La bouteille en verre noir façon d’Angleterre en basalte
La bouteille en verre noir façon d’Angleterre en basalte
Les recherches de Jean-Antoine Chaptal (1783)
et les expérimentations d’Allain Guillot (2005)
p. 329 à 332
En Languedoc, au cours de la deuxième moitié du 18e siècle, de nouvelles verreries fonctionnant au charbon de terre voient le jour. Ces verreries royales sont la propriété de concessionnaires de mines de charbon. A la demande des négociants en vin locaux, elles produisent des bouteilles en verre noir façon d’Angleterre suffisamment robustes pour supporter les transports par voies terrestres, fluviales et maritimes.
Dans la tradition des encyclopédistes, Jean-Antoine Chaptal, jeune professeur de chimie de la Société Royale des Sciences de Montpellier, participe à la volonté de cette académie de trouver des applications techniques aux découvertes scientifiques 1.
En 1783 il demande à Etienne Giral et à Louis Gilly respectivement propriétaires des verreries royales d’Hérépian dans le bassin houiller de Graissessac (Hérault) et de Saint-Jean-de-Valériscle dans le bassin houiller d’Alès (Gard) ainsi qu’au gentilhomme verrier Antoine-Vincent de Castelviel de la Ribaute maître de la verrerie de la Sauvie sur le plateau du Larzac (Gard), de fondre du basalte et de souffler des bouteilles en verre noir.
Le 26 janvier 1783, Etienne Giral adresse à l’intendant du Languedoc une bouteille et une chopine faites en verre appelé de bazalte. C’est dans le cadre des Journées européennes du patrimoine, le 18 septembre 2005, au Mas de Baumes (Ferrières-les-Verreries – Hérault), qu’Allain Guillot renouvelle l’expérience de Chaptal.
Les matériaux utilisés
Au cours de cette expérimentation archéologique deux matières vitreuses sont utilisées, le basalte et l’obsidienne.
1- Le basalte
Le département de l’Hérault est traversé de coulées basaltiques du nord (Lodévois) au sud (Agathois) et riche de quelques affleurements dans la région de Montpellier 2.
Jean-Antoine Chaptal recommandait aux verriers le basalte de Montferrier, localité au nord de Montpellier.
Pour des raisons techniques c’est celui situé dans la commune de Nizas qui a été utilisé. La Société Travaux et Carrières du Sud-ouest, qui exploite ce gisement, a aimablement fourni du basalte broyé (pulvérulent) indispensable à une bonne fonte de la composition.
L’analyse de ses principaux composants est la suivante >>>
Les bouteilles en verre noir façon d’Angleterre (type 18e siècle) ont été soufflées à partir de deux compositions >>>
La composition Boisse a donné un verre vert-brun très foncé, pratiquement opaque, qui lui vaut l’appellation verre noir.
La composition Baumes a fait apparaître un verre vertfoncé transparent. Cette composition, par rapport à la précédente, a fait l’objet d’une « addition de carbonate de potasse et d’alumine pour modifier la viscosité du verre, sans résultats probants. Le fait de remplacer une partie de la soude par de la potasse a modifié la couleur du verre qui est moins jaunâtre et plus vert. » (Allain Guillot)
2 – L'obsidienne
L’utilisation de ce verre volcanique, absent des gisements de laves de France, n’a pas été envisagée par Jean-Antoine Chaptal. Toutefois il paraissait intéressant de compléter l’expérimentation avec ce nouveau matériau.
L’obsidienne utilisée provient du site volcanique du Monte Arci (gisement SC) situé dans la commune de Pau en Sardaigne 3.
L’analyse des principaux composants est la suivante >>>
La nature chimique de l’obsidienne a obligé Allain Guillot à élaborer une composition adaptée :
Le verre obtenu par la fusion de cette composition à base d’obsidienne a permis de réaliser des verres à jambe et des petites bouteilles d’une couleur différente du verre à base de basalte : verre vert clair transparent, couleur qui s’explique par une faible teneur en fer dans l’obsidienne (1,89 % contre 16,34 % dans le basalte).
De l'expérimentation à la production industrielle
Les travaux d’Allain Guillot ont mis en évidence la faisabilité de l’expérimentation mise en place en 1783 par Jean-Antoine Chaptal. Malgré l’abondance des gisements de basalte dans l’Hérault cette expérience ne débouchera sur aucune application industrielle.
Trois facteurs semblent compromettants :
- Les difficultés d’extraction et de broyage du basalte local, roche dure ;
- Les difficultés de transport des lieux d’extraction vers les verreries situées dans les bassins miniers ;
- L’hétérogénéité des composants minéraux des différentes émissions de basalte, obligeant les verriers à concevoir des compositions adaptées à chaque extraction de roches.
À ce jour il n’existe aucun document d’archive confirmant une utilisation industrielle du basalte. Il semble, par contre, que l’idée de Chaptal ne soit pas unique et que d’autres expériences aient été tentées dans les autres régions volcaniques de France et peut-être d’Europe, débouchant sur de petites productions.
L’analyse chimique de quelques bouteilles au verre noir provenant ces régions pourraient alors mettre en évidence l’utilisation du basalte. Il reste, à l’issue des travaux d’Allain Guillot, à analyser ses verres au basalte et à l’obsidienne afin d’obtenir des bases de référence indispensables à toutes comparaisons futures.
Notes
1. Péronnet Michel (sous la direction de) : « CHAPTAL » Privat, Toulouse, 1988 : Michel Henri « Les chemins de la réussite » p. 25, Gourdin Pierre « Professeur de chimie » p. 63.
2. De Rouville Paul : « Introduction à la description géologique du département de l’Hérault », Boehm et fils, Montpellier, 1876.
3. Costa Laurent-Jacques : « L’obsidienne. Un témoin d’échanges en Méditerranée préhistorique » Ed. Errance, Paris, 2007, p. 27 et 63.