L’attention précoce et active de Jean Nougaret pour les plafonds peints médiévaux
L’attention précoce et active de Jean Nougaret
pour les plafonds peints médiévaux
* Professeur émérite d’histoire médiévale à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne.
Association internationale de Recherche sur les Charpentes et les Plafonds Peints Médiévaux (RCPPM).
[ Texte intégral ]
L’un des premiers, Jean Nougaret a saisi tout l’intérêt des plafonds peints médiévaux. Il avait suivi les travaux de Jacques Peyron 1, en avait apprécié la portée et diffusé les résultats. Tout à la fois, il en saisissait l’originalité et savait les replacer au sein de la production artistique à laquelle ils appartenaient. Ainsi en va-t-il du colloque qu’il a organisé avec la ville de Narbonne en 1994.
En a été tiré le bel ouvrage intitulé Autour du palais des archevêques de Narbonne. Les arts picturaux en France méridionale et en Catalogne du XIIIe au XVe siècle 2, quatrième de la remarquable série des colloques d’histoire de l’art méridional au Moyen Âge que Jean Nougaret organisa avec Olivier Poisson et Myriam Sirventon. Entre les peintures murales et les retables sur bois, le décor des plafonds est largement représenté par celui du palais des archevêques de Narbonne, celui du plafond de Capestang et Jean Nougaret écrivit lui-même une contribution consacrée à la panne peinte de l’église Saint-Paul de Frontignan. Après avoir donné les grandes lignes du travail de restauration qui venait d’être mené et renvoyé à l’étude qu’en avait faite Jacques Peyron avant cette restauration, Jean Nougaret décrit en détail cette panne qui fait alterner cavaliers, écus et fleurs, au milieu d’un décor végétal. Puis il la situe dans son probable lieu d’origine, la grande salle de justice du château de Frontignan et émet l’hypothèse qu’elle a été récupérée pour l’église, lorsque celle-ci fut reconstruite après les ravages infligés au village par Seguin de Badefol en 1361. Il rapproche le décor de cette panne des miniatures aragonaises et souligne son originalité dans l’ensemble des décors de plafonds peints languedociens (fig. 1).
Ce ne sont pourtant pas les plafonds peints qui m’ont fait découvrir l’amitié de Jean. Je l’ai rencontré plus tard, en 2006, lorsque nous avons l’un et l’autre participé à la rédaction d’un livre sur la collégiale de Sérignan 3. C’est mon ami Henri Reboul, grand connaisseur du passé de Sérignan, qui m’avait introduite dans cette aventure. Peut-être Jean Nougaret m’a-t-il considérée, lors de nos premières rencontres, avec incertitude, comme un peu étrangère au pays, mais il ne me l’a jamais fait sentir. Les séances de travail qui nous ont réunis avec Laura-Isis Piccoli, Adeline Béa, Louis Secondy et Serge Cugnenc, admirablement organisées par le directeur de l’Action culturelle de Sérignan, Denis Saëz, ont toujours été des moments d’échanges cordiaux et constructifs. Je garde de ces premiers contacts le souvenir d’un historien exigeant et rigoureux et d’un homme plein d’humour. Jean Nougaret, dans le premier chapitre de ce livre, a retracé les divers chantiers de fouilles qui se sont succédé dans et autour de la collégiale depuis 1967 et en a repris les données à la lueur des acquis régionaux plus récents. Ils font de la première église de Sérignan l’un des plus grands bâtiments paléochrétiens de la région, à l’instar de Sainte-Cécile de Loupian. Mais Jean Nougaret nous racontait aussi les souvenirs hauts en couleur de ces premières fouilles, lorsque le chanoine Estournet apprenait l’archéologie aux jeunes Sérignanais.
Aux origines de l’Association internationale de Recherche
sur les Charpentes et les Plafonds Peints Médiévaux (RCPPM)
Quelques mois plus tard, l’ouverture au public du plafond peint de Jean d’Harcourt au château de Capestang fut programmée et fit envisager l’utilité de réunir un colloque pour situer les plafonds de la région, notamment les plus célèbres, en les confrontant à ceux de Provence, de Ligurie et de Catalogne. Je demandai à Alain Girard et à Jean Nougaret de bien vouloir nous aider dans cette tâche ; ce qu’ils firent avec beaucoup de chaleur. L’un ouvrit les débats, à Capestang, le 21 février 2008, avec l’entreprise pionnière que fut la restauration de la maison des chevaliers à Pont-Saint-Esprit ; l’autre les conclut, à Lagrasse, le 23, avec les plafonds qu’on connaissait et qu’on découvrait autour de Pézenas. Entre temps, Michel Adgé, dans la grande salle des synodes de Narbonne, avait fait don au plafond de Capestang d’un closoir qui lui avait été remis jadis. Le soleil accompagnait ces journées de février. Je garde très vif le souvenir de l’accord final sur la nécessité d’offrir un prolongement aux travaux de ce colloque et de le faire dans le cadre d’une association dont le siège serait à Capestang. Alain Girard et Jean Nougaret l’ont dit avec vigueur, de l’estrade dressée dans le réfectoire de l’abbaye de Lagrasse. À la fin de la journée, nous avons traversé l’Orbieu et remonté sur l’autre rive, vers les halles, par une rue au sol inégal, et Jean, déjà un peu essoufflé, me redit sa conviction.
Aussitôt après, il m’envoya une courte notice où il développait l’idée d’un centre d’étude des plafonds peints, installé à Capestang. Nous n’avons pas réussi à mettre en œuvre ce projet capestanais, mais la Maison du patrimoine de Lagrasse, qui abrite depuis un an le siège de la RCPPM et, avec l’aide de la DRAC de Languedoc-Roussillon, accueille l’exposition « Images oubliées du Moyen Âge », le réalise.
Il nous fallut quelques mois pour monter tant bien que mal l’association. Nous aurions dû demander à Jean Nougaret de lui trouver un nom : il l’aurait trouvé plus euphonique que RCPPM ! Dès lors, Jean a sans cesse veillé sur l’association et l’a encouragée avec un optimisme indéfectible. Il fut de toutes nos journées d’études. Dès la première année, j’avais admiré l’autorité souriante avec laquelle il savait faire respecter des orateurs les temps de parole et organiser les débats. Et je n’imaginais pas ces journées sans qu’il présidât la première demi-journée. Chaque assemblée générale était préparée avec son aide. Pour les journées de 2013, il organisa encore, au début de l’été, les visites des demeures montpelliéraines et nous espérions qu’au mois d’octobre, il commenterait pour nous la loge de Jacques Cœur au Musée languedocien.
Autour de Pézenas
L’année 2009 fut aussi celle de la publication d’un premier volume consacré aux plafonds peints médiévaux, une partie des actes du colloque, édition dont se chargèrent, grâce à Jean Sagnes, les Presses universitaires de Perpignan. Jean Nougaret concluait sa belle contribution intitulée « Autour de Pézenas, les plafonds peints médiévaux de la moyenne vallée de l’Hérault. État de la question » par ces mots pleins d’espoir et d’encouragement : « Il appartient à notre future association de tenir compte dans ses objectifs de ces impératifs de la recherche ».
Dès lors, c’est à lui que nous avons demandé de présenter ces plafonds dans nos publications 4. Lorsque, à la CRMH (conservation régionale des monuments historiques) de Languedoc-Roussillon, Delphine Christophe nous a proposé de présenter les plafonds peints médiévaux de la région pour la collection « Duo », Jean Nougaret a accepté avec chaleur de participer à ce travail collectif 5 et de se charger des notices des églises de Frontignan et Sérignan, de la maison des consuls à Saint-Pons-de-Mauchiens, des plafonds de Pézenas, de Caux, et de l’extraordinaire et désolant Avescat de Gabian (fig. 2).
Jean Nougaret sut très vite attirer notre attention sur l’intérêt des plafonds que l’on peut qualifier de « piscénois », si l’on prend le terme dans un sens très large. Les parentés entre le château des évêques de Béziers à Gabian et celui des archevêques de Narbonne à Capestang sont évidentes, ne serait-ce que dans le même parti pris architectural qui consista à recouper au milieu du XVe siècle, par une charpente plane peinte, une vaste et haute salle dont la nef était portée par des arcs diaphragmes. Mais si l’archevêque de Narbonne n’a pas admis d’autre décor héraldique que celui de l’Église de Narbonne et de la famille d’Harcourt, l’Avescat a fait la part belle aux armoiries royales et à celles des familles seigneuriales de la région. Une comparaison terme à terme, telle que la souhaitait Jean Nougaret, doit encore être menée, même si la disparition de nombreux closoirs à Gabian la complique.
Dès l’automne 2009, aux premiers temps de l’association, Jean Nougaret organisa, à l’occasion de la sortie du volume Plafonds peints médiévaux en Languedoc, une journée piscénoise : il avait consacré la matinée à la visite de la Maison des consuls à Saint-Pons-de-Mauchiens, où il nous introduisit auprès de la propriétaire de ce lieu magnifique, et à celle du plafond de l’hôtel de Bertrand de Pézars à Pézenas, puis nous emmena au musée de la Porte. Enfin l’après-midi nous mit face à l’actualité : le plafond de l’hôtel de Brignac à Montagnac, en cours de restauration, auquel son découvreur, M. Rubio, nous amena. La journée se termina à l’hôtel de Peyrat, où Serge Sotos présenta l’Avescat, dont les superbes photos cachaient la misère (fig. 3).
L’année suivante, en 2010, c’est avec la complicité d’André Nos et de Denis Nepipvoda que nous fut révélée la nouvelle splendeur de l’hôtel de Brignac. Les premières remarques suscitées par ce plafond, au cours de cette journée du 16 octobre, ont été publiées par le Bulletin des Amis de Montagnac 6. Pierre-Olivier Dittmar mit l’accent sur la nouvelle source que représentaient les plafonds peints pour l’historien et sur le tournant majeur que fut l’introduction de l’image dans le cadre domestique. C’est alors qu’il tenta la comparaison, qui contribua beaucoup à piquer l’attention et à faire connaître les plafonds peints médiévaux, entre eux et le mur de facebook (fig. 4).
Un dossier à poursuivre
Il ne fait aucun doute que d’autres plafonds demeurent cachés à Pézenas et dans les gros villages – jadis des bourgades – si riches à la fin du Moyen Âge. Les chiffres de population qu’atteignaient non seulement Pézenas ou Montagnac, mais aussi Clermont-l’Hérault, Caux, Florensac, Bessan, Saint-Thibéry et bien d’autres lieux de la vallée de l’Hérault, vont de pair avec l’opulence de leurs élites ; les traces parfois très menues de fenêtres à croisées dans des façades qu’on a modifiées profondément au XVIIIe et au XIXe siècles laissent penser à la présence encore à découvrir de quelques merveilles, dont l’hôtel de Brignac est un exemple rêvé. L’office de tourisme de Pézenas-Val d’Hérault y veille.
Mais les églises paroissiales recèlent aussi des charpentes peintes au Moyen Âge. À l’instar de la collégiale de Sérignan ou de Sainte-Marie à Saint-Pons-de-Mauchiens, ces nefs de bois, bien que peintes, ont été jugées indignes de la maison-Dieu et, aux XVIIIe et XIXe siècles, on leur a substitué des voûtes légères qui, en fait, n’ont pas résisté aux années. Certaines se sont écroulées, révélant la nef médiévale ; d’autres les cachent encore. C’est un dossier à reprendre, dans le droit fil de remarques faites par Jean Nougaret, en comparant l’architecture des charpentes et les décors, non seulement entre les églises de la vallée de l’Hérault, mais aussi avec toutes celles retrouvées dans l’Aude, entre Narbonne et Carcassonne, aussi bien qu’avec les nombreuses églises catalanes, dont les nefs sont elles aussi couvertes par des solives et des pannes peintes, posées sur des arcs diaphragmes.
Jean Nougaret y était attentif : les églises paroissiales de Frontignan, Sérignan et Saint-Pons-de-Mauchiens certes, mais aussi Saint-Pierre de Bessan, dont il signale en 2008 des éléments de poutres peintes dans le tambour. Frédéric Mazeran a attiré mon attention sur Saint-Jean l’Évangéliste de Florensac et sur l’église de Villeneuve-lès-Béziers où le profil des voûtes laisse penser à une adjonction tardive. Avec Denis Nepipvoda, nous constituons progressivement un dossier. La rapidité de l’accroissement démographique à la fin du XIIIe siècle et au XIVe siècle, jusqu’à la peste noire, a incité nombre de villages à agrandir leur église et parfois, plus tard, les ravages de la guerre de Cent Ans ont contraint à des réparations importantes. Beaucoup de ces agrandissements et réparations ont dû donner naissance à des nefs sur arc diaphragme aux pannes peintes.
Pour l’heure, ce sont les chevrons peints de l’église Sainte-Marie de Saint-Pons-de-Mauchiens qui sont au centre de notre intérêt (fig. 5). Une demande de protection a été déposée par la commune 7. Leur étude est largement entamée : les premiers résultats de la dendrochronologie confirment les intuitions de Jean Nougaret : ils datent bien de la fin du XIIIe siècle. Le décor est proche de celui retrouvé à l’église de Bessan ; proche aussi de celui d’un lieu profane, l’hôtel de Gayon à Montpellier, daté de la même période. Il conviendra de faire une analyse très fine de ce décor qui fut longuement apprécié 8.
Les 19 chevrons 9, longs d’environ 4 mètres 10, larges d’une vingtaine de centimètres et épais de 7,5, ont été trouvés en remploi sur le versant nord de la nef lors de travaux faits, entre 2001 et 2004, par l’architecte Christian Rouquette 11. Les voûtes élevées aux environs de 1850 ont demandé alors de gros travaux de restauration des toitures 12. Ces chevrons étaient posés de manière irrégulière, mêlés à d’autres qui ne portaient pas de peintures. Aujourd’hui, en attendant qu’ils soient restaurés et exposés, ils sont entassés au fond de l’église. Curieusement, ils ne sont peints que sur une face et une tranche. Pourtant, il ne semble pas qu’ils aient été sciés en deux : le motif de la tranche n’est jamais recoupé. Le décor des faces peintes semble très homogène, mais il n’est pas tracé au pochoir, car les motifs ne se recouvrent pas les uns les autres. Le peintre en avait suffisamment l’habitude pour pouvoir le reproduire à partir de quelques repères simples qu’il faudra chercher.
Sur toutes les faces, peintes et non peintes, des encoches ont été ménagées pour glisser des closoirs. Leur pente est forte, mais inégale. Les chevrons couvraient une demi-largeur de la nef et s’appuyaient sur une panne faîtière 13. Pour quatre d’entre eux, un des côtés est grossièrement équarri et ne porte pas d’encoche. Le décor des tranches de ces quatre chevrons est une simple alternance de bandes rouges et noires, de 7 cm de large. Sur la tranche de la plupart des autres, se succèdent des bandes larges de 12 cm, blanches et jaunes, et un espace de 35 cm, dont le centre est occupé par une fleur en étoile. Enfin d’autres chevrons, peu nombreux, portent sur leur tranche un décor différent : la même fleur, large de 10 cm environ, y alterne avec un motif de losanges juxtaposés. On devine un décor soigneusement construit pour la nef, que les phases de remploi tardif, puis de dépose, il y a quelques années, ne permettent pas de reconstituer (fig. 6).
En approfondissant cette étude de plusieurs églises de la vallée de l’Hérault, dans un travail collectif où photographe, architecte du patrimoine, archéologue, historiens collaborent, nous espérons suivre le chemin tracé par Jean Nougaret.
NOTES
1. Peyron, Jacques, Les plafonds peints gothiques en Languedoc, thèse de 3e cycle d’histoire, Montpellier, Université Paul Valéry-Montpellier III, 1977.
2. Sirventon, Myriam et Nougaret, Jean (éd.), Autour du Palais des Archevêques de Narbonne : les arts picturaux en France méridionale et en Catalogne du XIIIe au XVe siècle : actes du 4e colloque d’histoire de l’art méridional au Moyen Âge, Narbonne, Palais des Archevêques, 2 et 3 décembre 1994, Narbonne, Ville de Narbonne, 2003, 169 p.
3. Notre-Dame de Grâce, collégiale de Sérignan, Sérignan, Montpellier, Ass. pour la connaissance du patrimoine en Languedoc, 2007, 176 p.
4. Il fallait actualiser la présentation qu’en avaient faite Peyron, Jacques et Robert, Annick, « Les plafond peints médiévaux de la région de Pézenas », Études sur Pézenas et l’Hérault, 1978, 1, p. 3-13.
5. Images oubliées du Moyen Âge. Les plafonds peints du Languedoc-Roussillon, DRAC de Languedoc-Roussillon, 1ère édition 2011, 2e édition revue 2014. Y ont participé aussi Bernard Sournia, Benoit Brouns (†), Pierre-Olivier Dittmar, Marie-France Pauly, Christophe Robert, Jean-Pierre Sarret, Rodrigue Tréton et Jean-Louis Vayssettes.
6. Numéro spécial, Les plafonds peints de l’hôtel de Brignac, mai 2011, n° 82.
7. L’inscription en a été acquise au titre des objets mobiliers le 11 décembre 2015, au moment où cet article était rédigé.
8. Frédéric Mazeran nous a fait remarquer qu’il apparaissait déjà dans les tailloirs de certains chapiteaux romans de la région. On le retrouve aussi à l’église Saint-Miquel de Montblanc en Catalogne, très soigneusement étudiée par Fuguet, Joan, Mirambell, Miquel et Plaza, Carme, El teginat de l’església de Sant Miquel de Montblanc, Valls, 2015. Les quelques lignes qui suivent sont issues de conversations et visites avec Frédéric Mazeran et Denis Nepipvoda. Je les en remercie vivement.
9. Vingt-et-un au total, mais deux sont d’une autre sorte, bien plus récents.
10. Leur état de conservation, notamment aux extrémités, interdit une mesure précise.
11. Je le remercie vivement des documents qu’il nous a transmis.
12. Merci à Yvon Comte, à la CRMH, des informations qu’il m’a communiquées.
13. C’est Émilien Bouticourt qui a élucidé, à la demande de la RCPPM, la provenance de ces chevrons au mois de février 2016. Depuis lors, la mairie de Saint-Pons-de-Mauchiens et la CRMH lui ont confié une étude approfondie dans le cadre d’un projet de présentation de ces chevrons, dans l’église, sous la direction de l’architecte J.-D. Schauler.