La représentation du roi en Languedoc : lieutenants et gouverneurs (XIIIe-XVIIIe siècle)
La représentation du roi en Languedoc :
lieutenants et gouverneurs (XIIIe – XVIIIe siècle)
Directrice des archives anciennes et des systèmes d’information aux Archives départementales de l’Hérault
La rétroconversion et la mise en ligne de l’inventaire des archives du gouvernement militaire du Languedoc en 2018 a mis en lumière ce fonds de la série C et permet de nous intéresser plus particulièrement à cette institution royale et aux archives relatives au gouvernement du Languedoc conservées dans les séries anciennes des Archives départementales. Il s’agit donc de montrer comment les archives peuvent nous éclairer sur l’histoire des gouverneurs 1, du début de l’institution jusqu’à la révolution.
The representation of the king in the Languedoc region: lieutenants and governors
The retrospective conversion and on-line release of the archive inventories of the Military Governor of Languedoc in 2018 has brought to light this collection of the C Series, and allowed us to look in particular at this Royal Institution and corresponding archives kept in older sets of departmental archives. This article shows how the archives can enlighten us on the history of the governors, from the beginning of the institution until the Revolution.
La representacion del rei en Lengadòc : lòctenents e governadors
La retroconversion e la mesa en linha de l’inventaire dels archius del govèrn militar de Lengadòc, en 2018, faguèt lum sus aquel fonds de la tièra C e permet de nos interessar mai particularament en aquela institucion reala e als sieus archius servats dins las tièras ancianas als Archius Departamentals. Adonc s’agίs de mostrar coma los archius pòdon nos assabentar sus l’istòria dels governadors de la debuta de l’institucion fins a la Revolucion.
La representación del rey en Languedoc: tenientes y gobernadores (siglos XIII-XVIII)
La recuperación y la puesta en línea del inventario de los archivos del gobierno militar de Languedoc en 2018 le dieron luz a este fondo de la serie C y permite interesarnos particularmente en esta institución real y en los archivos relacionados con el gobierno de Languedoc, conservados en la antigua serie de archivos departamentales. Por lo tanto, se trata de mostrar cómo los archivos pueden iluminarnos sobre la historia de los gobernadores, desde el comienzo de la institución hasta la revolución.
[ Texte intégral ]
Au cours des XIIe et XIIIe siècles, de nombreuses provinces entrent dans la couronne de France et le roi, selon le principe de féodalité, délègue à l’un de ses vassaux son pouvoir sur une circonscription territoriale dont le vassal lui rend hommage : duchés, comtés ou seigneuries. Premiers responsables locaux des territoires du royaume, les vassaux du roi ont la réalité du pouvoir, parfois sur de grandes principautés territoriales. C’est ainsi le cas du comté de Toulouse dont le ressort géographique correspond en grande partie à la province du Languedoc. Celui-ci a toute autorité pour gérer sa province. Afin de l’épauler dans l’administration de ce vaste domaine, plusieurs instances ont été mises en place : une curia dont le premier officier est le sénéchal et une assemblée des trois ordres, sur un modèle déjà en place en Catalogne au XIIe siècle, qui lui apporte conseil et lui fournit des moyens financiers importants.
Les premiers représentants du Roi : lieutenants pour le roi en Languedoc
Au cœur de la croisade des Albigeois qui voit s’affronter la royauté et les seigneurs méridionaux acquis à cette nouvelle religion qualifiée d’hérésie par le pape, le roi nomme, dès 1226, Imbert de Beaujeu « son lieutenant en Languedoc » alors que Raymond VII est à ce moment comte de Toulouse. Aussi, pour la première fois, le roi s’immisce dans les affaires d’un de ses vassaux. Cette désignation est ensuite suivie de deux autres : Adam de Milly en 1229 et Jean de Beaumont en 1240. Le lieutenant général est celui qui remplace le roi dans une province éloignée où le roi se rend peu souvent en personne comme c’est le cas du Languedoc. Dès le rattachement du Languedoc au royaume de France suite au décès en 1271 du second frère de Louis IX qui avait épousé la fille du comte de Toulouse, le roi continue de nommer un ou plusieurs lieutenants dans sa province. Ceux-ci représentent la personne du roi dans toute la province et encadrent les baillis et sénéchaux qui constituent les cadres réguliers de l’administration. Ils ont une délégation générale de l’autorité du roi mais ne peuvent régir la province à leur gré.
L’appellation de gouverneur peut varier selon les périodes et les régions. Ainsi, la première mention de la charge de gouverneur apparaît en 1315 avec l’établissement par Louis X du maréchal Jean de Beaumont comme gouverneur d’Artois. L’Artois étant un comté vassal, le roi, comme en Languedoc en 1226, considère qu’il doit y faire valoir les droits de la couronne. Toutefois la nomination de ces envoyés se fait selon les opportunités, problématiques ou besoins sans aucune ligne directrice. Dès le milieu du XIVe siècle, sous l’impulsion de Philippe VI, promoteur d’une représentation royale systématique dans les provinces, les nominations sont plus nombreuses.
Si aucun texte ne formalise pour l’instant cette institution, chaque gouverneur ou lieutenant général dispose toutefois de lettres de provision précisant ce qui est attendu de lui sur la province. Quelques lettres enregistrées par la sénéchaussée de Toulouse sont conservées aux Archives départementales de l’Hérault.
La situation particulière du Languedoc, tant par ses dimensions que par l’éloignement du cœur du pouvoir royal, a pour conséquence une représentation permanente du roi sans pour autant être très précisément définie. Aussi, on assiste durant les XIVe et XVe siècles, à une succession de gouverneurs et lieutenants généraux exerçant parfois leurs missions en même temps.
Le contexte de la guerre de Cent Ans opposant le roi d’Angleterre et le roi de France (1337-1453) se ressent fortement sur la province de Languedoc. Le principal théâtre des conflits est la Guyenne, limitrophe du Languedoc et rattachée à celle-ci sous les ordres d’un lieutenant, d’un gouverneur ou de deux commissaires comme c’est le cas en 1337 lorsque Simon de Provigny, chevalier, conseiller et maître des requêtes de l’hôtel du roi et Etienne de la Baume, maître des arbalétriers sont pourvus de la charge de gouverneur par Philippe VI. La tâche principale de ces deux envoyés est de mener les combats et sièges contre l’ennemi mais également d’organiser les troupes à l’arrière et de lever des finances pour les frais de guerre. Tous deux se qualifient de « chevaliers et conseillers du roi de France destinés par lui capitaines et gouverneurs dans les parties de la Langue d’Oc » 2.
Le conflit, ponctué de trêves, voit la nomination de nombreux lieutenants, parfois pour de courtes périodes, parfois renouvelés plusieurs fois dans cette charge comme c’est le cas d’Étienne de la Baume. D’illustres familles s’implantent durablement dans ces fonctions telles que les comtes de Foix, qui jouent par ailleurs un rôle important dans la guerre de Cent Ans. Gaston, comte de Foix est nommé en 1338 « capitaine général et son lieutenant dans les parties de la Langue d’Oc » 3. Afin de s’assurer de la meilleure représentativité au cœur de la province et d’une fidélité plus assurée, le roi nomme un membre de sa famille (souvent le dauphin) en qualité de lieutenant ou au-dessus de celui-ci. Cette situation se retrouve jusqu’à la période moderne.
Le gouverneur ou lieutenant, doit organiser les troupes en temps de guerre mais doit aussi assurer le maintien de l’ordre dans la province en temps de paix. L’administration du domaine royal est également de son ressort avec la défense des intérêts du roi, notamment sur le sujet de la fiscalité. Aussi, on trouve des lettres du gouverneur du Languedoc en date du 14 mai 1368, exigeant que les habitants de certaines parties de la sénéchaussée de Toulouse se servent du sel du Languedoc afin de payer la gabelle sur cette denrée. Le titulaire de la fonction est alors Louis, duc d’Anjou et comte du Maine, frère du roi Charles V. Le texte enregistré à la sénéchaussée de Toulouse précise qu’il est « frère de Monseigneur le Roy et son lieutenant es parties de Languedoc » 4. En Languedoc à cette période, l’appellation de lieutenant est souvent préférée à celle de gouverneur qu’on peut trouver dans d’autres provinces. Les deux noms regroupent toutefois les mêmes missions. Nommé à cette fonction en 1364, le duc d’Anjou s’implique beaucoup dans l’administration de sa province dont il effectue le tour à de nombreuses reprises et sa défense jusqu’à la fin de sa charge en 1380.
Louis d’Anjou est également chargé de répondre aux demandes des habitants. Ainsi, en mars 1368, suite aux nombreuses destructions occasionnées par les conflits de la guerre de Cent Ans, les habitants de la ville de Buzet, située sur l’axe entre Toulouse et Bordeaux obtiennent du gouverneur la permission de prendre du bois dans la forêt domaniale située sur le territoire de la ville afin d’effectuer les réparations et reconstructions 5.
Enfin, pour ces premières décennies d’existence de la charge de gouverneur, le lien avec la justice peut être montré en partie à travers des lettres enregistrées par la sénéchaussée de Toulouse le 4 septembre 1368. En partie seulement car il s’agit de lettres faites par « Marie de Bretagne, duchesse d’Anjou et comtesse du Maine et dame de Guise », désignée également dans le titre de cette transcription « Madame la Gouvernante de la Province de Languedoc ». Par celles-ci, à l’occasion de sa première entrée dans la ville de Toulouse, elle demande la délivrance de deux prisonniers.
Il nous a semblé intéressant d’étudier plus précisément les lettres de provision de deux personnages afin d’en savoir plus sur la nomination de ces envoyés, le contexte de la province et les missions exercées. Le 15 février 1411, le comte de Foix est nommé « notre Capitaine général en nosdits pays de Languedoc et de Guienne » 6. Le contexte du Languedoc et de la Guyenne à ce moment ainsi que l’objectif visé par cette nomination sont précisés : « comme pour mettre a subjection et réduire à notre obeissance plusieurs de ceux de notre sang et lignage et autres de notre Royaume nos ennemis desobeissans et rebelles et leurs alliés, adherens, confortans et complices ». Le roi choisit de nommer un « prudent et notable personnage de grand vaillance, loyauté et expérience en fait d’armes » à qui il donne plein pouvoir et autorité et mandement spécial de se transporter en tous lieux occupés par les ennemis anglais. La mission est en premier lieu de nature militaire avec le contrôle des places fortes, l’objectif de tenir tête aux Anglais et de restaurer l’autorité du roi auprès de la population qui aurait pu se compromettre avec l’ennemi. Cela concerne toutes les couches de la société : nobles, communautés de villes, prélats… Soulignant un peu plus la dimension militaire de la charge, le capitaine général est chargé des « sièges et assaux aux villes, chateaux et forteresses » détenus par les Anglais ou leurs alliés. Il doit également recevoir les serments des prélats, nobles, communautés de villes auxquels, en échange, il pourra conserver les privilèges, franchises et libertés. Le capitaine est enfin chargé de recevoir les tailles et subsides des terres reconquises et de les employer au défraiement et soldes des gens d’armes.
Une seconde lettre du 4 février 1412 réitère la nomination du comte de Foix en tant que capitaine général en précisant un contexte encore plus tendu : « Comme pour ce qu’en notre pays de Guyenne sont nagueres entrez et sont encore de present en grand nombre et puissance nos ennemis et adversaires d’Angleterre et plusieurs autres nos desobeissans et malvueillans et tenans leur party pour grever et dommager nous et notre royaume et mesmement notre dit pays de Guyenne et le pays d’environ ».
Le comte de Foix exerce sa mission en même temps que trois autres personnages dont les dates de nomination n’ont pu être retrouvées : Guillaume de Vienne, seigneur de Saint-Georges et de Saint-Croix, Reignier Pot, seigneur de la Pruigne, gouverneur du Dauphiné et Pierre de Marigny. Ces trois personnages avaient reçu du roi « plein pouvoir, autorité et mandement especial » pour le commandement de la province de Languedoc et duché de Guyenne mais demandent, en 1412, à être déchargés de leurs fonctions. Aussi, le 4 février 1412, le roi nomme, par lettres de provision Jean Le Meingre dit Boucicaut, maréchal de France, au gouvernement de la province de Languedoc et de Guyenne : « confiant a plein des grands sens, loyauté et vaillance, preudhommie et bonne diliegence de nostre amé et feal Chevalier, Conseiller et Chambellan Jean Lemengre dit Boucicaut Maréchal de France d’iceluy par grande et meure délibération de Conseil de plusieurs de notre sang et lignage et autres de nostre grand Conseil avons commis et ordonné […] et luy avons donné et donnons plein pouvoir et autorité et mandement especial par ces présentes, d’aller et soy transporter en nosdits pays de Languedoc et Duché de Guienne ».
Dans les lettres de provision sont toujours présentées les qualités d’un commissaire du roi. Celles-ci peuvent un peu varier selon les époques mais certaines sont systématiquement reprises : la loyauté, l’autorité, la fidélité.
Comme pour les lettres de provision du capitaine, la particularité contextuelle de la guerre de Cent Ans est à prendre en compte. En effet, l’accent est très clairement mis sur la défense du territoire. Il est demandé au gouverneur d’être informé de « l’estat de toutes icelles villes, citez, chateaux et forteresses et autres lieux tant de celles qui nuement appartiennent a nous comme de celles de nos vassaux et sujets d’iceux pays et les visiter, scavoir si et comment elles sont et seront fournies de gens, vivres, harnois et autres habillemens necessaires a fait de guerre et a deffense de places d’y pourvoir et faire pourvoir par ceux et a moy qu’il appartiendra et verra estre affaire pour le bien desdits pays et la seure garde et deffense d’icelles forteresses ».
Charge au gouverneur de suspendre tous les officiers quels que soient leur statut (sénéchaux, viguiers, capitaines…) et leurs attributions (justice, domaine, aides…) qui auraient commis des fautes ou ne rempliraient pas avec efficacité leurs fonctions et pourvoir à ces charges d’autres personnes fiables. La sureté des places et la levée du ban et de l’arrière-ban auprès des vassaux sont également confiées au gouverneur. Toutefois, on note dans les lettres patentes que cette mission reste plus traditionnellement l’apanage du roi comme en 1417 lorsque les combats reprennent sous le règne de Charles VI. Enfin, les « cadres » intermédiaires tels que les sénéchaux, viguiers, baillis, trésoriers… sont sommés de prêter aide et conseil si cela est requis du gouverneur ou de ses commis.
D’autres lettres conservées aux Archives départementales de l’Hérault permettent de suivre les décisions de ces deux personnages et de découvrir un membre de la famille royale cité comme lieutenant du Roy en Languedoc en 1413. Il s’agit de « Jean, fil de Roy de France, duc de Berry et d’Auvergne, comte de Poitou et d’Estampes, de Boulongne et d’Auvergne lieutenant de Mon sire le roy esdit pays de Languedoc et duché de Guyenne ». Il adresse le 29 novembre 1413 des lettres au sénéchal de Toulouse afin de lui commander de chasser de la province certaines troupes venues d’Espagne et qui la ravagent.
Le duc de Berry, coutumier de cette fonction qu’il a occupée avec plusieurs intermèdes depuis le milieu du XIVe siècle, l’exerce jusqu’à son décès en 1414. Il nomme aussitôt le maréchal Boucicaut capitaine général en Languedoc et Guyenne.
On voit donc que dans la province de Languedoc et le duché de Guyenne sont nommés simultanément et parfois pour de très courtes périodes, deux voire trois personnages qu’ils soient gouverneur, commandant ou lieutenant du roi dont les missions doivent se superposer sur certains aspects sans qu’il soit toujours évident de déterminer ce qui est du ressort de l’un ou de l’autre. Le maintien de l’ordre et la sureté des sujets du Roi est leur première préoccupation. Elle est bien précisée dans les lettres de commission du gouverneur et du capitaine et se retrouve dans les lettres que le lieutenant adresse au sénéchal de Toulouse. La nomination de plusieurs représentants du roi s’explique aussi par l’étendue de la juridiction qui regroupe alors Languedoc et Guyenne.
D’autres missions peuvent être dégagées de l’étude des lettres adressées par Jean, comte de Foix et de Bigorre, lieutenant général pour le roi en Languedoc et duché de Guyenne depuis 1424. La défense des intérêts du roi déjà évoquée plus haut est étendue à ceux de la reine. En effet, il adresse, en 1425,des lettres aux sénéchaux de Beaucaire et Carcassonne et aux gouverneurs de Montpellier ou à leurs lieutenants afin de faire jouir à la Reine du don fait par le roi des comté, terres et seigneuries de Pézenas et des villes, châteaux et terres en dépendant 7.
En 1426, à la demande des marchands se rendant à la foire de Pézenas, il ordonne aux capitaines de gens d’armes et autres qui les accompagnent qu’ils « ne touchent ou souffrent toucher à eux ou à leurs marchandises et autres biens sur peine d’en estre punis corporellement et publiquement » 8. Il convient de préciser que les foires rapportent des sommes considérables à la royauté et qu’il était important qu’elles puissent continuer de se développer.
Le gouverneur peut également convoquer les États de Languedoc comme à Carcassonne en 1429 et, son autorisation est indispensable comme il le rappelle dans des lettres enregistrées à la sénéchaussée de Toulouse en 1430, portant défense de tenir assemblées sans la permission du lieutenant général du Roy ou des sénéchaux 9.
Le roi, s’il doit faire confiance à ses représentants n’en était pas moins attentif à ce qu’ils ne prennent pas trop de pouvoir ou d’initiatives personnelles non permises par leurs lettres de provision ou les coutumes de la province. Ainsi, le roi intervient en 1427 contre le comte de Foix qui a fait imposer 2200 livres sur la province sans l’avis des États de Languedoc.
Le Languedoc, on l’a dit plus haut, a la particularité d’être un pays d’États ; à ce titre, la royauté doit composer avec cette assemblée pour sa politique fiscale notamment mais également pour l’administration de la province. Dès le rattachement de la province au royaume de France, le roi a maintenu ces assemblées mises en place par le comte de Toulouse qui lui fournit des moyens financiers importants dans les moments de grandes difficultés. Tout au long du XIVe siècle, la royauté s’appuie sur ces assemblées des trois ordres (noblesse, clergé et municipalités). Dès le XVe siècle, le Languedoc est considéré comme une des provinces les plus fidèles à la couronne et sa contribution représente près d’un quart des besoins financiers du royaume. Aussi, elle obtient le droit de réunir les États à volonté en présence d’un sénéchal ou du gouverneur (1418), représentant du roi dans la province et l’assurance que tout nouvel impôt sera soumis à son vote. Au XVIe siècle il existe dans le Midi des états en Dauphiné, Provence, Languedoc et Guyenne. Au cours du XVIIe siècle, un bon nombre d’états provinciaux disparaissent, le roi voulant étendre le système des élections. Ce processus réussit en Guyenne et en Dauphiné (édit de juillet 1628), échoue en Provence et en Languedoc.
En Languedoc et en Provence, l’assemblée est convoquée tous les ans. Le roi y est représenté par des commissaires. Le gouverneur ou le commandant en chef ouvre les séances, puis l’intendant, nouveau commissaire royal depuis le XVIIe siècle, présente les demandes royales. Les états délibèrent et remettent leur réponse aux commissaires. Ceux-ci reviennent clore la session. La fonction principale des états est le vote de l’impôt. Ceux-ci sont demandés soit par lettre de commission du roi soit par des instructions que les commissaires apportent au président des États.
Parallèlement à la nomination de capitaines et gouverneurs, d’autres personnages peuvent être envoyés dans la province avec des charges plus spécifiques. C’est le cas le 17 juin 1413 avec la nomination de Hélie Brolhet 10 docteur en droit civil par Valeran de Luxembourg, connétable de France à la charge de « lieutenant général en pays de Languedoc et duché de Guyenne au regard du fait de justice ». Sa mission consiste « en ladite ville de Toulouze ou ailleurs ou bon et expedient luy semblera faire sentences jugemens et appointemens tant en cas criminel comme civil accoutumez a faire a lieutenant general et garde de justice » se positionnant par là-même au-dessus de toutes les institutions judiciaires existantes.
Règlements et fixation de l’institution (XVe – XVIe siècle)
Si le Languedoc a très tôt et de manière systématique, des gouverneurs nommés, l’organisation de ces nominations au niveau national se fait dès le XVe siècle. En effet, dès qu’une province est rattachée à la couronne, le roi place à sa tête un gouverneur. C’est ainsi le cas du Roussillon en 1463 et de la Provence en 1481.
L’ordonnance de 1499 enjoint aux gouverneurs de « tenir le pays à eux commis en sûreté, le garder de pillerie et visiter les places et frontières ». Cette fonction militaire se perpétue durant toute la période moderne par le règlement du mouvement des troupes.
Louis XI est très actif dans la politique de nomination des gouverneurs. Toutefois, il apparaît assez rapidement que ces personnages pourraient devenir trop influents et le pouvoir royal cherche alors à les contrôler. Des édits de 1508 et 1539 interdisent par exemple aux gouverneurs d’intervenir dans le commerce des grains.
Si le titre diffère selon les provinces, c’est finalement celui de gouverneur qui est officialisé par l’édit du 6 mai 1545. Cet édit stipule également le maintien de 11 gouvernements : Paris et Île-de-France, Bretagne, Normandie, Picardie, Champagne et Brie, Bourgogne, Lyonnais, Dauphiné, Provence, Languedoc, Guyenne. Le choix de la royauté est alors de ne maintenir ses commissaires que dans les provinces jouxtant une frontière qu’elle soit terrestre ou maritime. Les provinces intérieures, quant à elles, perdent leurs gouverneurs qui sont remplacés par des baillis ou sénéchaux.
Le XVIe siècle est le moment où s’organise plus précisément, par des ordonnances royales notamment, l’institution des gouvernements. Le roi n’hésite pas à montrer que les charges de gouverneurs dépendent de lui seul et qu’elles sont à tout moment révocables.
Aussi, par édit du 21 mai 1542, tous les gouverneurs sont révoqués et immédiatement renommés dans leurs gouvernements à l’exception du connétable de Montmorency dont le gouvernement de Languedoc est attribué à François de Bourbon, comte d’Enghien. Est-ce une volonté de François 1er d’une reprise en main générale des gouvernements ou l’élimination du connétable de Montmorency ? On ne peut le dire mais il est indéniable que celui-ci est le seul à ne pas recouvrer ses fonctions.
Les gouverneurs exercent généralement des fonctions importantes à la cour, au Conseil du roi ou à l’armée, il leur est impossible de résider en permanence dans leur gouvernement. Aussi, les ordonnances de Moulins (1556) et de Blois (1579) prescrivent que les gouverneurs doivent être assistés d’un lieutenant résidant en permanence dans le gouvernement. Il y est précisé que les gouverneurs doivent eux-mêmes résider 6 mois par an dans leur province. En l’absence du gouverneur, le lieutenant général jouit de toutes prérogatives et remplit l’intégralité de ses fonctions. L’ordonnance de Blois précise les limites de compétences notamment en matière judiciaire. Le gouverneur ne peut usurper la juridiction des cours souveraines.
Représentant la personne du roi, le gouverneur est entouré d’un conseil souvent appelé conseil d’État qui l’assiste dans ses fonctions. Ce conseil est constitué de son état-major (au titre de ses prérogatives militaires) puis, dès le règne d’Henri II, de gens de robe en charge des affaires judiciaires, administratives ou financières. Au regard de leur larges responsabilités, gouverneurs et lieutenants généraux ont auprès d’eux un nombre suffisant de collaborateurs dont un ou plusieurs secrétaires souvent issus de l’administration militaire (commissaires ou contrôleurs des guerres). Ceux-ci assurent parfois, en plus de leurs fonctions traditionnelles d’écriture, la liaison entre le gouverneur et le souverain, la contresignature des actes du gouverneur…
Dès le XVIe siècle dans le contexte troublé des guerres de religion, une tradition s’établit progressivement dans certains gouvernements : le fait pour des familles de s’approprier un gouvernement et de le conserver sur plusieurs générations comme le fait la famille des Montmorency.
La dynastie des Montmorency
La famille de Montmorency, très puissante dès le XVe siècle et durant tout le XVIe siècle, a accédé aux plus hautes fonctions auprès du roi. Anne de Montmorency est le premier gouverneur de la lignée, de 1526 à 1542.
Connétable de France dès 1538, il redevient gouverneur du Languedoc de 1547 à 1563. Il joue un rôle important pendant les guerres de religion et influence la vie politique du royaume durant cette période. Son fils lui succède, Henri Ier, 3ème duc-pair de Montmorency. En Languedoc, la famille de Montmorency est donc très bien implantée et le gouvernement se transmet de génération en génération pendant près d’un siècle. Ainsi, Henri de Montmorency-Damville, amiral de France, de Bretagne et de Guyenne, devient gouverneur du Languedoc en survivance de son père Henri Ier, à la demande de ce dernier. La lettre royale adressée aux États du Languedoc accordant la survivance du gouvernement du Languedoc en 1597 pour le fils du connétable fait état des « grands et recommandables services de la maison de Montmorency ». Il est précisé que lorsqu’il sera en âge d’assurer cette fonction, « il se rendra digne imitateur et successeur de la vertu de ses ancêtres et de leur soin au bien et conservation de ladite province. » 11
Le duc de Montmorency exerce effectivement avec sérieux ses missions notamment en ce qui concerne le maintien de l’ordre dans la province. En 1614, il adresse un règlement par lequel il indique au gouverneur de Narbonne ce qui doit être fait en cas d’attaques de bandits espagnols 12.
Toutefois, lorsqu’en 1630 Gaston d’Orléans tente d’organiser un soulèvement général du royaume contre la politique de Richelieu, le duc de Montmorency se rallie ainsi que les États. Après la défaite du duc devant Castelnaudary en 1632, il est jugé par le parlement de Toulouse et exécuté par décapitation le 31 octobre 1632. Outre l’inévitable chute de la famille qui, après trois commissions de gouverneur de Languedoc n’accèdera plus à cette fonction, cet épisode a un impact plus important sur la fonction de gouverneur en Languedoc et sur les États de cette province.
En effet, dès 1632, les gouverneurs ne peuvent plus aller dans leur gouvernement sans l’autorisation du roi Louis XIII.
Une lettre du roi aux États du Languedoc en 1633 montre la place importante des gouverneurs dans la hiérarchie sociale. Le prince de Condé, gouverneur et lieutenant général de Bourgogne et pays de Bresse souhaite solliciter l’assemblée des États concernant quelques affaires sur les prétentions qu’il a concernant la succession de Montmorency. Le roi demande aux États de traiter favorablement les demandes du prince de Condé, au vu de l’affection qu’il a pour le prince et des services rendus par ce personnage 13.
Les révoltes du début du XVIIe siècle ont fortement impacté la politique de nomination des gouverneurs. En effet, sur 19 gouverneurs en poste au début du XVIIe siècle, disgrâces, déplacements ou exécutions n’en font subsister que 4 en 1642. La confiance nécessaire que le roi doit avoir dans ces personnages lui fait désormais choisir principalement des personnages de sa famille. Les désordres de la Fronde ont aussi un impact sur la politique menée par Louis XIV dans leur nomination et l’organisation de l’administration provinciale.
Les gouverneurs face à la montée en puissance des intendants
Après une période difficile, les nominations vont cependant reprendre progressivement et les XVIIe et XVIIIe siècle permettent à cette institution de se fixer dans la forme et les fonctions.
Dès le règne de Louis XIV et tout au long de la période moderne, le nombre de gouvernements évolue. En effet, la royauté se sert de ces nominations aux postes de gouverneurs comme des récompenses pour services rendus ou comme des moyens de fidéliser des nobles qui pourraient être tentés par la rébellion contre l’autorité royale. Plusieurs gouvernements voient leur circonscription évoluer tandis que le Languedoc ne subit pas de modification de son territoire sans doute pour maintenir la logique de l’organisation administrative qui correspond au ressort des États et pour partie du parlement de Toulouse.
On trouve alors systématiquement un gouverneur et lieutenant général du Roi en Languedoc et des lieutenants généraux nommés par le roi auprès des gouverneurs.
En 1644, le maréchal de Schomberg, pourvu de la charge de gouverneur et lieutenant général du Roi en Languedoc, remet sa charge entre les mains du roi qui décide alors de nommer le duc d’Orléans à celle-ci. Ce dernier étant occupé à d’autres charges, il est décidé de maintenir le maréchal de Schomberg à la charge de lieutenant général en la province de Languedoc. Ses prérogatives ne sont guère changées, il continue de jouir des mêmes gratifications et ses missions restent larges. Il est néanmoins précisé qu’il agit sous le contrôle du duc d’Orléans. Le maintien de l’ordre reste important. Le lieutenant doit veiller à la pacification de la province et au jugement de ceux qui contreviendraient aux ordonnances royales. En effet, le maréchal de Schomberg a pris le gouvernement à la suite du duc de Montmorency dans un contexte de rébellion ouverte contre le roi et de répression qui s’ensuit. La dimension militaire est très précise dans ces lettres de provision. La crainte de soulèvements est vive d’autant plus dans le contexte de régence mentionné à plusieurs reprises dans le texte. En effet, Louis XIII est décédé en octobre 1643 et la reine Anne d’Autriche, assure la régence, aidée dans la prise de cette décision par le prince de Condé et le cardinal de Mazarin 14 également cités dans ces lettres.
Les lettres de provision du duc d’Orléans en date du 25 avril 1644, permettent de dresser un panorama de la province : « Nous avons considéré comme lad province est d’aussy grande étendue qu’aucune autre de notre royaume remplie de belles et opulantes villes, de nombre de chasteaux et forteresses qui servent à la conservation de ses frontières […] et qui est d’ailleurs abondante en habitants lesquels pour la diversisté des religions requierent un personnage de condition rellevée et dont la condition soit accompagnée d’une singulière prudance pour la maintenir et faire vivre en bonne union et concorde » 15. Le duc d’Orléans doit prêter serment au roi, en l’occurrence à la régente à cette date.
Les État attribuent des appointements au gouverneur de son vivant mais le cas peut aussi se retrouver à la mort d’un gouverneur, ou tout au moins être sollicité. En effet, la duchesse d’Orléans écrit aux États de Languedoc en 1661 dans cette optique 16. Arguant de « la passion que feu Monsieur a toujours eue pour tout ce qui regardait le bien des affaires de votre province », Marguerite de Lorraine demande la prise en charge par les États des « appointements et entretenemens des gardes de feu Monsieur » durant l’année 1660. Cette pratique s’était déjà appliquée pour le maréchal de Schomberg. Il conviendrait de rechercher, dans les procès-verbaux des États, si cette demande a été honorée.
Après l’agitation de la Fronde, Louis XIV prend des dispositions pour limiter l’action des gouverneurs : durée des charges réduite à trois ans renouvelables, interdiction aux titulaires de se rendre dans leur gouvernement sans son autorisation expresse. Les gouverneurs, dès 1661, résident donc ordinairement à la cour.
Les lettres de provisions d’Armand de Bourbon, prince de Conti pour la charge de gouverneur et lieutenant général pour le Roy en Languedoc 17 présentent plus précisément la province de Languedoc et les qualités requises pour un bon gouvernement. « Le repos et la tranquillité des peuples dépendant de la vigilance de ceux qui ont le principal commandement dans les provinces il est très important à notre service et au bien de ceste stat de distribuer les gouvernements des plus considérables de nostre royaume à des personnes d’imminente qualité et recommandables par leurs vertus et mérites, affins que par leur soing nostre auctoritté y soict amplement conservée et nos sujets maintenus dans le devoir et l’obeissance qui nous est due ». Suite au décès du duc d’Orléans, le gouvernement se trouve vacant et, s’agissant de la plus grande province du royaume il est impératif de nommer un personnage recommandable « tant pour avoir les qualités convenables pour s’en acquitter dignement et au gré et contentement d’un chacun que pour les preuves qu’il nous a données en plusieurs occasions de sa fidéllité, valeur, prudence et générosité ». La connaissance qu’il a de la province est également indéniable puisqu’il a une résidence à Pézenas, la Grange-aux-Prés. Les lettres sont à nouveau l’occasion de dresser un panorama de la province de Languedoc en présentant cette fois ses institutions : « y ayant assemblée d’estats tous les ans, et pour l’exercice de la justice un parlement de grand ressort, une cour des comptes aydes et finances et bon nombre de sieges royaux remplis de belles et bonnes villes de vingt deux diocèses ». La particularité des habitants, « tant catholiques que de la religion prétendue réformée » est également un élément particulier à la province du Languedoc.
La suite des lettres précise quelques-unes des missions attendues par le gouverneur sans toutefois les détailler. S’assurer de la bonne obéissance des sujets et du suivi des édits royaux, évoqué depuis le XVe siècle est l’élément essentiel de la fonction de gouverneur. Il est également mentionné que le gouverneur doit « ouir les plaintes de nos peuples de ladite province et sur icelles leur pourvoir et faire administrer justice ». Cette fonction se retrouve durant tout le XVIIIe siècle comme le montrent les documents conservés aux Archives départementales de l’Hérault. En effet, une partie du fonds du gouvernement militaire du Languedoc est consacré aux plaintes et placets de particuliers. Celles-ci peuvent être très variées : contestation suite à la perte de privilèges, demande d’intervention du gouverneur contre un membre de sa famille qui porte atteinte à l’honneur de celle-ci, plaintes de consuls pour non-respect des règlements dans leurs communes… Tout un pan de la vie quotidienne peut ainsi être étudié par ces archives.
La défense du territoire contre les ennemis fait encore totalement partie des attributions du prince de Conti. En effet ce qui est toujours demandé au gouverneur, depuis le XVe siècle, est le contrôle des places fortes de la province et des capitaines qui les gouvernent. De même, la gestion des gens de guerre, logement et approvisionnement lors de leur passage ou séjour dans la province est de son ressort. Celle-ci doit se faire « en bon ordre et discipline selon les ordonnances et règlements militaires sur ce fait ».
Enfin, charge au gouverneur de mettre en œuvre toutes les actions pour le bien des sujets du roi dans le Languedoc avec l’aide des institutions royales de la province.
Les lettres sont enregistrées trois fois : par le parlement, par la cour des comptes aides et finances et par le bureau des trésoriers de France.
Les institutions judiciaires du Languedoc comportent des cours souveraines, le parlement de Toulouse et la cour des comptes, aides et finances, des juridictions intermédiaires et des juridictions inférieures. Au premier degré, les vigueries connaissent en première instance toutes les affaires civiles et criminelles de leur ressort, à l’exception des causes concernant les nobles, de quelques autres causes privilégiées. Les sénéchaussées connaissent en première instance toutes les causes concernant les nobles et les officiers royaux. Elles sont également concernées par les bénéfices ecclésiastiques, les tutelles et curatelles et certaines affaires criminelles. Elles jugent en appel les sentences des vigueries et des justices seigneuriales. En matière de police, les sénéchaux font publier les ordonnances royales et s’occupent des foires et marchés. Une de leurs compétences est également l’insinuation judiciaire. Les présidiaux, créés par édit d’Henri II en 1552 constituent un nouveau degré de juridiction intermédiaire. Au criminel, les présidiaux connaissent des cas prévôtaux (crimes et délits commis par les gens de guerre et les vagabonds sur les grands chemins). Au civil, ils peuvent juger en dernier ressort les causes mettant en jeu un capital inférieur à 250 livres ou une rente inférieure à 10 livres. Dans les affaires comprises entre 250 et 500 livres de rente, les sentences présidiales sont susceptibles d’appel aux parlements. Enfin, recevant l’appel de toutes les juridictions inférieures, le Parlement de Toulouse, constitué sur le modèle du Parlement de Paris en 1420 est une des deux cours souveraines du Languedoc, ce qui amène parfois à des querelles de préséances, notamment dans l’enregistrement des lettres patentes, une des attributions principales du Parlement de Toulouse. En effet, les actes émis par le pouvoir royal ne peuvent avoir de valeur ou force de loi qu’une fois portés dans les registres du parlement. Ce droit s’accompagne aussi du droit de remontrance c’est-à-dire de refuser l’enregistrement des textes. Outre les attributions judiciaires classiques (justice en dernière instance et appel de toutes les affaires civiles, criminelles, ecclésiastiques, ou émanant de juridictions spécialisées), le parlement de Toulouse : des attributions réglementaires et administratives. En effet, les parlements rendent des arrêts de règlement adaptant le droit et la loi aux nécessités locales. Ils portent sur la police, le maintien de l’ordre et de la moralité publique, la réglementation des jeux, des débits de boissons, sur la vie économique (réglementation des foires et marchés), sur la santé publique, sur l’enseignement et la gestion des collèges, sur l’administration municipale.
Le gouverneur peut entrer dans les cours souveraines, y occuper le fauteuil du roi, « exhorter la compagnie à remplir scrupuleusement ses devoirs, lui faire part des ordres ou des intentions du souverain mais il n’est pas habilité à intervenir dans le déroulement et le jugement des procès. » 18
Suite au décès prématuré du prince de Conti en 1666, le duc de Verneuil, fils naturel d’Henri IV et oncle du roi est nommé par lettres de provision du 4 avril 1666. Dans ses lettres, ce qui ressort fortement est le fait que l’attribution d’un gouvernement par le roi est un signe de confiance (les signes de fidélité) et de reconnaissance de services rendus (dans l’ambassade extraordinaire d’Angleterre pour le duc de Verneuil) ou de qualités. Les lettres sont lues à l’assemblée des états généraux, le duc prête serment de fidélité au roi et l’enregistrement par les 3 cours souveraines est fait le 26 octobre 1668 19.
Louis XIV, s’il maintient les gouverneurs en place, tente de réduire leur pouvoir. En effet, installés dès le début du XVIIe siècle en Languedoc, les intendants prennent plus d’attributions et de fonctions dès le milieu du XVIIe siècle. Les gouverneurs doivent alors partager le contrôle des provinces avec ces nouveaux envoyés royaux. Les intendants sont choisis sur proposition du contrôleur général des finances et pour cette mission, dotés d’une lettre de commission du roi mais sont donc la plupart du temps détenteurs d’un office qui leur permet de bénéficier des honneurs et prérogatives qui y sont liées. L’intendant est le représentant de l’administration royale tandis que le gouverneur reste le représentant de la personne du roi. La distinction entre ces deux envoyés royaux réside aussi dans leur condition sociale. En effet, le gouverneur est toujours issu de la noblesse, voire même de la famille royale tandis que l’intendant est d’origine plus modeste et par là, redevable au roi de sa charge.
Comme l’a montré Bernard Barbiche, la nomination d’intendants auprès des gouverneurs est dans la majeure partie des cas plutôt bien perçue par ces derniers qui ne maîtrisent pas tous les rouages techniques de l’administration à la différence des intendants. En effet, ces derniers sont pour la plupart recrutés dans le corps des maîtres de requêtes, apparus dans les ordonnances de Louis IX dès son retour de croisade en 1254. Ces derniers avaient d’abord pour mission de recueillir les requêtes des sujets. Devenus techniciens du droit au conseil du roi et dans les parlements, ils sont chargés, dès le milieu du XVIe siècle, d’effectuer des missions (chevauchées) dans les provinces, afin de s’assurer du bon fonctionnement des juridictions et d’assister dans certains cas le gouverneur. C’est le recrutement des intendants dans l’office de maître de requêtes qui a longtemps alimenté l’idée selon laquelle les intendants étaient les héritiers directs des chevauchées menées par les maîtres des requêtes.
Au XVIIe siècle, il se rend dans la province qui lui a été assignée et accomplit sa tâche avec quelques hommes de confiance. Il ne dispose pas encore de lieu de résidence ni de bureaux. Au XVIIIe siècle, on voit l’émergence des intendances, hôtel prestigieux et ensemble d’agents organisés. En effet, l’intendant dispose de subdélégués recrutés localement parmi les officiers des juridictions royales. Le subdélégué général, collaborateur le plus direct et suppléant de l’intendant, est nommé par le pouvoir royal. Les subdélégués particuliers sont des agents d’exécution notamment dans la réalisation de grandes enquêtes sur le territoire.
Louis XIV multiplie par ailleurs les auxiliaires des gouverneurs afin de diviser leur autorité. Des lieutenants généraux sont systématiquement nommés par le roi, ce qui leur confère un pouvoir particulier, auprès des gouverneurs. En Languedoc, trois lieutenants généraux sont nommés auprès du gouverneur (Haut-Languedoc, Bas-Languedoc, Cévennes et Vivarais).
Les lettres de provision de monsieur le comte de Grignan pour la charge de lieutenant général pour le Roy dans les diocèses autour de Toulouse, soit le Haut-Languedoc sont données directement par le roi le 19 novembre 1663. S’il ne nomme pas lui-même ses lieutenants généraux, ceux-ci sont tout de même directement placés sous l’autorité du gouverneur comme le précisent les lettres. Ses missions sont de commander aux gens de guerre et de s’assurer de l’ordre public ; les lettres sont assez proches de celles du gouverneur mais sur un secteur géographique plus réduit. Comme le gouverneur, le lieutenant général prête serment de fidélité entre les mains du roi. La particularité de ces lettres est qu’aucune mention d’enregistrement par les cours souveraines n’est faite : les présentes lettres patentes sont lues et rendues publiques lors de l’assemblée des états de Languedoc 20.
Le choix des lieutenants généraux peut recouvrir plusieurs critères, outre les qualités et la fidélité des personnages, l’expérience au sein des armées peut être un élément déterminant comme pour René Gaspard de la Croix, marquis de Castries, nommé à la charge de lieutenant général de la province au département du bas Languedoc, diocèses autour de Montpellier.
À l’échelon local, dès 1692, sont créés des lieutenants du roi (9 en Languedoc, chargés chacun de 2, 3 ou 4 diocèses).
La montée en puissance des intendants enlève aux gouverneurs les affaires civiles. Le gouvernement devient une charge honorifique et la réalité du travail sur le terrain appartient désormais à une troisième catégorie, les commandants en chef, nommés par commission et chargés du maintien de l’ordre et du commandement des troupes dans les gouvernements les plus importants. Ils ont les mêmes prérogatives que les gouverneurs, sont souvent ducs ou maréchaux et, à la différence des gouverneurs, résident dans les gouvernements.
Les gouvernements sont au nombre de 39 dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ils sont attribués à des personnages en guise de récompense couronnant par exemple une fin de carrière. Même s’il s’agit de charges honorifiques, il n’en reste pas moins que ces commissions sont recherchées car elles apportent à leur titulaire une prestance et une rémunération non négligeable. L’ordonnance portant règlement du 18 mars 1776 définit 18 gouvernements de première classe réservés aux princes de sang et aux maréchaux de France avec un traitement de 18 à 60 000 livres et 21 gouvernements de seconde classe dotés d’un traitement de 21 à 30 000 livres 21.
Au XVIIIe siècle, les gouverneurs et suppléants prennent leur rôle au sérieux. La haute noblesse, princes de sang et grands seigneurs, d’abord écartés par Louis XIV, sont à nouveau associés et regagnent des gouvernements. Leur rôle peut varier selon la personnalité du gouverneur ou le contexte local mais les pouvoirs importants dans le maintien de l’ordre public sont conservés par les gouverneurs et commandants en chef. Lors des crises de la fin du XVIIIe siècle, ce sont eux qui imposent l’enregistrement des édits dans les cours et qui veillent à l’installation des nouvelles juridictions.
Durant la révolte des Camisards, les gouverneurs sont chargés du règlement des affaires protestantes. Toutefois, cette prérogative est également confiée aux intendants. Aussi, comme on le voit pour nombre d’institutions royales durant l’époque moderne, des chevauchements de compétences voire même des querelles peuvent survenir.
L’inventaire des archives du commandement de la province de Languedoc, dressé en 1779 montre la diversité des thématiques traitées par le gouverneur et par le commandant ou tout au moins dont ils sont informés 22. Un inventaire des lettres reçues des ministres de la guerre, depuis 1725 est également contenu dans ce registre.
Le commandant de Languedoc est responsable des prisons du roi. Aussi, il demande des états des prisonniers détenus. Ces documents se retrouvent dans le fonds du gouvernement. Ces états sont réalisés à la demande du commandant du Languedoc. Pour certaines prisons ils sont réalisés de façon très régulière (château de Ferrières par exemple de 1760 à 1778) pour d’autres, plus ponctuellement (au fort de Brescou dont on ne dispose que de deux états, 1756 et 1773) 23. Les prisonniers le sont pour des raisons religieuses telles que les réformées à la tour Constance d’Aigues-Mortes ou pour des raisons politiques ou morales. En effet, les emprisonnements peuvent être réalisés à la demande de familles qui souhaitent ainsi protéger l’honneur de leur famille contre un parent libertin par exemple. Ces prisonniers n’ont en principe pas fait bénéficié d’un jugement devant une cour.
La dimension militaire des gouverneurs est encore présente tout au long du XVIIIe siècle comme le montrent l’état des milices demandé par le gouverneur dans toutes les villes du Languedoc en 1758, la surveillance des côtes et le contrôle des désordres et révoltes dans la province. Dans le contexte de la guerre de Sept Ans, la surveillance des côtes par les matelots placés aux signaux est indispensable car la probabilité d’une attaque par les Anglais est à prendre en considération. Toutefois, un auxiliaire du commandant lui signale que « les matelots aux signaux n’ont point encore de longue vue » 24 ce qui peut réduire considérablement leur efficacité…
Le gouverneur dispose de documents généraux sur l’état de la province, réalisés par ses lieutenants et leurs collaborateurs tels que ce registre portant état de diocèses, villes et lieux de la généralité de Montpellier et Bas-Languedoc contenant l’évaluation des habitants 25 (vers 1770).
Les aspects économiques de la province peuvent également être retrouvés dans les archives du gouvernement, notamment un Mémoire présenté au prince de Beauvau alors commandant en chef du roi en Languedoc sur le commerce des draps produits par les manufactures établies dans la jurande de Clermont Lodève vers 1760-1770 26. L’auteur n’est pas identifié même si on peut penser qu’il s’agit d’un subdélégué de ce secteur. Ce mémoire est rédigé à l’attention du commandant dans un but précis : attirer l’attention de celui-ci sur les conséquences désastreuses d’un arrêt de la production sur l’économie et la société de la jurande. En effet, ce sont plus de 11 000 hommes et femmes qui sont employés à la fabrication des draps. Ce mémoire est intéressant par sa thématique, tout à fait caractéristique du Languedoc à l’époque moderne mais également car il montre que le gouverneur est encore informé et impliqué dans les préoccupations économiques de la province même si cette prérogative est un peu moins forte qu’elle n’a pu l’être par le passé, au profit des États qui exercent le contrôle des manufactures et de la production et surtout des intendants.
Les gouverneurs et commandants en chef se maintiennent durant tout le XVIIIe siècle mais au moment où l’institution est supprimée par la loi du 20 février 1791, le gouvernement est vacant depuis 1784.
Statut des gouverneurs : officiers ou commissaires ?
Le sujet a fait débat. En effet, la charge de gouverneur présente des caractères propres aux offices. Elle est conférée par lettres patentes enregistrées par les parlements et les chambres des comptes et parfois également par les juridictions inférieures. Toutefois les ordonnances royales ne qualifient jamais cette charge d’office et l’appellent état. Cet état, à la différence d’un office, n’est pas vénal et ne peut être transmis. Il est révocable par le roi. Contrairement aux offices, les charges de gouverneurs ne sont pas créées par édit, le roi nomme directement un titulaire. Enfin, des charges de gouverneurs ont pu être confiées à des femmes ce qui était totalement proscrit pour un office. Bernard Barbiche 27 note que les lettres de nomination des gouverneurs ne comportent pas le verbe « commettre » dans leur dispositif comme toute commission donnée par le roi. Aussi, la charge de gouverneur ne se trouve dans aucune de ces deux catégories mais a un statut propre. On peut toutefois remarquer que les lettres de provision du maréchal de Boucicaut en 1412 précise dans une mention dédiée à ses prédécesseurs qui ont demandé à être déchargés de leurs missions : « nous les veuillions descharger de la charge et commission dessusdites ».
Le fonds du Gouvernement militaire général de Languedoc débute en 1629 et concerne essentiellement le XVIIIe siècle. S’il permet de voir que les attributions des gouverneurs et commandants en chef ne se restreignent pas à la sphère militaire comme l’image a longtemps perduré, on peut toutefois regretter qu’il ne permette pas de remonter plus avant sur les actions menées par les gouverneurs. À la différence de l’intendance qui disposait d’un personnel et de bureaux organisés, le gouverneur ne résidait pas dans la province et pouvait peut-être avoir tendance à considérer les documents produits comme ses archives propres ce qui expliquerait le peu de documents pour le début de la période moderne et encore moins pour la période médiévale. La majorité des archives conservées dans le fonds du gouvernement militaire général de Languedoc sont en réalité le fait du commandant du roi en Languedoc, résidant dans la province et assurant les missions déléguées par le gouverneur ou en collaboration avec celui-ci. La copie des registres de la sénéchaussée de Toulouse nous permet heureusement de pallier en partie à ces manques avec les lettres de provision de certains lieutenants et gouverneurs et les traces de quelques-unes de leurs actions. Il convient toutefois de noter que selon Marcel Gouron, archiviste de l’Hérault, qui avait réalisé le premier inventaire de ce fonds, il semblerait qu’il soit un des seuls conservés dans un service public d’archives ce qui le rend tout à fait précieux et donne toute légitimité au travail de rétroconversion réalisé par les équipes des Archives départementales.
NOTES
1. Une liste des gouverneurs en exercice de 1380 à 1789 a été publiée par La Roque dans Armorial de la noblesse de Languedoc, t. II, p. 294-296.
2. Cité dans Vic, Claude de, Vaissète, Joseph, Histoire générale de Languedoc. Tome neuvième. Toulouse : E. Privat, 1872-1892.
3. Cité dans Vic, Claude de, Vaissète, Joseph, Histoire générale de Languedoc. Tome neuvième. Toulouse : E. Privat, 1872-1892.
4. Archives départementales de l’Hérault, A1.
5. Archives départementales de l’Hérault, A1.
6. Archives départementales de l’Hérault, A1.
7. Archives départementales de l’Hérault, A9.
8. Archives départementales de l’Hérault, A9.
9. Archives départementales de l’Hérault, A2.
10. Archives départementales de l’Hérault, A1.
11. Archives départementales de l’Hérault, A44.
12. Archives départementales de l’Hérault, G1835.
13. Archives départementales de l’Hérault, A44.
14. Archives départementales de l’Hérault, A54.
15. Archives départementales de l’Hérault, A54.
16. Archives départementales de l’Hérault, A45.
17. Archives départementales de l’Hérault, A55.
18. Bernard Barbiche, Les institutions de la monarchie française à l’époque moderne, Paris, PUF, 1999.
19. Archives départementales de l’Hérault, A44.
20. Archives départementales de l’Hérault, A41.
21. Duquesne Jean, Dictionnaire des gouverneurs de province, Paris, Christian, 2002.
22. Archives départementales de l’Hérault, C6540.
23. Archives départementales de l’Hérault, C6648.
24. Archives départementales de l’Hérault, C6604.
25. Archives départementales de l’Hérault, C6921.
26. Archives départementales de l’Hérault, . C 6554.
27. Bernard Barbiche, Les institutions de la monarchie française à l’époque moderne, Paris, PUF, 1999.