Jean Nougaret, Montagnac et les plafonds peints du XVe siècle
Jean Nougaret, Montagnac et les plafonds peints du XVe siècle
* Président des Amis de Montagnac
Hommage à Jean Nougaret
[ Texte intégral ]
Mon hommage à Jean Nougaret ne portera pas sur un thème précis de l’histoire de l’art ou du Moyen Âge, n’étant pas moi-même un spécialiste de ces questions, mais je peux évoquer l’homme que j’ai connu et apprécié, et les travaux que nous avons menés ensemble. Érudit mais toujours très discret, il avait horreur des approximations ou des négligences et, avant une parution, il scrutait le moindre défaut à corriger ; c’est ce qu’il me faisait remarquer lors d’un travail commun.
Fidèle adhérent des Amis de Montagnac, il était lié à notre histoire par plus d’un aspect. Il était originaire du canton de Montagnac et son épouse appartient à une très vieille famille montagnacoise, les Bouisset ; pourtant cela aurait pu n’avoir qu’une importance relative aux yeux de ce chercheur rapidement attiré par Pézenas et son riche passé. Je me souviens que, jeune historien puis jeune fonctionnaire du patrimoine, il a participé à la réalisation du premier guide sérieux sur Pézenas, en compagnie de Claude Alberge et de Michel Christol. C’était un livre nécessaire à la découverte d’une « petite ville du Grand Siècle » comme on l’a surnommée par la suite. C’était aussi le point de départ d’un classement qui allait attirer l’attention sur celle qu’on a appelé rapidement « la ville de Molière », avec la phrase choc, « si Jean-Baptiste Poquelin est né à Paris, Molière est né à Pézenas ». Ces formules paraissent amusantes et un peu présomptueuses, mais à partir de ce moment-là a commencé la mise en valeur, au départ sous l’impulsion du maire d’alors, Jean Bène, de l’architecture longtemps négligée d’une ville du Grand Siècle. On ne peut évidemment attribuer uniquement à quelques jeunes gens enthousiastes cette évolution nécessaire mais ils ont participé à l’effort collectif et largement aidé à cette renaissance.
Ensuite Jean Nougaret, par ses fonctions à la conservation du patrimoine où il a gravi progressivement tous les échelons, a fait de son métier une passion qu’il a su communiquer aux sociétés auxquelles il participait. Montagnac, dans ce travail de recherche et d’information, n’a pas été oublié. Pendant de nombreuses années, il a montré une fidélité sans faille à notre ville et à notre association, qui avait bien besoin de soutiens de cette importance pour démarrer et s’affirmer. Par sa précoce adhésion, il a d’abord manifesté son intérêt pour le travail que nous entreprenions ; nous avons bénéficié ensuite de ses conseils et de son aide encourageante.
Au début ce furent des conseils discrets, parfois teintés d’humour, comme « votre revue est un peu tristounette, il y faudrait un peu plus de couleurs », puis des encouragements. Ainsi avons-nous été très fiers du jugement flatteur qu’il portait sur nos publications, montrant par là avec quel intérêt il suivait nos activités. Ensuite, accaparé par son travail et ses recherches, il a décidé sa fille Catherine, étudiante en histoire de l’art, à mener une étude et à écrire un article sur la famille des Bouisset qui a joué un rôle important dans l’histoire de Montagnac au XIXe siècle. Petit à petit, son travail critique sur nos articles a pris de l’importance pour nous. Comme j’appartenais, comme lui, à plusieurs associations de recherches historiques, nous nous sommes souvent retrouvés pour aborder des sujets qui nous passionnaient. Au cours de ces rencontres, réunions ou colloques, nous avons pu échanger nos idées sur un certain nombre de questions intéressantes et il apportait alors, toujours avec discrétion, les précisions utiles que lui permettait sa grande érudition.
Pour illustrer cela, je prendrai un exemple caractéristique de ce travail commun : l’étude des plafonds peints du XVe siècle de l’hôtel de Brignac à Montagnac et l’organisation du colloque qui a donné un certain écho à cette découverte passionnante. Le sujet était ancien : dans les années soixante-et-dix, un ami acquiert l’hôtel de Brignac, alors simple maison pour familles pauvres, laissée à l’abandon depuis le début du XIXe siècle. Par le plus grand des hasards, le nouveau propriétaire découvre, sous un faux plafond, un ensemble du XVe siècle richement illustré et en parfait état de conservation. L’un de ses prédécesseurs avait badigeonné les closoirs au brou de noix ou à un autre produit ; un autre, pour réduire le volume d’une pièce difficile à chauffer, avait fait cet aménagement. Contre toute attente, loin de détruire ou d’abîmer ces œuvres d’art, ces actions maladroites ont permis de les conserver : elles les ont protégées de l’humidité et de la lumière sans les altérer, bien au contraire, car le badigeon pouvait facilement se laver, sans dommage pour ces peintures anciennes.
Ornant une galerie ouverte et une ancienne salle de réception, une grande variété de petits tableaux originaux représentait à la fois des œuvres d’art et des scènes illustrant la vie d’un seigneur provincial du XVe siècle. Sans aucun ordre logique, on a découvert des blasons royaux ou princiers, d’autres de nobles locaux ou régionaux, des animaux en action ou fantastiques illustrant les défauts des hommes, mais aussi des scènes avec personnages, au symbolisme plus difficile à définir. Visiblement on pouvait y lire la volonté des propriétaires d’étaler leur richesse, leur goût pour les arts et leur notoriété, et plusieurs représentations d’un couple laissent supposer qu’ils s’étaient mis en scène. Les blasons royaux et princiers occupent une bonne place dans l’ensemble, rappelant le passage d’hôtes prestigieux que la demeure a accueillis, comme le dauphin Louis (futur Louis XI) reçu par la ville en 1437, ainsi que sa mère Marie d’Anjou et, plus tard, le duc de Calabre, beau-fils du roi Charles VII et nouveau possesseur de la seigneurie de Montagnac.
Évidemment le blason des maîtres de maison, « de gueules au lévrier rampant d’argent », est répété cinq fois sur ce plafond comme si le maître de maison avait eu peur qu’on ne le remarque pas dans cette accumulation de belles œuvres. Pour souligner encore leur importance, les Brignac ont aussi fait représenter les blasons des branches cadettes de leur famille ainsi que ceux des nombreuses familles alliées, rappel flatteur par leur nombre et leur diversité. Une série d’autres blasons régionaux évoquent les visiteurs importants que la demeure a connus, comme Philippe Lévis évêque/comte d’Agde de 1411 à 1425, et aussi nombre de familles locales ou régionales. Malheureusement nous n’avons pu attribuer un nom à tous ces emblèmes familiaux. Viennent ensuite des représentations d’animaux de deux catégories, certaines réalistes comme la course d’un lévrier, un renard, ou un chien saisissant un lièvre par la patte, et d’autres fantastiques avec des animaux à deux têtes ou au corps composé de deux bêtes hybrides ou différentes, quelques-unes à tête humaine et au corps d’animal évoquant certainement certains défauts de l’humanité, et surtout la sirène au peigne et au miroir, symbole de la prostitution. Enfin, on y remarque des scènes variées avec personnages, certaines sans équivoque qui représentent une tentative de séduction, d’autres dont le symbolisme n’est pas toujours significatif, comme ce tableau qu’on pourrait interpréter comme celui d’Adam et Ève au paradis terrestre, avec le serpent qui tente de les corrompre.
On ne peut rendre compte ici de tout l’intérêt que présentent les plafonds de l’hôtel de Brignac, ces quelques notations peuvent en donner un faible aperçu. Dès le départ est apparu tout l’intérêt de cette découverte et la nécessité de la préserver ; rapidement une petite aventure allait confirmer ces craintes. Profitant de la naïveté du propriétaire, après de sérieuses promesses, un faux antiquaire suisse a pu emprunter quatre de ces closoirs pour les expertiser, disait-il… Mais on ne les a jamais revus. Il fallait à tout prix sauver cette œuvre originale, nous avons tout de suite averti les services compétents qui se sont contentés de vagues promesses. Alors, a commencé une longue période que l’on peut qualifier de publicitaire : visites, articles dans les journaux, articles dans notre revue, petite publication sur les « Trésors cachés du patrimoine montagnacois ».
Comment préserver cet héritage inespéré ? En 1985, l’ensemble a été classé. Dans cette action de sauvetage, Jean Nougaret nous a beaucoup aidés ; malheureusement l’essentiel manquait, l’argent pour la restauration. Après une très longue période d’attente, un nouveau miracle s’est produit, des amateurs éclairés, monsieur et madame Jean-Paul Picard de Paris, ont découvert par hasard l’hôtel de Brignac et ses richesses et ils ont décidé d’assurer son sauvetage ou sa renaissance ; nous étions en 2004. Une fois les lentes formalités administratives accomplies, les travaux pouvaient commencer en 2006. Ils ont duré quatre ans avec, à la fin, en récompense, une belle réussite. Il ne s’agissait pas alors de faire une simple restauration à l’identique mais de redonner au bâtiment et aux plafonds leur état originel. Les closoirs se trouvent sur deux plafonds, l’un dans la grande pièce de réception, l’autre dans une galerie ouverte qu’il a fallu vitrer au plus vite pour stopper l’agression de l’humidité et revoir la demeure de la cave au toit.
La bâtisse, rénovée au milieu du XVe siècle, conserve une tour ronde du XIVe ou plus ancienne, bien conservée, et une grande demeure largement ajourée, avec une belle galerie au premier étage. On a rétabli les larges ouvertures sur la rue ou sur la cour intérieure. D’une manière plus lente et très minutieuse, on a restauré la tour et son escalier à vis, qui dominait une partie de la ville et servait de tour de guet certainement avant l’édification du clocher de l’église de Montagnac, mais le travail le plus délicat était la remise dans leur état originel des cent vingt closoirs aux illustrations diverses. En 2010, le travail ayant été réalisé par des spécialistes de tous les corps de métier – tailleurs de pierre, ferronniers, restaurateurs de peintures murales – l’ensemble, complètement achevé, avait belle allure et était rétabli tel qu’il était au XVe. On avait rafraîchi et protégé les peintures d’origine en employant des produits naturels.
Restait à faire connaître cette découverte ainsi remarquablement traitée. Jean Nougaret, alors à la retraite, a pris les choses en main pour la populariser. L’obscur trésor a soudain été mis en exergue par les médias, journaux, radios, télévision, gloire éphémère qui récompensait pourtant plusieurs années d’effort. Il fallait voir plus clair dans cette suite de tableaux bien conservés. Jean Nougaret a donc suggéré de mettre sur pied un colloque composé d’universitaires comme Monique Bourin, de l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, de spécialistes de l’art médiéval comme Pierre-Olivier Dittmar de Paris, d’héraldistes comme Philippe Huppé, d’historiens comme Denis Nepipvoda, avec les restaurateurs qui avaient procédé au nettoyage du plafond, Claire Delhumeau et Jean-Luc Mulhauser. La présentation photographique d’ensemble des closoirs était l’œuvre d’un photographe expert, Christophe Emier. Le couronnement est arrivé le 16 octobre 2010, lors du colloque sur les plafonds peints.
De nombreux points ont été mis en lumière mais malheureusement nous n’avons pu découvrir le nom du ou des artistes qui ont effectué les travaux. Certainement un ou plusieurs peintres se sont succédé, partant d’Avignon et allant vers Barcelone, qui se seraient arrêtés un temps à Montagnac, une ou plusieurs fois. Jean Nougaret a présidé cette journée, apportant une large contribution aux discussions nées des diverses interventions. Une publication a suivi, rendant compte du travail du colloque, complétée par de nombreuses illustrations, notamment celles de l’ensemble des closoirs 1. Là encore, Jean Nougaret nous a apporté la technique nécessaire à de telles publications et il a ajouté à l’ensemble sa touche personnelle, en replaçant ce travail dans une étude plus large, en établissant des comparaisons avec d’autres plafonds peints de la région, comme ceux de Saint-Pons-de-Mauchiens, de Clermont-l’Hérault, de Gabian, de Pézenas ou d’autres plus lointains comme ceux de Capestang ou de Narbonne.
Malheureusement, encore aujourd’hui, nombre de questions restent sans réponse. Quel est le commanditaire ? Quand et pourquoi a-t-il voulu cette décoration ? Quel ou quels artistes l’ont réalisée ? Une telle œuvre devait coûter très cher et supposait une certaine aisance. Quelle valeur symbolique chacun de ces tableaux a-t-il, certains ne manquant pas d’ambiguïté ? Mais comme toujours en histoire et surtout en histoire de l’art, si elles arrivent parfois avec un certain retard, on trouve souvent les réponses au hasard de nouvelles recherches. Ce travail et celui fait sur les plafonds peints de Capestang ont motivé la création de la société pour « La recherche sur les charpentes et plafonds peints médiévaux » qui, depuis ce moment-là, poursuit un travail de recherche et d’information sur les nombreux plafonds peints de notre région. Évidemment, parmi les promoteurs de cette association, Jean Nougaret et Monique Bourin ont joué un rôle essentiel ; notre ami a d’ailleurs systématiquement présidé une des sessions des journées annuelles, car il était un président de séance parfait.
Ce modeste exemple de l’action de Jean Nougaret, mise au service de l’étude et de la mise en valeur d’un petit trésor de notre patrimoine régional, illustre son travail permanent en faveur de la préservation et de la connaissance des nombreux témoignages de notre passé. Chercheur passionné, il a su donner à son métier tout son sens en s’appuyant, dès le début, sur une documentation minutieuse, utilisée avec précision et honnêteté. Cette activité discrète mais efficace méritait bien cet hommage.
NOTES
1. « Les plafonds peints de l’Hôtel de Brignac à Montagnac », Bulletin des Amis de Montagnac, n° 82, mai 2011.