La Résistance en Cœur d’Hérault
La Résistance en Cœur d’Hérault
Publication du
G.R.E.C. n° 228-229-230-231
(2e semestre 2021)
p. 20 à 24
Dossier coordonné par Pierre-Joan Bernard et Jean-Claude Richard Ralite
Introduction
Sur la route de Mourèze, peu après l’embranchement de la RD8, en surplomb de la Dourbie, se dresse un étrange monument (fig. 1). 105 noms sont inscrits sur une plaque de marbre, 105 croix entourent la statue d’un chevalier sans tête tenant les mains jointes une épée au nom du maquis Bir-Hakeim. Enfant, j’ai toujours cru que de rudes combats s’étaient déroulés ici durant la Seconde Guerre mondiale, une bataille dont cet enclos serait le cimetière. En vérité, la grande majorité des victimes est tombée loin de Mourèze, en Lozère, sur les hauteurs du Causse Méjan, au nord de Meyrueis, près du village de La Parade. Ce mémorial, dû à l’initiative du Colonel Robert BONNAFOUS, président de l’Association des Anciens et des Amis du Maquis Bir-Hakeim, a été érigé en 1984, pour les quarante ans de la Libération. Il commémore les combattants disparus du maquis Bir-Hakeim entre 1943 et 1944, maquis mobile des Cévennes à la région toulousaine, dont le dernier quartier général fut le Cirque de Mourèze.
La présence de ce monument en ces lieux interroge sur la place de la Résistance dans l’histoire de notre région. Le Cœur d’Hérault fut sans conteste une terre de Résistance au régime de Vichy et à l’occupant nazi. Cependant, cette occupation allemande dans notre département, entre novembre 1942 et août 1944, est restée cantonnée dans les grandes villes et limitée à la zone littorale, au Nord jusqu’au niveau de Pézenas et de Montagnac, les Allemands évitant soigneusement le contact et l’affrontement avec les maquis de l’arrière-pays 1. Des drames furent évités à Caux ou à Clermont, de sorte que notre secteur fut relativement épargné parla répression nazie. Cela explique localement le faible bilan humain des victimes et un contexte favorable au développement de la Résistance. Ainsi, de nombreux petits groupes s’y sont structurés ; des dizaines de maquisards, agents de liaisons, sympathisants participèrent à ce mouvement. Des hommes, des femmes, surtout des jeunes gens issus des classes populaires, la plupart par refus du S.T.O., et des étrangers en exil, réfugiés politiques, en particulier espagnols, se sont engagés, ont pris des risques en entrant dans l’illégalité, ont mis en péril leur vie, celle de leurs familles et de leurs concitoyens, pour défendre la République et la liberté.
Cette multiplication des groupes de résistants rend le tableau complexe à décrire. En Cœur d’Hérault, le principal maquis affilié à l’Armée secrète (en lien avec Londres et DE GAULLE) est le groupe constitué par le capitaine Paul DEMARNE fin 1943. Ce groupe rejoint ensuite le maquis Bir-Hakeim, qui est une constellation régionale de groupes. À partir de février 1944, les « biraquins », comme on les surnomme, adhèrent aux Forces françaises de l’intérieur (FFI). À côté, il existe une nébuleuse de groupes, plus ou moins importants, désireux de rester indépendants vis-à-vis de Londres. Ils se multiplient durant l’année 1944. Ces différents groupes ont des contacts et peuvent mener occasionnellement des actions communes. Autour de Clermont-l’Hérault, gravitent notamment des Francs-Tireurs-Partisans communistes, le Corps franc Léon, formé par une forte personnalité d’origine juive polonaise, Heinrich GLAZER, qui a établi son camp à Val Ombreuse (entre Nébian et Lieuran-Cabrières), ainsi qu’un maquis Francs-Tireurs-Partisans de républicains espagnols, émanant du 8e groupe de travailleurs étrangers basé rue de la Frégère. Signalons également une brigade de guérilleros formée en juillet 1944 entre Cabrières et Neffiès et qui commettra quelques coups de mains 2.
Faire l’histoire de la Résistance n’est pas chose facile. Le propre d’un réseau clandestin est la discrétion. Les résistants n’ont donc laissé que peu de traces écrites du temps de la guerre, et il faut souvent se contenter des archives de l’ennemi (police, services de renseignements de Vichy, voire archives allemandes), donnant une vision extérieure, hostile et déformée du mouvement, à manipuler avec les précautions d’usage. Les archives de la Résistance se sont constituées, en quelque sorte, après la Libération en août 1944, sur fond d’épuration. Dès la fin de l’été 1944, les comités de Libération, les instances provisoires mises en place, établissent des attestations certifiant l’engagement dans la Résistance. Cette démarche a été prolongée au sein de l’Office national des anciens combattants par l’attribution de Cartes de combattants volontaires de la Résistance, attestant un engagement antérieur au 6 juin 1944. Il consiste à prouver sa qualité de résistant au moyen de témoignages dignes de foi. Ces témoignages écrits, formalisés, sont complétés par des témoignages oraux d’acteurs directs ou indirects des événements, une parole souvent plus libre, mais, comme toute source orale, suspecte de subjectivité ou de partialité. Cette documentation doit donc être croisée plusieurs fois avant d’être tenue pour exacte. À cela s’ajoute le paramètre temporel : plus on s’éloigne dans le temps, plus la mémoire se sédimente et les témoignages se font moins précis. Cependant, il est important de collecter, tant qu’il est encore temps, cette mémoire de la Deuxième Guerre mondiale auprès des derniers témoins vivants.
Pour nous autres, historiens qui recherchons à établir des faits, le travail est compliqué par la passion que suscite toujours cette période de l’histoire de France, même 80 ans après. Au conflit armé, a succédé après 1944 un conflit mémoriel. Les mémoires de guerre sont des guerres de mémoire, et cela à plusieurs niveaux. D’abord, il existe des conflits internes aux maquis. Le plus notable sont les dissensions au sein de Bir-Hakeim à la suite de la mort de DEMARNE. La nomination de François ROUAN à la tête du maquis en août 1944 n’a pas fait l’unanimité dans les rangs. Lui et sa brigade Montaigne n’étaient pas issus du noyau clermontais. Contesté, il se retrouve à la Libération ostracisé par les anciens du maquis et son parcours dénigré. Plus violentes encore sont les rivalités entre les maquis, spécialement entre Bir-Hakeim et le Corps franc Léon qui explosent après la mort de DEMARNE. GLAZER a même été soupçonné d’être impliqué dans sa tragique disparition. Par la suite, c’est un déchainement de haine à son égard, nourrie par sa réputation sulfureuse. Ce conflit se cristallise dans la mémoire de la libération de Montpellier. GLAZER et ses hommes entrent dans Montpellier dès le 21 août et rejoignent les résistants locaux pour prendre le contrôle de la ville après le départ des Allemands, tandis que les hommes de Bir-Hakeim n’arrivent que le 25 par l’avenue de Lodève. C’est cette dernière date que l’on retient généralement, matérialisée par le monument situé au carrefour de l’avenue de Lodève et du boulevard Benjamin-Milhaud, et par le square Bir-Hakeim au pied du château d’eau au départ des Arceaux. En réalité, si le Corps franc Léon est bien le premier maquis à être entré dans Montpellier, les hommes de Bir-Hakeim sont les premières troupes F.F.I., comme l’indique justement la stèle. Attention donc à ne pas extrapoler. Enfin, et plus étonnant encore, il y a des conflits entre civils et résistants. Il faut évoquer, même si cela peut paraître polémique, l’esprit de défiance à l’encontre des anciens maquisards qui subsiste chez certains clermontais. Par exemple, Blaise GALLEGO s’est ému de ces récits contradictoires propagés dans la population, salissant la mémoire de son frère, et il s’en est fait l’écho pour les dénoncer 3. Dans ces cas, souvent, les sources manquent pour démêler le vrai du faux. Pour l’historien qui navigue en eaux troubles, ce sont de multiples écueils à éviter.
Le chantier de l’histoire de la Résistance a été ouvert très tôt par l’ouvrage de René MARUÉJOL et d’Aimé VIELZEUF sur le maquis Bir-Hakeim, publié en 1947 4. Des travaux universitaires sur la Résistance dans l’Hérault ont suivi régulièrement jusqu’à aujourd’hui : les thèses et monographies de Gérard BOULADOU 5, de Jacques-Augustin BAILLY 6, d’Hélène CHAUBIN 7 et d’Alain ALQUIER 8 qui donnent un cadre solide pour aborder le sujet et la période de la Deuxième Guerre mondiale dans notre région. À côté de ces ouvrages d’historiens, des témoignages et documents ont été publiés par le Centre Régional d’Histoire de la Résistance et de la Déportation de Castelnau-le-Lez 9 et tout récemment par les Archives départementales de l’Hérault 10. Dans ce panorama, il faut accorder une place particulière à la contribution de Jean-Claude RICHARD, directeur de recherche au C.N.R.S., aux études sur la Résistance dans le département de l’Hérault depuis la fin des années1980, en tant qu’auteur et éditeur. Il est d’abord à l’initiative de la publication et l’éditeur scientifique des deux ouvrages de Gérard BOULADOU qui ont renouvelé la recherche sur ce thème (fig. 2). Il a écrit plusieurs dizaines d’articles et de notes publiées dans Études sur l’Hérault, puis Études Héraultaises, Arts et Traditions rurales, ainsi que dans le Bulletin du G.R.E.C. 11. Il collabore également avec l’Association Maitron Languedoc-Roussillon à la revue Le Midi Rouge qui a publié de nombreuses biographies de résistants, reprises dans ce volume. Il a inspiré et inspire encore une dynamique éditoriale dont est issue ce numéro du Bulletin du G.R.E.C.
Concernant plus spécifiquement la région de Clermont-l’Hérault durant cette période, il est à signaler plusieurs travaux intéressants. Il existe un mémoire de maîtrise inédit rédigé par Jean-Luc BOUNIOL en 1995, bien documenté, basé sur des références d’archives et sur des enquêtes orales auprès du colonel BONNAFOUS, membre du maquis Bir-Hakeim, et de Joseph RAMON, résistant Franc-Tireur-Partisan 12. Par ailleurs, un chapitre des mémoires de Lluis MONTAGUT, républicain espagnol passé par le camp de Clermont-l’Hérault, donne un tableau extrêmement précis de la Résistance locale, ainsi qu’une relation détaillée de la rafle du 12 juin 1944 13. Enfin, les publications annuelles de Blaise GALLEGO contiennent plusieurs articles sur le sujet, dont le témoignage essentiel de Pierre MANZANERA, second et garde du corps de Paul DEMARNE 14.
Ce présent dossier, s’il se veut une première approche monographique de la Résistance en Cœur d’Hérault, est loin d’être exhaustif. Nous espérons qu’il suscitera d’autres travaux et que ces quelques portraits brossés aideront à mieux connaître les acteurs de ce moment particulier de notre histoire et en comprendre les ressorts.
NOTES
1. C’est ce que développe M. Alain Alquier dans la thèse de doctorat qu’il a soutenue le 22 octobre 2020 à l’Université Paul Valéry Montpellier III. Dans l’attente de sa publication, nous pouvons renvoyer au compte-rendu publié dans le numéro 56 de la revue Études héraultaises, 2021, p. 155-162.
2. Roger BOURDERON, Libération du Languedoc méditerranéen, Paris, Hachette, 1974, p. 81 et 174.
3. Blaise GALLEGO, Vivre à Clermont, n°10, autoédition, 2005, p. 38.
4. R. MARUEJOL & A. VIELZEUF, La Résistance en Languedoc (1940-1944). Le Maquis « Bir-Hakeim », Nîmes, 1947.
5. Gérard BOULADOU, L’Hérault dans la Résistance : 1940-1944, Nîmes, Lacour, 1992. –, Les maquis du Massif central méridional 1943-1944, Montpellier, 2001, rééd. Nîmes, Lacour, 2006.
6. Jacques-Augustin BAILLY, La Libération confisquée. Le Languedoc 1944-1945, Paris, Albin Michel, 1993.
7. Hélène CHAUBIN, L’Hérault dans la guerre, 1939-1945, Clermont-Ferrand, De Borée, 2015.
8. Alain ALQUIER, L’occupation allemande dans le département de l’Hérault. 11 novembre 1942-23 août 1944, Thèse de doctorat en histoire, sous la direction de Jean-François Muracciole, Université Paul-Valéry Montpellier III, 2020.
9. François BERRIOT, La France libre, la Résistance et la Déportation (Hérault, Zone Sud). Témoignages, Paris, L’Harmattan, 2010.
10.Ghislaine BOUCHET (coord.), Hérault de guerre 39/45. Un département au cœur du conflit, et Hérault de guerre 39/45. Paroles de témoins, Villeveyrac, Le Papillon Rouge, 2021, 2 vol.
11.À titre indicatif : John HARRIS et Jean-Claude RICHARD, « La Libération de Montpellier (1944) d’après les témoignages inédits d’Andrew Croft, François Rouan et Gilbert de Chambrun », Études sur l’Hérault, N.S. 9, 1993, p. 59-72. Les Libérations d’août 1944, Arts et Traditions rurales, 2014. Jean-Claude RICHARD RALITE, « Déportés résistants de l’Hérault 1939-1945 », Bulletin du G.R.E.C., 207-208-209, 2018, p. 17-38.
12.Jean-Luc BOUNIOL, Le canton de Clermont-l’Hérault pendant la Seconde Guerre mondiale, mémoire de maîtrise d’histoire contemporaine, Jules Maurin (dir.), Université Paul-Valéry Montpellier III, 1995.
13.Lluis MONTAGUT, J’étais deuxième classe dans l’armée républicaine espagnole 1936-1945, Paris, Maspero, 1976, rééd. La Découverte, 2003, p. 307-343.
14.Blaise GALLEGO, Clermont, ville marchande, n°9, autoédition, 2004, p. 28-33 ; Vivre à Clermont, n°10, autoédition, 2005, p. 38 ; Clermont l’Hérault. Cœur de ville, autrefois, n°14, autoédition, 2009-2010, p. 24-25.