous au fil des mois, depuis l’automne 1940. Sous le titre « Sur la route de Dijon. La belle digue, dig… la belle digue don… Une journée de baillage avec les Compagnons de France. De jeunes Français selon l’image concrète de la France nouvelle », P. Grimadias relate minutieusement, et avec exaltation, combien le mouvement doit à son site de Cambous, combien s’est-il développé, et décrit avec la même admiration une belle journée de rencontres dans l’Aude.
En effet, après les lents démarrages et les moqueries d’automne, « la création d’un camp école de chefs à Cambous permit bientôt d’avoir les cadres énergiques et sains qui étaient indispensables à la grande entreprise de propagande, de recrutement et d’organisation qui se révélait urgente », notamment dans les départements des Pyrénées- Orientales et de l’Aude, « tous deux travaillés particulièrement par la propagande communiste » et qui « reçurent les premiers la visite des Compagnons ».
Gard et Hérault venant ensuite, la mise en œuvre du programme de la Révolution Nationale a porté depuis ses fruits. « C’est ainsi que de 343, le 26 octobre (1940), les Compagnons du Bas-Languedoc passaient à 650 le 6 décembre, à 1 026 le 31 décembre. Ils étaient 2 815 le 18 janvier, 3 830 le 16 février, 4 545 le 17 mars. Aujourd’hui (mi-avril 1941), ils ont atteint les 5 000 ».
Vient ensuite le descriptif détaillé d’une journée éducative et sportive à Conques-sur-Orbiel, près de Carcassonne, assorti d’une photographie de déjeuner en plein air, « une des scènes caractéristiques des journées de baillage », et conduite par Delattre, le chef de province.
Le chef de pays, à Carcassonne, Quay, est passé, comme nous l’avons vu par l’Hérault. Il a pour administrateur le nommé Plas, pour assistant de pays le nommé Bahu (lire Balue, un grand sportif issu de l’armée dont la fiche a été évoquée plus haut à l’occasion de son passage à Cambous), pour chef de commanderie le nommé Moyen, « une fière équipe qui ne marchande, ni son temps, ni sa peine ».
Ils sont tous d’un très grand optimisme sur l’essor du mouvement, le chef Delattre indiquant que « bientôt […], chaque village aura son groupe de garçons ».
Au matin, malgré la pluie, la fière troupe de la compagnie autonome Abrial s’en va rejoindre Conques, fanion en tête et sac au dos, rejointe par d’autres Compagnons, venus à pied ou à bicyclette, tous, une bonne centaine, étant présentés aux autorités, notamment Boyer, président local de la Légion, qui les exhorte à mettre fin aux luttes politiques et à s’unir autour du Maréchal.
Messe pour les croyants, déjeuner, jeux, compétitions sportives, etc., la journée est bien remplie, avec un horaire très strict imposé par les chefs de baillage qui profitent du passage de Coulot, chef de la propagande, et Oberlé, chef des chantiers, qui, venus de Cerbère, où ils étaient en matinée, doivent être à St-Pons en soirée.
Le même jour, l’association publie un communiqué relatif à ses besoins vitaux d’encadrement : « Le Mouvement Compagnons de France prenant plus d’ampleur, nous avons besoin de chefs de valeur, jeunes et enthousiastes. Ils trouveront chez nous, non pas une « situation », avec tout ce que ce terme représente de vie mesquine et limitée, mais une magnifique occasion de servir leur pays et la Révolution Nationale, en donnant le meilleur d’eux-mêmes à la jeunesse, espoir de la France de demain ». Suit l’adresse montpelliéraine pour les demandes. Le 24 avril, ce seront les six fédérations françaises de scouts, dont celles de confession israélite, qui seront à l’honneur dans la presse locale pour la fête de saint Georges, célébrée la veille.
Le 24 mai 1941, quelques jours après la désignation de Guillaume de Tournemire à la tête du mouvement, le journal Compagnons (16 pages au format 30 X 43), publiera quant à lui, en page 12 de son numéro 32, un article sur le site de Cambous, à l’occasion de la venue, le 6 mai, du préfet régional, Olivier de Sardan, ami personnel de Pierre Laval, et du responsable national du Mouvement des Cités Compagnons, le chef Delattre 16.
Page précédente (p. 11), Le mot du chef, Robert Delattre, rappelait que « au début de ce mois [de mai 1941], les chefs du Mouvement se réunissaient à Cambous pour mettre au point les règles du Compagnonnage de Cités que nous appelions jusqu’alors Compagnonnage normal », priorité ayant été donnée jusqu’ici aux « jeunes réfugiés et chômeurs » pour les aider « à retrouver une vie laborieuse et utile ». « La réunion de Cambous a été le point de départ d’une perspective merveilleuse », etc.
Juste à côté, toujours page 11, un article : « Les Compagnons ne sont pas une gendarmerie supplémentaire », vise à défendre l’indépendance politique et confessionnelle du mouvement, en réaction à un article de Pierre Dominique, Candide, qui visait à traquer partout les « nouveaux convertis », c’est-à-dire les « communistes, socialistes, blumistes, [gens du] monde démocratico-parlementaire, anciens conservateurs à triple peau cuirassée comme le rhinocéros » qui s’infiltraient partout…
En page 12. G. Gauche signait, au nom des idéaux de l’époque, un article intitulé « Un bon coup de balai, Un but : RÉVOLUTION, un chef PÉTAIN » visant à dénoncer les manœuvres politiciennes qui entravent et divisent, au bénéfice de tel ou tel autre parti, la bonne marche de la Révolution Nationale.
Ce journal hebdomadaire de 16 pages, publié 39 Cours Morand à Lyon (6e), un peu touche à tout et donc très complet, était assorti de nombreuses illustrations et flattait souvent la France paysanne, dont un long reportage sur le Pays bressan qui était publié dans ce n° 32 (couverture compris), l’artisanat (reportage sur la porcelaine de Limoges) ou l’épopée des explorateurs (reportage sur l’Amazone), tout en se préoccupant des questions nationales (le monde ouvrier par exemple), mais aussi internationales (reportage sur l’Égypte en guerre).
Il se vendait alors 1 F 50 pièce, l’abonnement d’un an étant de 68 francs, à comparer aux 16 à 20 pages intérieures, vendues 7 F, de L’Illustration, le grand hebdomadaire national. Mais le lecteur de Compagnons en avait pour son argent puisque les aides gouvernementales permettaient au mouvement, moyennant ce prix de vente de 1 F 50, de tirer à 16 pages avec de nombreuses photographies monochromes.
À l’inverse, et parallèlement, en raison de la pénurie et de la cherté du papier. L’Éclair, un quotidien montpelliérain royaliste et ultraconservateur qui tirait avant-guerre et jusqu’à la fin 1940 sur quatre pages grand format, ne tirait désormais, le plus souvent, que sur une feuille petit format imprimée recto-verso (soit deux pages), qui était vendue un franc pour des articles fortement allégés et pratiquement jamais illustrés, sauf rare exception. Il en était de même pour son plus modéré rival, Le Petit Méridional, réduit à quatre puis deux pages avec la pénurie générale de papier.
Cet article de la revue des Compagnons de fin mai 1941, s’inspirait fortement des deux longs articles illustrés publiés le 7 mai par les deux quotidiens montpelliérains 17.
Sous la plume de P. Grimardias, L’Éclair titrait alors « Chez les Compagnons de France. Au château de Cambous, un des haut-lieux où souffle l’esprit de la France nouvelle, des jeunes gens réapprennent la fidélité », l’article s’étalant sur deux colonnes en bas de première page puis une colonne en page suivante, avec une photographie montrant le préfet, M. Olivier de Sardan, faisant ses adieux aux Compagnons. Nous en donnerons un peu plus loin retranscription intégrale. Sous la plume M.B., Le Petit Méridional titrait quant à lui, également sur deux colonnes, en pleine page 1, mais sans référence à l’esprit de la France nouvelle : « Au camp-école de Cambous. Au terme de leur séjour, les chefs compagnons des diverses régions de la zone libre.., reçoivent la visite du préfet de l’Hérault », une photographie, reprise par la revue Compagnons, montrant le salut aux couleurs.
Nous ne reprendrons ici que la version des Compagnons, très proche souvent, un plagiat même, de celle du Petit Méridional, et où l’on notera plus particulièrement le refus manifeste, même s’ils ne sont pas expressément nommés, d’écarter les juifs du mouvement :
« Dans la cour du château de Cambous, dont l’élégante façade du XVIe siècle, toute dorée par les rayons d’un soleil éclatant, se dresse au pied des premiers contreforts cévenols, à quelques kilomètres de Montpellier, une soixantaine de jeunes hommes se trouvaient réunis voici quelques jours.
Bien découplés sous leurs chemisettes bleues, la tête haute, le regard franc, l’air décidé ils sont groupés autour du mât où les Couleurs flottent à mi-drisse.
— Pour les Couleurs… amenez !
Le maître de camp [Despinette], a commandé. Les corps se raidissent en un impeccable garde à vous, les regards se figent vers les trois Couleurs qui descendent (religieusement précisait Le Petit Méridional), lentement, comme si elles portaient en elles une charge très lourde, les espérances de la France de demain qui les contemple.
Une doctrine Compagnon
Les Compagnons de France qui saluent les Couleurs dans le soir descendant, ne sont plus des néophytes. Ce sont tous des chefs, de jeunes chefs qui sont venus faire retraite au camp-école de Cambous. Venus de toutes les régions de la France libre, ils ont, durant quinze jours de vie commune, confronté leurs différents points de vue et dégagé les leçons de huit mois d’expériences et de tâtonnements.
Le Mouvement Compagnon, – et c’est ce qui résulte du séjour fait à Cambous -, est devenu une force vive du pays. Si, à l’origine il se préoccupa surtout de diriger de jeunes activités en chômage, de créer des chantiers, d’enlever de jeunes gens à la rue, il a, à l’heure actuelle, de plus hautes préoccupations (Le Petit Méridional ajoutait : Il ne veut pas se contenter de grouper quelques bonnes volontés éparses de ci de là et de se cantonner dans le rôle de bureau de chômage, il veut attirer toute la jeunesse qui se tient à l’écart des mouvements et qui représente les 7/8e des Français. C’est pour cela qu’a été créé le Compagnonnage des cités dont le fonctionnement vient d’être décidé et mis au point et qui se propose de ramener à lui tous les Français de 15 à 25 ans).
Il a désormais une doctrine précise qu’il puise dans les discours du Maréchal, discours approfondis, discutés, pressurés et non écoutés d’une oreille lointaine et approuvés d’une lèvre distraite. Chacune de ses phrases qui, dans leur simplicité, précisent et définissent tous les grands problèmes de la vie de la nation et de l’État, ont été la base sur laquelle va s’édifier la cité future. C’est au Mouvement, à tous les jeunes qui n’ont pas été corrompus par les habitudes de pensée et de vie d’une époque révolue, qu’il appartient de donner un corps aux vérités essentielles qui ont été si exactement dégagées.
Engagés au service de la Révolution Nationale, les Compagnons n’entendent ni se payer de mots, ni se mettre au service d’une quelconque friction politique. Conscients de leur puissance, ils ne tolèreront pas que des profiteurs du nouveau régime viennent relever les anciens et qu’au nom des querelles d’avant-guerre on écarte de la reconstruction tels Français d’une certaine caste ou d’une certaine religion (Le Petit Méridional ajoutait : Fiers de notre histoire, ils ne renient d’elle que les dernières années d’erreurs et de capitulations. Telle est la doctrine « Compagnon » que nous expose avec un enthousiasme communicatif, le chef Despinette, en cette journée de clôture).
Une retraite de quinze jours
Quinze jours durant, les Compagnons ont échangé leurs idées, ils se sont mutuellement fait part des leçons que les réalités quotidiennes leur avaient données. Ayant retrempé leurs énergies dans une atmosphère saine et joyeuse, ils repartent aujourd’hui, emportant de nouvelles directives.
En dehors des causeries et des bavardages amicaux qui meublaient leurs instants de loisirs, ces prises de contact ont eu lieu dans les conseils et les veillées, dans une vaste salle du château. Les sujets les plus divers y furent traités : Fidélité et Autorité, les Communautés Naturelles, l’Art Populaire, État et Politique, Corporatisme et Travail, les Compagnies Autonomes, l’Orientation Professionnelle, notre position confessionnelle, le Sport, etc.
Il y fut précisé la position des Compagnons face aux autres Mouvements de jeunesse avec lesquels il désire resserrer encore les liens d’amitié, car les Compagnons ne veulent pas plus d’un mouvement « unique », totalitaire, que d’une multiplication dangereuse de ces mouvements qui les livrerait sans défense aux ambitions personnelles d’hommes tout prêts à les exploiter, comme ils le firent pour les Anciens combattants de l’autre guerre (cette dernière phrase ne figurant pas dans le texte du Petit Méridional, contrairement à L’Éclair, cf. infra, mais le mouvement se devait de souligner ce qui était l’épine dorsale de son engagement).
Le dernier Conseil, celui qui clôtura les travaux, a eu pour thème : la Mystique de la France.
À celui-ci a assisté le distingué préfet de l’Hérault, M. Olivier de Sardan, heureux de profiter de cette circonstance, pour visiter le camp-école de Cambous et pour marquer, sa sollicitude envers les Compagnons.
M. Olivier de Sardan ayant félicité les jeunes chefs qui menaient les débats, un vin d’honneur fut offert aux personnalités présentes, ce qui fut l’occasion pour le chef Delattre, responsable national du Mouvement des Cités Compagnons, d’échanger avec le préfet d’aimables paroles.
Le camp s’est terminé par la chaîne des Adieux à laquelle participèrent les personnalités, conquises par l’enthousiasme et l’entrain des Compagnons. Après quoi, les divers chefs s’envolèrent vers leurs diverses provinces où ils vont porter la bonne parole et forger de jeunes âmes françaises. [Fait] d’après « L’Éclair de Montpellier » et « Le Petit Méridional ».
Les subtilités des propos des deux quotidiens, parfois très politiques et toutes en nuances, mériteraient sans doute quelques précisions. On se contentera ici de souligner, par exemple, que Le Petit Méridional, insistant à son tour sur la Mystique de la France nouvelle, note que les cérémonies se terminèrent ainsi :
« Arrivé à 17 h. 30, accompagné de son chef de cabinet, M. Ordioni, de MM. de Lagauzie et Marc, délégué régional et délégué départemental des Mouvements de Jeunesse, le préfet a été reçu par les chefs Despinette, Crouiziat, Delattre, chef des Compagnies Normales au Centre National ; Clayel, Quay et les représentants des différentes branches du scoutisme.
C’est Clavel, qui en termes très élevés, dans un rapide exposé, dégagea la mystique de la France qui doit se fonder sur la Fidélité et l’Autorité. Cette mystique spécifiquement nationale n’emprunte rien à personne, elle s inspire des plus solides traditions de notre histoire.
M. Olivier de Sardan ayant félicité le jeune orateur, un vin d’honneur fuit offert aux personnalités présentes qui fut l’occasion, pour le chef Delattre et le préfet, d’échanger d’aimables paroles.
À 18 h. 30, ce fut la simple et émouvante cérémonie des Couleurs au cours de laquelle le chef Despinette exposa au préfet le but du mouvement Compagnon.
Ce fut ensuite la « chaîne » des adieux à laquelle les personnalités participèrent, conquises par l’enthousiasme et l’entrain des Compagnons. Après quoi, les divers chefs s’envolèrent vers leurs diverses provinces où ils vont porter la bonne parole et forger de jeunes âmes françaises ».
L’Éclair évoque par contre davantage le cadre et l’obligeance du très pétainiste maître des lieux, comme l’emploi du temps fort spartiate des stagiaires, tout en soulignant l’aspect chevaleresque des choses, un élément que ne pouvait pas manquer de noter un journal connu depuis sa fondation pour ses idées royalistes.
On a même l’impression de voir les anciens moines soldats du Moyen-âge à l’œuvre, retranscrivant ici l’intégralité de l’article malgré la reprise d’éléments déjà vus ci-dessus :
« Sur la route de Ganges, à 25 kilomètres de Montpellier, au niveau des garrigues et des bois qu’il domine de son donjon crénelé, le château de Cambous, ancien fief de la Maison des Turenne 18, abrite aujourd’hui une nouvelle Chevalerie.
Grâce à l’obligeance de M. Pépin, maire de Viols-en-Laval, les Compagnons de France ont trouvé dans ce cadre rude et fort, à leur image, le lieu d’élection pour une vie de travail et de méditation.
Les vastes couloirs résonnent au pas des souliers ferrés et dans les chambres aux cheminées monumentales, s’alignent sur une natte de roseaux, les paillasses réglementaires. Cambous est devenu un des premiers camps-écoles des Compagnons de France.
Chaque mois, une cinquantaine de jeunes gens, déjà formée aux disciplines du mouvement, viennent y retremper leur foi et leur volonté. Futurs chefs-compagnons, ils reçoivent de leurs aînés l’enseignement qui leur permettra de mener à son terme la tâche très lourde qui leur incombera, dans leurs cités, dans leurs villages et sur leurs chantiers.
Le chef Despinette et son adjoint, Clavel, des intellectuels, non point de ceux que méprisait Péguy, mais des jeunes hommes profondément enracinés dans la réalité, insufflent aux stagiaires l’enthousiasme pour la personne et l’œuvre du Maréchal.
Auprès d’eux, des techniciens, dans des cours pratiques, montrent la noblesse du travail manuel.
C’est ainsi qu’un ameublement rustique a été créé et que sur les murailles reblanchies des salles éclatent les couleurs vives de fresques qui chantent le passé et les luttes présentes.
Les Compagnons en leurs conseils
Chaque « camp » a une durée de dix-huit jours.
Sur l’horaire, nous avons en vain cherché les heures consacrées au repos. Du lever, qui a lieu à 6 h 30 jusqu’au soir, un programme implacable utilise chaque moment. Le salut aux couleurs, le sport, les discussions en équipe, les chants, les travaux sur le chantier, les multiples réunions en conseil, ne laissent pas de place à la flânerie.
Et l’on imagine qu’après la veillée en commun, chacun regagne son dortoir sans retard.
Le chef Despinette, qui nous a reçus à Cambous en même temps que les délégués des divers mouvements de jeunesse, a bien voulu nous donner un aperçu de ces « Conseils » où est exposé et étudié ce que l’on peut appeler « la doctrine Compagnon ».
Notre doctrine, nous dit-il, est puisée toute vive dans les discours du Maréchal Pétain.
Dans ces allocutions, d’un sens véritablement français, mais que trop souvent on écoute ou on lit sans s’y arrêter, nous avons trouvé la véritable charte de la jeunesse et de la France nouvelle.
L’étude approfondie des déclarations du Maréchal nous a permis d’élaborer notre doctrine. Chacune de ses phrases, qui dans leur simplicité précisent et définissent tous les grands problèmes de la vie, de la nation et de l’État, ont été pour nous la base sur laquelle nous avons édifié la cité future. Qu’importe que les réalisations tardent à venir nous avons reçu le dépôt sacré. C’est à nous, à tous les jeunes, qui n’ont pas été corrompus par les habitudes de pensée et de vie d’une époque révolue, qu’il appartient de donner un corps aux vérités essentielles qui ont été si exactement dégagées.
Dans nos derniers Conseils, poursuit le chef Despinette, auxquels participèrent cette fois-ci tous les chefs régionaux, nous avons plus particulièrement étudié les communautés naturelles métier, famille, religions, nation, les rapports du capital et du travail, – nous souvenant que le Maréchal a promis à chacun la propriété de son métier -, ceux de l’État et de la politique, de la fidélité et de l’autorité.
Nous avons précisé notre position vis-à-vis des autres Mouvements de jeunesse avec lesquels nous resserreront encore les liens d’amitié, car nous ne voulons pas plus d’un mouvement « unique », totalitaire, que d’une multiplication dangereuse de ces Mouvements qui les livreraient sans défense aux ambitions personnelles d’hommes tout prêts à les exploiter, comme ils le firent pour les Anciens combattants de l’autre guerre.
Une visite du préfet régional de l'Hérault
Mais voici que retentit, à l’entrée de la cour d’honneur, le salut Compagnon : il accueille M. Olivier de Sardan, préfet régional de l’Hérault, accompagné de son chef de cabinet, M. Orgioni ; de MM de Lagauzie et Marc, du chef Delattre qui, appelé au Conseil national, est remplacé à la province par le chef Quay, des chefs adjoints à la province, Coulaud et Auriol.
M. Olivier de Sardan, qui vient assister au dernier Conseil du camp, se rend dans la salle où sont déjà assemblés les Compagnons.
Le chef Clavel parle de la mystique de France. C’est une merveilleuse leçon de fidélité. Au-dessus des communautés matérielles, le sol, la langue, il y a, dit-il, les valeurs spirituelles qui les légitiment et qui sont le fondement de la nation.
La première de ces valeurs est la fidélité : fidélité aux principes élémentaires de la nation, et toute cette hiérarchie de fidélités, véritable ciment de l’artisan à son métier, du bourgeois à sa cité, de tous au Chef qui à la direction des forces et des fonctions et qui les fait converger à un résultat unique.
C’est maintenant la descente des couleurs devant le château, après quelques paroles du chef Despinette, et le dernier « Compagnons au large », au large à travers la France pour répondre aux Maîtres-mots qui sauveront la Patrie.
M. Olivier de Sardan tient alors à remercier les Compagnons et à leur dire quelle joie il a trouvé à venir parmi eux.
Puis sur la pelouse, alors que disparaît lentement le jour, tous les Compagnons en cercle, et le préfet avec eux, bras entrecroisés et mains unies chantent le chant des Adieux : Ce n’est qu’un au revoir mes frères.
Tout à l’heure, chaque chef Compagnon, moderne Chevalier, va rejoindre la route : elle mène, n’en doutons pas, au service de la France ».
C’est sur cette très maçonnique chaîne d’union que s’achève alors ce reportage de L’Éclair sur la journée du 6 mai 1941.
Le second semestre 1941 est dans la presse locale un moment fort pour le mouvement, cette période étant caractérisée à partir de l’été, lors d’un passage de la pagination de L’Éclair à 4 pages, par la création en page 4 d’une importante rubrique : « Pour vous, Jeunes de France ! », consacrée aux différentes organisations en charge de la jeunesse.
Dès le 1er juillet 1941, en page 4, L’Éclair souligne que les Compagnons sont désormais 25 000, avec un article illustré par une scène de charruage. Le 8 juillet, il montre les Compagnons au travail, torse nu, pioches et pelles en main.
Peu avant le rassemblement de Randan du 29 juillet, vers lequel convergeront nombre de Compagnons, pour célébrer le premier anniversaire du mouvement, la presse locale reparlera très sobrement de Cambous le 23 juillet :
« À la délégation régionale de la Jeunesse.
Hier matin, à 11 H 30, à l’occasion de la réunion des délégués départementaux de la Jeunesse, qui se tient cette semaine au Tinal, route de Celleneuve, M. Olivier de Sardan, préfet de l’Hérault, a visité le Centre des jeunes travailleurs. Il a été reçu par M. de Lagauzie, délégué régional ; Marc, délégué départemental ; Nicot, des Jeunesses paysannes ; Michiels, secrétaire général des Scouts ; Quay, chef de province des Compagnons de France.
Vivement intéressé par ce qui lui était présenté, M. Olivier de Sardan a félicité les organisateurs.
Le soir, les délégués ont visité l’École de cadre de Sumène et [celle] de Cambous, et inauguré la plage de la Jeunesse à Palavas 19 ».
Mais, si tout cela semble fort beau dans l’idéal de cohésion de la jeunesse et de résurrection nationale recherchés, encore faut-il, dans un pays pillé par l’occupant et désormais pratiquement sans apport extérieur de matières premières, en avoir les moyens matériels…
De plus, si l’on encensait le chef Despinette au printemps 1941 dans la presse locale, rien ne va plus dès la fin mai et surtout une fois l’été venu, quand se renforcent les politiques antimaçonniques ou antisémites, comme la haine du gaullisme chez les financeurs du mouvement.
Ainsi, dans la liasse 14 W 27 des archives héraultaises spécifiques à Cambous, se trouvent les critiques adressées le 17 juillet 1941 à Despinette, chef du camp-école de Cambous, comme suite au différend « qui s’était élevé entre la hiérarchie Compagnons et lui-même au cours de la séance du 27 mai » (rapport du 20 juillet 1941 à en-tête du Comité des Amis des Compagnons du Gard de Nîmes).
Certes, s’agissant du chapitre I, « Personnalité de Despinette », on s’accorde à dire avec l’été 1941 « qu’il faut rendre hommage de la foi très élevée qui l’anime, ainsi que de son érudition philosophique et morale ». On souligne d’ailleurs « une sincérité et un désintéressement qui ne sauraient être mis en doute », mais pour s’interroger aussitôt sur les capacités de ce chef si charismatique à répondre aux attentes du mouvement car « il y u lieu de se demander si le chef Despinette sert aussi bien la cause de la Révolution Nationale qu’il en est intimement persuadé ».
L’homme est en effet insaisissable et déroutant. « Il résulte en effet de son exposé, qu’autant sa foi et son élan sont intenses lorsqu’il exprime ses idées personnelles, autant cette foi et cet élan semblent considérablement freinés lorsqu’il traite de questions aussi fondamentales que les problèmes du moment : collaboration, juifs, francs-maçons, gaullisme ». On s’interroge sur les « raisons de ce freinage », sans doute issues du « fait que le chef Despinette se perd dans la recherche de l’absolu qui lui fut perdre de vue le réel » et dans le « fait que sa personnalité, très particulière et très accentuée, le pousse à considérer toutes choses d’un point de vue purement subjectif ». D’ailleurs, « la preuve s’en trouve lorsqu’il déclare interpréter avec certitude les ordres et la pensée du Maréchal, dont il semble rechercher l’esprit, plus encore que la forme, à laquelle il déclare pourtant se soumettre. N’y en eût-il qu’un seul à interpréter correctement cet esprit, qu’il ne semble pas douter un seul instant être celui-là ». Or cette ambiguïté est gênante : « Il peut en découler des conséquences fort importantes étant donné le poste qu’il occupe, soit qu’il décourage certaines bonnes volontés par sa recherche d’un absolu qui ne tient pas compte des nécessités aussi impérieuses qu’immédiates ; soit qu’il guide inconsciemment ses subordonnés dans une voie non orthodoxe quant à la Révolution Nationale ». La chose est d’importance, du moins grave, car « un chef comme Despinette exerce sur le mouvement une influence considérable », et ce à une époque où « L’État français a besoin plus que jamais du concours des éléments sains du pays ».
De ce fait, selon les résolutions prises à Nîmes, « cette action civique indispensable doit être guidée par la seule Raison ». Il convient donc « que le Mouvement Compagnons précisât sa pensée sur les points critiques de la politique intérieure (gaullisme, juiverie, maçonnerie, parlementarisme) comme sur ceux de la politique extérieure (anglophilie, communisme, idéologies internationales) », mais « rien n’est fait dans cet ordre d’idées ».
La jeunesse française a certes besoin de chefs, mais « elle n’a que faire de rêveurs perdus dans les nuages diffus de leurs esthétiques, de leurs métaphysiques, de leurs conceptions philosophiques », alors même que « rien ne semble fait ou prévu pour introduire du réel dans l’activité Compagnons ». Pire, le pluralisme prévaut dans les mouvements de jeunesse, avec « l’indépendance de chaque mouvement, l’absence de toute liaison et un particularisme outrancier ». Or, « dans un pays aussi pourri d’individualisme que le nôtre », « on fait à la masse une confiance qu’elle ne mérite pas encore, car sa soi-disant émancipation depuis 150 ans est bien loin de l’avoir éduquée civiquement, moralement et politiquement ».
Le chef est la clé de voûte de cette régénération mais les mutations, les nominations et rétrogradations, perturbent le fonctionnement de la hiérarchie, situation d’autant plus grave que les jeunes, « faute d’une mystique simple et réaliste », sont déroutés par les interprétations différentes des chefs successifs. Enfin, Les Amis des Compagnons, qui sont les « payeurs éventuels, mais prudents et difficiles à contenter », trouvent « pure folie », au lieu des concours passagers et variés qui étaient jusque-là sollicités, de se voir demander « à présent des sommes allant jusqu’à 20 000 francs par mois », et ce sans aucun droit de contrôle…
Aussi, le responsable nîmois se fâche : « J’estime pourtant que si un salopard ou un homme néfaste, ou [bien encore] un esprit faux est en place dans la hiérarchie Compagnons, notre premier devoir est de l’en déloger. Il faut aux Amis des Compagnons un droit de regard sur le mouvement et sur les nominations des chefs, ce qui nous a été toujours officiellement contesté ». De ce fait, « Le Comité nîmois des Amis des Compagnons de France décide :
1. de s’en tenir aux décisions de la réunion du 27 mai 1941 ;
2. de réclamer un droit de regard et de veto sur les nominations ;
3. de faire régner l’esprit de la Révolution Nationale au sein d’un organisme qui en est actuellement privé totalement »…
C’est donc dans les différentes directions possibles que les différents cadres du mouvement et leurs partenaires financiers vont se déchirer selon les sensibilités des uns et des autres, sensibilités par ailleurs évolutives avec le temps, vers plus de collaboration pour les uns, ou vers plus de résistance, passive ou active, à l’ennemi, pour d’autres, comme vers plus ou moins d’antisémitisme…
Et l’on comprendra d’autant plus l’attitude du comité de Nîmes, très proche de l’ultra-droite collaborationniste et donc pro-allemande du moment, que nous verrons par la suite nombre de cadres du mouvement, et non des moindres, leur chef en tête, participer activement, sous l’appellation collective les Druides, à un vaste réseau de renseignement et de résistance contre l’occupant, le fameux réseau Alliance (« L’arche de Noé » pour les Allemands)…
Le jour même du second rassemblement de Randan, le 29 juillet 1941, L’Éclair consacre en page 1 une colonne au mouvement Compagnons, soit désormais 30 000 garçons encadrés dans plus de 500 compagnies.
Le 7 septembre, toujours en page 1, L’Éclair consacre un gros encadré au message que le Maréchal Pétain a adressé la veille aux Compagnons de France sur les ondes de Radio-Jeunesse, donnant retranscription intégrale de la courte allocution, suivie des remerciements du nouveau chef des Compagnons, Guillaume de Tournemire.
Celui-ci, appelé « grand-maître des Compagnons de France » à de multiples reprises par L’Éclair, est le 13 septembre en Avignon. Le 14 au soir, venant de Nîmes, « Le maître-compagnon de Tournemire rend visite aux Compagnons de Montpellier » (édition du 15, p. 3, assortie d’une photographie du nouveau dirigeant). Le soir, en la Maison de la Jeunesse, rue Boussairolles, accompagné des chefs Delattre et Quay, pour les cités et la province, il passe en revue les 45 Compagnons de Cité et les 25 des Chantiers « puis, tandis que les Compagnons se raidissaient au garde- à-vous et que la foule saluait, le chef Despinette, de l’École des cadres de Cambous, baissait les couleurs qui flottaient au balcon ». Suit alors un dîner avec les plus hautes autorités civiles, religieuses et militaires locales, dont le général Altmayer, commandant la XVIe division de l’armée d’armistice à Montpellier, et le commissaire régional adjoint des Chantiers de la Jeunesse. Le lendemain, le chef Tournemire poursuit son inspection, se rendant à Béziers, Narbonne puis Perpignan.
Le manque de main-d’œuvre est tel que plusieurs rubriques de « Pour vous, jeunes de France » souvent des communiqués et non des articles journalistiques, soulignent le 16 septembre la place du mouvement dans l’agriculture régionale et d’autres secteurs. Pour les vendanges, comme suite aux accords passés avec la Mission de Restauration paysanne, les Compagnons fourniront 85 volontaires à Vendres, 120 à Lespignan, 76 à Saint-Gély-du-Fesc, 120 à Saussan, 117 à Fabrègues, 130 à Cournonterral, 43 à Lavérune, 30 à Lieuran-Cabrières. À ce jour, ils ont consacré 235 000 journées à l’action sociale, 155 000 aux travaux agricoles, 3 000 à la sériciculture. Leurs 300 moniteurs d’éducation physique encadrent 40 000 jeunes, Compagnons ou non, et le mouvement développe son service sanitaire, avec 12 maîtres de santé provinciaux, 34 de pays, plus 52 médecins.
Le même jour (16 septembre), L’Éclair indique que « au château de Cambous, école de cadres régionale, les sessions d’informations se succèdent, groupant membres de l’enseignement, professeurs, instituteurs et étudiants, chefs de mouvements, de jeunes ouvriers et paysans, fonctionnaires des diverses administrations, désireux de s’initier à l’esprit du nouveau régime, à ses volontés, à ses réalisations. C’est dans une atmosphère de franche camaraderie et de fraternité salubre que les élites de la France nouvelle se préparent au combat national et révolutionnaire dans notre école de cadres régionale ».
Le 18, en page 3 de L’Éclair, les Compagnons, publient un nouveau communiqué à l’adresse des jeunes, soulignant que « le Maréchal a fait l’honneur de considérer le mouvement Compagnon comme l’avant-garde de la Révolution nationale et de lui donner un chef ».
Le 23 septembre, un court article de L’Éclair rappelle comment en janvier 1941 vingt-cinq Compagnons partirent effectuer des travaux routiers à Lieuran-Cabrières, publiant juste à-côté une photographie d’alpinisme où l’on voit un Compagnon, drapeau français en main, faire irruption au sommet d’un pic alpin dédié dans le massif du Mont Blanc au Maréchal. Aucun article n’accompagne toutefois cette photographie, seulement légendée : « Une cordée de Guides et de Compagnons a inauguré l’aiguille Maréchal-Pétain, dans le massif des Alpes. Les trois couleurs flottent à 3 500 mètres d’altitude ». Il faudra se rapporter à d’autres revues ou journaux pour en savoir davantage, notamment sur le fait qu’il ne s’agit pas ici d’un véritable pic, mais seulement de la pointe nord, à 3 507 mètres, de l’aiguille dite de Blaitière (3 522 mètres), à Chamonix…
Le 30, L’Éclair publie dans « Pour vous » un très gros article sur la participation aux vendanges des jeunes des Chantiers et du mouvement Compagnons. Le 4 octobre, en page 3, à l’occasion de la fête des vendanges devant se tenir le lendemain, le même journal indique que « le grand-maître compagnon, G. de Tournemire » participera aux cérémonies, voulues grandioses, avec rallye à travers le département d’athlètes porteurs de hottes pleines de raisin, défilé à travers la ville, jeu d’art dramatique au kiosque de l’Esplanade, etc. L’exploit sportif sera fort beau et méritant puisque entre Sète et Montpellier, le coureur ne sera relayé qu’à Fabrègues, mais la météorologie contrariera quelque peu les choses…
Dans l’édition des 5 et 6 octobre (si la pagination est de 4 pages les journaux sont interdits de parution le dimanche pour économiser le papier), un énorme article de page 3, très détaillé et illustré, indique ainsi que « quinze cents Compagnons, trempés ont célébré la fête des vendanges en présence du maître-compagnon, G. de Tournemire », le maître d’œuvre de la cérémonie étant le chef Larcher, flanqué du chef Jolas pour l’intendance. Les 700 vendangeurs du mouvement sont là, accompagnés des 500 Compagnons du Biterrois logés à la caserne des Minimes, plus 200 Compagnons des Cités, venus de Nîmes, l’Aude ou l’Hérault, passés en revue, malgré la pluie, par les autorités civiles, religieuses et militaires et par leur chef, un camarade de Bournazel, Guillaume de Tournemire, héros du Maroc, dont l’article rappelle que sa « croix de guerre est lourde de sept palmes ».
Le sport est alors un des éléments nouveaux de la formation des jeunes, tant dans les mouvements de jeunesse que dans l’armée. Le 4 novembre 1941, dans la rubrique « Pour vous », L’Éclair consacre ainsi un important article, assorti d’une photographie, au rassemblement annuel, dédié à l’hébertisme, et donc à la pratique du sport, que le mouvement a décidé d’organiser, entre le 23 septembre et le 8 octobre, dans son camp de Sausset-les-Pins, près de Marseille.
Le mouvement Compagnons, s’il n’a officiellement aucune vocation militaire, tout comme d’ailleurs les Chantiers du général La Porte du Theil, est cependant à cette époque très lié à l’institution militaire et mène une vive politique sportive. Ainsi, si l’armée d’armistice publie une publication spécifique nouvelle « Revue de l’armée française », les Compagnons publient avec l’automne 1941 « un numéro spécial [de 48 pages], consacré aux réalisations de l’armée nouvelle » comme le stipule un communiqué de Vichy du 9 novembre, publié les 9 et 10 par L’Éclair. Dans la foulée, c’est chez les Compagnons, à Lyon, sous le patronage du secrétariat d’État à la guerre, que seront publiés en 1942 les quatre numéros de 48 pages d’une revue richement illustrée consacrée à l’armée d’armistice, L’Armée nouvelle, vendue 5 francs, dont nous reparlerons en temps opportun dans la seconde partie de cette étude.
Parallèlement, d’autres écoles de cadres se forment dans l’Hérault, et c’est ainsi que le 12 novembre 1941, en page 1, L’Éclair consacrera une photographie à l’école fondée par l’administration, au château de Saint-Baudille, près de Cers, en Biterrois, sur un domaine de 220 hectares, afin d’y former divers fonctionnaires : assistants du secrétariat à la jeunesse, employés de préfecture, brigadiers de police, prêtres, etc. Le 27 décembre 1941, le même journal, en pages 1 puis 2, consacrera un important article à cette nouvelle structure, « creuset pour les chefs de la Révolution nationale » en Bas-Languedoc et Roussillon. Le journaliste, J. Aymard, après avoir vilipendé les « tares » du « régime déchu », soulignera ainsi combien la première promotion, simplement appelée officiellement « promotion des fonctionnaires », décida d’elle-même, sur le final, de s’appeler « promotion Henri de Bournazel ».
Entre-temps, le 25 novembre 1941, dans « Pour vous, Jeunes de France », L’Éclair, page 4, consacre un très long article, sous forme d’interview, à Guillaume de Tournemire, le nouveau chef des Compagnons de France, qui « fut considéré au Maroc comme l’égal de Bournazel », plusieurs fois blessé, plus jeune capitaine puis plus jeune commandant de France, totalisant six citations sur sa croix des T.O.E. (théâtres d’opérations extérieurs) et deux sur celle de la guerre 1939-1940. Une photographie le montre serrant la main au Maréchal et le chef des Compagnons, conscient des vifs besoins en encadrement de son mouvement, compte alors recruter, pour parfaire la mission que le chef de l’État lui a confié, parmi les Anciens des Chantiers de la Jeunesse, le vivier d’hommes, déjà astreints à une strict discipline, où l’encadrement militaire souhaite secrètement lever les 24 divisions qui pourraient participer à la reconquête du territoire si d’aventure l’armée d’armistice devait avoir à ouvrir à nouveau les hostilités contre l’Allemagne.
Mais les comptes-rendus journalistiques sur le mouvement se font désormais fort rares en cette fin d’année 1941 et ce n’est que très accessoirement, en 1942, que l’on reparlera des Compagnons de France dans la presse locale, désormais revenue à deux pages et définitivement privée de la rubrique spécifique à la jeunesse qui alimentait naguère des dizaines d’articles consacrés aux divers mouvements propres aux adolescents.
Tout au plus voit-on fin 1941, le 16 décembre, L’Éclair publier un article sur la constitution à Montpellier du comité des « Amis Compagnons » :
président d’honneur : le professeur Rimbaud ;
président : M. Balmayer, ingénieur à la Compagnie du gaz ;
délégué à la Jeunesse : M. Marc, délégué à la Jeunesse (du gouvernement) ;
industrie : M. Ricateau, directeur des Mines de Graissessac, conseiller municipal ;
travail : M. Vidal, Auto-Agence montpelliéraine, etc.
Pour l’armée, parmi une longue liste de noms, on trouve alors le colonel Didry, de la caserne Grossetti, et l’article indique que « Mme Yves Roussel a eu la généreuse initiative d’organiser un ouvroir en faveur des compagnons autonomes. Les personnes désireuses de la seconder dans sa tâche sont priées de se mettre en rapport avec elle, 1 rue Joffre, à Montpellier ».
Mais les difficultés auxquelles doivent faire face les Compagnons sont alors innombrables, politiques, nous l’avons vu avec les réquisitions des Amis Compagnons de Nîmes, mais aussi financières et matérielles.
L’économie nationale est en effet exsangue. Tout ou presque vient à manquer, le souffle des 12 ou 15 premiers mois est retombé et la propagande en faveur des Compagnons faiblit, presque nulle en 1942 comme il appert d’un examen minutieux de la presse locale, à l’exception du fastueux troisième rassemblement de Randan tenu avec l’été 1942, à une époque où tout ou partie du mouvement, s’il ne l’a déjà fait, va s’engager sur les voies de la résistance et non celles, vers la collaboration la plus totale, que souhaitait tant le très fascisant comité nîmois…
Et les difficultés les plus diverses, politiques ou d'intendance, alimentaires ou matérielles s'accroissent...
Dès l’été 1942, la haute-hiérarchie du mouvement bascule en effet dans les voies d’une certaine résistance, peu ou prou larvée, peu ou prou engagée, contre l’occupant du nord et de l’ouest du pays, mais alors non combattante.
Le 25 juillet 1942, à Randan, lors de la célébration du second anniversaire du mouvement, effectuée en présence du Maréchal et d’environ 7 000 jeunes venus de la France entière, à un moment où l’ouverture d’un front méditerranéen devenait plus que probable, Guillaume de Tournemire, le chef des Compagnons, décide en effet de mettre le drapeau français en berne, précisant qu’il ne serait hissé que le jour où la France et son empire auraient retrouvé leurs intégrités (cf. infra). C’était-là un acte fort symbolique, « considéré par certains compagnons comme un événement majeur de l’histoire du mouvement le moment où Tournemire aurait signifié clairement où était son camp », comme le précisera en 1994 Jean-Marie Despinette à une historienne du mouvement 20.
Les pièces les plus récentes des documents relatifs à Cambous et Saugras, trouvées isolées dans la liasse 14 W 64, sont seulement une vive polémique de janvier 1942 au sujet de l’approvisionnement en carburant.
Le 28 janvier, le chef de l’École de cadres écrit au Service de gestion de la Province du Bas-Languedoc, pour se plaindre de la répartition de dotation d’essence et de « certains petits jeux » qui nuisent gravement au fonctionnement du centre de Cambous :
« Suite à la conversation téléphonique de ce jour concernant la dotation d’essence allouée à l’école par la Délégation régionale du Secrétariat à la jeunesse, votre Service a fait une demande de 170 litres, dont 50 pour Cambous. Le Délégué régional vous en a donné 150. Sur ce chiffre, nous en avons reçu seulement 30, et cela pour le mois dernier également.
Il est incompréhensible qu’une telle retenue soit opérée par votre service, surtout en ce moment où il y a un camp et où les difficultés du ravitaillement ne permettent pas certains petits jeux. Puisque le chef Jolas est absent en ce moment, je demande à son adjoint, Séverac, de faire un bon de la valeur du restant, comme il avait été fait au début du camp. Le chef Frères, porteur de la présente, en prendra possession. J’ajoute que cette essence nous est nécessaire IMMÉDIATEMENT, pour assurer la marche du camp. Au cas où une suite favorable ne serait pas donnée, le Chef De Tournemire serait immédiatement mis au courant de la chose. Cette lettre servira de pièce Justificative à Séverac ».
Signé : L’administrateur,
et Le Chef de l’École des Cadres (illisible).
Une mention ajoutée en bas indique : donné un bon de 10 l. pour dépannage. Bref de quoi faire un peu plus de 100 km pour un véhicule léger, soit de quoi se rendre à Montpellier deux à trois fois seulement dans le mois (50 km aller-retour)…
La réponse du Service de Gestion, signée du Gérant de Province. Ch. Jolas, et du Chef de Province, R. Quay, a lieu le 31 Janvier et on n’apprécie guère tout cela, à la fois le ton et la méthode, qui est un véritable bon de réquisition, assorti de plus de la menace d’en référer à la hiérarchie suprême du mouvement, en la personne de Guillaume de Tournemire :
« Je suis très étonné du ton employé dans votre lettre. Je n’admets pas votre façon d’agir et encore moins vos menaces. Je tiens à vous donner quelques éclaircissements, car les renseignements que vous avez reçus sont faux.
Il a été demandé, le 26 décembre [1941], pour la période du mois de janvier [1942], et le 23janvier [1942] pour celle du mois de février, à Monsieur Marc, Délégué régional au secrétariat à la Jeunesse, 250 litres d’essence pour [tout] le département de l’Hérault (École de Cambous y compris avec 50 litres), et non 170 litres. Le délégué nous a donné 150 litres sur 250 demandés. Il nous manque donc, pour nos besoins, au total 100 litres. Il est tout à fait normal et logique que vous ne touchiez pas vos 50 litres [en totalité], car chacun est obligé de faire des sacrifices. D’autre part, la dotation de 30 litres a été décidée par Monsieur Quay, Chef de Province.
Sachez que partout où nous avons le ravitaillement à assurer, la dotation ne suffit pas. Exemple : à Nîmes, où il y a 60 garçons à ravitailler et où nous avons de grandes distances à effectuer nous avons touché [seulement] 20 litres d’essence pour un mois. Dans d’autres départements, la même insuffisance d’essence nous crée d’insurmontables difficultés.
Je ne peux rien faire d’autre pour vous. Je vous prie d’ailleurs de faire votre demande personnellement et directement à Mr Marc à partir du mois de mars. Pour le mois de février, je vous allouerai comme par le passé 30 litres ».
Ces problèmes d’essence seront-ils la cause essentielle de l’absence de documents postérieurs à janvier 1942 et donc à la fermeture du camp école peu après cette date ? Nous l’ignorons, d’autant plus que le fonds archivistique des Compagnons, tel que connu aujourd’hui à Montpellier, n’est que l’épave des pièces résiduelles du fonds d’origine, trouvé en vrac et dans le plus parfait désordre quand il fut, peu après la Libération, déposé aux Archives de l’Hérault.
Les rationnements en tous genres devenant de plus en plus sévères, la situation ne pouvait de toute façon qu’empirer, parallèlement à l’évolution de la situation politique.
On sait cependant que le camp de Cambous fonctionnait encore en mai 1942 comme il appert d’une photographie d’époque publiée dans un ouvrage sur le mouvement (cf. infra), soit peu de temps avant que l’armée ne prenne sur place la relève des Compagnons avec le mois d’août.
Même l’armée d’armistice subit alors, en 1941-1942, les pires difficultés d’approvisionnement et un contexte climatique défavorable, comme il appert d’un long et très détaillé rapport dressé en septembre 1942 et dont nous ne donnerons ci-après qu’un extrait significatif, réservant son intégralité à la deuxième partie de cette étude 21 :
« Un effort réel a été entrepris depuis l’installation des corps de troupe au lendemain de l’armistice dans leurs garnisons d’après-guerre. À cette date, fin 1940, les jardins potagers existants étaient en nombre très réduit dans les diverses places. Dès le début de 1941, un essor considérable a été donné à leur développement ; et en 1942, le défrichement, l’amendement et la mise en culture de nouvelles terres (qui en plusieurs endroits ne sont que partiellement réalisés, certains travaux étant prévus pour l’hiver prochain), ont pris encore une extension manifeste. Cependant, en dépit des surfaces plus grandes, la production a été souvent moins bonne en 1942, en raison de la grande sécheresse qui vient de sévir dans les départements du Midi et qui, en ce qui concerne la pomme de terre, a eu en certains lieux pour conséquence de donner cette année une récolte inférieure à la quantité des semences (au III/8e R. I. de Sète notamment).
Il faut tenir compte en effet à ce que les divers terrains sont de qualité très différente, le département de l’Hérault, notamment, ayant un sol moins fertile que les autres, Aveyron ou partie occidentale de l’Aude, et que, l’arrosage de ces terrains étant impossible en bien des cas, un grand nombre ne peuvent bénéficier que de l’eau de pluie. Seuls peuvent être considérés comme [étant] de terre excellente et facilement irrigables ou arrosables en tous temps : le petit jardin des Aubes, exploité à Montpellier par le 2e Bataillon dit au bord de la rivière du Lez ; le jardin de la citadelle de Perpignan, exploité par le I/2e R.I.C., et les deux jardins de Saint-Jean et du Parc à fourrages exploités à Carcassonne par le II/2e R.I.C. Mais les jardins du terrain de manœuvre ou du Polygone de Montpellier, du camp St-Antoine à Albi et du champ de manœuvre du Causse, à Castres, sont situés sur un sol aride, sec, assez impropre à la culture.
Leur faible rendement ne peut produire qu’un appoint souvent insignifiant à la nourriture des hommes. En règle générale, ce sont les derniers jardins créés qui sont de la qualité la plus mauvaise, leur extension ne pouvant guère être entreprise, au fur et à mesure d’une prospection plus poussée, que sur des terres où l’on n’avait primitivement jamais essayé de faire croître des légumes. Cependant, il semble que, si de nouveaux projets paraissent difficilement réalisables, le développement des forages et de l’installation de pompes sur les emplacements actuellement exploités ou en voie d’aménagement seront susceptibles de permettre d’avoir finalement raison d’une nature encore rebelle.
Le 2e bataillon du Génie et le 16e Groupe de Transmissions sont entrés dans cette voie sur le Polygone de Montpellier et il y a tout lieu d’espérer que le succès récompensera leurs efforts. La réalisation de moyens d’arrosage se heurte néanmoins (comme au I/15e R. A et au I/8e R. I. en particulier) à la quasi-impossibilité d’obtenir les bons de monnaie-matière nécessaires à l’acquisition de la tuyauterie » (c’est nous qui soulignons).
Le 15 octobre, à Vichy, la synthèse des rapports mensuels des préfets de la zone libre pour septembre 1942 note quant à elle : « La grande sécheresse de cet été a eu pour effet une diminution quantitative des récoltes par rapport à l’an dernier […]. Les paysans, tout en reconnaissant leur situation privilégié par rapport à l’ensemble de la population, ne sont guère favorables au gouvernement actuel ; les difficultés qu’ils rencontrent […] suscitent un mécontentement que les mesures prises par l’administration ne font qu’accroître »… Il va de soi que les Compagnons ne pouvaient faire mieux et que la foi la plus ardente, si elle permet dit-on de soulever ou déplacer des montagnes, ne saurait les cultiver si l’on n’en a point les moyens. Ni à Cambous, ni ailleurs…
La fin du mouvement Compagnons
Les derniers mois du mouvement Compagnons à Cambous ne sont pas connus à travers les documents d’archives auxquels nous avons pu accéder, au-delà de janvier 1942 comme nous l’avons vu.
Les Compagnons quittent en tous cas les lieux entre mai et juillet 1942, à l’époque où Jean-Marie Despinette est devenu depuis quelques mois directeur national des camps-écoles du mouvement et où le chef de l’organisation, Guillaume de Tournemire privilégie désormais le nouveau centre national des Compagnons de France qu’est devenu, près de Lyon, le château de la Pape.
« Les autres centres de formation ou de perfectionnement des cadres résident au Marteray (militants de centres et jeunes ouvriers, information pour personnes étrangères au mouvement) ; au château de Bernadoux, à Marsac, en Dordogne (formation civique) ; à Sainte-Anne de Marseille (meneurs de jeux) », comme l’indique Robert Hervet dans son ouvrage, Les Compagnons de France. On est donc loin désormais des onze camps-écoles en fonctionnement en décembre 1940…
C’est toutefois au printemps 1942, en mai, que se tiendra à Cambous une réunion fort importante puisque, malgré la volonté de tous ceux qui souhaitaient voir le mouvement s’engager politiquement dans la collaboration ouverte avec l’Allemagne, celui-ci persiste à rester insensible aux discours des ultra-vichyssois.
Robert Hervet légende ainsi (p. 192 de son ouvrage) une photographie prise alors à Cambous : « Le camp-école de Cambous (Bas-Languedoc) en mai 1942. Château en décor naturel comme toile de fond, les chefs de province et de camps-école sont rassemblés avec la maîtrise nationale. Ce rassemblement marqua, par la richesse de ses débats et l’âpreté des responsables à emporter une décision doctrinale, l’orientation du Mouvement ».
Parallèlement, en mai 1942, le mouvement est contraint d’exclure les juifs, relativement nombreux, qu’il tolérait jusque-là, avec parfois la plus extrême des bienveillances, malgré une politique gouvernementale de plus en plus antisémite.
Viendra ensuite le Service du Travail obligatoire en Allemagne, le fameux S.T.O., d’une durée de deux ans pour tous les jeunes de plus de vingt ans, mais tout d’abord basé sur le volontariat, qui limite quelque peu le recrutement du mouvement.
Dès l’été 1942, 70 000 travailleurs partent ainsi en Allemagne, théoriquement pour permettre le retour d’un prisonnier pour trois volontaires (un millier en ce qui concerne l’Hérault à la mi-octobre), puis 240 000 en décembre 1942, 490 000 en mars 1943, etc., le tout entrecoupé en novembre 1942 par l’invasion et l’occupation allemandes en zone sud, situation qui amène les Chantiers de Jeunesse à disparaître, le tour des Compagnons de France venant ensuite.
Et cette farouche volonté d’indépendance des Compagnons de France, assortie d’une non moins farouche volonté de défendre les seuls intérêts français, malgré les injonctions persistantes des ultra-collaborationnistes, n’est pas sans risque. Ainsi, « à la suite d’un article daté du 4 juillet 1942 et fâcheux pour le travail forcé en Allemagne (« On demande 100 000 volontaires » ; pour aider les paysans de France), [le journal] Compagnons est suspendu ferme pour une quinzaine. Avertissement sans papier bleu » (Robert Hervet).
Par ailleurs, las de cette politique gouvernementale toujours plus favorable à l’Allemagne, alors même que de nombreux signes montrent que celle-ci n’est plus invincible, nombre de chefs du mouvement Compagnons, tel Tournemire, deviennent en 1942-1943 des membres actifs des divers réseaux de résistance qui se mettent peu à peu en place dans tout le pays. Le mouvement a même ses premiers fusillés dès la fin 1941, tel André Noël, chef de commanderie en Lyonnais, à Montélimar, en mission pour le 2e bureau français, exécuté le 29 novembre 1941 à Besançon.
En 1942-1943, la vision que les Français peuvent avoir de la guerre n’est plus en effet celle de l’Allemagne victorieuse de 1940-1941. De ce fait, une page se tourne, bien différente de celle ouverte, à l’été 1940, quand avait été créée l’association Compagnons.
Le 25 juillet 1942, à Randan, Guillaume de Tournemire affiche ainsi et très clairement sa volonté de voir la France et son empire retrouver leur intégrité.
« L’an II Compagnon » est alors célébré avec faste. « Contre toute crainte, Philippe Pétain présidera le deuxième anniversaire d’une naissance » (Robert Hervet), ce qui semblait loin d’être acquis, et les cérémonies rencontrent même un succès inespéré puisque plus de 7 000 jeunes, venus de toute la France et de divers lieux de l’Empire, alors que l’on en attendait au mieux 3 000, sont venus fêter le second anniversaire du mouvement et manifester leur flamme pour son œuvre fédératrice et régénératrice.
Le grand hebdomadaire national qu’était L’Illustration, consacrera le 8 août 1942 sa couverture à l’événement, avec à l’intérieur un article assorti de trois autres photographies.
Pour sa part, à Montpellier, Le Petit Méridional, dans son édition du 28 juillet (qui complétait son article du 27 juillet intitulé, p. 1 : « Dans la forêt de Randan le Maréchal Pétain a rendu visite aux Compagnons de France »), publiait sans article associé, la même photographie qui illustrera le 8 août la couverture de L’Illustration et qui est insérée plus haut dans la présente étude. Quant à L’Éclair, il publiait dès son édition des 26 et 27 juillet 1942, p. 1, un article intitulé : « À Randan, le Maréchal remet aux Compagnons de France leur fanion national ».
Les deux quotidiens rapportent que le maréchal Pétain, adressant les mots suivants aux Compagnons : « Je suis sûr, mes amis, que cet étendard suivra toujours le chemin de l’honneur », Guillaume de Tournemire ajouta : « Notre joie sera complète quand nous pourrons y mettre nos armes et la francisque », ce à quoi le Maréchal, toujours aussi hermétique dans ses propos, répondit : « Bientôt, vous aurez cet honneur » (on sait, bien qu’il ne donnera pas en novembre 1942 des ordres conformes à ses secrètes espérances, qu’il fut néanmoins fort satisfait de savoir les Américains ouvrir le second front qu’attendaient avec impatience nombre de patriotes, tout en faisant néanmoins ordonner aux troupes françaises, et ce n’était pas là l’un des moindres paradoxes du chef de l’État, de résister).
Et ce jour-là, en mettant en berne le drapeau du mouvement, Guillaume de Tournemire, qui ne cache plus guère ses sentiments anti-allemands, aurait déclaré qu’il ne ferait flotter cet emblème au vent que le jour où la France et son empire seraient délivrés…
Le 12 août 1942, attendant avec une certaine impatience secrète l’ouverture du second front, et notamment un débarquement anglo-américain sur les côtes méditerranéennes de France, l’armée française s’installe quant à elle au château de Cambous, Paul Pépin ayant signé la veille une promesse de vente à l’État français, nouveau propriétaire des lieux par le Ministère de la guerre, du moins en principe comme nous le verrons plus loin.
Le temps des Compagnons est donc révolu à Cambous, et s’affaiblit dans tout le pays.
Certes, le mouvement comptera fin 1942-début 1943 (statistiques du 20 janvier 1943), 32 562 membres, dont 9 171 pour la Provence, sous la direction du chef Aubert, et 6 831 pour la province de Bas-Languedoc, sous la direction du chef Delattre, mais il s’étiole au fil des jours, perd toute confiance dans le gouvernement et même dans la personne du Maréchal. Quant à la presse locale, une fois passé l’apothéose du rassemblement de Randan de l’été 1942, elle ne parle pratiquement plus jamais du mouvement, pour lequel l’engouement des années 1940-1941 est désormais révolu.
Dès décembre 1942, une fois la zone libre occupée par l’ennemi, plusieurs dizaines de cadres et d’hommes du mouvement Compagnons, s’ils ne l’avaient pas déjà fait, entrent activement dans la résistance. Leurs journaux sont de plus en plus censurés (les 3/4 du numéro précédant une note interne du 17 novembre s’attendant à une prochaine disparition du mouvement), leur rubrique « Si le Maréchal savait… », irrite plus d’un chacun et la méfiance règne partout, dans les deux sens.
Ainsi, un des jeunes cadres du mouvement, Georges Lamarque, alias Pétrel puis Brenn dans la clandestinité, fonde en décembre le groupe dit Les Druides, et recrute dans la foulée Guillaume de Tournemire, alias Dispater, et d’autres cadres, tel le commandant François Huet (1905-1968), alias Hervieux, qui était récemment devenu secrétaire général du mouvement et qui succédera à Tournemire à la tête des Compagnons en août 1943, prenant par la suite, en juillet 1944, la direction du maquis du Vercors.
Le fondateur du mouvement, Henri Dhavernas, passé en Afrique du Nord, s’engage même dans l’armée britannique.
Dans la foulée, comme suite au rapprochement effectué dès l’été 1942 par Tournemire avec Léon Faye (alias Aigle), membre de l’état-major de l’Alliance, un vaste réseau de résistance né sous l’impulsion du commandant Georges Loustaunau-Lacau puis dirigé par Marie-Madeleine Bridou (future épouse Fourcade), les Druides intègrent cette structure qui était rattachée dès ses origines à l’intelligence Service britannique.
Les Druides seront en tout un peu moins de 200, mais terriblement efficaces, avec un recrutement très sélectif et une grande discrétion, ne perdant ou ne déplorant que 16 déportés et 11 morts dans leur lutte contre l’ennemi. L’un des chefs des résistants pour le Languedoc-Roussillon, Pierre Cartelet, responsable d’une filière d’évasion, ancien secrétaire du militant socialiste Marceau Pivert, tombera ainsi sous les balles allemandes le 5 juillet 1944, fusillé à Perpignan.
Dès août 1943, un oncle de Guillaume de Tournemire (et non son père, comme l’indiquera la presse d’époque) est arrêté par les Allemands, croyant saisir le chef des Compagnons, et le neveu prend alors la clandestinité, tentant toutefois en vain de sauvegarder l’existence du mouvement et poursuivant la lutte contre les Allemands dans le camp du général Giraud.
Le 21 janvier 1944, le Journal officiel de l’État français, désormais un vulgaire et fort docile vassal de l’Allemagne nazie, publiait le décret du 15 janvier portant dissolution des Compagnons de France (la presse ayant officiellement consigne, depuis le 16, de ne publier aucune information sur le mouvement).
Le même jour, en ce mois de janvier qui portait avec lui les vents avant-coureurs de la libération, la guerre changeait de visage avec le débarquement américain à Anzio. Le 6 juin, la plus grande armada de tous les temps se ruait sur les côtes de Normandie, suivie en août par une autre vague jetée sur les côtes de Provence. Le 2 septembre, un homme qui ne voulait pas subir, le général de Lattre de Tassigny, était à nouveau à Montpellier (voir 2e partie à venir)…
Alors chef de la nouvelle 1ère Armée française venant de débarquer sur les côtes de Provence, il avait naguère rêvé, en 1940, de prendre la tête des Chantiers de la Jeunesse, et avait rêvé en 1942, une fois devenu chef de la XVIe division militaire, de faire de Cambous une expérience novatrice en matière de formation des recrues. Mais, bien que resté fidèle lui-même jusqu’en novembre 1942 au gouvernement de Vichy, le général de Lattre, gardera une certaine rancune envers certains chefs Compagnons qui tardèrent par trop à s’engager après lui du bon côté. Ainsi, après-guerre, Guillaume de Tournemire, alors exclu de l’armée et devenu chef de cabinet civil du Haut-commissaire de la république en Autriche, « essuie un jour cette phrase de celui qui brigua de tenir les rênes des Chantiers de la Jeunesse : – vous avez chanté trop longtemps « Maréchal nous voilà ! » lui lance de Lattre de Tassigny » (Robert Hervet) 22. Mais il va de soi, pour l’historien d’aujourd’hui, que si les engagements des uns et des autres furent parfois tardifs, rien n’a véritablement déshonoré les intéressés, ni Tournemire, ni de Lattre, vichyssois jusqu’à son baroud d’honneur de novembre 1942…
Bien plus tard, quand l’Agence juive, propriétaire des lieux depuis 1950, et les autorités héraultaises, tenteront en 1968 de transformer le site de Cambous en colonie de vacances pour handicapés, un article du Midi-Libre du 10 juillet 1968 rappellera cette épopée des Compagnons de France en écrivant : « Le château de Cambous paraît situé hors du temps. La noblesse altière du donjon, la race du corps de logis et la vaste étendue des bois et des rochers qui se prolonge aussi loin que porte le regard, donnent au domaine le caractère d’un asile de calme qui contraste avec le tumulte de la vie citadine. Il est naturel qu’un tel site, à la fois hors du temps et hors de la tempête de la vie moderne, ait attiré ceux qui recherchaient le cadre d’une vie à la fois apaisée et rude. C’est ainsi que, dès 1940, Cambous fut choisi comme école régionale par les Compagnons de France qui avaient été fondés par les chefs des mouvements de jeunesse réunis à Randan. Cette école eut une influence considérable, à cause de la personnalité de quelques-uns des instituteurs, parmi lesquels nous signalerons [deux grands hommes politiques] Jean Lecanuet et Maurice Clavel 23. On y enseignait le culte de la France, la fidélité aux messages du maréchal Pétain, mais aussi un [certain] refus du nazisme ».
Pour nombre de militaires ou de membres de l’administration française, ce culte de la France et des valeurs impulsées par le vieux maréchal qui dirigeait désormais le pays, ou du moins croyait le faire, n’était pas, à l’époque, contradictoire avec un certain esprit de résistance peu ou prou active à la politique pro-allemande de Pierre Laval. C’est ainsi, soulignait le journaliste du Midi-Libre, que « le refus du nazisme entraîna les Compagnons de France à la résistance active contre l’occupant. Au début de 1941, les Compagnons de la Chanson donnèrent à Cambous une de leurs premières auditions ». Dans la foulée (lire 1942), « le général de Lattre de Tassigny, qui commandait la région de Montpellier y fit installer [à Cambous] une école de cadres. Les stagiaires créèrent des baraquements et creusèrent une piscine ».
On sait, par les souvenirs du colonel Pierre Carles, alors sous-officier de 8e Régiment d’infanterie, que l’armée française était déjà venue manœuvrer autour de Cambous en 1941.
Elle devait s’y intéresser de fort près, de très près même, avec l’été 1942, préparant alors de nouvelles méthodes de formation des troupes comme son intervention auprès des Alliés sur le front méditerranéen à venir, celui que le général de Lattre attendait avec moult impatience avec ses plus fidèles subordonnés. Mais sans savoir hélas que, depuis Vichy, le très germanophile ministre de la Guerre et la pusillanimité déroutante du Maréchal en décideraient tout autrement…
C’est ce que verrons prochainement dans la deuxième partie de cette étude […]. (à suivre)
Notes
1. Un très imparfait et parfois erroné résumé de l’histoire du château de Cambous peut être trouvé, pour la période antérieure aux années 1930, dans Albert Leenhardt, Quelques belles résidences des environs de Montpellier, 2e série, rééd. Champion-Slatkine de l’éd. de 1931-1932, Paris-Genève, 1985, 170 p., p. 21-26. L’histoire résumée mais précise du château, des origines à nos jours, a toutefois fait l’objet sous notre plume, en 2009-2010, d’une publication en quatre épisodes dans le bulletin municipal de Viols-en-Laval, lesquels devraient prochainement être mis en ligne sur le site LouPic, spécifique à la région du pic St-Loup, site sur lequel figure (commune de Viols-en-Laval), l’étude résumée que nous avons consacrée à Cambous en 1914 : Le château de Cambous et son domaine agricole en 1914.
On rappellera toutefois ici quelques grandes lignes de l’histoire récente de ce château. Marguerite Rigal, veuve en 1792 de Joseph de Julien de Vinezac, tenait ce château de sa mère, une Roquefeuil, et celle-ci des Ratte, le gardant jusqu’à son décès de 1808. Le château de Cambous et les domaines avoisinants passèrent à la Maison de Vogué par suite du mariage en 1803 d’une petite-fille et héritière principale de la dernière seigneuresse, Sophie de Julien de Vinezac, avec Charles Florimond de Vogué, futur pair de France. Quelques autres propriétés, sises en Val de Buèges ou à Argelliers, passèrent au même moment à des familles alliées, Turenne et Ginestous, par suite d’alliances antérieures.
En 1889, un petit-fils du couple Vogüé-Vinezac, Albert de Vogué, faisait avec sa sœur cession du château et du domaine à Elisabeth Alexandrine Berthier, princesse de Wagram, épouse depuis 1874 d’Etienne Guy de Turenne, petit-cousin des vendeurs et descendant, lui aussi, des Vinezac. En 1778, la fille aînée des Vinezac, Françoise, avait en effet épousé Jacques de Brignac, de Montarnaud, d’où Claire Françoise de Brignac, épouse en 1799 d’Henri Amédée Mercure de Turenne, d’Aynac, le futur colonel d’Empire, puis général, grands-parents paternels du susdit Etienne Guy de Turenne. Le terme de fief des Turenne qui sera utilisé par la presse montpelliéraine en 1941 (cf. infra dans le texte) est donc impropre, même s’il s’agissait depuis la Révolution d’une propriété fort remarquable. Ruinée par ses fastes et les divorces de ses deux filles, ladite Berthier vendra le tout en 1914, le bien devenant désormais roturier.
S’agissant de la fin des Vinezac, on se rapportera à notre étude : C. Pioch, « Un destin inachevé et brisé les Vinezac, seigneurs de Cambous (Hérault) », Études héraultaises, n° 39-2009, p. 93-150. S’agissant de l’ancienne paroisse de Viols et les chapelles dites de Cambous, au château ou à Viols-le-Fort, voir C. Pioch, « L’état des paroisses des garrigues du diocèse de Montpellier dans la deuxième moitié du XVIIe siècle », Cahiers d’Arts et Traditions rurales, n° 20, 2009, p. 302-318. Sur la porte principale du château de Cambous et le symbolisme de son iconographie, voir Jean Claparède, « Le portail du château de Cambous (Hérault) », Études sur I’Hérault, n° l-1982, p. 13-29.
En dehors de ses fiefs extérieurs, Cambous était dès les époques anciennes un domaine fort rémunérateur par lui-même, tant pour le bailleur que pour le preneur. Ainsi, en 1798, un de nos lointains arrière-grands-oncles, Jean Gillodes (1745-1828), dont les parents avaient exploité le domaine de Ste-Foy pour le compte des seigneurs de Cambous, et qui était alors fermier du domaine de Maure, affermait les terres qui dépendaient directement du château de Cambous (grosso-modo le domaine de 1914), moyennant l’énorme somme de 11 000 F/or, soit 3,19 kg d’or fin, plus 50 setiers de bleds. En 1802, l’un de ses fils, autre Jean Gillodes (1773-1841), futur maire de St. Jean-de-Cuculles, installé au domaine de Mortiès, épousait Marguerite Pépin, lointaine arrière-grand-tante des Paul et Léon Pépin de la présente étude, moyennant une dot relativement conséquente, et exceptionnelle dans la paysannerie, de 3 100 F/or (contrat du 20 pluviôse An IX, 9 février 1802, 2 E 81-45, f) 92, Roux, notaire de St-Martin-de-Londres). La fortune des Pépin était ainsi déjà ancienne, certes sans rapport aucun avec les Turenne (1 million de F/or de dettes en 1914), mais néanmoins bien réelle.
2. Arch. de l’Hérault, collections numérisées de l’Annuaire de l’Hérault, année 1939.
3. Arch. de l’Hérault, 6 M 608, recensement de 1936.
4. Arch. de l’Hérault, collections numérisées de L’Éclair, et Médiathèque Emile Zola, collections numérisées du Petit Méridional. Voir notamment, pour les commentaires et illustrations, les articles des : 16 et 19/10/1937, 05 et 11/11/1937, 17 et 21/11/1940 (L’Éclair) ; 15, 17 et 19/10/1937. 01/11/1937, 11/ 11/ 1937 et 20/11/1940 (Le Petit Méridional).
Les vaines recherches spéléologiques du corps de Pélamourgues seront égaiement évoquées dans les ouvrages de la Société spéléologique de France sur les explorations souterraines menées dans les années 1930 et 1940 dans la contrée (Robert de Joly, Spelunca, Bulletin du spéléo-club de France, n° 8, 1937, p. 46-47 et Maurice Laurès, Spelunca, Annales de spéléologie, n° 1, 1946, p. 82).
On se rapportera utilement aux compléments apportés par nous sur le site LouPic, propre à la région du pic St-Loup, à l’article de Raymond Mascarell, Pé Lamourgue a disparu (commune des Matelles), qui ignorait alors le nom exact du disparu.
5. Arch. de l’Hérault, état des services, et Archives familiales.
6. Arch. de l’Hérault, 3 Q 014097, cases 354 et 355.
7. Conservation des Hypothèques, case n° 336 de Paul Pépin, vol. 1265, art. 52.
8. Biographie de François Oger (1921-1973), par son fis, sur le site Internet http://staiag2b.free.fr/oger.htm.
9. Archives familiales Pépin, avec copie intégrale prise par nous de l’album.
10. Outre les nombreux et incontournables ouvrages sur le régime de Vichy et sur cette époque que nous avons pu consulter, on lira plus particulièrement, de Pierre-Philippe Lambert et Gérard Le Marec, Organisations, mouvements et unités de l’État français. Vichy 1940-1944, Ed. Grancher, 1992, 266 p. Au sujet des Chantiers de la Jeunesse, on se référera avant tout à son fondateur : Joseph de La Porte du Theil, Un an de commandement des Chantiers de la Jeunesse, Sequana, Paris, 1941, 320 p., premier ouvrage qu’il publia sur le sujet, puis à des documents beaucoup plus récents : CERPA Mémoire des chantiers, La véritable histoire des Chantiers de la jeunesse, Argueuil, 2000-2003, 64 p. ; Pierre Mazier, Un chantier de jeunesse du Languedoc, Lacour, 1993, petite étude spécifique aux chantiers du Lodévois ; Olivier Faron, Les Chantiers de Jeunesse, Avoir 20 ans sous Pétain, Grasset, 2011, 380 p. On consultera aux Arch. de l’Hérault (11 F 105), « Le Cacouac », récit de la vie d’André Grangé (1918-1964), souvenirs des chantiers de jeunesse, fascicule dactylographié (124 p.). Sur les uniformes, insignes, etc. : Fabrice Mainier-Schall, « Le paletot des jeunes des Chantiers de la jeunesse française », Armes Militaria n° 240, 2005, p.49-53, ainsi que le hors-série n° 5, du même auteur, spécifique aux Chantiers, de la revue Batailles, 2005, 84 p.
11. S’agissant de l’histoire générale des Compagnons de France, fort pauvre en ouvrages spécifiques, on se rapportera à l’incontournable ouvrage de Robert Hervet, Les Compagnons de France, Ed. France-Empire, 1965, 364 p.
Voir aussi le site Internet de la famille Tournemire (http://www.tournemire.net/compagno.htmt). Rozenn Le Gal de Kerandal, épouse de Renaud de Tournemire, l’un des petit-fils du chef des Compagnons en 1941-1943, a soutenu en 1999, à Vincennes, une thèse d’histoire relative à l’œuvre d’Henry Dhavernas puis de Guillaume de Tournemire : Un mouvement de jeunesse entre Révolution nationale et Résistance : Les Compagnons de France 1940-1944. Jules Maurin, de Montpellier, participait au jury, en présence d’Henry Dhavernas et de Robert Paxton, spécialiste américain du régime de Vichy. Elle a consacré quelques pages sur l’activité clandestine des Druides, réseau de résistance du mouvement, dans : « Un réseau de renseignement issu des Compagnons de France : les Druides (décembre 1942 – septembre 1944 », in Des réseaux et des Hommes, Contribution à l’histoire du renseignement, Centre d’études et d’histoire de la défense, L’Harmattan, 2000, p. 71-86).
En ce qui concerne les uniformes des Compagnons, voir Laurent Berrafato, « Les chantiers de la jeunesse et les Compagnons de France », in La France en uniformes sous l’occupation 1940/44, Gazette des uniformes, hors-série n° 16, 2003, p. 52-56.
On retrouvera sur Internet un très intéressant article du 23 novembre 1941 publié par le journal provençal Mémorial d’Aix, relatant sous la plume du général Niessel, dans « la rubrique des jeunes », p. 1, l’historique du mouvement, faisant état à cette époque de la formation de « 1 200 chefs dont 200 meneurs de jeux, 80 instructeurs et 100 moniteurs d’éducation physique ». 221 chantiers et 828 cités fonctionnaient en août 1941 comme l’indique cet article.
Toujours sur Internet, en sélections Persée, on lira :
Stanley Hoffmann : « Aspects du régime de Vichy », Revue Française de science politique, n° 1, 1956, p. 44-69.
Janine Bourdin : « Des intellectuels à la recherche d’un style de vie : l’École nationale des cadres d’Uriage », Revue française de science politique, n° 4, 1959, p. 1029-1045.
Jérôme Cotillon, « Jeunesses maréchaliste et collaborationniste dans la France de Vichy », Matériaux pour l’histoire de notre temps, n° 74, 2004, p. 29-36.
S’agissant du fonds archivistique principal concernant le mouvement, il est aujourd’hui conservé aux Arch. nationales en série F144 (Jeunesse et sports), constituée de deux versements effectués en 1958 et 1960, qui furent par la suite complétés par un versement effectué en 1987 par le ministère de la Jeunesse et des sports : F/44/77 à 81 ; organisation, personnel, correspondance, budgets, locaux, contentieux, liquidation, 1940-1954 ; F/44/82 à 95 fichiers du personnel d’encadrement. Nous ignorons toutefois ce que ce fonds peut bien contenir en ce qui concerne Cambous.
Pour Cambous, voir Arch. de l’Hérault, 14W 1-355, document dans lequel le pré-inventaire des pièces disponibles fait ressortir cinq liasses de documents où apparaît le camp-école des Compagnons de France installé à Cambous : 14 W 27, 14 W 64, 14 W 88,14 W 98 et 14 W 311.
12. S’agissant de l’Armée nouvelle, ou Armée d’armistice, que nous étudierons en 2ème partie pour ses installations dans la région et notamment à Cambous, ainsi que sur ses propres jardins de survie, mais aussi pour les armées de 1943-1950 en France, on lira :
Jean Planchais, Une histoire politique de l’armée, vol. 2, 1940-1967, Seuil, 1967, 384 p.
Raymond Sereau, avec préface du général Weygand, L’armée de l’Armistice, Nouvelles Éditions Latines, 1961, 128 p.
Robert O. Paxton, L’armée de Vichy, Le corps des officiers français 1940-1944, édition française de l’étude publiée en anglo-américain en 1966, Tallandier, 2004, 588 p.
François Broche, L’armée française sous l’occupation, en 3 volumes, notamment vol. 1 La dispersion, et 2 La métamorphose, Presses de la Cité, 2002 et 2003, 522 et 648 p.
Philibert de Loisy, La première résistance : le camouflage des armes. Les secrets du réseau CDM, 1940-1944, L’esprit du Livre, Clamecy, 2010, 402 p.
Bernard Simiot, De Lattre, Flammarion, 1953, 294 p.
Simone de Lattre, Jean de Lattre, mon mari, tome 1, Presses de la Cité, 510 p.
Maréchal Jean de Lattre, Ne pas subir, Écrits 1914-1952, Pion, 1984, 564 p.
Eddy Florentin, 11 novembre 1942, L’invasion de la zone libre, Perrin, 2000-2010, 594 p.
Claude de Abzac-Epezy, « Épuration, dégagements, exclusions. Les réductions d’effectifs dans l’armée française (1940-1947) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 59, 1998, p. 62-75 (consultable sur Internet en sélection Persée).
Pierre Caries, Des millions de soldats inconnus. La vie de tous les jours dans les armées de la IVe République, Lavauzelle, 1982, 240 p. Sur l’itinéraire très particulier d’un futur président de la République alors en charge du monde des prisonniers de guerre, voir Pierre Péan, Une jeunesse française. François Mitterrand, 1934-1947, Arthème Fayard, Pluriel, éd. de 2011, 620 p.
Dans les revues relatives au Militaria, on consultera, de Jacques Sicard, « L’infanterie de l’armée d’armistice et ses insignes », Armes Militaria, n° 83 et 84, 1992 ; « La cavalerie de l’armée d’armistice et ses insignes », Armes Militaria, n° 101, 1993 ; « L’artillerie de l’armée d’armistice et ses insignes », Armes Militaria, n° 140, 1997, et « Génie et transmissions dans l’armée d’armistice », Armes Militaria, n° 180, 1998.
13. Sur le réseau Alliance, qui intégra en son sein le réseau les Druides, propre aux Compagnons, on lira l’ouvrage L’Arche de Noé, de Marie-Madeleine Fourcade (Fayard, 1968, puis rééditions diverses). Celle-ci et Georges Loustaunau-Lacau dirigeaient avant- guerre les très anti-communistes publications de L’Ordre national. On trouvera aussi sur Internet deux résumés intéressants : Le Service de Renseignement ALLIANCE (https://www.pointer-alliance.fr/alliance.html), et 60 ans d’oubli, documents de 10 et 12 pages. Fort d’environ 3 000 membres et momentanément dirigé par Marie Madeleine Bridou (1909-1989), alias Hérisson dans la clandestinité, alors épouse du colonel Édouard Mèric, et passée à la postérité sous le nom de son second époux, Fourcade, ce vaste réseau qu’était l’Alliance ralliera le giraudisme puis le gaullisme, avec 2 407 agents répertoriés en 1947, perdant 438 de ses membres dans l’impitoyable lutte contre l’occupant. Il faudra toutefois attendre avril 1944 pour que Marie-Madeleine Bridou place son réseau non au service des seuls Britanniques, mais désormais au service de la France combattante. Les Allemands donnèrent au réseau le nom d’Arche de Noé en raison des pseudonymes de ses membres, tous porteurs d’un nom d’animal. Le petit groupe des survivants qui vivaient encore au début des années 2000 était alors présidé, jusqu’en 2009, par le susdit Despinette comme nous le précisait récemment sa veuve. S’agissant de la résistance spécifiquement juive, nous l’aborderons plus particulièrement dans notre étude à paraître sur Cambous en 1950-1972, au temps de l’Agence juive pour Israël et l’Aliyah des jeunes, à travers des personnages comme Simon Lévitte.
14. Abbé Alphonse Capion, notes sur Argelliers dactylographiées en 1941 (Fleurettes cueillies en 1941 dans les bois d ‘Argelliers) et publiées en 1999, Ed. Lacour, 92 p.
15. Arch. de l’Hérault, collections numérisées de L’Éclair, et Médiathèque Émile Zola, collections numérisées du Petit Méridional, éd. du 05/02/1941.
16. Revue Compagnons, n° 32 du 24 mai 1941, collection de l’auteur.
17. Arch. de l’Hérault, collections numérisées de L’Éclair, éd. du 07/05/1941, p. 1 et 2 (vues 30 et 31/395) ; et Méd. Emile Zola, collections numérisées du Petit Méridional, p. 1.
18. Cambous, contrairement à ce qui est indiqué par L’Éclair, ne fut jamais un fief de la Maison des Turenne, seulement une de leurs belles propriétés en 1889-1914.
19. Méd. Emile Zola, collections numérisées du Petit Méridional, éd. du 23/07/1941, p.2.
20. Rozenn Le Gal de Kerandal, épouse Tournemire, rapportant un entretien du 14 février 1994 avec Jean-Marie Despinette, dans « Tournemire, ou le choix de l’ambivalence pour les Compagnons de France » (site familial sus-indiqué), ce qui confirme les déclarations de Tournemire adressées aux membres du mouvement le 21 janvier 1944, peu après la dissolution du mouvement.
S’agissant de Despinette, sa veuve, Janine, récemment contactée, ne nous a fourni que quelques maigres renseignements à son sujet. Tous deux se rencontrèrent à la Libération dans le cadre du mouvement Les Camarades de la Liberté que mis alors en place Emile Noël, organisation de jeunes opposée à la Jeunesse républicaine de France encadrée par le P.C.F. Ils vécurent ensuite une longue carrière dans les structures liées à l’éducation populaire sportive ou culturelle et à la littérature sur laquelle il n’y pas lieu d’insister ici.
21. Service historique de la Défense, 9 R 630-5, rapport du 10 septembre 1942, aimablement communiqué lors de notre infructueuse recherche sur Vincennes de documents, notamment des plans, relatifs à Cambous et qui étaient introuvables à Montpellier, au 81e R.I. ou ailleurs. Mais le général de Lattre, à l’origine de l’achat du site à l’été 1942, précisait après son arrestation de novembre 1942 que les archives de son état-major avaient été détruites et l’ancien responsable du Musée de l’Infanterie de Montpellier, rencontré par nous avant la fermeture du site, déplorait la quasi-inexistence d’archives pour cette période. Ce document sur les jardins militaires illustre ici un aspect de la vie quotidienne des Français sous l’occupation, qui est souvent minimisé dans les ouvrages sur cette époque au détriment des considérations strictement politiques, le problème du ravitaillement, pourtant omniprésent dans la presse quotidienne des années 1940, et que le fonds spécifique à Cambous a permis d’illustrer pour cette étude d’exemples concrets. On retrouvera sur Internet la « synthèse des rapports des préfets » de la zone libre ou de la zone occupée, mise en ligne par l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP) et le CNRS. Ces documents, réalisés mensuellement à Vichy, montrent combien le problème du ravitaillement, sans cesse plus compliqué, avec des rations sans cesse plus parcimonieuses, était une obsession quotidienne des populations et des autorités que les préfets ne pouvaient que souligner. Ces rapports sont également particulièrement intéressants sur la vie des différents mouvements et sur l’évolution de l’opinion publique. Pour celle-ci, comme les préfets le rapportent avec l’été 1942, la conviction générale, communément admise malgré l’échec du raid sur Dieppe, est désormais que les États-Unis gagneront inévitablement la guerre.
22. L’épouse du général de Lattre avait affronté elle-même ce genre de remarque de la part de l’épouse du général de Gaulle lors de leur rencontre à Alger, en 1944 : « on vous a attendue bien longtemps », considérant que le reproche déguisé s’adressait plutôt à son mari (Simone de Lattre, op. cit., p. 393)…
23. Le passage à Cambous de Maurice Clavel, le célèbre journaliste, est évoqué dans l’ouvrage de Monique Bel, Maurice Clavel, Bayard, 1992, 369 p., p. 56. Divers auteurs ont pu évoquer aussi leur court passage dans les lieux, comme le maurrassien et homosexuel François Seintein, dans Minutes d’un libertin, Table ronde, 1977, 256 p., voir p. 215 (ce séjour étant évoqué dans Patrick Buisson, 1940-1945, années érotiques : Vichy ou les infortunes de la vertu, Albin Michel, 2008, 570 p., voir p. 205).